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13/04/2023 | FRANCE | N°21/00218

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 13 avril 2023, 21/00218


N° de minute : 65/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 13 avril 2023



Chambre civile









Numéro R.G. : N° RG 21/00218 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SFE



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 mai 2021 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :19/2893)



Saisine de la cour : 15 juillet 2021





APPELANT



Mme [F] [M]

née le 8 mars 1986 à [Localité 6],

demeurant lot 72 [Adresse 7]

Représentée par Me

Nicolas MILLION, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉS



Mme [R] [Y]

née le 25 juillet 1949 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 7]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AV...

N° de minute : 65/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 13 avril 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 21/00218 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SFE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 mai 2021 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :19/2893)

Saisine de la cour : 15 juillet 2021

APPELANT

Mme [F] [M]

née le 8 mars 1986 à [Localité 6],

demeurant lot 72 [Adresse 7]

Représentée par Me Nicolas MILLION, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

Mme [R] [Y]

née le 25 juillet 1949 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 7]

Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

M. [W] [Y]

né le 20 décembre 1940 à [Localité 3],

demeurant [Adresse 7]

Représenté par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Suivant acte notarié en date du 14 novembre 1980, M. [W] et Mme [Y] ont fait l'acquisition d'un terrain sis à [Localité 3], 21ème kilomètre, formant le lot 3C.

Par acte notarié en date du 16 décembre 2016, Mme [M] a acquis le lot 72 (anciennement 3B), propriété voisine de celle des consorts [Y].

Exposant que ces derniers passent sur son terrain en l'absence de servitude, Mme [F] [M] a, par acte en date du 16 janvier 2018, saisi le juge des référés demandant qu'il leur fût fait interdiction de passer sur sa propriété.

Par ordonnance en date du 25 avril 2018, le juge des référés a notamment ordonné une expertise.

L'expert, M. [U], a déposé son rapport le 14 octobre 2018.

Par requête enregistrée au greffe de la juridiction le 4 septembre 2019, préalablement signifiée le 27 août 2019, M. et Mme [Y] ont saisi le tribunal de première instance de Nouméa aux fins de voir dire que le lot appartenant à Mme [M] est le fonds servant d'une servitude publique légale à leur profit permettant d'accéder au lot dont ils sont propriétaires, que cette servitude doit rester libre et entretenue, et que la fermeture de la servitude devra consister en un portail sur charnière exempte de cadenas. Il sollicitaient également la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 500.000 francs pacifique à titre de dommages et intérêts en raison du blocage de la servitude, celle de 160.000 francs pacifique au titre des frais irrépétibles de la procédure de référé, ainsi qu'à celle de 250.000 francs pacifique en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par jugement dont appel en date du 31 mai 2021, le tribunal de première instance de Nouméa a :

- reconnu l'existence de la servitude de passage sur le lot 72 au bénéfice du lot 3B, telle que relevée par l'expert judiciaire (noté par erreur 3B s'agissant en réalité du lot 3C),

- évalué l'indemnité proportionnée au dommage occasionné par la servitude à la somme de 300.000 francs pacifique,

- condamné in solidum M. et Mme [Y] à payer à Mme [M] cette somme de 300.000 francs pacifique à titre d'indemnité,

- dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la décision,

- rejeté le surplus des demandes,

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que chaque partie supportera la charge de ses dépens.

PROCÉDURE D'APPEL

Mme [M] a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe de la cour le 15 juillet 2021.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 juillet 2022, auxquelles il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, elle demande à la cour de :

- dire l'appel recevable et bien fondé,

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

- débouter les époux [Y] de leurs entières demandes, notamment relatives à une demande d'homologation du rapport d'expertise de M. [U], la reconnaissance de l'existence d'une servitude traversant le lot 72 propriété de Mme [M], à la pose d'un portail, à des dommages et intérêts, aux frais irrépétibles de référé et au fond,

- dire et juger que M. et Mme [Y] ne disposent d'aucun droit de passage sur la propriété de Mme [M],

- débouter les époux [Y] de l'ensemble de leurs demandes,

reconventionnellement,

- faire interdiction à M. et Mme [Y] ainsi qu'à tous occupants de leur chef de faire usage de la voie traversant le lot 72 propriété de Mme [M], selon le tracé figurant sur les plans annexés au rapport d'expertise de M. [U], dès signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'une astreinte de 100.000 francs par infraction constatée,

