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23/03/2023 | FRANCE | N°21/00100

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 23 mars 2023, 21/00100


N° de minute : 13/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 23 Mars 2023



Chambre sociale







Numéro R.G. : N° RG 21/00100 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SVF



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/72)



Saisine de la cour : 23 Décembre 2021



APPELANT



S.A. LE FROID, Prise en la personne de son représentant légal

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Sophie BRIANT me

mbre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉ



M. [B] [P]

né le 13 Janvier 1973 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Cécile MORESCO memb...

N° de minute : 13/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 23 Mars 2023

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 21/00100 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SVF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/72)

Saisine de la cour : 23 Décembre 2021

APPELANT

S.A. LE FROID, Prise en la personne de son représentant légal

Siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Sophie BRIANT membre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [B] [P]

né le 13 Janvier 1973 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 1]

Représenté par Me Cécile MORESCO membre de la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

CAFAT

Siège social : [Adresse 2]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 16 Février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François BILLON.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par contrat à durée indéterminée daté du 3 mai 2010, M. [B] [P] a été embauché par la société SA LE FROID, en qualité d'apprenti chef de quart, niveau ll, échelon 1 moyennant un salaire brut mensuel de 180 000 F CFP pour un horaire mensuel de 169 heures.

Le 18 octobre 2012, M. [P] a été victime d'un premier accident du travail s'étant traduit par une lésion au poignet gauche. Il a été placé en arrêt de travail du 23 octobre 2012 au 6 juillet 2014, suite à cet accident du travail. Selon avis d'aptitude du 18 juin 2014, le médecin du travail a préconisé une reprise du travail le 7 juillet 2014, sur un poste avec port de charge de la main gauche limité à 6 kg et sans mouvement de force.

Le 13 novembre 2014, M. [P] a été victime d'un second accident de travail alors qu'il travaillait dans l'atelier de la société LE FROID, en recevant une décharge électrique en nettoyant avec sa main droite les contours d'un boîtier électrique. ll a repris son travail le 14 novembre 2014.

Le 3 août 2015, M. [P] a été déclaré apte avec restriction par le médecin du travail qui a préconisé de 'prolonger le poste aménagé sans travaux lourds côté gauche et sans port de charge supérieur à 10 kg côté droit".

Le 2 janvier 2016, M [P] a été victime d'un troisième accident du travail sans précision des circonstances et placé en arrêt de travail jusqu'au 26 janvier 2016 prolongé au 21 octobre 2016. ll a été déclaré consolidé avec séquelles le 20 mars 2017.

Par réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 5 octobre 2018, l'employeur a informé les membres du comité d'un projet de licenciement économique collectif.

Lors d'une seconde réunion extraordinaire du comité d'entreprise du 27 novembre 2018, l'employeur a informé les membres du comité d'entreprise de la suppression de 32 postes. Une troisième réunion extraordinaire du comité s'est tenue le 20 décembre 2018.

Par courrier date du 21 décembre 2018, l'employeur a informé la direction du travail et de l'emploi (DTE) de son projet de licenciement économique collectif, laquelle par lettre datée du 2 janvier 2019 a signifié à l'employeur ne pas avoir à faire d'observation sur ce projet.

M. [P], par lettre remise en main propre le 20 décembre 2018, a été convoqué à un entretien préalable prévu le 26 décembre 2018.

Par courrier adressé en recommandé avec accusé de réception, notifié le 4 février 2019, il a été licencié pour motif économique.

Par courrier du 12 juillet 2017, la CAFAT a notifié à M. [P] son taux d'incapacité permanente partielle fixé à 8% à la date de sa consolidation du 20 mars 2017 suite à son accident du travail du 18 octobre 2012. Le montant de la rente annuelle était fixé à 132 960 F CFP.

' M. [P], par requête enregistrée le 11 mars 2019, a fait convoquer devant le tribunal du travail de Nouméa son employeur aux fins suivantes :

- juger que la société anonyme LE FROID a commis une faute inexcusable à son encontre,

En conséquence,

- ordonner une mesure d'expertise médicale judiciaire, et désigner tel expert qu'il plaira pour y procéder (...)

- dire et juger que les motifs allégués à l'appui du licenciement sont sans cause réelle et sérieuse, irrégulier, abusif et vexatoire,

- dire et juger que la SA LE FROID a violé son obligation de résultat en ne lui assurant pas un poste adapté à sa situation médicale,

- condamner en conséquence la SA LE FROID à lui payer les sommes suivantes :

- 1 003 970 F CFP à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 000 000 F CFP en réparation du licenciement irrégulier,

- 5 258 826 F CFP d'indemnité compensatrice,

- 3 000 000 F CFP d'indemnité pour licenciement abusif et vexatoire,

- 3 000 000 F CFP de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat,

- 3 000 000 F CFP de dommages- intérêts pour préjudice distinct du fait du préjudice moral et des tracas subis,

- condamner la SA LE FROID à payer les intérêts au taux légal sur toutes les sommes à compter de la demande,

- ordonner la SA LE FROID de lui remettre un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte immédiatement à l'issue de son préavis, le 3 avril 2019,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir compte tenu de sa situation difficile et précaire causée par ce licenciement,

- condamner la SA LE FROID à lui payer la somme de 350 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile applicable en Nouvelle-Calédonie.

