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27/04/2023 | FRANCE | N°21/00050

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 27 avril 2023, 21/00050


N° de minute : 22/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 27 Avril 2023



Chambre sociale









Numéro R.G. : N° RG 21/00050 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SDD



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juin 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :F 18/00169)



Saisine de la cour : 29 Juin 2021





APPELANT



M. [M] [H] , es qualités d'ayant droit de feue [O] [I],

née le 15-04-1952 à [Localité 7] et décédée le 15-03-2018>
né le 01 Juin 1982 à [Localité 7]

demeurant [Adresse 5]

Représenté par Me Laurent AGUILA membre de la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉ



Mme [T] [Z]

née le 21 A...

N° de minute : 22/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 27 Avril 2023

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 21/00050 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SDD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juin 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :F 18/00169)

Saisine de la cour : 29 Juin 2021

APPELANT

M. [M] [H] , es qualités d'ayant droit de feue [O] [I],

née le 15-04-1952 à [Localité 7] et décédée le 15-03-2018

né le 01 Juin 1982 à [Localité 7]

demeurant [Adresse 5]

Représenté par Me Laurent AGUILA membre de la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme [T] [Z]

née le 21 Avril 1981 à [Localité 7]

demeurant [Adresse 2]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/001738 du 05/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)

Représentée par Me Séverine LOSTE, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

Mme [W] [A] [B]

née le 25 Août 1968 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Olivier MAZZOLI membre de la SELARL OLIVIER MAZZOLI AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue le 02 Mars 2023, en audience publique, devant la cour composée de M. Philippe DORCET, Président de chambre, président, M. François BILLON, Conseiller, Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.

Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Madame [I] est une dame âgée atteinte de la maladie d'Alzheimer'et bénéficiant depuis de plusieurs années d'une mesure de protection successivement confiée par le juge des tutelles à une tante de la majeure protégée savoir Madame [K] [J] à compter d'août 2010 puis à partir du 28 décembre 2012 à l'Association pour la gestion des tutelles de Nouvelle-Calédonie (AGTNC) qui a été désignée pour la remplacer d'abord dans le cadre de la curatelle renforcée puis à compter du 27 janvier 2015 dans le cadre d'une mesure de tutelle.

Dans un contexte de tensions entre l'AGTNC et les proches de la majeure protégée, portant notamment sur les conditions de la prise en charge de Mme [I] par les auxiliaires de vie recrutées par l'intermédiaire de l'association tutélaire, la cour d'appel dans un arrêt infirmatif du 6 octobre 2016 déchargeait l'AGTNC de ses fonctions pour les confier à Madame [W]'[B] cousine de Mme [I].

Par décision du 23 novembre 2017, le juge des tutelles déchargeait Mme [B] pour confier, à sa demande, la tutelle de la majeure protégée à son fils, M. [M] [H].

Le litige dont a été saisi le tribunal du travail porte sur le contrat de travail à durée déterminée du 30 septembre 2016 aux termes duquel Mme [T] [Z], était recrutée par l'AGTNC tutrice de Mme [O] [I] aux fins d'exercer auprès d'elle et à son domicile, les fonctions d'aide à domicile, pour une durée de six mois du 1er octobre 2016 au 31 mars 2017.

Le 15 novembre 2016, le Docteur [U] rédigeait un certificat médical à la demande Mme [B] concernant les mauvais traitements dont aurait été victime Mme [I].

Suivant lettre de convocation remise par huissier le 21 novembre 2016, Mme [B], ès qualités de tutrice de Mme [O] [I], informait Mme [T] [Z] de ce qu'elle entendait mettre un terme au contrat de travail en cours et l'invitait à se présenter le 23 novembre 2016 pour un entretien préalable. Mme [T] [Z] était immédiatement mise à pied à compter du 21 novembre 2016.

Le 23 novembre 2016, en présence d'un huissier, Mme [B] recevait l'ensemble des auxiliaires de vie concernées par al garde de Mme [I] qu'elle envisageait de licencier sans toutefois les faire rentrer dans la villa de Mme [I] pour l'entretien préalable lequel se déroulera finalement devant le portillon de la maison sur le trottoir.