- condamner les époux [Y], si une servitude légale était reconnue à leur profit sur le chemin litigieux, à payer à Mme [M] une indemnité de 2.000.000 francs pacifique sur le fondement de l'article 682 du Code civil,

- condamner M. et Mme [Y] à payer à Mme [M] la somme de 400.000 francs pacifique au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl Milliard-Million.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, M. et Mme [Y] demandent à la cour de :

- débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes,

- dire et juger que le fonds 3B devenu lot 72, appartenant à Mme [M], est le fonds servant d'une servitude publique légale au profit de M. et Mme [Y] leur permettant d'accéder au lot 3C dont ils sont propriétaires,

- dire et juger que la servitude doit rester libre et entretenue,

- dire et juger que la fermeture de la servitude par un portail afin d'assurer la sécurité des animaux devra consister en un portail sur charnière correspondant aux usages habituels et non en une barrière de sécurité inadaptée à un usage permanent et notamment à l'ouverture ou la fermeture par tout usager,

- condamner Mme [M] à payer la somme de 500.000 francs pacifique de dommages et intérêts à M. et Mme [Y] en raison du blocage intempestif de la servitude par ses soins, mais également en raison de la mise en place depuis plus d'une année d'une barrière inadaptée aux usages,

- condamner Mme [M] au paiement de la somme de 160.000 francs pacifique au titre de la procédure de référé, ce en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie,

à titre subsidiaire, si le principe de la servitude conventionnelle n'était pas admis par la Cour,

- dire et juger que le défaut de reconnaissance d'une servitude conventionnelle au profit de M. et Mme [Y] a pour effet de rendre le lot 3C enclavé,

en conséquence,

- dire et juger que la situation d'enclavement du lot 3C a pour conséquence de justifier qu'il soit fait droit à la demande de servitude légale de M. et Mme [Y],

- dire et juger que le trajet de la servitude du fonds servant au profit de M. et Mme [Y] sera défini en conformité avec les conclusions de l'expert judiciaire,

- condamner Mme [M] au paiement de la somme de 500.000 francs pacifique au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, ce en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, outre les entiers dépens dont distraction au profit de la selarl Juriscal.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour est saisie de l'appel principal de Mme [M] qui conteste en premier lieu la décision des premiers juges ayant admis l'existence d'une servitude de passage grevant son fonds au bénéfice du fonds de M. et Mme [Y].

Elle forme à titre reconventionnel une demande tendant à leur interdire ce passage sous astreinte, et subsidiairement une demande en paiement d'une indemnité si la cour devait consacrer l'existence de la servitude.

Les époux [Y] forment appel incident, en contestant leur condamnation au paiement d'une indemnité de 300 000 francs pacifique et le rejet de leur demande reconventionnelle relative au portail et à l'indemnisation de leur préjudice découlant du blocage du passage pendant quelques jours.

I. Sur l'existence de la servitude

Le tribunal a considéré qu'il existait bien une servitude de passage au profit du fonds de M. et Mme [Y] (parcelle [Cadastre 1]C) au détriment de la parcelle de Mme [M] (lot 72 - anciennement 3 B). Les premiers juges ont estimé que la servitude était consacrée par les actes notariés passés entre les propriétaires successifs du fonds, cadastré [Cadastre 1]B, et que son existence était également mentionnée dans le titre de propriété de Mme [C] divorcée [M], mère de l'appelante, de laquelle cette dernière tient ses droits. Le tribunal a précisé que cette servitude lui était opposable dès lors qu'elle était mentionnée au registre de la publicité foncière.

Mme [M] soutient que son titre de propriété ne porte aucune mention de la servitude. Elle fait valoir par ailleurs, que contrairement à ce que soutiennent M. et Mme [Y], le droit de passage qu'ils revendiquent en le qualifiant de 'servitude légale de passage' ne peut constituer une servitude légale d'utilité publique, dès lors qu'elle ne sert que des intérêts privés. Elle fait valoir que si le passage a pour objet l'utilité des particuliers, il s'agit d'une servitude légale de passage qui est en due en application de l'article 682 du Code civil par certains propriétaires à d'autres propriétaires dont les fonds sont enclavés. Elle fait valoir que, dans cette hypothèse, la création ou l'existence de la servitude au profit du fonds dominant ne peut trouver son fondement que dans le titre du fonds servant, qui en l'espèce, n'en porte aucune mention, et soutient que l'indication d'un passage sur des actes antérieurs de 1993 et 1995, faisant référence à un certificat d'urbanisme ne peut être considérée comme constitutive d'une servitude conventionnelle de passage sur le lot 72 (anciennement 3B). Enfin, elle précise qu'en vertu de l'article 695 du code civil, le titre constitutif de la servitude, à l'égard de celles qui ne peuvent s'acquérir par la prescription, ne peut être remplacé que par un titre récognitif de la servitude et émaner du propriétaire du fonds asservi. Un tel titre n'existe nullement en l'espèce.

