La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/05/2023 | FRANCE | N°22/00004

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 04 mai 2023, 22/00004


N° de minute : 28/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 04 Mai 2023



Chambre sociale









Numéro R.G. : N° RG 22/00004 - N° Portalis DBWF-V-B7G-SW4



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/246)



Saisine de la cour : 12 Janvier 2022





APPELANT



S.A.R.L. SP MANGO CAFE, représentée par sa gérante en exercice

demeurant [Adresse 1]



Comparante en person

ne



INTIMÉ



Mme [L] [T]

née le 02 Octobre 1974 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Amandine ROSSIGNOL membre de la SARL AMANDINE DALIER ROSSIGNOL, avocat au barreau de NOUMEA...

N° de minute : 28/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 04 Mai 2023

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 22/00004 - N° Portalis DBWF-V-B7G-SW4

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/246)

Saisine de la cour : 12 Janvier 2022

APPELANT

S.A.R.L. SP MANGO CAFE, représentée par sa gérante en exercice

demeurant [Adresse 1]

Comparante en personne

INTIMÉ

Mme [L] [T]

née le 02 Octobre 1974 à [Localité 3]

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Amandine ROSSIGNOL membre de la SARL AMANDINE DALIER ROSSIGNOL, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président, Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseillère, Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Le 24 août 2016, Mme [L] [T] était embauchée par la SARL SP MANGO CAFE, en CDD puis dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 26 novembre 2016, en qualité de responsable sandwicherie, catégorie 1, échelon 1 moyennant un salaire de base brut de 152.913XPF pour 189 heures de travail mensuel.

Le vendredi 12 janvier 2018, Mme [T] partait en congés jusqu'au dimanche 28 janvier inclus (cf bulletin paye janvier 2018)

Dans un courrier daté du mardi 30 janvier 2018 « remise contre décharge », l'employeur indiquait accepter sa démission suite à une première demande du mardi 16 janvier et à un entretien du 30 janvier. Le vendredi 02 février 2018, la salariée signait son solde de tout compte et se voyait remettre son certificat de travail.

Le 13 février 2018, Mme [T] adressait à son employeur un courrier intitulé "Réclamations salariales, Demande de documents" contestant la rupture de son contrat de travail.

Par courrier daté du 20 février 2018 adressé en recommandé avec accusé de réception, son employeur contestait être à l'initiative de la rupture de son contrat lui rappelant qu'elle avait souhaité démissionner en raison de la perte de ses aides sociales et qu'il l'avait remplacée sur son poste.

Par courrier daté du 2 mars 2018 adressé en recommandé avec accusé de réception, Mme [T] répondait à son employeur confirmant qu'elle avait abordé une éventuelle démission sans toutefois l'avoir confirmée.

*****

Par requête introductive d'instance enregistrée le 2 décembre 2019, Mme [T] a cité la SARL MANGO CAFE devant le Tribunal du Travail de Nouméa aux fins de constater que la preuve de sa démission n'était pas rapportée et dire qu'elle avait fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu dans des conditions brusques et vexatoires.

Elle sollicitait en conséquence les sommes suivantes :

178.339 XPF à titre d'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis ;

934.176 XPF à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle

488.088 XPF à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

ainsi que la régularisation de sa situation auprès de la CAFAT et autres organismes

Elle soutenait à cette fin avoir informé son employeur dès janvier 2018 de ce qu'elle envisageait peut-être de démissionner en raison de la perte de ses droits aux aides sociales sans jamais formaliser sa volonté par écrit. Elle exposait qu'à son retour de congés, elle avait été informée de la suppression de son poste et que son contrat de travail prenait fin sans procédure de licenciement.

Elle considérait que la rupture du contrat devait être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

*****

Par conclusions déposées le 4 mai 2020, la société défenderesse s'opposait aux demandes de la requérante faisant valoir successivement :

- qu'elle avait accepté la démission de la requérante présentée oralement début janvier 2018 en raison de la perte de ses prestations sociales propos tenus en présence de M. [O] chef de cuisine lors d'un entretien du 16 janvier 2018 avec une rupture fixée au 2 février 2018 ;

- que Mme [T] a réitéré sa volonté de démissionner lors d'un entretien daté 30 janvier 2018 et avait sollicité être licenciée économique, la défenderesse se refusant à engager cette procédure

- qu'en conséquence de ce qui précédait, elle avait décidé de supprimer le local sandwicherie afin d'agrandir l'espace de la cuisine et recruter M. [F] en remplacement de Mme [T]

- que de bonne foi, elle avait accepté la démission claire et sans équivoque de sa salariée et l'avait dispensé d'exécuter son préavis.