Par lettre en date du 12 décembre 2016, [T] [Z] était licenciée pour faute grave avec prise d'effet immédiat.

Par acte d'huissier en date du 13 décembre 2016, Mme [T] [Z] a fait convoquer devant le tribunal du travail, statuant en référé, Mme [O] [I], prise en la personne de Mme [B], sa tutrice, afin qu'elle soit condamnée à lui régler ses salaires dus pour les mois d'octobre et novembre 2016, des dommages-intérêts et des frais irrépétibles.

Par ordonnance en date du 14 avril 2017, le juge des référés condamnait Mme [O] [I], prise en la personne de Mme [B], sa tutrice à payer à Mme [T] [Z] les sommes suivantes à titre de provision 162'278 XPF au titre de son salaire net pour le mois de novembre 2016, 21'123 XPF au titre des congés-payés sur son salaire du mois d'octobre 2016, 80'000 XPF à titre de dommages-intérêts provisionnels et la déboutait de ses demandes relatives aux frais de déplacement.

Mme [O] [I] qui était placée sous la tutelle de son fils depuis le 23 novembre 2017 devait décéder le 15 mars 2018, son propre père, [S] [I] étant décédé le 4 janvier 2016 en laissant un important patrimoine successoral.

Mme [T] [Z], estimant avoir été licenciée de manière irrégulière et sans cause réelle et sérieuse, a saisi la juridiction du travail de Nouméa, au fond, le 15 juin 2018 en faisant convoquer devant le tribunal M. [M] [H], en qualité d'ayant droit de Mme [O] [I] ainsi que Mme [W] [B] pour obtenir le paiement de diverses créances salariales ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Aucune demande n'était cependant formée à l'encontre de Mme [B].

Par jugement en date du 16 juin 2021, le tribunal du travail décidait que feue [O] [I] était bien l'employeur de Mme [T] [Z] et que le CDD du 30 septembre 2016 liant les parties était régulier. Il se déclarait incompétent au profit du tribunal de première instance de Nouméa pour juger de l'ensemble des demandes relatives à Mme [B] et déclarait la procédure de licenciement irrégulière et abusive ainsi que dépourvue de toute cause réelle et sérieuse.

Il condamnait M. [H] ès qualités de seul ayant-droit de feue [O] [I] décédée le 15 mars 2018 à régler à Mme [T] [Z] un million deux cent quatre-vingt-deux mille cinq cents (1'282'500) francs au titre des salaires qui auraient dû être perçus jusqu'au terme du contrat de travail à durée déterminée, cent soixante-six mille trois cent six (166'822) francs au titre des congés payés sur la durée totale du contrat de travail à durée déterminée, quatre-vingt-trois mille cent cinquante-trois francs (83'153) francs CFP au titre de la prime de précarité, cent mille francs (100'000) pour procédure irrégulière outre quatre-vingt mille (80'000) francs CFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et cent vingt mille (120'000 XPF) d'article 700.

***

PROCEDURE D'APPEL

M. [H] a déposé une requête d'appel le 29 juin 2021 et dans de dernières écritures déposées les 15 avril 2022 et 15 février 2023, demande au principal à la cour d'ordonner à l'intimée de produire les déclarations trimestrielles effectuées à la CAFAT sur l'année 2016, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et statuant à nouveau de juger fictif le contrat de travail de Mme [T] [Z] et la débouter par voie de conséquence de toutes ses demandes fins et conclusions.

Subsidiairement, elle sollicite que la requérante soit déboutée de toutes ses demandes, fins et conclusions, le licenciement étant justifié. A titre infiniment subsidiaire, elle demande qu'il soit dit et jugé qu'en cas de condamnation de M. [M] [H], celle-ci devrait intervenir sous la garantie de Mme [B], seule responsable et de réduire le montant des demandes non corroborés par les pièces produites aux débats. Il demande 300'000 XPF au titre de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie et aux entiers dépens.