' Par jugement en date du 26 novembre 2021, le tribunal de travail de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :

DECLARE la demande en faute inexcusable irrecevable pour être prescrite ;

DECLARE les demandes de sursis à statuer sur l'indemnisation et d'expertise médicale judiciaire irrecevables ;

DIT que le licenciement économique de M. [B] [P] est irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ;

FIXE à 328 572 F CFP la rémunération moyenne des trois derniers mois de M [B] [P] ;

CONDAMNE la société LE FROID à payer à M. [B] [P] les sommes suivantes :

- 303 930 F CFP au titre de l'indemnité de licenciement ;

- 2 957148 F CFP au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 350 000 F CFP au titre d'indemnité pour licenciement irrégulier sur le fondement de l'article Lp.122-36 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

- 400 000 F CFP en réparation de son préjudice moral pour licenciement brutal ;

DIT que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la requête en ce qui concerne les créances salariales et du jugement en ce qui concerne les dommages-intérêts avec anatocisme ;

RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit sur les créances salariales dans les conditions prévues par l'article 886-2 du code du procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision à hauteur de 50% des sommes allouées au titre des dommages-intérêts ;

DIT n'y avoir lieu d'ordonner la remise du solde de tout compte de M. [B] [P] ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société LE FROID à payer à M. [B] [P] la somme de 150 000 F CFP au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;

CONDAMNE la société LE FROID aux dépens.

PROCÉDURE D'APPEL

I/ La société LE FROID, par requête enregistrée au greffe le 23 décembre 2021, a interjeté appel de la décision.

Son mémoire ampliatif d'appel a été déposé le 23 mars 2022 via le RPVA.

Par ses dernières conclusions récapitulatives enregistrées au RPVA le 7 février 2023, elle fait valoir pour l'essentiel :

- que l'action relative à la faute inexcusable commise par l'employeur est prescrite, faute pour le salarié de démontrer qu'il a perçu des indemnités journalières, le jour de la consolidation de l'état de la victime ne pouvant être retenu comme point de départ de la prescription biennale ;

- qu'à titre subsidiaire, si la Cour devait considérer que l'action n'était pas prescrite, elle ne pourra néanmoins que constater que le requérant ne démontre nullement en quoi la SA LE FROID aurait commis une quelconque faute inexcusable ;

- que si le tribunal a considéré que la société LE FROID avait bien respecté la procédure en ce qui concerne la tenue des comités d'entreprise, la décision devra être infirmée en ce que le premier juge a retenu que l'employeur ne rapportait pas la preuve qu'il avait respecté, après consultation du comité d'entreprise, l'ordre des licenciements et le principe du reclassement du salarié ;

- que la cause réelle et sérieuse du licenciement économique est évidente :

1/ la lettre de licenciement économique contient tous les motifs exigés par la jurisprudence, la préservation de la compétitivité constituant un motif autonome de licenciement,

2/ que son chiffre d'affaires allait baisser d'environ 1 000 000 000 FCFP (moins 25 %} sur l'exercice en cours, sans qu'il soit possible de compresser dans ses proportions ou à cette vitesse les charges de la société, avec une pression fiscale qui s'accroissait de près de 1 000 000 000 FCFP, la société a déployé des initiatives et solutions pour limiter les impacts prévisibles sur les emplois,

3/ contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la société LE FROID a bien fait mention de la suppression de poste de M. [P] en indiquant, au visa des motifs économiques rappelés dans la lettre de licenciement, que son maintien à son poste d'apprenti Chef de quart s'avérait impossible ; que la liste nominative prévisionnelle des postes supprimés où le nom de M. [P] apparaît clairement a été transmise à la direction du travail ;

- que le licenciement n'a été aucunement vexatoire, le licenciement pour motif économique étant collectif et ne prenant nullement en compte sa situation de santé, laquelle a été prise en compte dans le cadre de son reclassement que le salarié a refusé ;

- que la demande de réparation du préjudice moral est infondée en l'absence de toute vexation et de tout abus du droit de licencier.

' En conséquence, la société LE FROID demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

I/ Sur l'appel principal :

Infirmer le jugement en ce qu'il a :

' Dit que le licenciement de M. [B] [P] était irrégulier ;

En conséquence, réformant la décision :

Juger que la société LE FROID a parfaitement respecté les dispositions applicables en matière de licenciement économique ;

Juger que la société LE FROID justifie avoir établi et respecté l'ordre des licenciements ;

Juger que la société LE FROID justifie avoir respecté les dispositions en matière de reclassement ;

En conséquence,

Infirmer la décision en ce qu'elle a condamné la société LE FROID à payer à M. [B] [P] la somme de 350 000 FCFP sur le fondement de l'article Lp 122-36 du Code du travail de Nouvelle- Calédonie ;

Infirmer la décision en ce qu'elle a dit que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

Infirmer la décision en ce qu'elle a condamné la société LE FROID à payer à M. [B] [P] une somme de 2 957 148 FCFP au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

Infirmer la décision en ce qu'elle a dit le licenciement de M. [B] [P] vexatoire et en ce qu'elle a condamné la société LE FROID à payer à ce dernier la somme de 400 000 FCFP en réparation de son préjudice moral ;

Infirmer la décision en ce qu'elle a condamné la société LE FROID à payer à M. [B] [P] la somme de 150 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

Infirmer la décision en ce qu'elle a débouté la société LE FROID de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

En conséquence, et statuant à nouveau :

Débouter M. [B] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner M. [B] [P] à payer à la société LE FROID la somme de 500 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie pour les frais irrépétibles de première instance ;

II/ Sur l'appel incident de M. [B] [P] :

- Sur les demandes au titre de la prétendue faute inexcusable

Liminairement,

Déclarer prescrite, et donc irrecevable, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par M. [B] [P] contre la SA LE FROID ;