Par ailleurs, Mme [M] souligne l'irrecevabilité de la demande nouvelle des époux [Y] qui entendent désormais se prévaloir de l'acquisition de la servitude par prescription. Elle prétend encore, qu'en tout état de cause, cette demande ne saurait aboutir sur le fondement de l'article 691 du code civil , en s'appuyant sur une jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les propriétaires d'un fonds bénéficiant d'une servitude conventionnelle de passage ne peuvent prétendre avoir prescrit par une possession trentenaire une assiette différente de celle originairement convenue. Enfin, elle affirme que les époux [Y] n'ont utilisé le chemin qu'à compter de 1993 puisque, auparavant, leur propriété était desservie par le chemin rural public CR4 qui a été déclassé avant d'être déplacé en 1993. Mme [M] ajoute que les époux [Y] disposent en tout état de cause d'un droit de passage traversant deux autres lots n° 154 et 156, droit de passage mentionné dans leur acte d'acquisition, de sorte que leur parcelle ne peut être considérée comme enclavée même s'ils ne l'ont jamais utilisé par convenance purement personnelle. Elle demande en conséquence à la cour d'infirmer le jugement dont appel, de débouter les époux [Y] de leurs demandes, et reconventionnellement de leur faire interdiction, ainsi qu'à tous occupants de leur chef, de passer sur le lot 72 selon le tracé figurant sur les plans de l'expert [U] sous peine d'une astreinte de 100 000 francs pacifique par infraction constatée dès le prononcé de l'arrêt à intervenir.

De leur côté, les époux [Y] demandent à la cour de confirmer l'analyse des premiers juges qui ont reconnu l'existence d'une servitude au profit de leur fonds. Ils rappellent que depuis qu'ils sont propriétaires de leur parcelle, c'est à dire depuis le 17 décembre 1980, ils ont toujours bénéficié d'un droit de passage sur le fonds voisin, devenu lot 72, sans que cela ne pose aucun problème aux propriétaires successifs de cette parcelle jusqu'au 16 janvier 2018, date à laquelle Mme [M] a soulevé une contestation.

Ils expliquent que, à l'origine les deux propriétés étaient desservies par le nord, par un chemin rural , le CR 4, qui traversait nécessairement le lot 3B devenu le lot 72 pour atteindre leur propre lot 3C. Ils exposent cependant que le tracé initial du passage était plus court mais de fait impraticable en raison d'une très forte pente de plus de 33 %.

Ils rappellent, en s'appuyant sur les travaux de l'expert, que la servitude, telle que décrite dans l'acte d'acquisition des époux [Y], en 1980, n'était pas praticable compte tenu de cette pente, et que depuis lors ils bénéficient d' un passage sur le lot 72 (anciennement 3 B), dont il a bien été fait mention dans les actes de vente successifs de la parcelle et ce jusqu'à la vente du 14 avril 1995 intervenue au profit de M. [M] et de Mme [C], parents de la partie appelante.

Ils se prévalent ainsi en premier lieu de l'acquisition de la servitude dans son tracé actuel par prescription en soutenant qu'ils ont toujours utilisé, dès leur acquisition en 1980, un passage dont le tracé n'a jamais été celui qui était prévu dans l'acte dans la mesure où il était impraticable.

M. et Mme [Y] affirment que leur voisine ne saurait utilement se prévaloir du fait que son propre titre de propriété, rédigé par Me [S], ne porte aucune mention de la servitude dont souffre son fonds pour démontrer son inexistence, alors que tous les actes antérieurs en rappellent expressément l'existence et qu'elle connaissait parfaitement ces contraintes, s'agissant d'un bien qu'elle tient de ses parents.

