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22/05/2023 | FRANCE | N°20/00118

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 22 mai 2023, 20/00118


N° de minute : 42/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 22 mai 2023



Chambre commerciale







Numéro R.G. : N° RG 20/00118 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RRK



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 octobre 2020 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG n° 18/20)



Saisine de la cour : 25 novembre 2020



APPELANTS



S.A.R.L. IMPEX NC, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Pierre-Hen

ri LOUAULT, membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA



S.A.R.L. INGENIERIE - PROSPECTION - ASSISTANCE - CONSTRUCTIONS DITE IPAC, représentée par son g...

N° de minute : 42/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 22 mai 2023

Chambre commerciale

Numéro R.G. : N° RG 20/00118 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RRK

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 octobre 2020 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG n° 18/20)

Saisine de la cour : 25 novembre 2020

APPELANTS

S.A.R.L. IMPEX NC, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT, membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. INGENIERIE - PROSPECTION - ASSISTANCE - CONSTRUCTIONS DITE IPAC, représentée par son gérant en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Nicolas MILLION, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

S.A. SOCIETE LE NICKEL (SLN)

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC, membre de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. PETROLE INDUSTRIE DEVELOPPEMENT, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 5]

Représentée par Me Philippe REUTER, membre de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA

S.A.R.L. ETTM CENTRE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 6]

S.A.R.L. IMPEX NOUVELLE-CALEDONIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT, membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseillère,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- réputé contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Selon convention n° X 6 101 en date du 23 mai 2006, la société SLN, qui souhaitait mettre en conformité le système de défense contre l'incendie des unités de stockage du fuel lourd de son usine de Doniambo, a chargé la société Pétrole industrie développement de réaliser des « travaux d'ingénierie »

La société Pétrole industrie développement a chargé la société Ingénierie - protection - assistance - constructions (IPAC) de réaliser un audit des installations pétrolières, un avant-projet sommaire de mise en conformité et une étude des dangers.

Selon contrat n° X 9 128 en date du 10 décembre 2009, la société SLN a confié à un groupement d'entreprises composé de la société Impex NC, de la société ETTM centre et de la société BCBS le lot 1 « Génie civil et structure métallique ».

Selon ordonnance du 25 août 2014, le juge des référés, à la demande de la société SLN qui se plaignait d'un désamorçage des pompes et d'une mise en défaut complète du système lors d'essais, a désigné M. [N] en qualité d'expert.

L'expert judiciaire a déposé un rapport daté du 14 juin 2017.

Selon requête introductive d'instance déposée le 25 janvier 2018, la société SLN a recherché la responsabilité des sociétés Pétrole industrie développement, IPAC, ETTM centre et Impex en sollicitant leur condamnation in solidum au paiement d'une indemnité de 372.000.000 FCFP.

Selon jugement en date du 23 octobre 2020, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a :

- condamné la société Pétrole industrie développement, la société IPAC, la société ETTM centre et la société Impex NC, in solidum, à payer à la société SLN, à titre de dommages et intérêts, la somme de 72 000 000 FCFP, avec indexation, jusqu'a complet paiement, sur l'indice ISEE du coût de la construction BT 21 à compter du 14 juin 2017,

- débouté chacune des parties du surplus de ses demandes et défenses,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions, hors celles ayant trait aux dépens,

- condamné la société Pétrole industrie développement, la société IPAC, la société ETTM centre et la société Impex NC, in solidum, à payer à la société SLN une indemnité de 1 500 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais et honoraires de l'expert judiciaire.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- que les défenderesses ne démontraient pas que l'expert judiciaire avait commis une erreur flagrante tant en ce qui concerne ses constatations techniques sur les lieux, qu'en ce qui concerne ses analyses et conclusions ;

- que M. [N] avait écarté toute négligence du maître de l'ouvrage dans l'exploitation et l'entretien du système ;

- que l'expert judiciaire imputait le sinistre à des erreurs de conception et des erreurs d'exécution ;

- que les fautes tant contractuelles que délictuelles ayant concouru à la réalisation de l'entier préjudice, les sociétés Pétrole industrie développement, Impex NC, ETTM centre et IPAC devaient réparer l'intégralité du préjudice ;

- que la société SLN ayant été en mesure de remettre en marche le système pour un coût limité de 72.000.000 FCFP, le seul préjudice en lien de causalité direct et certain avec les fautes correspond à ces travaux.