Dans des écritures récapitulatives du 30 mai 2022, Mme [B] demande à la cour la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action intentée à son encontre et dire et juger inopposable à feue [O] [I] sous tutelle de Mme [W] [B] le contrat de travail daté du 30 septembre 2016.

Elle demande que soit ordonnée la production des originaux des contrats de travail passés avec les salariés, les noms, prénoms et qualités des personnes signataires en tant qu'employeur et les pouvoirs dont ils disposent ainsi que les déclarations trimestrielles des salaires effectuées à la CAFAT par l'association de gestion des tutelles de Nouvelle-Calédonie ou par la société 'La présence de Manou' au troisième et quatrième trimestre 2016

Elle conclut au débouté de l'ensemble des demandes fins et conclusions et prétentions de la demanderesse ainsi que celle de M. [M] [H] tendant à voir la concluante tenue à garantir les éventuelles condamnations prononcées à son encontre.

Maître LOSTE, avocate constituée par Mme [T] [Z] demande à la cour dans de dernières écritures notifiées par voie électronique le 3 novembre 2022 puis soutenues oralement lors de l'audience du 1er mars 2023 de débouter M. [H] et Mme [B] de toutes leurs demandes, fins et conclusions et confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 juin 2021 par le Tribunal du travail de Nouméa. Elle demande la condamnation de M. [H] ès qualités de seul ayant-droit de feue Mme [I] à payer à lui payer une somme complémentaire de 500'000 francs pacifique à titre de dommages et intérêts du fait de la procédure abusive et vexatoire suivie contre l'intimée outre 250'000 francs pacifique au titre des frais irrépétibles tout en jugeant la présente décision opposable à Mme [B].

***

SUR QUOI LA COUR,

A titre liminaire il convient de rappeler que les demandes de 'constater', 'dire et juger' 'voire supprimer ' ne constituent pas des prétentions mais des moyens et ne saisissent la juridiction d'appel d'aucune demande'» comme l'a indiqué la cour de cassation au terme d'un arrêt de principe rendu par la seconde chambre civile, le 9 janvier 2020 (pourvoi n° 18-23.778.) Il en découle que la cour ne statuera pas sur la demande de 'constat' énoncée dans le premier paragraphe du dispositif des conclusions de M. [H] mais répondra lorsqu'elle se déterminera sur les prétentions de la salariée.

I - Sur la nullité de l'acte d'appel concernant Mme [B] et les moyens exposés

La cour est saisie de l'appel de M. [H] qui critique la décision rendue par le tribunal du travail l'ayant condamné à verser diverses sommes à Mme [T] [Z] considérant que son licenciement était irrégulier et dépourvu de cause réelle et sérieuse.

A titre principal il fait valoir que les demandes de Mme [T] [Z] ne sont pas recevables en ce qu'elles sont dirigées contre lui alors qu'il n'a jamais été son employeur et qu'il n'est pas davantage à l'origine de son licenciement. A titre subsidiaire, il soutient que le licenciement était justifié, au regard des éléments qui lui ont été transmis, qui confortent la version relatée dans la lettre de licenciement.

L'article 901 du CPCNC dispose': «'La requête d'appel est formée par acte contenant à peine de nullité': ('.) 3°) les noms et adresses de la partie ou des parties intimées et, s'il y a lieu, de leur avocat'», l'article 120 du même code précisant': «'Les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public.'»'

Or, il convient d'observer que M. [H] n'a pas relevé appel de la décision en ce qui concerne Mme [W] [B] puisqu'il ressort des mentions portées sur sa requête d'appel du 29 juin 2021 que celle-ci n'apparaît qu'en qualité de «'partie intervenante'».

Il n'a ainsi entendu remettre en cause la décision du tribunal du travail, pour ce qui la concernait que dans ses conclusions du 6 septembre 2021 où elle est désormais qualifiée d'«'intimée'» soit après l'expiration du délai pour former appel.

En conséquence l'appel dirigé contre Mme [W] [B] est irrecevable.

II - Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à défendre.