***

Par décision en date du 26 novembre 2021, le tribunal du travail de Nouméa requalifiait la démission de Mme [T] en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnait l'employeur à lui régler 316.726 XPF (dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse), 158.366 XPF (indemnité compensatrice de préavis), 15.836 XPF (indemnité de congés payés sur préavis), 100.000 XPF (préjudice moral). Elle fixait à la somme de 158.363 XPF la moyenne des trois derniers mois de salaire et à quatre (4) unités de valeur, le coefficient de base de la rémunération de Maître Amandine ROSSIGNOL, avocate désignée au titre de l'aide judiciaire provisoire.

Par requête en date du 12 janvier 2022, Mme [P] [W], gérante de la Sarl SP MANGO CAFE, relevait appel de cette décision signifiée le 13 décembre 2021.

Par mémoire ampliatif en date du 11 avril 2022 et conclusions récapitulatives du 14 septembre 2022, elle rappelait tout d'abord que la démission n'était soumise à aucune forme particulière par la loi : si rien n'avait été formulé par écrit, c'est qu'elle avait confiance en Mme [T] qu'elle qualifiait d'employée modèle.

Elle relève que, loin de découvrir qu'elle allait être licenciée lors de sa convocation datée du 02 février 2018, cette dernière avait appris dès le mois de janvier 2018 que l'activité de snack indépendante devait s'arrêter pour agrandir la cuisine et qu'il lui serait proposé de d'intégrer le restaurant. Elle aurait alors demandé à bénéficier d'un licenciement économique qui lui avait été refusé précisant dans ses dernières conclusions du 28 juillet 2022, qu'elle avait réfléchi à démissionner pour recouvrer les aides sociales auxquelles elle ne pouvait plus prétendre du fait de ses revenus. Or elle n'avait pas anticipé sur ce point que la prise en compte de sa situation s'effectuait annuellement et qu'elle ne récupérerait ses prestations que l'année suivante.

Elle soutenait que la date de rupture du contrat avait été décidée d'un commun accord au 02 février 2018 étant observé qu'elle avait refusé d'effectuer son préavis ce qui avait obligé la société à recourir à un CDD pour assurer la continuité de l'activité de vente de sandwichs qui s'était poursuivie au sein du restaurant.

Elle avait également refusé de négocier une rupture conventionnelle et la condamnation prononcée par le premier juge avait mis la société en grande difficulté en risquant de mettre au chômage plusieurs salariés.

Mme [T], dans des conclusions récapitulatives en date du 19 septembre 2022, concluait à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et sollicitait une somme de 300 000 XPF sur le fondement de l'article 700 du CPCNC.

Elle contestait intégralement la présentation des faits par son employeur.

En droit, elle rappelait que la démission ne se présume pas et doit émaner d'une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail ce qui n'était pas le cas en l'espèce puisque si Mme [T] avait pu évoquer le sujet avec son employeur, il ne s'agissait que d'une simple discussion qui n'avait pas vocation à être suivie d'effet. Elle avait été en réalité licenciée sans préavis du jour au lendemain à son retour du congé et ce, sans respect dès la procédure de licenciement.

SUR QUOI, LA COUR,

Sur la validité de la démission :

La loi n'exige aucune forme particulière pour que la démission soit valable. La démission peut donc être présentée soit oralement, soit par écrit, auquel cas elle doit exprimer clairement la volonté du salarié. La démission n'est pas caractérisée à défaut de volonté explicite de démissionner.

Toutefois, même en présence d'une volonté apparente de démissionner, le salarié peut contester avoir démissionné s'il démontre que son consentement a été vicié. En effet, 'acte de démission étant un acte juridique, il est soumis aux règles de droit commun concernant les vices du consentement: la volonté émise par le salarié doit être exempte de vice (erreur, dol ou violence, selon l'article 1109 du Code civil).

La démission comme le licenciement ne se présume pas. C'est à celui qui invoque la démission de l'établir.

En l'espèce, la SARL SP MANGO CAFE expose que la requérante avait démissionné verbalement le 16 janvier 2018 et que cette dernière avait réitéré sa demande le 30 janvier 2018, à son retour de congé. Elle soutient en outre que les parties avaient fixé d'un commun accord la fin du contrat de travail au 02 février 2018 avec une dispense de l'exécution du préavis par la salariée.

Elle verse au débat un courrier daté du 30 janvier 2018, adressé à la salariée duquel il ressort qu'elle acceptait la démission verbale de Madame [T] rédigé comme suit : "Suite à votre 1ère demande du 10 janvier 2018 d'arrêter votre contrat de travail, à notre rendez-vous du 16 janvier 2018 et à notre entretien de ce jour, nous acceptons votre démission.

En application de votre contrat de travail, vous êtes actuellement soumis à un préavis d'un mois mais étant donné l'antériorité de votre demande qui nous a permis d'anticiper votre départ, nous sommes d'accord que vous ne réalisiez pas votre préavis d'un mois.

Pour la bonne marche de l'entreprise, nous fixons donc votre fin de contrat et vous proposons d'arrêter le vendredi 2 février 2018 après le service.

Lors de votre départ de l'entreprise, nous vous remettrons les documents suivants:

- Le dernier bulletin de salaire et son règlement

- Votre certificat de travail;

- Votre reçu pour solde de tout compte".

