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04/05/2023 | FRANCE | N°22/00011

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 04 mai 2023, 22/00011


N° de minute : 29/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 04 Mai 2023



Chambre sociale









Numéro R.G. : N° RG 22/00011 - N° Portalis DBWF-V-B7G-S35



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Janvier 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :18/309)



Saisine de la cour : 08 Mars 2022





APPELANT



S.A.R.L. SANT MA

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Marie-ange FANTOZZI, avocat au barreau de NOUMEA
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INTIMÉ



M. [T] [E]

né le 05 Octobre 1986 à [Localité 2]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat au barreau de NOUMEA





COMPO...

N° de minute : 29/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 04 Mai 2023

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 22/00011 - N° Portalis DBWF-V-B7G-S35

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Janvier 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :18/309)

Saisine de la cour : 08 Mars 2022

APPELANT

S.A.R.L. SANT MA

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Marie-ange FANTOZZI, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [T] [E]

né le 05 Octobre 1986 à [Localité 2]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseillère,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

La sarl Sant-Ma dont le gérant est M. [W] [X] , est une entreprise spécialisée dans le transport public urbain en commun de personnes. Elle est affiliée au groupement d'intérêt économique ( dit GIE ) Karuia.

Par contrat de travail à durée indéterminée daté du 1er septembre 2016, M. [T] [E] était engagé en qualité de chauffeur de bus à compter de la même date, moyennant un salaire mensuel de 170.000 francs pacifique , correspondant à un horaire mensuel de 169 heures .

La relation salariale prenait fin le 2 novembre 2017, date à laquelle le salarié n'était plus affilié à la Cafat .

Par décision d'assemblée générale du 2 novembre 2017, M. [E] était nommé cogérant avec M. [X] de la sarl Sant -Ma.

Le 4 décembre 2017, M. [E] était destinataire de son certificat de travail et solde de tout compte sur lequel il apposait la mention manuscrite "pour solde de tout compte" .

En janvier 2018, M. [E] percevait une somme de 200.000 francs pacifique de laquelle l'employeur déduisait 20.000 francs pacifique au titre du permis, le reçu précisant la mention "salaire du mois de décembre 2017".

Par courrier daté du 9 janvier 2018, il sollicitait différents documents comptables de la société en qualité de co-gérant, auprès de la société 'Espace compta ' .

En février et mars 2018, il recevait la somme de 212.000 francs pacifique dont étaient déduites les sommes de 32.750 francs pacifique au titre du permis et 10.000 francs pacifique et au titre de la facture OPT soit la somme de 169.250 francs pacifique , sommes consignées sur un document intitulé 'reçu' et désignant les dites sommes comme les salaires de janvier et février 2018 .

Il percevait la somme de 41.766 francs pacifique au titre du salaire de mars 2018 à la suite de la déduction sur la somme de 100.000 francs pacifique (salaire) des sommes de 5.394 francs pacifique au titre du permis et de 52.840 francs pacifique au titre de la facture OPT .

Par courrier daté du 24 mai 2018 adressé en recommandé avec accusé de réception intitulé "demande d'arrêt de fonction", M. [E] sollicitait de cesser ses attributions de gérant auprès de M. [X] .

Ce courrier était rédigé comme suit :

" Par cette lettre, je vous demande d'arrêter mes fonctions de gérant et de bien vouloir procéder aux formalités en vigueur, à compter de la réception du présent courrier.

Ce choix est lié à votre décision remontant au 12 mars dernier, non justifiée et non modifiée par un quelconque écrit.

Par ailleurs, je vous informe qu'une copie du présent courrier sera déposée à la Direction des affaires économiques pour mise à jour au registre du commerce et des sociétés'

Par courrier daté du 6 juin 2018 adressé en recommandé avec accusé de réception, M. [E] prenait acte de la rupture de son contrat de travail au motif que :

"Depuis le mois de mars 2018, vous avez décidé de reprendre l'activité de transport en commun au sein du GIE Karuia que j'exerçais jusqu'alors par la société Sant-Ma depuis le 1 er septembre 2016.