Selon requête déposée le 25 novembre 2020, la société Impex NC a interjeté appel en intimant la société SLN.

Selon requête déposée le 9 décembre 2020, la société IPAC a interjeté appel en intimant la société SLN, la société Pétrole industrie développement, la société ETTM centre et la société Impex NC.

La société Pétrole industrie développement et la société SLN ont formé un appel incident.

La jonction des deux instances a été ordonnée.

Aux termes de ses conclusions transmises le 13 juillet 2022, la société Impex NC demande à la cour de :

à titre principal,

- débouter la société SLN de l'ensemble de ses demandes à l'encontre la société Impex NC ;

- dire et juger que le rapport d'expertise a précisément établi que la société Impex NC n'était intervenue qu'au titre de l'assemblage des tubes, tubes fournis par la société SLN, constituant les deux conduites de l'ouvrage ;

- dire et juger que le rapport d'expertise a précisément établi que la première cause, et la cause principale, de l'inadéquation de l'ouvrage résulte de l'erreur d'altimétrie de son implantation ;

- dire et juger que les désordres attribuables à la société Impex NC ont un caractère secondaire par rapport à l'implantation erronée de l'ouvrage ;

- dire et juger que si les désordres imputables à la société Impex NC avaient été la cause des désordres, les coûts de remise en ordre de ces désordres étaient évalués initialement à une somme maximale de quatre millions de francs ;

- dire et juger que même si la société Impex NC devait refaire à ses frais les conduites, le coût total de cette réparation ne pourrait être que d'un montant de 10.379.286 FCFP, tel que fixé en page 129 du rapport selon les propres éléments fournis par la société SLN ;

- dire et juger que la société Impex NC avait proposé une solution de reprise des désordres ;

- dire et juger que la condamnation de la société Impex NC ne saurait excéder la réalisation des prestations de montage des tuyauteries PEHD sous la directives de la société SLN ou celles du maître d'oeuvre délégué à cet effet ;

- débouter la société SLN de ses demandes complémentaires ;

- dire et juger que la société Impex NC ne peut être considérée comme responsable de l'ensemble des dommages subis par la société SLN ;

- dire et juger que la société Impex NC a conclu le contrat de prestations de pose de tuyaux fournis par la société SLN en considération de la clause d'exclusion de responsabilité solidaire prévue par la société SLN ;

- dire et juger que la société Impex NC ne peut être responsable solidaire de l'entier préjudice subi par la société SLN ;

- dire et juger que la prestation de pose de tuyaux fournis par la société SLN ne permettait pas la prévisibilité d'un dommage correspondant au caractère impropre d'une installation en raison d'un défaut d'implantation et d'altimétrie ;

- dire et juger que la prestation de pose de tuyaux fournis par la société SLN ne saurait être intrinsèquement la cause de l'entier préjudice subi par la requérante ;

- fixer le montant de la condamnation de la société Impex NC en considération de la transaction signée entre la société SLN et la société ETTM centre à une somme de 6.642.200 FCFP ;

- condamner la société SLN à payer à la société Impex NC la somme de 350.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens dont distraction au bénéfice de la selarl Juriscal.