Enfin, les époux [Y] font valoir que si la cour accueille la contestation de Mme [M] , elle devrait alors, pour mettre fin à l'enclave de leur propriété, consacrer une telle servitude dont il lui appartiendrait de déterminer l'assiette après avoir le cas échéant ordonné un complément d'expertise.

La cour rappelle à titre liminaire que le droit de passage litigieux est une servitude établie par la loi, qui obéit au régime juridique énoncé aux articles 649 à 686 du Code civil ce qui n'exclut pas le fait qu'elle ait pour objet de répondre à l'utilité des particuliers. Il convient en effet d'observer qu'elle résulte de la modification du tracé du chemin rural n° 4, intervenue en 1993. Elle s'imposait pour permettre aux propriétaires du lot 3C d'accéder à la voie publique, étant observé que ce changement ne leur permettait plus, en tout état de cause, de faire usage du passage décrit dans l'acte de vente du décembre 1980, lequel n'avait au demeurant, selon les constatations de l'expert, jamais été utilisé pour des raisons de sécurité, le terrain présentant une dénivellation trop importante.

Il en découle l'existence concomitante d'une servitude conventionnelle antérieure (datant de 1980), consacrant un droit de passage sur un tracé jamais pratiqué, et extérieur au lot 72, et la servitude légale rappelée par les certificats d'urbanismes délivrés en 1993 et 1195, pesant sur le lot de Mme [M], matérialisée par un chemin aménagé par les services municipaux eux-mêmes en 1993.

Son existence résulte de manière incontestable du titre de propriété résultant de l'acte de vente établi le 23 décembre 1993 par Me [G], notaire à [Localité 6], au terme duquel M. [V] a vendu à M. [P] et à Mme [X] [I] la parcelle de terre formant le lot 3B (devenu 72). Il est spécifié aux pages 2 et 3 de l'acte qu'il résulte du certificat d'urbanisme (délivré par la direction de l'équipement de la province Sud), annexé à l'acte, qu'indépendamment des clauses de droit privé auxquelles il peut être assujetti le terrain est « soumis aux servitudes publiques ci après :

- accès par CR4 en cours de classement,

- servitude d'accès au lot 3C. »

M. [P] et Mme [I] ont reconnu avoir pris connaissance de l'intégralité des dispositions de ce certificat et étaient ainsi parfaitement informés de la servitude grevant le fonds qu'ils venaient d'acquérir au bénéfice du fonds voisin, 3C.

La servitude se trouve également rappelée dans l'acte de vente suivant, établi par le même notaire le 14 avril 1995, au terme duquel le terrain a été cédé par M. [P] et Mme [I] à M. [M] et à Mme [C]. L'acte reprend mot pour mot les mentions relatives au droit de passage de l'acte précédent, telles que figurant aussi dans le certificat d'urbanisme, lequel est aussi joint à l'acte ainsi que le courrier accompagnant la délivrance de ce certificat, remis par les services municipaux de [Localité 3] et faisant explicitement rappel de l'existence de la servitude au profit du lot 3C.

Il n'est pas contesté que cette servitude n'a pas été mentionnée dans l'acte portant liquidation de la communauté de biens ayant existé entre Mme [C] et M. [M] et il ressort de l'examen du titre suivant établi par Me [S], notaire à [Localité 4], portant cession de la parcelle [Cadastre 1]C par Mme [C] à sa fille que les seules servitudes signalées, en page 9 de l'acte, sont celles dont bénéficie la parcelle acquise et nullement celle dont elle souffre au détriment de la parcelle voisine, 3C propriété des consorts [Y] depuis 1980.

Pour autant, cette seule omission purement matérielle est sans effet sur le fond du droit dès lors qu'il ressort des pièces versées aux débats que les actes antérieurs de propriété du 23 décembre 1993 et du 14 avril 1995 ont été régulièrement retranscrits au service de la conservation des hypothèques, cette publicité assurant à chacun la possibilité de vérifier les droits réels grevant les biens immobiliers dont l'acquisition est envisagée.

La cour observe qu'en outre Mme [M] ne saurait utilement opposer cette omission à M. et Mme [Y], alors qu'elle avait nécessairement connaissance de la servitude grevant la parcelle [Cadastre 2] qui était un bien dépendant de la communauté ayant existé entre ses parents depuis 1995, et qu'elle avait en conséquence, depuis son enfance, toujours vu M. et Mme [Y] traverser la parcelle pour accéder à la leur.