M. [H] soutient à nouveau devant la cour, comme il l'avait opposé devant le tribunal de travail que l'action engagée par Mme [T] [Z] à son encontre est irrecevable en ce qu'il n'a aucune qualité à défendre dans la procédure en contestation de son licenciement rappelant qu'il n'est pas à l'origine du licenciement qui a été décidé et exécuté par Mme [B], qui était tutrice de sa défunte mère jusqu'au 23 novembre 2017. Il considère que ce n'est pas parce qu'il est aujourd'hui son héritier et ci-devant tuteur qu'il doit supporter toutes les conséquences des actes effectués par les tuteurs successifs ayant été désignés au fil des années pour sa mère.

Le tribunal du travail a écarté le moyen tiré de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre argué par M. [H] en énonçant à juste titre que l'action engagée à son encontre était poursuivie devant cette juridiction en raison de sa qualité d'héritier de l'employeur, de sorte qu'elle était recevable sur le fondement de l'article 724 du code civil duquel il ressort que les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.

La cour confirmera par adoption de motifs le rejet de la fin de non-recevoir.

III - Sur l'employeur de Mme [T] [Z] :

A titre principal, M. [H] soutient qu'il résulte du contrat de travail de Mme [T] [Z] ainsi que de deux procès-verbaux de constat établis par voie d'huissier que celle-ci a été embauchée par la société ' La présence de Manou ' et a été licenciée par Mme [B], M. [H] n'étant intervenu à aucun moment. Il sollicite en conséquence que la requérante soit déboutée de toutes ses demandes, fins et conclusions, faute pour celle -ci d'avoir assigné le véritable employeur, à savoir ' La présence de Manou'.

Dans ses dernières conclusions en date du 15 février 2023, il affirme désormais que le contrat passé avec Mme [Z] est un contrat fictif puisque Mme [Z] travaillait déjà «'auprès de Mme [I]'» depuis le 1er avril 2016 bien avant la date de signature du contrat soit le 30 septembre 2016': ceci résulterait d'un courrier de «'La Présence de Manou'» adressé au procureur de la République en date du 28 novembre 2016 (pièce complémentaire n° 7). Il relève en outre que sur le relevé CAFAT de Mme [I], il n'est jamais fait état de Mme [Z].

Enfin, il explique que les contrats ont été «'signés en urgence'» et antidatés afin d'être conclus avant le délibéré du 06 octobre.

Il résulte néanmoins des pièces produites aux débats que':

Le contrat de travail signé le 30 septembre 2016 versé au débat (pièce n° 1 intimé) désigne les deux parties au contrat comme étant «'Mme [I] [O] sous tutelle de l'AGTNC'» désignée comme le «'particulier employeur'» et Mme [T] [Z] «'née le 21 avril 1981 à [Localité 6] (') inscrit (sic) à la CAFAT sous le numéro 241'431'».

L'ATGNC qui a signé pour'Mme [I] n'a été déchargée de sa tutelle que le 06 octobre 2016 date de la décision de la cour d'appel de Nouméa qui a désigné Mme [B], cette dernière réglant par suite le salaire de Mme [T] [Z] au nom de Mme [I].

La société «'LA PRESENCE DE MANOU'» est désignée dans le contrat comme «'déléguée'» par Mme [O] [I] sous tutelle de l'AGTNC embauchant Mme [T] [Z] avec effet au 1er octobre 2016 et se terminant le 31 mars 2017.

L'ordonnance de référé en date du 14 avril 2017 qui reconnaissait la validité du contrat de travail entre Mme [I] représentée par Mme [B] et la requérante n'a fait l'objet d'aucun recours.

La lettre de licenciement est rédigée par Mme [B] en des termes'dépourvus de toute ambiguïté : «'Ces faits ont gravement mis en cause la santé de votre employeur Mme [O] [I]'(') ...avec la production de votre contrat de travail nous liant signé et ayant date certaine (enregistrée)'»

L'argument concernant l'absence de la déclaration préalable à l'embauche auprès de la CAFAT par l'employeur repris dans les conclusions du 15 février, il ne saurait remettre en cause à lui seul s'agissant d'une formalité administrative la validité du contrat signé par les parties le 30 septembre 2016.

