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17/04/2023 | FRANCE | N°18/00081

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 17 avril 2023, 18/00081


N° de minute : 31/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 17 avril 2023



Chambre commerciale









Numéro R.G. : N° RG 18/00081 - N° Portalis DBWF-V-B7C-PJO



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Août 2018 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG n° :2017/217)



Saisine de la cour : 19 Septembre 2018





APPELANT



LA SOCIETE NOUMEA SURGELES, prise en la personne de son représentant légal, Siège social : [Adresse 1]

Re

présentée par Me Frédéric DE GRESLAN de la SELARL SOCIETE D'AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA



INTIMÉ



LA SOCIETE FONTERRA, prise en la personne de son représentan...

N° de minute : 31/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 17 avril 2023

Chambre commerciale

Numéro R.G. : N° RG 18/00081 - N° Portalis DBWF-V-B7C-PJO

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Août 2018 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG n° :2017/217)

Saisine de la cour : 19 Septembre 2018

APPELANT

LA SOCIETE NOUMEA SURGELES, prise en la personne de son représentant légal, Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Frédéric DE GRESLAN de la SELARL SOCIETE D'AVOCAT DE GRESLAN-LENTIGNAC, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

LA SOCIETE FONTERRA, prise en la personne de son représentant légal,

Siège social : [Adresse 2] - NOUVELLE-ZELANDE

Représentée par Me Philippe O'CONNOR de la SELARL P.O.C. & ASSOCIÉS, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Marie-Claude XIVECAS.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 3/11/2022 a été prorogé au 17/11/2022, au 24/11/2022 puis au 8 décembre 2022, puis au 15/12/2022, puis au 13/02/2023, puis au 27/02/2023, puis au 13/03/2023, puis au 27/03/2023, puis au 17/04/2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Mme Marie-Claude XIVECAS en remplacement de Monsieur Philippe DORCET, président empêché et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

RAPPEL DE LA PROCÉDURE

La société NOUMÉA SURGELÉS est importatrice grossiste en Nouvelle-Calédonie de produits laitiers originaires de Nouvelle-Zélande, notamment des produits de la marque ANCHOR. Dans ce cadre elle soutient qu'elle entretient des relations d'affaires depuis 1990 avec la société néo-zélandaise FONTERRA.

Par courriel et courrier du 26 février 2015, cette dernière lui a notifié la 'n de leurs relations commerciales à compter du 1er mars 2015.

Invoquant la brutalité de cette rupture et se fondant sur les dispositions article 442-6-6 ème de la loi de pays n° 2014-7 du 14 février 2014, la société NOUMÉA SURGELÉS par requête déposée au greffe le 7 juin 2017 a fait appeler la société FONTERRA devant le Tribunal de ce siège à l'effet de voir, avec exécution provisoire :

-dire qu'elle a rompu sans préavis des relations commerciales établies avec NOUMÉA SURGELÉS.

-condamner en conséquence la société FONTERRA à lui payer la somme de 40.000.000 F.CFP a titre d'indemnité de préavis, outre la somme de 537.000 F.CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Par jugement en date du 31 août 2018, le tribunal mixte de commerce de NOUMEA en présence de la défenderesse qui n'a pas conclu, a :

- Condamné la société de droit néo-zélandais FONTERRA à payer à la S.A.S. NOUMÉA SURGELÉS une indemnité de préavis de rupture (équivalente à 4 mois) d'un montant de 13.500.000 F.CFP ;

- Débouté la société NOUMÉA SURGELÉS du surplus de ses demandes ;

- Ordonné l'exécution provisoire en toutes ses dispositions hors celles qui ont trait aux dépens et frais irrépétibles,

- Condamné la société de droit néo-zélandais FONTERRA à payer à la S.A.S. NOUMÉA SURGELÉS une indemnité de 400.000 F.CPP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête déposé au greffe le 19 septembre 2018, la Société NOUMÉA SURGELÉS a fait appel du jugement .