Vous m 'avez indiqué ne plus vouloir travailler avec moi.

Je suis contraint dès lors de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail déguisé, par votre fait et j'entends saisir le Tribunal du travail de la situation."

Par requête introductive d'instance reçue le 3 décembre 2018, complétée par des conclusions postérieures M. [E] a fait convoquer la sarl Sant-Ma devant le tribunal du travail de Nouméa, aux fins suivantes :

à titre principal :

- se déclarer compétent pour connaître du présent litige,

- dire et juger que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er septembre 2016,

- constater qu'il a fait l'objet d'un licenciement verbal, irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse à compter du 14 mars 2018 de la part de la société défenderesse,

- débouter la défenderesse de toutes ses demandes plus amples ou contraires,

En conséquence,

- condamner la société défenderesse à lui payer les sommes suivantes : représentant un montant total de 2 823 200 francs pacifique :

* 106.000 francs pacifique à titre de rappel sur congés payés,

* 212.000 francs pacifique à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 21.200 francs pacifique à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

* 1.484.000 francs pacifique à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif,

* 1.000.000 francs pacifique à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire.

- dire et juger que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires et à compter de la requête introductive pour les créances salariales,

- condamner l'employeur sous astreinte de 50.000 francs pacifique par jour de retard à régulariser sa situation auprès de la Cafat et de la Cre ,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- condamner la société défenderesse à lui rembourser la somme de 300.000 francs pacifique au titre des frais irrépétibles engagés.

Par jugement du 06 janvier 2021, le tribunal du travail de Nouméa a:

- déclaré le tribunal du travail de Nouméa compétent pour statuer sur le litige opposant les parties

-dit qu'il y a eu cumul du contrat de travail à durée indéterminée de M. [T] [E] en date du 1er septembre 2016 avec sa fonction de co-gérance ;

- requalifié la démission de M. [T] [E] en date du 6 juin 2018 en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-dit que le licenciement verbal de M. [T] [E] le 14 mars 2018 est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

-condamné la sarl Sant- Ma à payer à M. [T] [E] les sommes suivantes représentant un montant global de 1 303 334 francs pacifique :

- deux cent mille (200.000) francs pacifique au titre de l'indemnité de préavis ;

- vingt mille (20.000) francs pacifique au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis ;

- huit cent mille (800.000) francs pacifique à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- quatre-vingt-trois mille trois cent trente-quatre (83.334) francs pacifique au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés ;

- deux cent mille (200.000) francs pacifique à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et travail dissimulé ;

-ordonné à la charge de la sarl Sant- Ma , la régularisation de la situation du requérant auprès de la Cafat et de la Cre ;

-débouté la sarl Sant-Ma de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ;

-débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

-rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les créances salariales dans les conditions prévues par l'article 886-2 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

-ordonné sur le surplus, l'exécution provisoire à hauteur de 50 % des sommes allouées à titre de dommages-intérêts ;

-dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

-condamné la sarl Sant-Ma aux dépens ;

PROCÉDURE D'APPEL

La sarl Sant-Ma a relevé appel de ce jugement par requête déposée au greffe le 08 janvier 2021. Son conseil, Maître Fantozzi a déposé son mémoire ampliatif, le 27 mai 2021, et Maître Boiteau, conseil de M. [T] [E] a déposé ses conclusions en réplique le 16 octobre 2021 , par voie électronique.

Faisant droit à l'incident de procédure soulevé par M. [T] [E], le magistrat chargé de la mise en état a, par ordonnance du 17 novembre 2021, ordonné la radiation du rôle de l'affaire, sur le fondement de l'article 526 du code de procédure civile , en rappelant qu'elle pouvait y être réinscrite, sur justification de l'exécution de la décision entreprise et sous réserve de péremption de l'instance.

L'affaire a été réinscrite au rôle sur justification de l'exécution des condamnations prononcées par le jugement entrepris , par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 08 mars 2022.

