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03/04/2023 | FRANCE | N°22/00101

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 03 avril 2023, 22/00101


N° de minute : 58/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 3 avril 2023



Chambre civile









Numéro R.G. : N° RG 22/00101 - N° Portalis DBWF-V-B7G-S7H



Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 24 juin 2019 par le juge de la mise en état du tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :2018/3347)

Saisine après cassation par arrêt du 9 décembre 2021



Saisine de la cour : 7 avril 2022



APPELANT



SA [1], prise en la personne de son

représentant légal

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Céline DI LUCCIO, membre de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA



INT...

N° de minute : 58/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 3 avril 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 22/00101 - N° Portalis DBWF-V-B7G-S7H

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 24 juin 2019 par le juge de la mise en état du tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :2018/3347)

Saisine après cassation par arrêt du 9 décembre 2021

Saisine de la cour : 7 avril 2022

APPELANT

SA [1], prise en la personne de son représentant légal

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Céline DI LUCCIO, membre de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [M] [D]

né le 19 février 1992 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 5]

Représenté par Me Marie-Katell KAIGRE, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François BILLON.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE ANTERIEURE

Le 24 mars 2015, au cours d'un chantier de rénovation de toiture d'un dock appartenant à la société SCI [6] D dans lequel la société [1] exploitait une activité de garage, M. [M] [D], âgé de 22 ans, employé par la société [3], a été victime d'un accident du travail qui l'a rendu paraplégique et handicapé à 80 %.

M. [D], par requête introductive d'instance signifiée le 19 octobre 2018 à la société [1] et déposée le 25 octobre 2018, a demandé la condamnation de la société [1] au paiement de la somme totale de 94 670 349 F CFP décomposée comme suit :

1 500 000 F CFP au titre de la perte de chance,

289 061 F CFP au titre de l'adaptation du logement,

1 231 288 F CFP au titre du déficit fonctionnel temporaire,

43 650 000 F CFP au titre du déficit fonctionnel permanent,

10 000 000 F CFP au titre des souffrances endurées,

2 000 000 F CFP au titre du préjudice esthétique temporaire,

7 000 000 F CFP au titre du préjudice esthétique permanent,

7 000 000 F CFP au titre du préjudice d'agrément,

7 000 000 F CFP au titre du préjudice sexuel,

12 000 000 F CFP au titre du préjudice d'établissement,

4 000 000 F CFP au titre du préjudice exceptionnel.

Il a également sollicité l'organisation d'une expertise par un neurologue, le tout avec exécution provisoire, et la condamnation de la société défenderesse à lui payer la somme de 250 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile avec distraction des dépens au profit son avocate.

A l'appui de sa demande, il a produit notamment un jugement du tribunal du travail daté du 23 mai 2017 qui avait condamné la société [3] pour faute inexcusable au paiement d'une provision de 10 000 000 F CFP, ordonné une expertise médicale et l'avait condamnée au paiement de la somme de 2 000 000 F CFP à titre de provision sur les frais irrépétibles.

La CAFAT a exposé avoir payé la somme de 31 403 189 F CFP pour le compte de son assuré et a réclamé la condamnation de la société [1] au paiement de cette somme outre celle de 100 000 F CFP au titre de ses frais irrépétibles.

' Par ordonnance du 24 juin 2019, le juge de la mise en état du tribunal de première instance de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :

Déclare la juridiction civile compétente ;

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou complémentaires,

Renvoie les parties à l'audience du jeudi 05 septembre 2019 à 08H00,

Invite la SA [1] à déposer ses conclusions au fond au plus tard le lundi 02 septembre 2019 à 16 H00 ou par RPVA le mardi 03 septembre 2019 à minuit.

Laisse à chaque partie la charge de ses frais et dépens.

' Par arrêt du 18 décembre 2019, la cour d'appel de Nouméa a déclaré irrecevable, faute d'intérêt à agir, l'action de la victime en réparation de son préjudice formée devant le tribunal de première instance envers un tiers au contrat de travail, en retenant que la condition tenant à la justification de l'absence de réparation de l'entier préjudice en application du décret n° 57-245 du 24 février 1957 n'était pas remplie, le tribunal du travail saisi n'ayant pas vidé sa saisine quant à la réparation du préjudice au titre de l'accident de travail né du contrat de travail avec l'employeur.

' Par arrêt du 9 décembre 2021, la Cour de cassation, sur le pourvoi de M. [D], a cassé cette décision en relevant qu'en statuant ainsi, alors que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action et que l'existence du préjudice invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès, la cour d'appel a violé le texte susvisé (article 31 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie).