Selon conclusions transmises le 29 octobre 2021, la société IPAC demande à la cour de :

- dire l'appel recevable et bien fondé ;

- infirmer en toutes ses dispositions relatives à la société IPAC le jugement déféré ;

- débouter la société SLN de l'intégralité des demandes formulées contre la société IPAC ;

- débouter la société SLN de son appel incident ;

subsidiairement, si la cour reçoit l'appel incident de la société SLN,

- condamner la société ETTM centre à relever et garantir la société IPAC de toute condamnation prononcée contre elle, à due proportion de sa part de responsabilité dans le préjudice subi par la société SLN ;

tout aussi subsidiairement, et quel que soit le montant du préjudice de la société SLN, en cas de condamnation in solidum de la société IPAC,

- fixer sa part contributive à la dette à 5 % du préjudice subi par cette dernière ;

- condamner la société SLN à payer à la société IPAC la somme de 350.000 FCFP au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Dans des conclusions transmises le 29 juin 2021, la société SLN demande à la cour de :

- dire et juger que les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex ont manqué, par l'effet d'une erreur commune et générale d'implantation altimétrique des ouvrages, et à titre secondaire par diverses fautes de conception et d'exécution, aux obligations contractuelles et quasi-contractuelles qui leur incombaient respectivement ;

- dire et juger que ces fautes ont indissociablement contribué à la production de l'entier dommage consistant en une mise à l'arrêt par désamorçage des pompes du système de lutte contre l'incendie du parc à fioul de la société SLN ;

- dire et juger que les sociétés Pétrole industrie développement et Impex ayant passé des marchés à prix forfaitaires, elles sont tenues au coût fixé à dire d'expert des travaux nécessaires pour aboutir à un système conforme au cahier des charges contractuel ;

- dire et juger que par application du principe de réparation intégrale, la société IPAC est également tenue au coût des entiers travaux de remédiation ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex responsables in solidum de l'entier préjudice causé à la société SLN ;

- le confirmer également en ce qu'il a condamné ces mêmes parties aux dépens, ainsi qu'à payer à la concluante une indemnité de 1.500.000 FCFP à titre de frais irrépétibles ;

- le réformer en ce qu'il a limité à la somme de 72.000.000 FCFP le préjudice matériel souffert par la société consécutivement aux désordres affectant l'ouvrage ;

- condamner in solidum les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex à payer à la société Le Nickel la somme principale de 372.000.000 FCFP, avec indexation sur l'indice ISEE du coût de la construction BT21 à compter du 14 juin 2017, date du rapport d'expertise judiciaire définitif, et jusqu'à parfait paiement ;

- condamner in solidum, les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et IMPEX aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société SLN une somme de 1.000.000 FCFP au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Selon conclusions transmises le 29 juin 2022, la société Pétrole industrie développement prie la cour de :

- recevoir son appel incident ;

à titre principal :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société concluante ;

- débouter la société SLN de toutes ses demandes formées à l'encontre de la société Pétrole industrie développement ;

à titre subsidiaire et dans l'hypothèse où le jugement entrepris serait confirmé,

- dire et juger que l'indemnisation de la société SLN sera limitée à la somme de 72.000.000 FCFP ;

- condamner la société SLN à payer à la société Pétrole industrie développement la somme de 450.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la selarl Reuter - de Raissac - Patet.

La requête d'appel a été signifiée, à la demande de la société IPAC, à la société ETTM centre le 22 janvier 2021 (acte remis au gérant).

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 octobre 2022.

Sur ce, la cour

1) L'installation litigieuse comporte trois pompes de 750 m³/h, équipées d'un ballon d'amorçage, qui puisent de l'eau de mer dans une « chambre d'aspiration » alimentée en eau de mer du lagon au moyen de deux conduites enterrées qui se déversent successivement dans deux chambres immergées en béton, la première construite en bordure de mer, la seconde à proximité de la chambre d'aspiration.

L'expert judiciaire, après avoir recueilli les avis de sapiteurs (expert-géomètre, société de travaux sous-marins, ingénieur-conseil), la société Scadem, retient que l'installation de pompage est affectée de quatre désordres majeurs qu'il décrit comme suit :

- les tubulures d'amenée de l'eau de mer entre le bord de mer et les cuves en béton d'aspiration des pompes sont placées trop haut,

- les tubes d'aspiration d'eau des pompes sont placés trop haut,

- les ballons d'amorçage sont sous-dimensionnés,

- les tubes d'amenée d'eau sont encombrés de limons.