Subsidiairement et au fond,

- Juger que la SA LE FROID n'a commis aucune faute inexcusable à l'origine des accidents du travail dont a été victime M. [B] [P] les 18 octobre 2012 et 13 novembre 2014 ;

En conséquence,

Débouter M. [B] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Sur la demande de réparation au titre du préjudice moral

Juger que cette demande est irrecevable et, en tout état de cause, mal fondée, des dommages et intérêts pour préjudice moral ne pouvant se cumuler avec des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et avec une demande au titre d un licenciement soi-disant vexatoire ;

En conséquence,

Déclarer irrecevable la demande de M. [B] [P] et en tout état de cause, l'en débouter ;

- Sur l'indemnité de licenciement

Juger que la société LE FROID a d'ores et déjà versé à M. [B] [P] la somme de 328 572 F CFP au titre de l'indemnité de licenciement ;

En conséquence,

Juger que les comptes entre les parties sont parfaits ;

En conséquence,

Débouter M. [B] [P] de sa demande ;

- A titre subsidiaire, sur le montant des dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Juger que M. [B] [P] ne fournit aucune explication à sa demande de fixation de dommages et intérêts à hauteur de 5 258 826 FCFP ;

Juger, en conséquence, que seul le minimum légal de 6 mois de salaire brut s'appliquera en cas de condamnation ;

- Sur les dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat

Juger que cette demande est irrecevable et, en tout état de cause, mal fondée ;

En conséquence,

Débouter M. [B] [P] de sa demande ;

- Sur les documents de fin de contrat

Juger que la société LE FROID a d'ores et déjà communiqué à M. [B] [P] son certificat de travail, ainsi que son bulletin de salaire au moment de son départ, ce qu'a jugé le tribunal ;

Juger, en conséquence, que cette demande est sans objet ;

En tout état de cause,

Débouter M. [B] [P] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

Condamner M. [B] [P] à payer à la société LE FROID la somme de 500 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie à titre des frais irrépétibles d'appel ;

Condamner M. [B] [P] en tous les dépens de première instance et d'appel.

*********************

II/ M. [P] par ses dernières conclusions récapitulatives enregistrées au RPVA le 9 février 2023, portant appel incident, fait valoir pour l'essentiel :

- qu'aucune prescription de la faute inexcusable ne saurait être retenue tant en raison de la production, en appel, d'un décompte de ses prestations versées au titre des indemnités journalières arrêté au 19 mars 2017, qu'en raison de la date de consolidation fixée au 20 mars 2017 qui lui permettait de saisir la juridiction jusqu'au 20 mars 2017, rappelant que sa requête introductive d'instance a été enregistrée le 11 mars 2017 ;

- qu'il n'aurait jamais dû autant forcer sur ses bras et que son employeur n'a pas réellement pris en compte les problèmes de sante auxquels il était confronté ; qu'au regard de la jurisprudence et des dispositions applicables, la société LE FROID a commis une faute inexcusable, faute d'avoir pris en considération les réclamations formulées par le salarié et les prescriptions des médecins ;

- que la simple référence a la conjoncture économique défavorable, à la baisse du chiffre d'affaires et au résultat comptable déficitaire ne constitue pas l'énoncé d'un motif économique précis en l'absence d'indications sur les conséquences de ces difficultés sur l'emploi et le contrat de travail du salarié, cette insuffisance de motivation équivalant à une absence de motivation rend la mesure dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

- que le licenciement est irrégulier pour ne pas avoir satisfait aux dispositions de l'article Lp. 122-10 et suivants du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

- que le licenciement est abusif et vexatoire ; que sa situation médicale difficile du fait des deux accidents du travail subis et de l'aggravation de son état due à des fonctions non adaptées malgré les recommandations des médecins, a manifestement posé problème à son employeur qui a préféré le licencier en utilisant des motifs prétendument économiques.

'En conséquence, M. [P] demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

INFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de M. [P] en reconnaissance de faute inexcusable,

JUGER que la consolidation de M. [P], avec cessation des indemnités journalières étant intervenue le 20 mars 2017, son action en reconnaissance de faute inexcusable engagée le 11 mars 2019 pour l'accident de travail lui ayant coûté son poignet gauche le 18 octobre 2012 n'est pas prescrite,

Statuant à nouveau,

ORDONNER une mesure d'expertise médicale judiciaire, et désigner tel expert qu'il plaira pour y procéder, avec pour mission de :

Examiner M. [P],

Prendre connaissance de tous les documents médicaux le concernant,

Décrire les blessures consécutives aux accidents du travail dont il a été victime le 18 octobre 2014 et le 13 novembre 2014,

Indiquer leur évolution, les traitements subis, ainsi que son état actuel,

Dire s'il demeure atteint d'une invalidité permanente d'une ou plusieurs fonctions et, dans l'affirmative, après en avoir précisé les éléments, chiffrer le taux du de déficit fonctionnel permanent,

Dire si les lésions dont souffre aujourd'hui M. [P] au bras droit peuvent être directement liées et imputées à l'accident du travail subi le 18 octobre 2012 et au surmenage qu'il a dû endurer sur le poste aménagé que lui a confié son employeur suite à cet accident,

Dégager en les spécifiant, les éléments propres à justifier une indemnisation,

Chiffrer tous les préjudices subis (dépenses de santé actuelles et futures, préjudices professionnels, incidence professionnelle, perte de gains professionnels futurs, souffrances endurées, AIPP, déficit fonctionnel temporaire, déficit fonctionnel permanent, préjudice esthétique, préjudice d'agrément ...),

SURSEOIR à statuer sur les montants d'indemnisation devant être alloués à M. [P] dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise médicale,