Enfin, il sera relevé que la société «'LA PRESENCE DE MANOU'» n'a pas été mise en cause par M. [H] ou Mme [B] alors qu'ils invoquaient tous deux en première instance que cette dernière était l'employeur de la demanderesse.

D'où il résulte que le jugement de première instance sera confirmé lorsqu'il désigne feue Mme [I] comme l'employeur de Mme [T] [Z].

IV- Sur le licenciement':

Le tribunal du travail a considéré que le licenciement de Mme [T] [Z] était irrégulier, en ce que l'entretien préalable au licenciement, qui devait avoir lieu, conformément à la loi, sur le lieu de travail, c'est-à-dire au domicile de Feue Mme [I], s'était en réalité tenu sur la voie publique, dans la rue, sur le trottoir à proximité du lieu de résidence de l'employeur.

La juridiction a également considéré qu'il était dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, en ce que les griefs énoncés sur la lettre de licenciement faisant état de privation de soins, de manque de patience, voire de maltraitance de la part de Mme [T] [Z] restaient flous quant à leur nature et imprécis dans le temps, ou encore n'étaient pas caractérisés à l'encontre de l'intimée étant observé que d'autres auxiliaires de vie intervenaient également auprès de Mme [I].

La juridiction de premier degré a enfin retenu le caractère vexatoire du licenciement au regard de la gravité des accusations portées à l'encontre de la salariée.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, c'est donc par de justes motifs que la cour reprend à son compte que le tribunal a condamné M. [H] au paiement des salaires et créances salariales accessoires dues jusqu'au terme du contrat, outre une somme à titre de dommages intérêts en raison de l'irrégularité formelle du licenciement et une indemnité à raison du préjudice moral découlant du caractère vexatoire de la rupture.

Sur la régularité de la procédure

La loi n'impose aucune règle pour la fixation du lieu et du moment de l'entretien préalable qui peuvent être retenus par l'employeur. L'entretien doit se tenir en principe sur le lieu de travail où le salarié exerce son activité, sauf en cas de raisons légitimes justifiant le choix d'un autre lieu.

En l'espèce, la convocation à l'entretien préalable au 23 novembre 2016 et remise à personne à la salariée par voie d'huissier le 21 novembre 2016 mentionnait le lieu de l'entretien au domicile de l'employeur, lieu de l'activité de Mme [T] [Z] soit [Adresse 3] à [Localité 7]. Elle produit à l'appui de ses allégations un procès-verbal de constat en date du même jour établi par Maître [P] [X], Huissier de justice selon lequel Mme [B], tutrice de l'employeur a reçu Mme [T] [Z] devant le portillon de la villa sur le trottoir. Ce point n'est aps contredit par Mme [B].

Pour autant, il n'y a là aucune irrégularité de nature à invalider la procédure puisque le salarié ne saurait exiger que l'entretien se déroule sur des lieux du travail (Soc. 03 octobre 1995 n° 94-40.995). Tout au plus ouvre-t-elle droit au remboursement des frais de déplacement (Soc. 28 janvier 2005 n° 02-45.971) étant néanmoins observé qu'un tel comportement de l'employeur serait également susceptible de caractériser un licenciement vexatoire.

Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la procédure de licenciement n'est pas entachée d'irrégularité et la décision du premier juge sera infirmée sur ce point.

Sur la légitimité du licenciement

Le contrat de travail à durée déterminée ne peut être valablement rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure, ou d'accord des parties. En dehors de ces trois cas de rupture anticipée, expressément prévus par la loi (la liste étant limitative), le contrat à. durée déterminée ne peut être rompu avant son échéance.

La sanction pour l'employeur de la méconnaissance de ces dispositions consiste dans le versement au salarié de dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations que ce dernier aurait perçues jusqu'au terme du contrat (Lp. 123-8, Lp. 123-9 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie).

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et doit énoncer de manière suffisamment précise les motifs invoqués par l'employeur. Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave d'en rapporter la preuve.