Par arrêt mixte du 25 mai 2020, la Cour a :

- Rejeté la demande de renvoi présentée par la société NOUMÉA SURGELÉS.

- Rejeté les moyens de procédure soulevés par la société FONTERRA Co-opérative Group Limited ;

- Confirmé le jugement déféré en ce qu'il a considéré qu'il y a eu une rupture brutale des relations commerciales entre les deux sociétés ;

- Infirmé le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau, a :

- Fixé à six mois la durée du préavis qui aurait dû être respecté par la société FONTERRA Co-opérative Group Limited.

Avant dire droit sur l'indemnisation du préjudice, a :

- Ordonné à la société NOUMEA SURGELES de verser aux débats, les bilans comptables des années 2014, 2015 et 2016 faisant apparaître le montant des charges fixes et variables.

- Renvoyé la procédure à la mise en état et a réservé les dépens.

Par écritures en réouverture des débats (conclusions en réplique n°3 du 14/01/2022), la société NOUMEA SURGELES demande à la cour de lui donner acte de ce qu'elle a produit les éléments requis et de lui accorder le bénéfice de ses précédentes écritures . Elle sollicite condamnation de la société FONTERRAk à lui payer la somme de 20 000 000 Fcfp ( vingt millions de francs) ainsi qu'une indemnité de 537 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que la Cour d'appel de Nouméa souhaitait avoir la preuve que la perte du contrat avec la société FONTERRA n'avait pas entraîné une baisse des charges variables. Elle indique donc, produire en réponse, les états financiers du 30/09/2014, 30/09/2015 et 30/09/2016 faisant apparaître le montant des charges fixes et variables . Elle soutient que les arguments développés en défense par la société FONTERRA laquelle exige la production d'une comptabilité analytique ne sont pas pertinents dès lors que la jurisprudence a consacré le principe que pour déterminer le préjudice subi par une société victime d'une rupture brutale des relations commerciales, il suffisait de disposer du chiffre d'affaire et du taux de marge brut ; qu'en l'état, la marge commerciale réalisée sur les produits FONTERRA a été mise en lumière par le commissaire aux comptes et s'établit à 40 millions pour un an de sorte que sa demande de voir la société néo zélandaise condamnée à lui payer la somme de 20 millions à titre d'indemnité de préavis est justifiée.

Dans ses dernières conclusions du 25/02/2022, la société FONTERRA conclut à titre principal au rejet des demandes adverses et sollicite la condamnation de la société NOUMEA SURGELES à lui rembourser les sommes d'ores et déjà payées en exécution du jugement assorti de l'exécution provisoire et ce, avec intérêt au taux légal augmenté de 2 points ;

A titre subsidiaire, elle demande de voir constater que la société NOUMEA SURGELES n'était pas en situation de dépendance économique de la société FONTERRA et qu'elle n'a pas subi de préjudice,

Si la cour retenait malgré tout, l'existence d'un préjudice provenant de la rupture, constater que la société NOUMEA SURGELES ne justifie pas de la marge brute sur coût variable et donc rejeter ses demandes ;

Subsidiairement, dire que la marge sur coût variable est de 50 % de la marge brute et en conséquence, limiter la condamnation, à la somme maxima de 6.500 000 Fcfp et dire la société NOUMEA SURGELES redevable de la somme de 7 000 000 Fcfp par suite de l'exécution du jugement du Tribunal Mixte de Commerce ;