Dans le cadre des échanges entre les parties, le magistrat chargé de la mise en état rendait plusieurs ordonnances portant injonction de conclure aux parties , leur enjoignant de conclure pour la dernière fois, au plus tard, le 30 novembre 2022 , l'affaire étant fixée à l'audience du 23 mars 2023 par ordonnance du 30 décembre 2022.

Dans ses dernières écritures, déposées le 14 octobre 2022 , développées oralement lors de l'audience du 23 mars 2023, la sarl Sant -Ma demande à la cour de :

- constater l'incompétence du tribunal du travail au bénéfice du tribunal mixte de commerce de Nouméa,

à titre principal , sur évocation :

- de constater l'absence de contrat de travail à compter du 1er novembre 2017 entre l'eurl Sant-Ma et M . [E] ;

- de constater que M . [E] ne rapporte pas la preuve d'un lien de subordination à compter du 1er novembre 2017 ;

Par conséquent :

- d'infirmer entièrement et complètement la décision querellée,

- de débouter M . [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

à titre reconventionnel ,

- condamner M .[E] à payer à la société Sant-Ma la somme de trois millions (3.000.000) de Francs pacifique à titre d'indemnisation de son préjudice subi du fait de l'atteinte à son image et à sa réputation ;

à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour retient la qualification de salarié de M . [E]

- réduire l'indemnité pour licenciement abusif sollicitée par M . [E] à l'équivalent d'un mois de salaire, pour insuffisance de preuve du préjudice ;

- débouter M.[E] de sa demande d'indemnisation de son prétendu préjudice pour licenciement à caractère vexatoire, pour défaut de preuve du préjudice ;

en tout état de cause,

- condamner M . [E] à payer à la société Sant-Ma , au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 200.000 francs pacifique en première instance et celle de 200.000 francs pacifique en appel ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures déposées sur le réseau privé virtuel des avocats le 15 août 2022, développées oralement lors de l'audience du 23 mars 2023, M. [T] [E] demande à la cour de :

-déclarer recevable mais mal fondé l'appel diligenté par la sarl Sant-Ma

-confirmer le jugement rendu par le tribunal du travail en date du 6 janvier 2021 en ce

qu'il:

-s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige,

-a déclaré que les parties étaient liées par un contrat de travail à durée indéterminée depuis le 1er septembre 2016 ,

-a constaté que la prise d'acte de rupture survenu par LRAR du 6 juin 2018 s'analyse en une rupture abusive du contrat de travail aux torts de l'employeur

-a condamné la sarl Sant-Ma à verser à M . [E] la somme de 800.000 francs pacifique à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif

- dire et juger incident de M . [E] bien fondé,

-réformer le jugement dont appel pour le surplus :

-condamner en conséquence la sarl Sant-Ma à payer à M . [E] les sommes suivantes:

-106.000 francs pacifique à titre de rappel sur congés payés ;

- 220.000 francs pacifique à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 110.000 francs pacifique à titre d'indemnité compensatrice de congés payés

-1.000.000 francs pacifique à titre de dommages intérêts pour licenciement vexatoire

-dire et juger que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires et à compter de la requête introductive pour les créances salariales,

-condamner l'employeur sous astreinte de 50.000francs pacifique par jour de retard à régulariser la situation de M . [E] auprès de la Cafat et de la Cre

-condamner la sarl Sant-Ma à rembourser à M . [E] la somme de 250.000francs pacifique au titre des frais irrépétibles engagés en première instance et 250.000 francs pacifique en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl V. Boiteau avocats aux offres de droit.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour est saisie de l'appel principal de la sarl Sant-Ma qui conteste la décision du tribunal du travail qui a qualifié la relation entre les parties de contrat de travail, retenu l'imputabilité de la rupture à l'employeur, le condamnant de ce chef à verser à M . [E] diverses indemnités pour un montant total de 1 303 334 francs pacifique .