CONFIRMER le jugement dont appel en ce qu'il a dit que les motifs allégués à l'appui du licenciement de M. [P] sont sans cause réelle et sérieuse et que son licenciement est irrégulier, abusif et vexatoire,

L'INFIRMER sur les conséquences,

Statuant à nouveau :

CONDAMNER la société LE FROID à payer à M. [P] les sommes suivantes :

1 003 970 F CFP à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1 000 000 F CFP en réparation du licenciement irrégulier,

5 258 826 F CFP d'indemnité compensatrice,

3 000 000 F CFP d'indemnité pour licenciement abusif et vexatoire,

3 000 000 F CFP à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat,

3 000 000 F CFP à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct du fait du préjudice moral et de tracas subis par M. [P],

CONDAMNER la société LE FROID à payer les intérêts au taux légal sur toutes les sommes a compter de la demande,

ORDONNER à la société LE FROID de remettre un certificat de travail et reçu pour solde de tout compte à M. [P] immédiatement à l'issue de son préavis, le 3 avril 2019,

CONDAMNER la société LE FROID à payer à M. [P] la somme de 500 000 F CFP au titre de dommages et intérêts,

CONDAMNER la société LE FROID à payer à M. [P] la somrne de 1 000 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile applicable en Nouvelle-Calédonie.

*********************

III/ La CAFAT, par note parvenue au greffe le 25 avril 2022, fait valoir qu'elle n'entend pas conclure, tout en précisant qu'elle souhaite que la prescription de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur retenue par le premier juge soit confirmée.

*********************

Par ordonnance du 16 août 2022, l'affaire a été fixée à l'audience du 13 octobre 2022, date à laquelle l'affaire a été renvoyée à la présente audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que la cour est saisie de l'appel principal de la société anonyme LE FROID qui conteste la décision du tribunal du travail ayant jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse pour la condamner au paiement de diverses sommes, et de l'appel incident de M. [P] qui critique le jugement ayant considéré comme prescrite son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur et rejeté sa demande d'expertise médicale, considérant par ailleurs que les sommes qui lui ont été allouées par le tribunal en réparation du préjudice découlant du caractère ni réel ni sérieux de son licenciement sont insuffisantes ;

De la prescription de l'action en faute inexcusable

Attendu qu'aux termes de l'article 51 du décret n°576245 du 24 février 1957 relatif à la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer, la prescription biennale en matière de maladie professionnelle et d'accident de travail court à compter du jour de l'accident ou de la clôture de l'enquête ou de la cessation de l'indemnité journalière, la date de l'accident étant la date de la première constatation selon les dispositions de l'article 42 du décret ;

Attendu qu'en appel, M. [P], qui a engagé son action par requête introductive d'instance enregistrée au greffe le 11 mars 2019, justifie avoir perçu des indemnités journalières du 6 au 19 mars 2017 correspondant à l'accident du travail du 18 octobre 2012 relatif à une lésion au poignet gauche ; que cependant l'employeur objecte que ces indemnités journalières font référence à l'accident survenu le 18 octobre 2012 et non à celui du 13 novembre 2014, le salarié soutenant que ces deux accidents sont en lien ;

Attendu en tout état de cause, qu'outre la date du jour de l'accident ou de la clôture de l'enquête ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière, il est de jurisprudence constante que le délai de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable peut commencer à courir à compter de la date de consolidation des lésions de l'accident ou de la maladie (Cass. Civ 2ème, 12 mars 2015 n°14-11.471) ; qu'il est admis, qu'entre les dates de ces différents évènements, la plus récente doit être retenue ; qu'il importe peu que les indemnités journalières soient perçues de manière discontinue, dès lors qu'elles concernent le même accident, (Cass. 2ème Civ. 20/06/2013 n° 12-16.576) ;

Attendu qu'en l'espèce, M. [P] ayant été définitivement placé en invalidité à compter du 20 mars 2017, date de la consolidation de ses blessures et de la reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle de 8%, il est fondé, par sa requête introductive d'instance qui visait bien les deux accidents du travail des18 octobre 2012 et 13 novembre 2014 enregistrée au greffe le 11 mars 2019 soit dans le délai de deux ans prescrit par l'article 51 du décret précité, à ce que son action tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur portant sur l'accident du 18 octobre 2012 et l'accident du 13 novembre 2014, soit déclarée recevable ; que le jugement entrepris sera ainsi infirmé ;

De la faute inexcusable

Attendu que l'employeur est tenu, à l'égard de ses salariés, d'une obligation de sécurité de résultat et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié, il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage qu'il s'ensuit que la simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur si la victime apporte la preuve qu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son salarié et l'absence de mesures de prévention et de protection ;

Attendu que la Cour de Cassation est particulièrement attentive à l'application de ces principes, jugeant que :

- la faute inexcusable ne saurait être retenue lorsque le matériel ne présentait aucune anomalie en relation avec l'accident (Cass. Soc. 31 octobre 2002, n°01- 20445), était conforme à la règlementation (Cass. 2ème Civ. 1er juillet 2003, n°02-30545), ou encore lorsque le matériel utilisé ne présentait aucun danger (Cass. 2ème Civ. 15 février 2005,n°03 -30549) ;

- lorsque la preuve n'est pas clairement établie que la machine ne justifiait pas, au jour de l'accident, d'un dispositif de protection suffisant (Cass. 2 ème Civ. 8 juillet 2004, n°02 - 30984) ; 'Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il incombait au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé les textes susvisés' (Cass. 2ème Civ. 5 juillet 2005, n°03-30565) ;