2) Selon les calculs de M. [N], la partie sommitale des deux tuyaux d'alimentation en eau est située 61 cm au-dessus du zéro hydrographique de sorte qu'en cas de grandes marées basses, la quantité d'eau, susceptible d'entrer par gravité dans les tuyaux, est réduite (30 % de la section complète), ce qui nuit à l'approvisionnement des pompes.

En dépit de son intervention comme chef de projet, la société Pétrole industrie développement dénie toute responsabilité dans cette erreur d'altimétrie et estime que « cette erreur d'implantation relève de la responsabilité la société Impex pour la pose et la réalisation des tubulures d'amenée d'eau et de la société ETTM pour la réalisation et la pose des cuves en béton ».

Il résulte du cahier des charges intitulé « Spécification technique » annexé à la convention n° X 6 101 que la société Pétrole industrie développement, qui avait notamment été chargée de « la réalisation des études préliminaires d'ingénierie de base », de « la réalisation des études préliminaires d'exécution », de « la rédaction et la mise en forme de spécifications techniques d'appels d'offre et/ou de marchés », de « l'organisation et le pilotage de réunions de coordination de chantiers » ou encore de « la réalisation du contrôle de qualité des travaux », avait le rôle de maître d'oeuvre. A ce titre, elle répond de cette erreur de conception que traduit l'enfouissement insuffisant des conduites d'eau. La responsabilité contractuelle de la société Pétrole industrie développement est engagée.

La société IPAC conteste toute responsabilité au motif qu'elle « n'avait en aucun cas pour mission de déterminer l'implantation de l'ouvrage au regard du marnage aux abords du site industriel de Doniambo ».

Aucune pièce contractuelle ne définit la mission donnée par la société Pétrole industrie développement à la société IPAC. Le périmètre de son intervention n'est connu qu'au travers de ses factures, l'avant-projet sommaire et le cahier des charge qu'elle a établis.

La cour observe que :

- aucun élément du dossier ne démontre que la société IPAC avait été chargée d'arrêter l'implantation de l'installation de pompage ;

- sur l'« extrait du plan d'installation de la pomperie incendie - vue en coupe » et sur le plan « travaux de GC - aspiration - pomperie EI », qui portent l'un et l'autre le cartouche « IPAC », les collecteurs sont immergés dans le lagon, sous le « niveau min. de la mer »;

- l'avant-projet établi par la société IPAC mettait ainsi l'installation à l'abri de l'aléa tenant à la hauteur des marées.

Dans ces conditions, aucune faute ne peut être reprochée à la société IPAC.

La société Impex NC conteste toute responsabilité au titre de l'erreur d'altimétrie en faisant valoir qu'elle n'était pas en charge de la conception du réseau et que sa mission s'était limitée à poser et assembler des tuyaux qui lui avaient été fournis par la société SLN.

Le cahier des clauses générales pour marché de travaux, que le contrat n° X 9 128 souscrit par le groupement d'entreprises tient pour un « document contractuel », prévoit :

« L'Entrepreneur sera tenu de soumettre à l'accord du Maître d'ouvrage tous les plans de construction nécessaires à la réalisation des ouvrages (Plans : relevés in situ, implantation, béton, armatures, tuyauteries, électricité, ...).

Les plans du Maître d'ouvrage ont été établis afin de permettre à l'Entrepreneur de visualiser, de quantifier et d'estimer les travaux à réaliser.

Le plan de masse a été établi à partir des documents graphiques fournis par le client.

Les plans guides, fournis dans ce dossier d'appel d'offre, ont pour but de mettre en évidence les principaux impératifs techniques. En aucun cas, ils ne constituent des documents « bon pour construction ». Aucune cote ne devra être prise à l'échelle sur ces plans (...)