PROCÉDURE D'APPEL

La Cour de cassation ayant remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt de la cour d'appel de Nouméa du 18 décembre 2019, les a renvoyées devant la même cour d'appel autrement composée.

Par déclaration enregistrée le 7 avril 2022 valant mémoire ampliatif, la société [1] a saisi la cour d'appel de Nouméa afin que soit examiné à nouveau ce dossier.

La société [1], par ses conclusions récapitulatives enregistrées au RPVA le 14 février 2023, fait valoir pour l'essentiel :

- que le litige ne porte pas sur l'intérêt à agir mais sur la compétence du tribunal civil s'agissant d'un accident du travail ;

- que les tribunaux civils de droit commun ne peuvent être compétents pour connaître de l'action en responsabilité formée par la victime d'un accident du travail, que dans l'hypothèse où le responsable de l'accident n'est pas l'employeur conformément aux dispositions de l'article 36 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 relatif à la réparation et à la prévention des accidents du travail dans les territoires d'outre-mer, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; qu'ainsi, par jugement du 30 juillet 2019, devenu définitif, le tribunal correctionnel de Nouméa a relaxé la société [1] des fins de la poursuite en indiquant que la société [1] n'avait commis aucune faute ayant contribué directement ou indirectement à la réalisation du dommage subi par M. [D] ; qu'enfin, par jugement du 23 mai 2017, le tribunal du travail a conclu à la faute inexcusable de la société [3], employeur de M. [D], ce jugement désormais définitif ayant exclu toute autre responsabilité civile ; qu'il s'agit en l'occurrence d'une responsabilité pleine et entière de l'employeur ;

- que la victime n'est plus recevable à agir contre le tiers étranger à l'entreprise pour solliciter la même indemnisation que celle déjà sollicitée devant le tribunal du travail ; que le tribunal civil perd en effet sa compétence dès lors que le tribunal du travail a été saisi en premier pour statuer sur les mêmes demandes indemnitaires ; qu'il sera rappelé que M. [D] a présenté strictement les mêmes demandes indemnitaires et que le tribunal du travail l'ayant débouté de certaines demandes, cette décision a autorité de la chose jugée ;

- que si M. [D] plaide l'absence d'identité des fautes civiles et pénales, force est de constater que le tribunal correctionnel a été appelé à statuer à la fois sur l'action publique (et donc sur la faute pénale) mais également sur l'action civile ; qu'il s'en suit que M.[D] n'est plus recevable à saisir la juridiction civile et que, dans ces conditions, il est sollicité de voir réformer l'ordonnance rendue le 24 juin 2019 par le tribunal civil se déclarant compétent.

' En conséquence, la société [1] demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

Déclarer recevable l'appel de la société [1] ;

Vu les article 36 et 37 du décret 57-245 du 24 février 1957 relatif à la réparation et la prévention des accidents du travail dans les territoires d'Outre-Mer,

Vu la compétence exclusive du tribunal du travail en matière d'accident du travail,

Vu le jugement du tribunal du travail du 23 mai 2017 reconnaissant la faute inexcusable de l'employeur,

Réformer l'ordonnance rendue le 24 Juin 2019 par le juge de la mise en état statuant sur la compétence du tribunal civil,

Dire le tribunal civil non compétent pour statuer sur la demande d'indemnisation de M. [D] au titre de son accident du travail,

Condamner M. [D] à payer à la société [1] la somme de 350 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit du cabinet BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN.

M. [D], par conclusions responsives enregistrées au greffe le 8 février 2023, fait valoir, pour l'essentiel :

- que la société [1] doit être considérée comme un tiers au contrat de travail existant entre la société [3] et M. [D], de nature à rendre compétent le tribunal civil de première instance de Nouméa ; que bien qu'il ait bénéficié d'une indemnisation avant aggravation pour son accident du travail, M. [D] rencontre encore de nombreux frais non pris en charge tels que les frais de fauteuil roulant dont il a été débouté en appel ;

- que le fait que la faute inexcusable de l'employeur ait été reconnue par le tribunal du travail ne vient pas empiéter sur le droit de la victime à agir à l'encontre d'un co-responsable de cet accident et à lui demander une indemnisation conformément au droit commun, la faute inexcusable n'étant pas synonyme de cause exclusive de l'accident ;

- que le juge civil n'est en effet pas tenu par le jugement correctionnel antérieur et qu'il n'y a pas autorité de la chose jugée de la faute pénale sur le civil, ainsi que tente de l'affirmer la société [1] ;

- qu'enfin, la relaxe au pénal des poursuites à l'encontre de la société [1] ne permet pas de faire l'économie d'une analyse approfondie au civil des manquements reprochés à cette dernière à l'occasion du chantier de couverture confié à la société [3] au sein de ses locaux.