Le seul témoignage fourni sur ce point concerne M. [I] [O], cogérant de la société : nonobstant le fait que son attestation est établie sans respecter les exigences de forme de l'article 202 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie, ce témoignage fait état non de ce que Mme [T] aurait formalisé une demande de démission mais de ce qu'elle était présente le 16 janvier sur son lieu de travail ce qui du point de vue de la preuve d'une volonté claire et non équivoque de démissionner ne présente aucun intérêt.

Si Madame [T] reconnaît avoir abordé avec son employeur son souhait de démissionner elle fait valoir qu'elle n'a jamais officiellement démissionné.

Ainsi, il résulte des éléments du dossier que par courrier daté du 2 mars 2018, la requérante adressait en recommandé avec accusé de réception, à son employeur un courrier rédigé selon les termes suivants :

"Comme suite à mon courrier du 13 février 2018, vous m'avez remis le 1er mars les fiches de salaire des mois de janvier et février 2018, le certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte.

Vous m'avez également remis ce jour-là un courrier datant du 30 janvier confirmant l'acceptation de ma démission pour le 2 février 2018, courrier qui ne reflète en rien la réalité des faits.

S'il est vrai que j'avais abordé avec vous ma future démission, je ne l'avais toutefois pas confirmée, d'autant que j'avais l'intention de réaliser un préavis d'un mois comme prévu par l'article 87 de l'accord interprofessionnel territorial de Nouvelle-Calédonie. Vous m'avez imposé un départ au 2 février sans préavis m'empêchant de manifester ma volonté de rompre mon contrat de travail. J'ai l'intention de saisir le tribunal du travail."

La démission de Mme [T] ne saurait résulter d'une intention exprimée lors d'une discussion et il ne résulte pas des éléments fournis par l'employeur que celle-ci avait manifesté clairement et sans équivoque de sa volonté de rompre le contrat.

La démission de Madame [T] n'étant pas établie, l'employeur ne pouvait pas prendre acte de la rupture du contrat de travail laquelle s'analyse comme un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse.

La décision du premier juge sera ainsi confirmée.

Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse

Par application des dispositions de l'article Lp 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.

Si ce licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, en cas de deux ans ou plus d'ancienneté. Lorsque l'ancienneté du salarié est inférieure à deux ans dans ce cas de licenciement pour cause non réelle et sérieuse, l'indemnité octroyée par le juge est fonction du préjudice subi et peut de ce fait être inférieure aux salaires de six derniers mois.

La Cour confirme la décision entreprise par adoption des motifs du premier juge qui a fait une juste appréciation des faits de l'espèce en relevant que conformément aux dispositions de l'article Lp122-35 du code du travail et au vu des pièces produites (bulletins de salaire et contrat de travail), de son salaire moyen calculé sur les 12 derniers mois de salaire de 2017 (158 363 XPF), de son ancienneté inférieure à deux ans et de son âge (43 ans) au moment de la rupture, il lui sera alloué la somme de 316 726 XPF au titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse correspondant à deux mois de salaire.

Sur l'indemnité de préavis et de congés payés sur préavis

Par application de l'article 87 de l'accord interprofessionnel territorial applicable en Nouvelle-Calédonie, la durée de ce préavis est de 1 mois, compte tenu de l'ancienneté du salarié inférieure à 2 ans. ll lui est donc dû la somme de 158 366 XPF à ce titre outre celle de 15 836 XPF au titre de l'indemnité de congés payés y afférente.

Sur les dommages-intérêts sollicités pour préjudice distinct

ll est de jurisprudence constante qu'un licenciement même justifié par une cause réelle et sérieuse ne doit pas être vexatoire et qu'à défaut l'employeur peut être condamné à payer au salarié des dommages-intérêts.

En l'espèce, il n'est pas établi que les circonstances de la rupture de la relation de travail et sa brutalité aient créé un préjudice moral à Mme [T], distinct de celui causé par la rupture.

Ses demandes à ce titre seront en conséquence rejetées et la décision du premier juge à cet égard sera infirmée.

Sur l'exécution provisoire

La Cour rappelle que l'exécution provisoire est de droit en cause d'appel

Sur les frais irrépétibles

L'article 700 du Code de procédure civile dispose que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l 'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

Au vu des circonstances particulières de l'espèce, il convient que chaque partie garde à sa charge ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du tribunal du travail en date du 26 novembre 2021 sauf en ce qui concerne l'attribution d'un préjudice distinct de 100 000 XPF

INFIRME la décision querellée sur ce dernier point et dit n'y avoir lieu à indemnisation d'un préjudice distinct

FIXE à six (6) unités de valeur le coefficient de base servant au calcul de la rémunération de Maître Amandine DALIER ROSSIGNOL désignée au titre de l'Aide judiciaire

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00004
Date de la décision : 04/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-04;22.00004 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award