A défaut, le doute profite au salarié. Il convient en conséquence d'examiner les griefs mentionnés dans la lettre, d'apprécier s'ils sont établis et s'ils caractérisent la faute grave requise par la loi pour justifier le licenciement.

En l'espèce, la lettre de licenciement reproche à la salariée «'des manquements particulièrement graves'» rédigés dans les termes suivants : «'Ainsi, l'infirmière qui douche Mme [I] a constaté que vous le faisiez alors que vous n 'êtes pas habilitée à le faire. De plus au cours de plusieurs visites au domicile de Mme [O] [I], nous avons constaté qu'elle n'avait pas été changée et que de la nourriture pourrissait dans le réfrigérateur.

Le Docteur [XU] [C] [U] nous a indiqué que les thérapeutiques inhérentes à la pathologie de Mme [O] [I] n'étaient pas suivies correctement et modifiées sens avis médical, que les soins manquaient d'attention avec parfois des blessures corporelles, qu'il existait un réel manque de patience et que Mme [O] [I] était régulièrement'bousculée pendant les repas, par exemple. Or, les mauvais traitements ou acte de violence à l'encontre d'un malade quel qu'il soit par un professionnel est constitutif d'une faute grave.

L'article Lp. 123-8 du Code du travail de la Nouvelle-Calédonie prévoit que «''sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de faute majeure'».

Ces faits ont gravement mis en cause la santé de votre employeur Madame [O] [I].

Vous avez été, à la suite de ces faits, convoquée le 23 novembre 2016. Cet entretien, au cours duquel vous avez été invitée à faire valoir vos explications sur les faits qui vous sont reproches, ne nous a pas permis de modifier notre appréciation.

En conséquence, nous vous notifions par la présente notre décision de rompre le contrat pour faute grave.

La rupture prend effet immédiatement, car votre maintien dans votre emploi s'avère impossible, y compris durant la période de préavis. Votre solde de tout compte sera arrêté dès réception de vos fiches de présence du mois d'octobre 2016 et novembre 2016 par l 'établissement du montant des sommes dues avec la production de votre contrat de travail nous liant signé et ayant date certaine (enregistrée).

Par la suite vous recevrez vos bulletins de paie, les sommes vous restant dues au titre de salaire et d 'indemnité de congés payés, un certificat de travail et le reçu pour solde de tout compte'».

Il résulte de la lettre de licenciement qu'il est reproché à Mme [T] [Z] des faits qui ont gravement mis en cause la santé de son employeur Mme [O] [I] et notamment de lui faire prendre une douche alors qu'elle n'était pas habilitée à le faire, de ne pas l'avoir changée, de laisser la nourriture pourrir dans le réfrigérateur, à plusieurs reprises, de n'avoir pas respecté les thérapeutiques adaptées à la pathologie de la vielle dame et de les modifier sans avis médical, d'avoir manqué d'attention dans les soins prodigués avec parfois des blessures corporelles, d'avoir manqué de patience à l'égard de Mme [O] [I] régulièrement ' bousculée' pendant les repas, voire d'avoir commis des mauvais traitements ou des actes de violence.

M. [H] verse aux débats les attestations de Mme [E] qui a travaillé pour l'employeur pendant de nombreuses années, de Mme [G], infirmière à domicile, de M. [Y], voisin de Mme [I] et de Mme [F], amie.

Ainsi que relevé par le premier juge, ces attestations sont trop générales pour permettre d'identifier la salariée visée, Mme [I] ayant eu plusieurs salariées à son service. Aucun des témoignages ne vise nommément la demanderesse. Les témoins mentionnent 'les employées de LA PRESENCE DE MANOU' ou la société 'MAD ASSISTANCE" sans distinction entre les auxiliaires de vie qui étaient au service de Mme [I]. D'où il résulte que les faits reprochés sont vagues quant à leur nature et imprécis dans le temps.