' En conséquence, M. [D] demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

Débouter la société [1] de ses demandes, fins et conclusions,

Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 24 juin 2019,

Constater la compétence du tribunal de première instance, pour statuer sur la responsabilité d'un tiers en cas d'accident du travail,

Condamner la société [1] à régler à M. [D] la somme de 350 000 F CFP au titre des frais irrépétibles.

L'ordonnance de clôture et de fixation de la date de l'audience ont été rendues le 5 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que la société [1] est fondée à soutenir que le présent litige ne porte pas sur l'intérêt à agir comme a cru pouvoir le faire le juge d'appel dans sa décision du 18 décembre 2019 qui a fait l'objet d'une cassation mais sur la compétence du tribunal civil s'agissant d'un accident du travail ; que la question de la compétence du juge doit donc précéder celle de l'intérêt à agir ; que si le demandeur n'a pas à justifier du bien fondé de sa demande pour justifier de son intérêt à agir comme l'a souligné la juridiction suprême, il doit néanmoins, dans tous les cas, saisir le juge compétent et justifier de sa compétence ;

Attendu que M. [D] pour justifier la compétence du tribunal civil entend faire établir que la société [1], tiers en matière d'accident du travail, a une part de responsabilité dans la survenance de l'accident dont il a été victime, sur la base de l'article 36 du décret n° 57-245 du 24 février 1957 relatif à la réparation et à la prévention des accidents du travail dans les territoires d'outre-mer qui prévoit que :

'Si l'accident est causé par une personne autre que l'employeur ou ses préposés, la victime ou ses ayants droit conservent contre l'auteur de l'accident le droit de demander réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent décret' ;

Attendu que la société [1] lui oppose que, par jugement du 30 juillet 2019 devenu définitif, le tribunal correctionnel de Nouméa l'a relaxée des fins de la poursuite en indiquant qu'elle n'avait commis aucune faute ayant contribué directement ou indirectement à la réalisation du dommage subi par M. [D] ;

Attendu qu'il convient cependant de reprendre les termes de cette décision :

'Il ne résulte pas des débats que la faute simple de la société [1] caractérisée par la violation de ces obligations administratives ait participé directement ou indirectement à la réalisation du dommage de M. [D], lequel trouve sa source dans l'utilisation d'équipement de protection individuelle et non collective et dans le fait que le salarié s'est détaché de sa seule initiative de sa ligne de vie, se privant ainsi de cette protection individuelle.

Il résulte ainsi de ce qui précède que la société [1] n'a commis aucune faute ayant contribué directement ou indirectement à la réalisation du dommage subi par M. [D] de sorte qu'il convient de la relaxer des fins de la poursuite' ;

Attendu que la Cour de cassation a jugé que 'la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence ou de négligence' (Cass. 1re'civ., 30'janv. 2001': JurisData n°'2001-007955'; Bull. civ. I, n°'19'; RTD civ. 2001, p.'376, obs. P. [W]) ; que l'article 470-1 du code de procédure pénale permet ainsi au juge répressif de se prononcer, notamment en cas de relaxe, sur l'existence d'une faute civile en matière d'infraction non intentionnelle ;

Attendu qu'ainsi, M. [D] est fondé à relever que la relaxe au pénal des poursuites à l'encontre de la société [1] ne permet pas de faire l'économie d'une analyse approfondie au civil des manquements reprochés à cette dernière à l'occasion du chantier de couverture confié à la société [3] au sein de ses locaux ; qu'en effet, s'il est prétendu que la faute d'un tiers a concouru à la réalisation de l'accident, le tribunal statuant en matière civile est compétent pour en juger et décider de l'indemnisation des préjudices non réparés devant le tribunal du travail ;

Attendu en conséquence, qu'il convient de confirmer l'ordonnance entreprise ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision déférée du 24 juin 2019 ;

Y ajoutant,

Condamne la société [1] à verser à M. [D] la somme de 150 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société [1] aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/00101
Date de la décision : 03/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-03;22.00101 ?
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