La cour est également saisie de l'appel incident de M . [E] qui considère que certains postes de préjudice n'ont pas été suffisamment indemnisés comme l'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis, l'indemnité allouée en réparation du préjudice découlant du caractère vexatoire du licenciement . Il réitère également sa demande initiale au titre du rappel de congés payés ainsi que celle tendant au prononcé d'une astreinte pour garantir l'exécution de l'obligation de l'employeur d'avoir à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux .

I. Sur la compétence de la juridiction du travail et la qualification de la relation liant les parties

Le tribunal de travail a écarté le moyen tiré de l'incompétence matérielle du tribunal du travail après avoir qualifié la relation liant M. [E] à la sarl Sant-Ma de contrat de travail. La juridiction, a rappelé la chronologie des faits juridiques de laquelle il ressort que les parties ont été initialement liées par le contrat de travail, et retenu que le coeur du litige se trouvait précisément dans le maintien de ce contrat au delà de la désignation du salarié en qualité de co gérant ,en fonction des activités réellement exercées par M. [E] à partir de cette nomination.

Le tribunal a estimé que le contrat de travail n'avait jamais été rompu, et qu'il s'est ainsi cumulé avec le mandat social, étant observé que la preuve de la novation de ce contrat de travail en mandat social n'était pas établie.

La société Sant-Ma expose que si le tribunal du travail a bien rappelé les textes de loi applicables au présent litige, il ne les a pas correctement appliqués au cas d'espèce. Elle fait valoir que si les parties étaient bien initialement liées par un contrat de travail à compter du 1er septembre 2016 , cette relation avait pris fin , par l'effet de la démission de M. [E] de son emploi salarié le 1er novembre 2017. Ainsi , il n'existe aucun lien entre cette convention, désormais privée de tout effet en raison de la démission et son statut de cogérant à compter de cette date. Il en découle l'impossibilité de tout cumul entre le contrat de travail et le mandat social . La société Sant-Ma ajoute qu'étant titulaire d'un mandat social, c'est à son titulaire qui sollicite sa requalification en contrat de travail de démontrer qu'il a exercé ses fonctions dans un lien de subordination qui implique un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction entre les mains de l'employeur. Elle affirme que cela n'est pas le cas en l'espèce, en se fondant, d'une part sur le fait qu'elle a régulièrement informé la Cafat de ce changement de statut, que M. [E] a lui même précisé dans son courrier du 24 mai 2018 qu'il démissionnait de sa fonction 'de cogérant'. La sarl Sant-Ma précise que M. [E] n'apporte aucun élément pour établir l'existence des directives reçues directement de la sarl Sant -Ma puisqu'il lui même fait état des consignes données par le GIE Karuia Bus, auquel il était affilié . La sarl Sant -Ma ajoute que M. [E] avait intérêt à devenir cogérant, car cela lui permettait de travailler pour d'autres sociétés, rappelle qu'il n'a parfaitement assumé son changement de statut , puisqu'il n'a pas réagi immédiatement lorsqu'il a cessé de recevoir un bulletin de salaire pour recevoir, à la place 'des factures.'

M. [E] demande à la cour de confirmer la décision des premiers juges. Il soutient que son contrat de travail s'est poursuivi après sa nomination en qualité de cogérant en se fondant d'une part, sur l'antériorité du contrat de travail qui a débuté en septembre 2016 , et qui n'a jamais été rompu nonobstant son changement de statut au sein de l'entreprise, et qu'en tout état de cause, la sarl Sant-Ma échouait à en apporter la preuve contraire, faute pour elle de justifier soit de la démission de M. [E] à la fin du mois d'octobre 2017 soit de son licenciement par l'employeur.

Il soutient par ailleurs qu 'il a toujours travaillé sous la subordination de M. [X] ce que reconnaît l'employeur lorsqu'il indique avoir exercé son pouvoir disciplinaire en mettant un terme à ses fonctions de chauffeur, au vu du nombre d'incidents et affirme qu'il n'a jamais disposé d'aucun pouvoir de décision ni de gestion , n'a jamais détenu de parts sociales dans la société , n'avoir jamais eu accès aux documents sociaux , ni disposé d'aucun pouvoir pour engager la société financièrement.