- En tout état de cause, condamner la société NOUMEA SURGELES à lui payer la somme de 500 000 Fcfp sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle rétorque que les états financiers présentés par la société NOUMEA SURGELES ne détaillent pas les charges fixes et variables des produits commercialisés venant de la société FONTERRA ; que l'appelante ne produit aucune étude de son expert comptable qui démontrerait le préjudice réel résultant de la rupture brutale alors que la jurisprudence n'indemnise que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture et non le préjudice résultant de la rupture elle même ; qu'il s'agit ici d'indemniser le préjudice réel découlant de la perte de bénéfice ; qu'en réalité, la société NOUMEA SURGELES n'a pas subi de préjudice ( elle a le même chiffre d'affaire, la même marge globale , elle n'a aucune cession d'immobilisation mais au contraire de nouveaux investissements avec une augmentation des dotations aux amortissements). La société en conclut que de fait, depuis de nombreuses années, la société NOUMEA SURGELES a mis les produits en concurrence et n'a aucune dépendance économique vis à vis de la société FONTERRA de sorte qu'à la rupture du contrat, la société appelante a pu s' approvisionner auprès d'autres sociétés en substituant aux produits FONTERRA des produits équivalents ; du reste, la part du marché FONTERRA n'est que de 4% dans les ventes faites par la société NOUMEA SURGELES.

Vu l'ordonnance de clôture

Vu l'ordonnance de fixation

MOTIFS DE LA DÉCISION

La victime de la rupture brutale peut, sur le fondement des dispositions de l'article 1149 du code civil, réclamer à son cocontractant une indemnisation au titre du gain manqué et de la perte subie.

Ce ne sont pas les conséquences de la rupture elle-même qui doivent être recherchées, mais uniquement celles de la brutalité de celle-ci.

Il convient donc de rechercher le gain manqué correspondant à la marge que la victime de la rupture pouvait escompter tirer de ses relations commerciales avec le responsable pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté.

La cour dans son arrêt du 25/05/2020 a rappelé que le préjudice subi par une société victime d'une rupture brutale de ses relations commerciale doit être calculé en prenant pour base la perte de marge brute minorée, de l'économie éventuelle réalisée sur les charges fixes par la société (chambre commerciale 23/01/2019 - pourvoi n° 17/26870).

La société NOUMEA SURGELES soutient que la perte du contrat litigieux n'a entraîné aucune baisse de ses charges variables prétendant avoir maintenu son activité globale postérieurement à la rupture et qu'il s'en suit que la marge brute dégagée n'a pas à être minorée par une éventuelle diminution des charges variables (frais de commercialisation, frais de personnels) .

Il est admis que le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte non seulement de la durée de la relation commerciale, mais aussi des autres circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture et susceptibles d'influencer le temps nécessaire pour le redéploiement (Com., 9 juillet 2013, 12-20468).

D'autres paramètres peuvent être retenus pour apprécier la durée du préavis à respecter tels que :

* la dépendance économique (entendue non pas comme la notion de droit de la concurrence, mais comme la part de chiffre d'affaires réalisée par la victime avec l'auteur de la rupture), la circonstance que cette situation de dépendance résulte d'un choix volontaire ou que la victime se soit reconvertie après la rupture, ce qui atteste rétrospectivement que la reconversion était possible, pouvant moduler à la baisse la durée du préavis à consentir,

*la difficulté à trouver un autre partenaire sur le marché de rang éuivalent,

* la notoriété du produit échangé, son caractère difficilement substituable,

* les caractéristiques du marché en cause,

* les obstacles à une reconversion, en terme de délais et de coûts d'entrée dans une nouvelle relation,

* l'importance des investissements effectués dédiés à la relation, non encore amortis et non reconvertibles.

Le préjudice s'évalue en comparant la marge qui aurait dû être perçue en l'absence des pratiques délictueuses, pendant le préavis qui aurait dû être octroyé, à la marge effectivement perçue. La référence à retenir est la marge sur coûts variables (fiche n°6), définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée, sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées par elle du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture

En l'espèce, invitée à produire les éléments comptables permettant à la cour de distinguer le taux des charges fixes et variables au cours des exercices postérieurs à la rupture, la société NOUMEA SURGELES a produit, mais sans aucune analyse les accompagnant, les états financiers pour les exercices 2014/2015 et 2016 ;

Toutefois, les états financiers de 2014, 15 et 16 montrent que les frais et charges fixes de la société NOUMEA SURGELES n'ont pas enregistré d'évolution notable à la suite de la rupture de sorte qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'une éventuelle minoration de la marge brute par la baisse des frais variables.