Par ailleurs et pour mémoire, Mme [G] dont M. [H] évoque l'attestation a également rédigé un courriel en date du 1er décembre 2016 adressé à Mme [L] dans laquelle, évoquant «'l'équipe Présence de Manou'» visant ainsi Mme [T] [Z], décrit «'des filles disponibles, calmes, à l'écoute et professionnelles'». Elle indique n'avoir jamais vu de maltraitance lors de ses passages précisant': «'Les filles malgré les difficultés ont fait du mieux qu'elles pouvaient. Mme [I] demande beaucoup de patience et d'énergie (') Je ne vois pas de faute grave de prise en charge de la part des AVS.'»

Il en va de même d'une attestation rédigée par M. [N] [V], masseur-kinésithérapeute qui atteste n'avoir jamais observé de quelconques signes de maltraitance ou de bousculades chez la patiente.

Quant au certificat rédigé le 15 novembre 2016 par le Dr [U], la cour relève que la requérante verse régulièrement aux débats une décision de la chambre disciplinaire de première instance de l'organe de l'Ordre des médecins de Nouvelle-Calédonie en date du 7 décembre 2017 saisie à l'initiative de Mme [L] au nom de la «'Présence de Manou'» prononçant un blâme envers le Docteur [U] pour avoir délivré un certificat de complaisance et s'être immiscé dans les affaires de famille d'une patiente (infractions aux articles 28,44 et 51 du code de déontologie).

En l'espèce, il avait été condamné disciplinairement pour avoir « ' mentionné des faits ne relevant pas de constatations médicales qu'il aurait pu faire, dont il ne détenait pas la preuve de la véracité et qui étaient constitutifs pour nombre d'entre eux d'accusations graves envers l'équipe d'aides à domicile entourant Mme [I]'» ou de s'être «'..immiscé dans la vie privée et les affaires de famille de Mme [I] alors même qu'il lui appartenait, s'il s'y croyait fondé ('.) de mettre en 'uvre les moyens les plus adéquats pour protéger Mme [I] en faisant preuve de prudence et de circonspection'». Le blâme prononcé contre le Docteur [U] n'a d'ailleurs fait l'objet d'aucun recours (certificat de non recours contre cette décision en date du 21 septembre 2018).

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les griefs reprochés à la requérante ne sont pas caractérisés': la rupture anticipée du contrat de travail à durée indéterminée de Mme [T] [Z] est donc intervenue à l'initiative de l'employeur en dehors des cas mentionnés par l'article Lp. 123-8 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie et le jugement du tribunal du travail considérant que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse sera confirmé.

Sur l'indemnisation

Mme [T] [Z] en application de l'article Lp. 123-9 du CTNC a droit à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'elle aurait perçues jusqu'au terme du contrat et à une indemnité de précarité (article Lp. 123-14 du Code du travail) correspondant à 5 % de sa rémunération brute totale.

Elle sollicite les sommes de 1'282'500 XPF au titre des salaires qu'elle aurait dû percevoir jusqu'au terme du contrat à durée déterminée calculées sur la moyenne des nuits jusqu'au 31 mars ainsi que 166'822 XPF au titre des congés payés sur la durée totale du contrat à durée déterminée et 83'153 XPF au titre de la prime de précarité.

M. [H] demande à ce que les sommes accordées à Mme [Z] soient ramenées à de plus justes proportions sans en contester le principe et la condamner «'sous la garantie de Mme [B] seule responsable'». Cette dernière, hors cause d'appel, ne saurait garantir quelque condamnation que ce soit prononcée par la cour. Quant aux montants qui n'étaient pas contestés en première instance, l'appelant ne fournit en appel aucune pièce de nature à infléchir les sommes accordées sauf à rappeler que Mme [Z] n'a travaillé que deux mois.

Pour mémoire, la somme de 1'282'500 XPF est indiquée comme correpondant aux salaires qui auraient du être perçus jusqu'au 31 mars soit le terme du CDD, 166'822 XPF aux congés payés sur la durée du contrat, outre 83'411 XPF au titre de la prime de précarité.