La cour rappelle qu'en vertu des dispositions de l'article Lp 111-1 du Code du travail de Nouvelle Calédonie, le tribunal du travail est matériellement compétent pour trancher les litiges survenus entre les salariés de Nouvelle Calédonie et les employeurs étant entendu que doit être considérée comme salarié , toute personne physique qui s'est engagée à mettre son activité professionnelle moyennant rémunération sous la direction, et l'autorité d'une autre personne physique ou morale publique ou privée . Cette définition place le salarié au regard d'une jurisprudence constante, sous l'autorité de l'employeur qui a le pouvoir de lui donner des ordres et d'en contrôler et sanctionner au besoin l'exécution, et l'existence du contrat de travail , quelle qu'en soit la forme écrite ou verbale, ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de faits dans lesquelles est exercée l'activité.

Aussi c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée , justifiant à elle seule la compétence de la juridiction du travail , contrat matérialisé par la convention signée entre les parties le 1er septembre 2016, des lors que les conditions de sa rupture, novation , démission ou licenciement sont précisément au coeur du présent litige.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

II Sur l'imputabilité de la rupture

Le tribunal du travail a analysé le courrier adressé le 16 juin 2018 par M. [E] à la société Sant Ma au terme duquel il dénonçait l'impossibilité de poursuivre la relation en raison de la décision prise l'employeur de reprendre l' activité de transport en commun au sein du groupe Gie Karuia comme une prise d'acte de la rupture du contrat de travail par l'employeur en retenant que celui ci, l'avait licencié verbalement, en lui privant d'accès à son outil de travail, à savoir, le bus, et sans respecter la procédure de licenciement .

La société Sant- Ma , qui nie le maintien de la relation salariale au delà du 1er novembre 2017, et par voie de conséquence, tous les effets s'attachant aux conditions de la rupture , fait valoir que M. [E] s'est toujours désintéressé de la gestion de l'entreprise , raison pour laquelle son mandat de cogérance a été révoqué le 2 mai 2018 par l'assemblée générale de l'eurl Sant Ma . Elle expose que ce dernier n'a d'ailleurs pas attendu la fin de son préavis, puisqu'il a, de son coté envoyé un second courrier le 24 mai 2018, au terme duquel il déclare démissionner de ses fonctions de co gérant.

La société Sant Ma, estime que le comportement de M. [E] , a dégradé son image et sa réputation , et réclame de ce fait sa condamnation au paiement d'une somme de 3 000 000 francs, à titre de dommages intérêts.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour confirmerait l'existence du contrat de travail au delà du 1er novembre 2017, elle sollicite de la juridiction d'appel, qu'elle modère les indemnités allouées à la partie adverse.

La cour rappelle qu'il ressort des dispositions d'ordre public de l'article Lp 122-1 du code du travail que le contrat de travail à durée indéterminée ne peut être rompu qu'à l'initiative de l'employeur ou du salarié dans les conditions définies aux articles suivants.

Il en découle que la convention ne peut pas avoir pris fin, pour être' arrivée à son terme ' comme la société Sant-Ma le soutient e page 12/18 B de ses conclusions récapitulatives . Il lui incombe par voie de conséquence et qu'il lui incombe de démontrer que la désignation de M. [E] en qualité de cogérant , a été accompagnée de sa démission simultanée de son emploi salarié , ou le cas échéant, d'un licenciement suivi d'un accord transactionnel, qui n'est pas allégué en l'espèce. Cependant, le simple fait pour le salarié d'avoir signé le 4 décembre 2017, le reçu pour solde de tout compte au titre de l'exécution et de la cessation du contrat de travail et d' avoir ensuite, accusé réception de sa rémunération au moyen de ' reçus' , au lieu et place de la remise de bulletins de salaire, ( à partir du mois de janvier 2018 ) ne constituent pas des éléments suffisants pour établir la volonté de démissionner de M. [E] au regard de la jurisprudence constante qui exige la preuve d'une volonté explicite claire et non équivoque .