Il importe à l'Entrepreneur de modifier si nécessaire les plans dans le cas d'un sous-dimensionnement d'ouvrages. »

Il résulte de la ventilation des tâches entre les entreprises du groupement, fournie par le contrat (pages 16 et suivantes) que la mission de la société Impex NC consistait, en ce qui concerne l'installation de pompage de l'eau de mer, à poser et assembler deux collecteurs d'un longueur de 125 m, deux vannes murales et deux regards, les travaux de génie civil devant être exécutés par la société ETTM centre.

La société Impex NC connaissait la finalité des travaux qui lui étaient confiés. L'obligation de conseil dont elle était débitrice envers sa cocontractante lui imposait de s'assurer que les collecteurs étaient bien totalement immergés, ainsi que le prévoyait le plan précédemment évoqué. A ce titre, elle ne pouvait se désintéresser de la hauteur d'implantation des collecteurs et devait attirer l'attention de la société SLN sur les conséquences d'une erreur d'altimétrie. Sa responsabilité contractuelle envers la société SLN sera retenue.

3) M. [N] a pu relever que l'obstruction des collecteurs par des limons avait été rendue possible par leur déboîtement à plusieurs endroits. Ce désordre est, selon l'expert judiciaire, « la conséquence d'un choix inadapté de mode de liaison entre les tronçons de tube et éventuellement d'une pose mal mise en oeuvre » : il est l'expression d'un manquement de la société Impex NC à son devoir de conseil en ce sens qu'elle a ignoré les inconvénients du procédé technique préconisé.

La société Impex NC ne conteste pas que ce désordre engage sa responsabilité contractuelle envers la société SLN.

Ce désordre engage également la responsabilité de la société Pétrole industrie développement puisqu'il lui appartenait de préconiser des procédés techniques adaptés aux contraintes de l'installation.

4) L'expert judiciaire retient que les tuyaux d'aspiration de l'eau de mer accumulée dans la chambre d'aspiration sont placés trop haut en observant que « les jupes anti-vortex se trouvent presque totalement hors d'eau et les crépines d'aspirations sont dénoyées lors des marées basses », que « les pompes aspirent de l'air et se désamorcent ». Il impute le désordre à une « erreur dans la cote de profondeur » résultant notamment de ce que la chambre d'aspiration avait été posée « trop haut » par la société ETTM centre (et non par la société Impex NC, contrairement à ce qu'indique par erreur l'expert judiciaire, page 122 de son rapport, puisque la société ETTM centre était en charge des travaux de terrassement, génie civil et implantation). Il note qu'il n'a pu obtenir les « plans de pose des profondeurs des ouvrages ».

Dans ses conclusions, la société Pétrole industrie développement ne consacre pas de développements spécifiques à ce désordre.

Celui-ci engage la responsabilité contractuelle de la société Pétrole industrie développement, en sa qualité de maître d'oeuvre puisqu'elle n'a pas su donner d'instructions pertinentes sur l'implantation de la fosse d'aspiration et la pose des tuyaux d'aspiration.

La société SLN recherche également la responsabilité contractuelle de la société Impex NC en ce qu'elle serait impliquée dans l'erreur générale d'altimétrie. Non seulement, la société Impex NC n'était pas en charge de la réalisation de la chambre d'aspiration, mais encore, il n'est pas démontré qu'elle a posé les tuyaux d'aspiration qui alimentaient les ballons de pompage. Sa responsabilité doit être écartée.

S'agissant de la société IPAC, dont la société SLN recherche la responsabilité délictuelle, celle-ci sera mise hors de cause pour les motifs retenus lors de l'examen du désordre relatif au mauvais positionnement des collecteurs puisqu'il n'est pas établi qu'elle avait été chargée d'arrêter l'implantation de l'installation de pompage.