- que la faute inexcusable ne saurait être retenue lorsque la preuve n'est pas établie quant au manquement de l'employeur en matière de sécurité, s'agissant de la formation et/ ou de la mise à disposition d'un matériel adapté (Cass. Soc. 8 juin 1998, n°87-12285) ; qu'en se déterminant ainsi, sans caractériser l'existence d'une faute de l'employeur ayant un rôle causal dans la survenance du décès du salarié, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision (Cass. 2ème Civ. 3 juin 2010, n°09- 65552) ;

- que la faute inexcusable de l'employeur est associée à la conscience pleine et entière du risque auquel le salarié (Cass. 2ème Civ. 9 décembre 2021, n° 20-13.857) ;

***********

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que s'agissant de l'accident survenu le 18 octobre 2012, les seules informations portant sur les faits sont détaillées dans la déclaration d'accident du travail versée au débat par la CAFAT en première instance, dont il ressort que :

'En inclinant la marmite inox 80 litres pour la vider, elle a glissé et en essayant de la retenir, il s'est fait mal aux poignets' ;

Attendu cependant que la CAFAT n'ayant réalisé aucune enquête de matérialité, les circonstances et les causes de l'accident du 18 octobre 2012 ne permettent pas de connaître précisément le déroulement des faits ; que M. [P] se limite à soutenir que la marmite a glissé et que cela est dû à un mauvais dispositif de travail ce qui suffirait selon ses écritures à retenir la faute inexcusable de l'employeur ;

Attendu cependant que la faute inexcusable ne se présume pas et que la charge de la preuve incombe au salarié qui ne produit aucun élément au débat autre que sa déclaration d'accident particulièrement sommaire ; que la cause du glissement de la marmite étant indéterminée, le salarié ne rapporte pas la preuve que l'employeur a commis un manquement à une obligation de sécurité ayant contribué à la survenance du fait dommageable ou qu'il aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures de protection nécessaires ; que l'accident du 18 octobre 2012 ne saurait en conséquence permettre d'établir la faute inexcusable de l'employeur ;

Attendu que s'agissant de l'accident du 13 novembre 2014, les seules indications mentionnées dans la déclaration d'accident versée au débat par la CAFAT précisent que : 'Nature des lésions : légère perte de sensibilité au niveau du pouce et de l'index.

Causes et circonstances détaillées de l'accident : M. [P] s'est électrisé en nettoyant les contours d'un boîtier électrique' ;

Attendu que M. [P] soutient que ces deux accidents sont en lien en ce que l'employeur serait fautif pour ne pas avoir respecté les recommandations délivrées par le SMIT suite à l'accident du travail du 18 octobre 2012 ;

Attendu cependant que le service médical inter-entreprises du travail (SMIT) a déclaré M. [P] apte à quatre reprises, soit les 18 juin 2014, 4 juillet 2014,12 septembre 2014 et 5 novembre 2014, ce dernier avis antérieur à l'accident du 13 novembre 2014 recommandant simplement une absence de manutention nécessitant une préhension avec efforts de la main gauche et un maintien à son poste aménagé ;

Attendu que s'il ressort des pièces produites que M. [P] s'est ainsi, le 13 novembre 2014, alors qu'il occupait un poste aménagé d'opérateur machine, légèrement électrocuté au niveau de la main droite en nettoyant les contours d'un boîtier électrique, cette tâche n'était pas en contradiction avec les recommandations du SMIT, dès lors qu'elle n'impliquait pas la réalisation d'un geste de préhension nécessitant en effort de la main gauche, M. [P] s'étant blessé à la main droite ;

Attendu que pas plus que l'accident du 18 octobre 2012, celui du 13 novembre 2014 ne permettent à la juridiction d'imputer cet accident à une faute inexcusable de l'employeur, M. [P] ne démontrant pas en quoi l'employeur aurait dû avoir conscience d'un quelconque danger, ni en quoi il n'aurait pas pris les mesures nécessaires de protection pour l'éviter ; qu'il convient en conséquence de débouter M. [P] de sa demande et de l'expertise médicale sollicitée ;

De la régularité du licenciement

Attendu que M. [P] soutient que le licenciement est irrégulier pour ne pas avoir satisfait aux dispositions des article Lp. 122-10 et suivants du code du travail de Nouvelle-Calédonie sans réellement souligné ce qu'il reproche à la société LE FROID puisqu'il énonce la procédure à suivre et lui demande de justifier de son respect ;

Attendu que sans qu'il soit indispensable de rappeler les termes des articles Lp.122-15 à Lp.122-17 dudit code du travail, la cour constate au vu des pièces produites :

- que la société LE FROID justifie avoir convoqué le comité d'entreprise pour évoquer le projet de licenciement pour motif économique par cinq fois : les 20 septembre, 5 octobre, 27 novembre, 6 et 20 décembre 2018 ;

- que le projet de licenciement a bien été notifié par l'employeur, conformément aux dispositions légales Lp 122-14 et Lp 122-18 du code du travail, le 21 décembre 2018 à la direction du travail qui, par courrier du 2 janvier 2019, lui a fait savoir que le projet de licenciement pour motif économique n'appelait pas d'observations particulières de sa part ;