En effet, la volonté de démissionner ne peut se déduire d'un comportement adopté par le salarié à posteriori, telles que la réception du solde de tout compte et l'absence de réclamation de bulletin de salaire à partir du mois de janvier 2018. Pour les mêmes raisons, la société Sant- Ma ne saurait utilement prétendre que le courrier adressé par M. [E] le 24 mai 2018 comporte l'expression de sa volonté rétroactive de démissionner de l'emploi salarié à compter du 1er novembre 2017, alors qu'il ressort de l'examen de cette correspondance, qu'il entend seulement mettre fin à ses fonctions de gérant.

En revanche, il est manifeste que M. [E] a, dans le courrier adressé en recommandé à la société Sant-Ma le 6 juin 2018, pris acte de la rupture du contrat de travail , par cette dernière au motif qu'elle ne souhaitait plus 'travailler ' avec lui.

Il incombe en conséquence à la cour de s'assurer de la matérialité des faits fautifs reprochés à l'employeur et de leur caractère suffisamment sérieux pour avoir contraint le salarié à mettre fin au contrat non respecté par celui ci.

En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges , par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits et des droits des parties en retenant que les attestations de Mrs [O] , [B] et [H], desquelles il ressortait qu'à compter du mois de mars 2018, le bus qui était conduit depuis deux ans par leur collègue ou collaborateur- M. [E] - avait été repris par M. [X], établissaient l'impossibilité pour le salarié, désormais privé de son outil de travail , de poursuivre son activité de chauffeur et subissait par voie de conséquence un licenciement verbal, nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, en l'absence de tout motif énoncé dans les formes et délais prévus par la loi.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement critiqué de ce chef.

III Sur les sommes dues

Pour statuer sur le bien fondé de l'appel, il incombe à la cour de déterminer à titre préliminaire le montant du salaire de référence.

M. [E] reproche au premier juge d'avoir déterminé le salaire de référence en faisant la moyenne des trois derniers mois de salaire nets alors que celui doit être déterminé en prenant en compte selon la formule la plus avantageuse, le salaire mensuel servant de base de calcul à l'indemnité de licenciement correspondant soit au 12ème de la rémunération totale brute, incluant les accessoires du salaire, et les avantages en nature perçus au cours des douze derniers mois précédant le licenciement ou le tiers des trois derniers mois ( prime et gratifications sont pris en compte au prorata du temps de présence. )

La société Sant-Ma n'a présenté aucune observation.

La cour observe en effet que le premier juge a retenu le salaire moyen net perçu par M. [E] au cours des trois derniers mois alors qu'il aurait du prendre en considération le salaire brut, qui ressort selon l'estimation non contestée du salarié à la somme de 220 000 francs pacifique.

a. Sur l'indemnité de préavis et les congés payés y afférent.

Le tribunal a accordé 200 000 francs pacifique au titre du préavis et celle de 20 000 francs pacifiques au titre des congés payés y afférents.

La société Sant SA conclut au rejet de cette demande, mais n'a formé aucune demande subsidiaire .

M. [E] réitère ses demandes initiales formées à hauteur de 220 000 francs pacifique et de 22 000 francs pour les congés payés y afférents.

Comme l'a énoncé le premier juge , en cas d'inexécution par le salarié du préavis, l'employeur est tenu au paiement d'une indemnité compensatrice lorsque cette inexécution lui est imputable et tel est bien le cas lorsque le salarié a été contraint à démissionner en raison du comportement fautif de l'employeur.

Par application de l'article 87 de l'accord interprofessionnel territorial applicable en Nouvelle Calédonie, et de l'article Lp 122-22 du Code du travail, la durée de ce préavis est de un mois compte tenu de l'ancienneté du salarié comprise entre 6 mois et deux ans.