5) M. [N] retient un sous-dimensionnement des ballons de pompage dans la mesure où les ballons se vident lors de la mise en service des pompes. Il estime que les ballons devraient avoir une contenance de 8 m³ alors qu'ils n'ont qu'une contenance de 3 m³.

Il impute ce désordre à la société IPAC qui a commis une erreur de calcul.

La société SLN recherche la responsabilité des sociétés Pétrole industrie développement et IPAC.

La société Pétrole industrie développement se limite à rappeler que « l'expert judiciaire a conclu que cette erreur était imputable à la société IPAC, au motif que les phases de maîtrise d'oeuvre avant exécution lui avaient été intégralement sous-traitées par la concluante. »

Pour sa part, la société IPAC conteste toute faute. Elle affirme que « selon le calcul réalisé par la société IPAC, le dimensionnement était en conformité avec les données connues par elle au moment de l'avant-projet, étant précisé que ce dimensionnement était également fonction de la hauteur d'implantation de l'ouvrage », que les assertions de M. [N] sont erronées et elle se réfère aux développements techniques contenus dans ses conclusions de première instance.

La société Pétrole industrie développement ne peut utilement se retrancher derrière l'éventuelle faute de son sous-traitant, la société IPAC, pour échapper à la responsabilité attachée à cette erreur de conception. Sa responsabilité contractuelle doit être admise puisqu'il lui appartenait de concevoir l'ouvrage.

Dans ses conclusions déposées en première instance le 1er mars 2019, la société IPAC a convenu que le volume des ballons d'amorçage était de 3,867 m³, confirmant sur ce point l'avis de l'expert judiciaire.

Pour estimer que « les ballons devraient donc avoir une contenance de 8 m³ », M. [N] s'est appuyé sur un travail du cabinet A2EP, annexé au rapport d'expertise, qui tenait un volume de 8,65 m³ pour « conforme et optimal ». La société IPAC, qui n'a pas jugé utile de participer aux opérations d'expertise, aurait eu toute latitude pour contester, dans le cadre de dires les calculs et l'analyse du sapiteur. Elle ne verse aucune étude indépendante qui corroborerait les calculs développés dans ses conclusions précitées du 1er mars 2019 et qui remettrait en question les conclusions de l'expert judiciaire.

La contestation de nature technique soulevée par la société IPAC sera écartée.

Dans ces conditions, la cour retiendra que la société IPAC a commis une erreur de conception qui engage sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société SLN.

6) Les différentes fautes précédemment relevées ont concouru de façon indissociable à la production du dommage puisqu'elles interdisent à l'eau de mer de parvenir en toute circonstance aux pompes qui alimentent le réseau de lutte contre l'incendie et rendent donc l'installation impropre à sa destination.

La société Impex NC soutient qu'elle ne peut pas être tenue pour responsable solidaire de l'entier préjudice subi par la société SLN puisque le contrat n° X 9 128 prévoit que les membres du groupement d'entreprises agissent « non solidairement dans le cadre du présent contrat ».

Si un membre du groupement ne répond pas, en raison de cette seule qualité, des fautes commises par un autre membre, cette clause n'interdit pas au maître de l'ouvrage de réclamer la société Impex NC la réparation de son entier préjudice, si sa faute a concouru avec celles d'autres intervenants à un même dommage.

En conséquence, la société SLN est fondée à solliciter la condamnation in solidum des sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex NC à réparer son entier préjudice.

7) Le tribunal mixte de commerce de Nouméa a chiffré le préjudice de la société SLN à la somme de 72 000 000 FCFP en observant que celle-ci avait fait réaliser des travaux correctifs de ce montant qui donnaient satisfaction et en laissant entendre qu'elle avait sciemment accepté la réalisation de travaux sous-évalués.

Il est constant que la société SLN a réalisé des travaux, qualifiés par l'expert judiciaire de « correctifs », d'un montant de 72.000.000 FCFP qui ont reposé sur un curage des collecteurs, une réfection des jointures des collecteurs, un déplacement des crépines d'aspiration et la pose de clapets anti-retour en remplacement des ballons.