Or, s'agissant des salaires qui auraient du être perçus, Mme [Z] indique qu'ils correspondent au calcul «'sur la moyenne des nuits'» jusqu'au 31 mars sans entrer dans le détail. Pour mémoire, le contrat au titre du temps de travail (article 4 ) et de la rémunération (article 5) indique qu'il s'entend de 13 ou 14 nuits mensuelles «'suivant les mois'» réglées «'9500 francs brut par nuit de semaine et 11'875 francs bruts les dimanches et jours fériés.'».

Dans l'impossibilité de déterminer avec précision quel aurait été le planning qui devait être établi au début de chaque mois (article 4 du contrat in fine), il sera fait référence ici au salaire mensuel net réclamé par Mme [Z] elle -même devant le juge des référés le 14 avril 2017 soit 193'301 XPF / mois;

Dès lors, la somme restant due sera au titre des salaires qui auraient du être perçus sera égale à 3 mois et 18 jours de salaire soit 193'301 X 3 = 579'903 XPF + (193'301 X 18/30 = 115'980) soit un total de 695'883 XPF.

De même, les congés payés dus conformément aux termes de l'article Lp 241-19 du code du travail seront calculés sur la base des 6 mois de salaire soit 193'301 X 6 X 10'% = 115'981 XPF

Pour ce qui regarde l'indemnité de précarité, malgré le fait qu'elle ne concerne que les travailleurs temporaires (L 124-29 du code du travail) ou les salariés réglés par chèques emploi services (L 125-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie), elle est prévue au contrat 'pour un montant de 5'% du montant global du contrat soit 193'301 X 6 X 5'% = 57'990 XPF

Sur le caractère vexatoire du licenciement

Il est de jurisprudence constante qu'un licenciement même justifié par une cause réelle et sérieuse ne doit pas être vexatoire et qu'a défaut l'employeur peut être condamné à payer au salarié des dommages-intérêts.

En l'espèce, compte tenu des circonstances particulièrement vexatoires de la rupture anticipée de la relation de travail et des accusations infondées de maltraitance et de violences corporelles alléguées à l'encontre de la requérante, d'un entretien préalable effectué sur le trottoir devant la villa de l'employeur qui comporte un caractère clairement humiliant, cette dernière a incontestablement subi un préjudice moral lequel sera indemnisé à hauteur de 80'000 XPF conformément à la demande.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie

En l'espèce, il serait inéquitable de laisser à la charge de la demanderesse les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés pour la défense de ses intérêts. L'appelant sera condamné à lui verser la somme de 120'000 XPF au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, en dernier ressort et contradictoirement,

CONFIRME que feue [O] [I] est l'employeur de Mme [T] [Z] et que le contrat de travail à durée déterminée en date du 30 septembre 2016 liant les parties est régulier ;

DIT que le licenciement de Mme [T] [Z] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et vexatoire ;

DÉCLARE irrecevables les conclusions déposées par l'appelant à l'endroit de Mme [B]

CONDAMNE M. [M] [H], ès qualités de seul ayant-droit de feue [O] [I], décédée le 15 mars 2018 à régler à Mme [T] [Z] les sommes ci-dessous détaillées :

Six cent quatre-vingt-quinze mille francs et huit cent quatre-vingt-trois centimes (695'883 XPF) qui auraient dû être perçus jusqu'au terme du contrat de travail à durée déterminée ;

Cent quinze mille neuf cent quatre-vingt-un francs (115'981 XPF) au titre des congés payés sur la durée totale du contrat de travail à durée déterminée ;

Cinquante-sept mille neuf cent quatre-vingt-dix francs (57'990 XPF ) au titre de l''indemnité de précarité

Quatre-vingt mille francs (80'000 XPF) à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

CONDAMNE M. [H] à régler à Mme [T] [Z] la somme de cent vingt mille francs (120'000 XPF) au titre de l'article 700 du CPCNC

FIXE à QUATRE (4) unités de valeur le coefficient de base servant au calcul de la rémunération de Maître [D] [R] désignée au titre de l'aide judiciaire (décision BAJ Nouméa du 28 juin 2019)

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00050
Date de la décision : 27/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-27;21.00050 ?
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