- que l'ordre des licenciements prévu à l'article Lp. 122-11 du code du travail, retenu par le premier juge pour constater l'irrégularité de la procédure, a bien été prévu lors de la réunion du 5 octobre 2018 (point 4, page 13), ainsi que lors de la réunion du 27 novembre 2018 (page 3/3) ou de la réunion du 20 décembre 2018 évoquant une proposition des représentants élus du personnel ; qu'ainsi, les dispositions de l'article Lp 122-11 du code du travail qui prévoient que l'employeur doit définir, après consultation du comité d'entreprise, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, ont bien été respectées, en conformité avec l'article 92 de l'Accord Interprofessionnel Territorial (AIT) prenant en compte l'aptitude professionnelle, l'ancienneté, les charges de famille (majoration d'un an de l'ancienneté pour chaque enfant à charge au sens de la législation sur les allocations familiales), le critère relatif à l'aptitude professionnelle ayant été déterminé par l'employeur sur les bases de la discipline, des absences, hors hospitalisation, hors absence pour grève ou congé sans solde, hors absence pour arrêt maladie et accident du travail, et de la qualification ; que l'employeur verse au débat le tableau relatif à l'ordre des licenciements établi de manière nominative, salarié par salarié, relatif à la catégorie à laquelle appartenait M. [P], c'est-à-dire la catégorie «ouvrier» faisant apparaître les critères retenus pour chaque personne ;

- que les mesures prises en matière de reclassement prévues par l'article Lp.122-16 du code du travail ont été respectées, la société LE FROID ayant mis à l'étude les suggestions formulées par les représentants du personnel relatives aux mesures sociales proposées tout en leur donnant une réponse motivée ; que les mesures mises en place pour éviter et limiter les licenciements figurent au procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 5 octobre 2018 (pages 1 et 2), la société y précisant avoir depuis 2015, privilégié une double action, l'amélioration de ses revenus et un plan d'économie sur ses charges de structure, pour préserver l'emploi ; qu'ainsi, notamment, les charges de publicité ont été diminuées de 160 000 000 F CFP sur les 3 derniers exercices et la négociation du gel des primes avec les partenaires sociaux a permis d'envisager une économie de 75 000 000 F CFP ; que la société LE FROID a versé au débat le courriel qui a été adressé par la directrice des affaires générales au trois représentants des sociétés du Groupe, c'est-à-dire la société VBL, la société STOL et la société FROID accompagné d'une liste des profils de chacun des salariés concernés ; que la société LE FROID a également mis en place un bilan de repositionnement qui a été exposé aux salariés de la société à l'occasion d'une réunion qui s'est tenue le 11 février 2019, la feuille d'émargement de cette réunion intitulée «DISPOSITIF RECLASSEMENT» montrant que M. [P] a été convoqué à cette réunion à la suite de laquelle un bilan de repositionnement a été établi ; que la société LE FROID justifie avoir préparé un plan d'action avec une première étape afin que M. [P] trouve un emploi alimentaire sur un poste de chauffeur-livreur ou dans la production et un plan d'étape 2 pour que celui-ci puisse poursuivre son projet de créer sa propre entreprise de transport de personnes ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments pris en leur ensemble, que la société LE FROID a respecté les dispositions des article Lp. 122-10 et suivants du code du travail et qu'il convient en conséquence de réformer la décision entreprise ayant condamné la société LE FROID à payer à M. [P] la somme de 350 000 FCFP sur le fondement de l'article Lp 122-36 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie ;

De la cause réelle et sérieuse du licenciement économique

Attendu que selon les dispositions de l'article Lp.122-9 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; qu'il est de jurisprudence constante que la lettre de licenciement économique doit non seulement énoncer la cause économique qui justifie la mesure de licenciement (difficultés économiques, réorganisation de l'entreprise, mutation technologique..) mais aussi son incidence sur l'emploi du salarié licencié (Cass. Soc. 23 novembre 2005 n°03-46.520) ; qu'en l'absence d'un de ces deux éléments, le licenciement est considéré sans cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 30 avril 1997, n°94- 42.154°150 ) ; que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit énoncer des faits précis et matériellement vérifiables (Soc. 16 février 2011, Bull V n°49, n09-72172) ; qu'il appartient au juge d'effectuer cette recherche en respectant le principe du contradictoire (Soc. 5 juin 2001, Bull n°210) ; qu'un licenciement économique ne peut reposer sur une cause réelle et sérieuse que s'il a été précédé d'une recherche effective et sérieuse de reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure; que cette recherche doit être réalisée, si la société fait partie d'un groupe, auprès des autres sociétés de ce groupe (Soc. 5 avril 1995, n°93-42.690 Bull V n°123 ; Soc.4 mars 2009, Bull, V, n°57 ; Soc. 9 décembre 2015 n°14-21.672 ; Conseil d'Etat , n°384175) ; que le groupe de reclassement est celui composé des entreprises dont les activités ou l'organisation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel, la jurisprudence sociale n'appréciant pas nécessairement l'existence d'un tel groupe par référence aux critères du droit commercial ;

Attendu qu'en l'espèce, la lettre de licenciement pour motif économique notifié le 4 février 2019 à M. [P] est ainsi rédigée :

'Par courrier remis en main propre contre décharge en date du 20 décembre 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable de licenciement fixé au 26 décembre 2019 à 16h008, entretien au cours duquel vous étiez accompagné d'un représentant du personnel.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les raisons qui nous poussaient à prendre cette décision et nous avons pris bonne note des explications que vous nous avez fournies en retour.

En effet, le marché des boissons connaît une perte de vitesse depuis 2015, la hausse démesurée de la fiscalité, l'évolution de la consommation cadencent et accélèrent la baisse constante des volumes et de la profitabilité de nos activités. L'application de la TGC à 22 % sur les boissons sucrées fabriquées localement et celle des taxes comportementales et des emballages annoncées et l'encadrement des taux de marge et Ieur projection à très court terme sur nos volumes et résultat impactent l'équilibre économique et financier de notre société.