Enfin, la cour retient que le moyen tiré de l'existence d'une servitude consacrée par le titre d'acquisition de M. et Mme [Y], daté du 14 novembre 1980 et pesant sur d'autres parcelles voisines est inopérant. D'une part, l'expert précise que le tracé de ce passage sur les lots devenus 154 et 156 n'était pas praticable (car dangereux au regard de la dénivellation trop importante du terrain) et d'autre part qu'il n'a jamais, pour cette raison, été utilisé par les propriétaires du lot 3C qui ont toujours emprunté d'autres voies de passage, et depuis 1993 au moins, traversé le lot 72 selon un chemin réalisé et aménagé par la mairie elle-même au moment de la modification du tracé de chemin rural n° 4.

Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer la décision du tribunal ayant reconnu l'existence de la servitude de passage sur le lot 72 au bénéfice du lot 3B. La décision entreprise sera également confirmée en ce qu'elle a débouté M. et Mme [Y] de leur demande tendant à voir imposer à Mme [M] la pose d'un modèle particulier de portail fixé sur des charnières, aucune disposition légale ne pouvant justifier cette injonction. En effet, l'existence du droit de passage ne prive pas le propriétaire du fonds servant du son droit de se clore, selon des modalités qu'il reste libre de déterminer pourvu qu'elles n'entravent pas le libre accès des propriétaires du fonds dominant.

II. Sur l'indemnité

Le tribunal a condamné M. et Mme [Y] à verser à Mme [M] une somme de 300 000 francs pacifique correspondant au préjudice par elle subi du fait de la servitude sur le fondement de l'article 1153-1 du Code civil.

Mme [M] demande à la cour, dans la mesure où elle reconnaîtrait l'état d'enclave et lui imposerait une servitude selon le tracé correspondant à celui que les époux [Y] utilisent actuellement, de fixer le montant de cette indemnité à la somme de 2 000 000 francs pacifique. Elle précise que cette indemnité est due puisque la servitude initialement prévue à la convention initiale de 1980 de la concernait pas.

M. et Mme [Y] demandent à la cour de débouter Mme [M] de ce chef. Ils précisent que le principe de l'usage d'une servitude au profit de leur fonds a été admis au terme de l'acte d'acquisition du 14 novembre 1980, sans qu'aucune indemnité n'ait été mise à leur charge, ni envisagée. Ils ajoutent que le principe et le tracé de la servitude ont été réitérés dans les actes du 29 décembre 1993 et du 14 avril 1995, qui n'ont pas prévu non plus la moindre indemnité à leur charge. Il n'existe selon eux aucun fondement juridique à une demande formée de ce chef près de quarante ans plus tard. M. et Mme [Y] reconnaissent que l'existence d'une servitude apporte une moins-value à l'immeuble grevé mais font valoir que cet élément, à savoir cette moins-value potentielle, doit être négocié entre les parties au moment de la vente du bien immobilier. Enfin, ils se prévalent d'une jurisprudence émanant de la troisième chambre civile de la Cour de cassation de laquelle il ressort que l'action en indemnisation reconnue au propriétaire du fonds asservi s'éteint par trente ans d'usage gratuit.

Selon l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale, soit pour la réalisation d'opération de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.

La cour considère ainsi que cela a été ci-dessus énoncé, que la servitude grevant le fonds, propriété actuelle de Mme [M], est une servitude légale de passage résultant de la modification du tracé du chemin rural C4 en 1993. Elle est en conséquence soumise aux dispositions précitées de l'article 682 du code civil qui n'envisagent l'indemnisation du propriétaire du fonds servant à raison du dommage causé par la servitude que dans le cadre de l'action engagée par le propriétaire du fonds dominant en vue d'instituer la servitude, ou à titre principal par le propriétaire du fonds servant dont le fonds souffre de la servitude légale mise en oeuvre auparavant, pourvu que son action en indemnité soit engagée dans le délai de cinq ans sauf à être frappée de prescription de droit commun applicable aux actions mobilières et personnelles.

Au cas d'espèce, force est de constater que la servitude légale de passage est ancienne, pour remonter à une trentaine d'années, soit à une époque où ni Mme [M], ni même ses parents, n'étaient propriétaires de la parcelle. Il en découle qu'elle ne peut plus prétendre à la moindre indemnisation de ce chef, son action en paiement étant frappée de prescription.