La cour constate comme l'a fait la société FONTERRA que le chiffre d'affaire de la société NOUMEA SURGELES s'est maintenu dans les années postérieures à la rupture et qu'il s'est établi comme suit ;

* exercice 2015 ( du 15/09/2014 au 15/09/2015 ) : 3. 116. 028 232 FCFP

* exercice 2016 ( du 15/09/2014 au 15/09/2015 ) : 3. 2 62. 805. 324 FcFP ,

étant précisé que le chiffre d'affaire global ( vente de tous produits confondus) était pour l'exercice 2014 de 3. 193.205. 586 Fp dont 129 056 642 Fcfp provenant des seules relations avec le fournisseur FONTERRA sachant que la rupture est intervenue au 01/03/2015.

Néanmoins, la reconversion effective de la victime, intervenue après la rupture, ne peut venir modérer l'évaluation de ce gain manqué,

En l'espèce, la société NOUMEA SURGELES produit la marge commerciale globale (tous produits confondus) qui s'établit comme suit :

- 2013 : 23,9 %

- 2014: 25%

- 2015: 24,2%

- 2016: 24,8 %

Il ressort, par ailleurs, de l'attestation établie le 19/05/2017 par le commissaire aux comptes de la société NOUMEA SURGELES, attestation relative aux seuls achats faits auprès de la société FONTERRA., et établie selon les avertissements donnés par son rédacteur, 'en l'état des éléments fournis par l'entreprise en ce que son étude ne peut s'assimiler à un audit' que le chiffre d'affaire et la marge commerciale y afférente, liés à la vente des produits FONTERRA pour les années antérieures à la rupture s'établissaient comme suit :

CA de 2012 : 211. 003 .253 Fcfp ;

CA de 2013 : 177. 208. 329 Fcfp ;

CA de 2014: 129.056.642 Fcfp , avec une marge commerciale correspondante de :

- 42. 988 .018 Fcfp ( 2012) ;

- 47. 203. 957 Fcfp ( 2013)

- 31. 008. 319 Fcfp (en 2014) ;

En 2015 ( année de rupture), le listing des produits vendus provenant de la société FONTERRA portant récapitulatif de la quantité vendue ( QV) du prix de vente ( PV) du prix de revient ( PR) montre que le CA s'est effondré à 53 893 557 Fcfp avec une marge commerciale de 12 279 837 Fcfp soit une perte de plus de 50 % par rapport à l'année précédente.

Considérant d'une part que pour l'exercice 2014 la marge s'est élevée à la somme de 31 0008 319 Fcfp (sur 12 mois ) et qu'elle était donc de 15 504 159 Fcfp sur 6 mois, considérant d'autre part que les relations commerciales entre les deux partenaires étaient en baisse constante depuis 2012 et que la part de marché de FONTERRA au sein de la société NOUMEA SURGELES ne représentait que 5 % de son chiffre d'affaire total, il y a lieu d'allouer à la société NOUMEA SURGELES la somme de 15 504 159 Fcfp à titre de dommages et intérêts pour non respect d'un préavis de 6 mois

Sur l'article 700 du cpc

Il n'est pas inéquitable de débouter la société NOUMEA SURGELES de sa demande en cause d'appel présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Sur les dépens

La société FONTERRA succombant supportera les dépens de la présente procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

Condamne la société de droit néo-zélandais FONTERRA Co-opérative Group Limited à payer à la société NOUMEA SURGELES la somme de 15. 504.159 Fcfp à titre de préavis de rupture ;

Y ajoutant,

Déboute la société NOUMEA SURGELES de sa demande présentée en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société de droit néo-zélandais FONTERRA aux dépens de la présente instance.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 18/00081
Date de la décision : 17/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-17;18.00081 ?
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