Pour construire sa pérennité, renforcer sa compétitivité, sécuriser ses emplois, la Société Le Froid doit repenser sa stratégie et redimensionner son organisation et ses moyens.

Ainsi, la baisse des ventes et la rationalisation de la gamme ont engendré une forte baisse des heures de production ces dernières années passant d'environ 5 000 heures de production réalisées en 2015, à 3 200 heures de production budgétée pour 2019. De plus, ces changements ont également engendré la baisse des commandes de matières premières et consommables et les activités de manutention.

Pour ces diverses raisons, la direction industrie doit revoir son organisation et notamment optimiser la composition de ces équipes de production.

Compte tenu des raisons économiques, le maintien à votre poste d'Apprenti chef de quart s'avère impossible.

De plus, en dépit des recherches que nous avons effectuées au sein de notre groupe Froico, nous n'avons pas trouvé d'emploi de reclassement correspondant à votre profil.

En conséquence, nous vous notifions par la présente notre décision de vous licencier pour motif économique.

Cette décision est prise suite à l'application de la procédure de licenciement économique applicable en Nouvelle-Calédonie, à savoir l'information et la consultation du Comité d'entreprise de la société, la notification du projet de licenciement à la direction du travail et le respect des différents délais associés à cette procédure.

Nous vous rappelons que vous êtes tenus d'effectuer votre préavis d'une durée de 2 mois qui débutera à la date de la première présentation de cette lettre prévue le 4 février 2019.

A l'expiration de votre contrat de travail, à savoir le 3 février 2019, nous tiendrons à votre disposition votre certificat de travail et votre reçu pour solde de tout compte.

Nous vous informons qu'en raison de la nature économique de votre licenciement, vous bénéficierez d'une priorité de réembauchage durant un délai d'un an pour tout poste disponible dans votre qualification, et ce, à condition d'en faire la demande dans un délai de 4 mois à compter de la date de rupture de votre contrat de travail ' ;

Attendu que la société LE FROID fait grief au premier juge pour l'essentiel d'avoir constaté que les termes de la lettre de licenciement était trop généraux et ne précisaient pas en quoi les motifs invoqués avaient eu un retentissement sur le contrat de travail et sur l'emploi de M. [P] qui occupait le poste d'apprenti Chef de Quart et dit que l'insuffisance de motivation de la lettre de licenciement rendait la mesure de licenciement économique dépourvue de cause réelle et sérieuse ; que M. [P] demande la confirmation de cette analyse, en relevant au surplus qu'il n'occupait plus un poste de chef de quart comme indiqué dans la lettre de licenciement mais un poste aménagé d'opérateur machine ;

Attendu que la préservation de la compétitivité d'une entreprise se traduisant par la nécessité de procéder à sa réorganisation constitue un motif autonome de licenciement sans être contradictoire avec des difficultés économiques déjà existantes ;

Attendu que la cour relève que :

- que la société LE FROID ne s'est pas limitée à indiquer dans la lettre de licenciement qu'elle devait repenser sa stratégie et redimensionner son organisation et ses moyens mais a visé clairement la baisse des volumes justifiant la baisse de la production en précisant que : 'la forte baisse des heures de production ces dernières années passant d'environ 5 000 heures de production réalisées en 2015, à 3 200 heures de production budgétée pour 2019. De plus, ces changements ont également engendré la baisse des commandes de matières premières et consommables et les activités de manutention' et a versé au débat les justificatifs ainsi que les pièces comptables des années 2017 et 2018, ainsi que des éléments d'analyse prévisionnels 2019 établi le 5 octobre 2018 ;

- que la cause du licenciement est par conséquent identifiée dès lors que la baisse des volumes de vente et la nécessaire restructuration pour préserver la compétitivité, laquelle a engendré une baisse du chiffre d'affaires du secteur boissons et du secteur alcool étant établie et énoncée dans la lettre de licenciement : 'ainsi la baisse des ventes et la rationalisation de la gamme ont engendré une forte baisse ; la baisse constante des volumes et de la profitabilité des activités' ;

- que la société démontre par ailleurs avoir pris des mesures nécessaires pour geler les emplois, sans pouvoir cependant parvenir à adapter ses coûts de production à sa production, d'autant plus que des facteurs extérieurs liés à l'augmentation des taxes sur l'alcool sont venus aggraver la situation :' L'application de la TGC à 22 % sur les boissons sucrées fabriquées localement et celle des taxes comportementales et des emballages annoncées et l'encadrement des taux de marge et Ieur projection à très court terme sur nos volumes et résultat impactent l'équilibre économique et financier de notre société' ;

- que le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 5 octobre 2018 comporte l'organigramme des suppressions de poste pour la Direction Industrie dont celui de Chef de quart, précisant que la baisse des volumes et la rationalisation de la gamme engendrent une forte baisse de heures de production, avec un passage en 2 quarts pour diminuer les heures de production du fait de la baisse du niveau des commandes matières premières et consommables ;

- que M. [P] ne saurait se retrancher derrière le fait que sa lettre de licenciement mentionne ses fonctions de chef de quart alors qu'il occupait lors de son licenciement un poste aménagé d'opérateur machine ; qu'en effet, ses fonctions qui n'étaient pas conformes à son recrutement ne pouvaient être considérées comme définitives ; que l'employeur a bien précisé le retentissement sur le poste de travail de M. [P] des difficultés économiques rencontrées :'Pour ces diverses raisons, la direction industrie doit revoir son organisation et notamment optimiser la composition de ces équipes de production. Compte tenu des raisons économiques, le maintien à votre poste d'Apprenti chef de quart s'avère impossible' ;