Compte tenu des motifs ci dessus exposés, fixant le salaire de référence à 220 000 francs pacifique, la société Sant-Ma sera condamnée à lui verser la somme de 220 000 francs à titre de préavis et de 22 000 francs au titre des congés payés y afférents.

- b Sur le rappel des sommes dues au titre des congés payés.

Le tribunal du travail a alloué de ce chef à M. [E] la somme de 83 334 francs, ( sur la base d'un salaire mensuel de 200 000 francs pacifique )

M. [E], par appel incident réitère sa demande initiale formée à hauteur de 110 000 francs pacifique, calculée sur la base d'un salaire brut mensuel de 220 000 francs .

La société Sant Ma, conclut au rejet de cette demande sans argumenter.

Comme l'a énoncé le premier juge, l'article Lp 241-2 du code du travail de nouvelle Calédonie, prévoit que le salarié qui, au cours de l'année de référence , justifie avoir travaillé avec le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum d'un mois de travail effectif a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail, sans que la durée totale du congé exigible ne puisse excéder trente jours.

Sous le bénéfice des motifs ci dessus exposés, M. [E] qui a travaillé du 1er novembre 2017 au 14 mars 2018 sans bénéficier de congés légaux peut prétendre à une indemnité compensatrice correspondant à 12 jours et demi de congés sur la base d'un salaire moyen de 220 000 francs soit une somme de 110 000 francs pacifique ( 220 000/25 x12,5

-c Sur l'indemnité pour licenciement abusif

Le tribunal a accordé une indemnité de 800 000 francs pacifique , ( 4 mois de salaire )

M. [E] qui sollicitait du tribunal du travail une indemnité de 1 484 000 francs pacifique , n'a pas formé d'appel incident de ce chef.

La société Sant Ma demande à la cour de ramener l'indemnité à la somme correspondant à un mois de salaire, en faisant valoir que M. [E], n'a pas cessé de travailler pour de multiples employeurs depuis le mois de mars 2018 et ne démontre pas avoir subi un quelconque préjudice , alors que la charge de cette preuve lui incombe , au regard de son ancienneté dans l'entreprise .

L'article Lp122-35 du code du travail de Nouvelle Calédonie dispose que 'si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse , le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accordera au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire' Le texte prévoit qu'en revanche, si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise avec maintien des avantages acquis, et si l'une ou l'autre des parties refuse, octroie une indemnité au salarié qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers , sans préjudice, le cas échéant de l'indemnité prévue par l'article Lp 122-27.

La cour observe qu'à la suite de son licenciement, M. [E] , qui a certes occupé divers emplois , n'a en revanche retrouvé un emploi pérenne qu'à compter du 20 avril 2020, auprès de la société Carsud. Compte tenu de son âge ( 32 ans, ) et de sa situation familiale , étant père de famille la somme de 800 000 francs pacifique allouée par le premier juge est une juste compensation du préjudice subi. Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

-d Sur l'indemnité pour licenciement vexatoire

Le tribunal a alloué de ce chef au salarié la somme de 200 000 francs pacifique

M. [E] réitère la demande qu'il avait formée devant les premiers juges à hauteur de 1 000 000 francs pacifique invoquant le caractère brutal et vexatoire de son licenciement, et le préjudice découlant des retenues injustifiées faites par l'employeur sur sa rémunération .

La société Sant-Ma sollicite le rejet de cette prétention qui n'est étayée selon, elle sur aucun élément probant.

La cour considère que le salarié qui a été licencié, de manière vexatoire et brutale doit être indemnisé à raison du préjudice moral qu'il a ainsi subi, qui est distinct du préjudice découlant de la rupture proprement dite de la relation de travail.