Le jugement frappé d'appel sera en conséquence infirmé de ce chef.

III. Sur les demandes reconventionnelles des époux [Y]

Le tribunal de première instance a débouté M. et Mme [Y] de leur demande reconventionnelle tendant à la condamnation de leur voisine au paiement d'une somme de 500 000 francs pacifique, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, selon eux, en raison du blocage du chemin de passage par leur voisine pendant quatre jours et du fait de l'installation d'une barrière qu'ils estiment inadaptée. Le tribunal a considéré qu'ils n'établissaient pas la réalité du préjudice invoqué.

Devant la cour, ils réitèrent cette demande, en rappelant qu'ils ont bénéficié depuis plus de trente cinq ans, d'une servitude sur le terrain de leurs voisins, en vertu de leur titre de propriété. Ce faisant, ils considèrent que Mme [M], en installant une barrière maintenue en place par des chaînes pour empêcher leur passage, a commis une voie de fait en entravant l'exercice de leur droit, et ce pendant plusieurs jours consécutifs, jusqu'à ce que leur fils, intervienne.

Mme [M] demande à la cour de confirmer le rejet de cette demande. Elle souligne d'une part n'avoir eu aucun comportement fautif, dès lors que M. et Mme [Y] ne disposaient en réalité d'aucun droit de passage, et observe qu'elle a fait preuve de beaucoup de compréhension en leur laissant l'accès libre dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise, alors même que la juridiction des référés avait fait interdiction sous astreinte à ses voisins d'utiliser le passage litigieux.

La cour observe que Mme [M] ne conteste pas avoir mis en place un dispositif ayant empêché aux époux [Y] l'usage normal du passage, en y installant une barrière de sécurité, une chaîne et un cadenas, ce qui est au demeurant bien visible sur les photographies produites par les intimés. Elle prétend avoir au contraire été victime de la dégradation volontaire de ce qu'elle qualifie 'de portail' ainsi que cela ressort de la plainte qu'elle a déposée auprès des services de gendarmerie le 13 avril 2017.

Au regard des motifs ci-dessus exposés, il est avéré qu'elle a ainsi agi en violation de la servitude de passage de ses voisins, qui pouvaient légitimement y prétendre et qui empruntaient ce chemin depuis plusieurs dizaines d'années.

Il ressort des pièces versées aux débats que ce blocage a perduré du début du mois d'avril 2017 (expiration du délai accordé par Mme [M] à ses voisins pour justifier de leur droit de passage) au 13 avril 2017, correspondant à la date à laquelle elle a déposé plainte pour signaler la dégradation du dispositif bloquant le passage, étant observé qu'elle a par la suite , laissé le passage libre dans l'attente de l'issue de la procédure. Le préjudice souffert par M. et Mme [Y] du fait de cette situation sera compensé par l'allocation d'une indemnité de 100 000 francs pacifique.

Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.

IV. Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

Mme [M], qui succombe majoritairement devant la cour, sera condamnée à verser à M. et Mme [Y] une indemnité de 200 000 francs pacifique, au titre des frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer pour assurer la représentation de leurs intérêts devant la cour.

V. Sur les dépens

Pour les mêmes raisons, Mme [M] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 31 mai 2021 par le tribunal de première instance de Nouméa en ce qu'il a reconnu l'existence d'une servitude de passage sur le lot 72 au bénéfice du lot 3C (et non 3B ainsi que cela est indiqué par erreur au dispositif de la décision critiquée) ;

Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a évalué l'indemnité proportionnée au dommage occasionné par la servitude à la somme de 300 000 francs pacifique et condamné in solidum M. [Y] et Mme [Y] à payer cette somme à Mme [M] avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;

Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. et [Y] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Et, statuant à nouveau,

Déboute Mme [M] de ses demandes reconventionnelles tendant à la condamnation de M. et Mme [Y] au paiement d'une indemnité en réparation du dommage causé par la servitude ;

Condamne Mme [M] à verser à M. et Mme [Y] une indemnité de 100 000 francs pacifique en réparation du préjudice résultant du blocage du passage pendant quelques jours, au début du mois d'avril 2017 ;

Y ajoutant,

Condamne Mme [M] à verser à M. et Mme [Y] la somme de 200 000 francs pacifique sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/00218
Date de la décision : 13/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-13;21.00218 ?
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