M. [N] qualifie ces travaux de « solution palliative » et estime que la société SLN ne disposera pas d'une « installation conforme aux termes du marché d'origine » ; à cet égard, il émet des réserves quant à fiabilité de l'installation en notant que ces clapets anti-retour « ont une fâcheuse tendance tout à la fois à fuir et à se coincer » et exigent une « maintenance rigoureuse ».

Il en résulte que l'indemnité allouée par les premiers juges ne remet pas la société SLN dans la situation qui aurait été la sienne s'il n'y avait pas eu de désordres.

L'expert judiciaire évalue les travaux de reprise « conformes au cahier des charges » à 372.000.000 FCFP alors que la société SLN les chiffrait à 439.108.025 FCFP.

Dès lors que les constructeurs ne versent aucune pièce remettant en cause le chiffrage de M. [N], celui-ci sera entériné par la cour qui observe que la société SLN ne réclame pas de façon concomitante le coût des travaux palliatifs, qu'elle conservera donc à sa charge, et qu'aucun élément du dossier ne donne à penser que celle-ci avait délibéremment choisi de financer un projet sous-évalué.

La société Impex NC juge irrecevable la demande de condamnation formulée à son encontre par la société SLN au motif qu'elle heurterait le principe de prévisibilité des dommages posé par l'article 1150 du code civil.

La réfection de l'installation défaillante étant une conséquence directe des fautes commises par la société Impex NC, celle-ci sera condamnée in solidum avec les sociétés Pétrole industrie développement et IPAC au paiement de la somme de 372.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts, ce montant étant indexé sur l'indice ISEE du coût de la construction.

8) La société IPAC dirige un appel en garantir à l'encontre de la société ETTM centre.

Si la société SLN ne dirige, à hauteur d'appel, aucune demande à l'encontre de la société ETTM centre, il n'en demeure pas moins que celle-ci a creusé les tranchées dans lesquelles les collecteurs ont été posés et a réalisé le radier insuffisamment profond de la chambre d'aspiration. Elle est responsable des erreurs d'altimétrie relevées par l'expert judiciaire et a concouru à la réalisation du dommage.

Compte tenu de la gravité respective des fautes commises par les divers intervenants, le sinistre doit être imputé à hauteur de 50 % à la société Pétrole industrie développement, de 30 % à la société ETTM centre, de 15 % à la société Impex NC et de 5 % à la société IPAC. En conséquence, la société ETTM centre sera condamnée à garantir la société IPAC à hauteur de 30 % du préjudice global.

Par ces motifs

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société Pétrole industrie développement, la société IPAC, la société ETTM centre et la société Impex NC, in solidum, à payer à la société SLN une indemnité de 1 500 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais et honoraires de l'expert judiciaire ;

Statuant à nouveau,

Condamne in solidum les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex NC à payer à la société SLN la somme de 372.000.000 FCFP, outre indexation sur l'indice ISEE du coût de la construction BT 21, les indices de référence étant celui en vigueur au jour du dépôt du rapport d'expertise, soit le 14 juin 2017, et celui en vigueur à ce jour ;

Répartit la dette entre la société Pétrole industrie développement à hauteur de 50 %, la société IPAC à hauteur de 5 %, la société Impex NC à hauteur de 15 % et la société ETTM centre à hauteur de 30 % ;

Condamne la société ETTM centre à garantir la société IPAC à hauteur de 30 % des condamnations mises à sa charge au profit de la société SLN ;

Condamne in solidum les sociétés Pétrole industrie développement, IPAC et Impex NC à payer à la société SLN une indemnité complémentaire de 500.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Impex NC, la société Pétrole industrie développement et la société IPAC de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société Pétrole industrie développement, la société IPAC la société Impex NC et la société ETTM centre aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/00118
Date de la décision : 22/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-22;20.00118 ?
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