Au cas d'espèce, le caractère brutal de la rupture est , comme l'a souligné le premier juge , établie à la lecture de l'attestation de M. [G] [B], de laquelle il ressort que M. [E] a appris son licenciement de la bouche de son collègue, au moment où les deux hommes avaient pris contact ensemble, pour convenir de se remplacer. Ce préjudice est compensé à sa juste mesure par l'allocation d'une indemnité fixée à la somme de 200 000 francs. Il convient en effet de relever comme le premier juge que M. [E], ne sera pas sanctionné au regard de ses droits à la retraite des lors que la société Sant-Ma sera amenée à régulariser auprès des organismes sociaux les cotisations correspondant aux trimestres échus entre le 1er novembre 2017 et son licenciement.

Le jugement critiqué sera en conséquence confirmé de ce chef .

IV Sur la demande reconventionnelle de la sarl Sant Ma en dommages intérêts.

Le tribunal du travail a débouté la société Sant-Ma qui prétendait avoir souffert d'un déficit de réputation et d'image à raison des agissements de M. [E] , qui a eu plusieurs retards à ses prises de service.

La société Sant-Ma réitère cette demande devant la cour en recherchant la condamnation de M. [E] de ce chef au paiement d'une indemnité de 3 000 000 francs pacifique.

M. [E] n'a présenté aucune observation sur ce point.

La cour observe que la société Sant-Ma n'apporte aucune preuve de la réalité des griefs invoqués. En effet, les retard allégués, prétendument constatés par ' les contrôleurs du réseau', ne sont nullement établis en l'absence de tout procès verbal ou échange contradictoire avec M. [E], au moment des faits. Ils procèdent de simples affirmations non vérifiables par la cour.

Dans ces conditions, ainsi qu'en considération de l'issue du procès, il convient de confirmer la décision du premier juge qui a débouté la société Sant -Ma de ce chef.

V sur la demande tendant au prononcé d'une astreinte.

Le tribunal n'a pas fait droit à la demande de M. [E] qui sollicitait le prononcé d'une astreinte pour assurer l'exécution de son obligation judiciaire de régularisation de sa situation auprès de la CAFAT et de la CRE .

La cour estime au contraire qu'il y a lieu d'assortir l'exécution de cette obligation d'une astreinte provisoire de 10 000 francs par jour de retard, courant pendant un délai de deux mois, passé un délai de un mois à compter de la signification du présent arrêt.

VI Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Compte tenu de la position économique respective des parties, il convient de condamner la société Sant-Ma à verser à M. [E] une indemnité de 200 000 francs au titre des frais irrépétibles qu'il a du exposer devant la cour.

VII Sur les dépens

La société Sant MA qui succombe majoritairement devant la cour sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Réforme le jugement rendu le 06 janvier 2021 en ce qu'il a fixé le montant des indemnités dues par la société Sant -Ma à M. [T] [E] au titre du rappels de congés payés à la somme de 83 334 francs, au titre du préavis et des congés payés y afférents aux sommes de 200 000 francs et de 20 000 francs, au titre du caractère vexatoire du licenciement à la somme de 200 000 francs pacifique :

Et, statuant à nouveau

- Condamne la sarl Sant- Ma à payer à M. [T] [E] les sommes suivantes :

- deux cent vingt mille (220.000) francs pacifique au titre de l'indemnité de préavis ;

- vingt-deux mille (22.000) francs pacifique au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis ;

- cent dix mille (110 000) francs pacifique au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés

- Confirme le jugement rendu par le tribunal du travail le 06 janvier 2021 en toutes ses autres dispositions critiquées ;

Y ajoutant,

- Dit que l'obligation faite à la société Sant- Mat d'avoir à régulariser la situation de M. [T] [E] auprès des organismes sociaux, CAFAT et CRE, devra être exécutée dans le délai de un mois à compter de la signification du présent arrêt , sous astreinte provisoire de 10 000 francs par jour de retard passé ce délai, courant pendant un délai de deux mois.

- Condamne la sarl Sant- Ma à verser à M. [T] [E] la somme de 200 000 francs pacifique sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;

- Condamne la sarl Sant -Ma aux entiers dépens de l'instance d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00011
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;22.00011 ?
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