Attendu qu'au vu de ces éléments pris en leur ensemble, il convient d'infirmer la décision entreprise et de dire que la société LE FROID a suffisamment motivé la lettre de licenciement sous l'angle de la réorganisation nécessaire pour sauvegarder sa compétitivité, les motifs figurant dans cette lettre répondant aux critères posés par la jurisprudence , ainsi que sur le retentissement sur le contrat de travail et sur l'emploi de M. [P] ; que le licenciement repose en conséquence bien sur une cause économique, réelle et sérieuse, que la société LE FROID a clairement indiqué dans la lettre de licenciement les motifs justifiant les mesures économiques consistant en la suppression de postes ;

Du licenciement vexatoire et du préjudice moral

Attendu que la société LE FROID conteste la décision du premier juge ayant alloué à M. [P] une somme de 400 000 F CFP en réparation de son préjudice moral pour licenciement vexatoire ; que M. [P] soutient que son licenciement a constitué pour lui un véritable choc, d'autant plus grand que ce licenciement était parfaitement inattendu, donnant ainsi à ce licenciement un caractère vexatoire, d'autant plus que son état de santé se dégradait et qu'il avait été placé en arrêt de travail du fait de lésions au bras ;

Attendu que l'employeur fait cependant justement valoir que le licenciement ne l'a pas été pour motif personnel mais pour motif économique lequel était collectif et ne prenait nullement en compte la situation de santé de M. [P] ;

Attendu que M. [P] ne démontre pas en quoi l'employeur aurait mis en oeuvre des procédés vexatoires dans la mise en 'uvre et les circonstances du licenciement économique collectif et que le salarié doit en conséquence être débouté de cette demande, tout comme celle formée au titre d'un préjudice moral qui fait double emploi avec celle formée au titre du caractère vexatoire de son licenciement ;

Du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat

Attendu que M. [P] sollicite la condamnation de la société LE FROID à hauteur de 3 000 000 F CFP à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat ; qu'il soutient ainsi que l'employeur doit répondre du préjudice subi par M. [P] du fait de la violation de l'obligation de sécurité et de résultat à laquelle il est astreint à l'égard de ses employés ; que M. [P] ne détaille pas plus cette demande dans ses écritures, renvoyant sans doute la juridiction à ses développements sur la faute inexcusable, laquelle n'a cependant pas été retenue par la présente décision ;

Attendu qu'aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat n'ayant été retenue, la demande formée sur ce fondement par M. [P] doit être rejetée ;

De l'indemnité légale de licenciement

Attendu que les parties sont communes à dire que le salaire brut de référence à prendre en compte s'élève à la somme de 328 572 F CFP calculée sur la moyenne des trois derniers mois ;

Attendu que M. [P] demande que cette indemnité soit fixée à la somme de 1 003 970 F CFP sans fournir sur quelle base cette somme, fixée par le premier juge à 303 930 F CFP, a été arrêtée ;

Attendu qu'il doit être fait application des articles Lp. 122-27 et R. 122-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie et de l'article 88 de l'accord interprofessionnel territorial (AIT) qui prévoient que :

'Lorsque le travailleur compte deux ans d'ancienneté continue au service du même employeur, il a droit, sauf en cas de faute grave ou en cas de force majeure ou en cas de départ à la retraite à une indemnité minimum de licenciement calculée sur la base:

' de 1/10ème de mois par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans d'ancienneté,

' de 1/10ème de mois par année d'ancienneté plus 1/15ème de mois par années d'ancienneté sur la période au-delà de 10 ans d'ancienneté' ;

Attendu que la société LE FROID ne critique pas le montant de 303 930 F CFP retenue par le premier juge mais fait observer que M. [P] avait déjà perçu une indemnité de licenciement d'un montant de 224 661 F CFP ainsi que le conseil de l'employeur l'a souligné dans un courrier du 28 décembre 2021 lors du règlement des sommes frappées d'exécution provisoire ;

Attendu qu'aucun solde de tout compte n'étant produit, il appartiendra aux parties de faire leurs comptes notamment au vu du présent arrêt et qu'en conséquence la somme de 303 930 F CFP fixée par le premier juge doit être retenue au titre de l'indemnité de licenciement ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt déposé au greffe,

Déclare les appels recevables ;

Infirme le jugement entrepris sauf en ses dispositions suivantes :

'Fixe à 328 572 F CFP la rémunération moyenne des trois derniers mois de M. [B] [P] ;

Condamne la société LE FROID à payer à M. [B] [P] la somme de 303 930 F CFP au titre de l'indemnité de licenciement' ;

Statuant à nouveau :

Déclare non prescrite et recevable l'action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par M. [P] contre la société LE FROID ;

Au fond,

Dit que la société LE FROID n'a pas commis de faute inexcusable à l'origine des accidents du travail dont a été victime M. [P] les 18 octobre 2012 et 13 novembre 2014 ;

Dit que le licenciement économique est régulier et fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Dit que le licenciement n'a pas été vexatoire ;

Dit que la société LE FROID n'a commis aucun manquement à une obligation de sécurité de résultat ;

Dit que M. [P] n'est pas fondé en sa demande pour préjudice distinct ;

Déboute M. [P] de toutes ses demandes ;

Rejette les demandes plus amples ou contraires ;

Condamne M. [P] à payer à la société LE FROID, pour l'entière procédure, la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

Condamne M. [P] en tous les dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00100
Date de la décision : 23/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-23;21.00100 ?
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