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16/02/2023 | FRANCE | N°21/00057

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 16 février 2023, 21/00057


N° de minute : 8/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 16 Février 2023



Chambre sociale









Numéro R.G. : N° RG 21/00057 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SID



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Août 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/265)



Saisine de la cour : 11 Août 2021





APPELANT



S.N.C. FARE QUAI FERRY NC, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 1]

R

eprésentée par Me Raphaële CHARLIER de la SELARL RAPHAËLE CHARLIER, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉ



M. [R] [E]

né le 20 Novembre 1973 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 2]

Représenté pa...

N° de minute : 8/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 16 Février 2023

Chambre sociale

Numéro R.G. : N° RG 21/00057 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SID

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Août 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/265)

Saisine de la cour : 11 Août 2021

APPELANT

S.N.C. FARE QUAI FERRY NC, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Raphaële CHARLIER de la SELARL RAPHAËLE CHARLIER, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [R] [E]

né le 20 Novembre 1973 à [Localité 4]

demeurant [Adresse 2]

Représenté par Me Nicolas MILLION de la SARL NICOLAS MILLION, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

CAFAT

Siège social : [Adresse 3]

Représenté par Me Laure CHATAIN de la SELARL CABINET D'AFFAIRES CALEDONIEN, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Décembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

M. [R] [E], salarié cuisinier, a été désigné en qualité de co-gérant de la société Fare Quai Ferry selon procès-verbal en date du 16 août 2017 de l'associé unique, la société holding 3LG dont le gérant est M. [R] [O].

Par courrier en date du premier janvier 2018, M. [R] [E] notifiait à M. [O] qu'il mettait fin à ses fonctions de faux gérant au motif que ses conditions de travail étaient inacceptables.

Par courrier en date du 15 janvier 2018, la société Fare Quai Ferry contestait sa qualité de faux gérant affirmant qu'il exerçait pleinement la gérance ainsi que les conditions de travail dénoncées par M. [E] , accusant par ailleurs ce dernier, de travailler chez un concurrent.

Elle acceptait sa démission à compter du 31 mars 2018.

M. [E] était placé en arrêt de travail le 25 janvier 2018 et ne reprenait pas son poste.

Il était convoqué le 13 juin 2018 par un agent de la CAFAT qui procédait à un contrôle des conditions de travail du personnel de la société Fare Quai Ferry .

Par requête enregistrée le 30 décembre 2019, M. [R] [E] a fait convoquer la société Fare Quai Ferry devant le tribunal du travail aux fins suivantes:

- dire et juger que M. [E] était lié à celle-ci par un contrat de travail à durée indéterminée ;

- dire et juger que sa démission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- condamner la société Fare quai ferry à lui payer les sommes suivantes, représentant une somme globale de 3 514 944 francs pacifique:

* 640.000 francs pacifique à titre de dommages-intérêts,

* 160.000 francs pacifique au titre des congés-payés,

* 320.000 francs pacifique au titre de son salaire du mois de janvier,

* 2.394.944 francs pacifique au titre des heures supplémentaires.

-ordonner la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux et ce dans le mois de la signification du jugement à intervenir, sous peine passé ce délai d'une astreinte de 30.000 francs pacifique par jour ;

- ordonner à la société défenderesse de lui remettre ses bulletins de salaire, un certificat de travail et un reçu de solde de tout compte dans le mois de la signification du jugement à intervenir, sous peine passé ce délai d'une astreinte de 30.000 francs pacifique par jour;

- fixer les unités de valeur dues à son conseil agissant au titre de l'aide judiciaire.

Par jugement en date du 10 août 2021, le tribunal du travail de Nouméa a:

- requalifié la relation entre M. [R] [E] et la société Snc Fare Quai Ferry en contrat de travail ;

- dit que la démission de M. [R] [E] doit être requalifiée en prise d'acte de la rupture au tort de l'employeur et produire en conséquence les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- faisant droit à la quasi totalité des demandes en paiement, le tribunal du travail a condamné la société la Snc Fare Quai Ferry à lui payer les sommes suivantes :

- quatre cent quatre-vingt mille (480.000) francs pacifique à titre de dommages-intérêts ;

- cent soixante mille (160.000) francs pacifique au titre des congés-payés;

- trois cent vingt mille (320.000) francs pacifique au titre de son salaire du mois de janvier;

- deux millions trois cent quatre-vingt-quatorze mille neuf cent quarante-quatre (2.394.944)francs pacifique au titre des heures supplémentaires.

-condamné la société Snc Fare Quai Ferry à régulariser la situation de M. [E] auprès des organismes sociaux et à lui remettre ses bulletins de salaire, un certificat de travail et un solde de tout compte ce dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement , sous peine passé ce délai d'une astreinte de 10.000 francs pacifique par jour ;

-dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision, s'agissant des créances indemnitaires et à compter de la demande s'agissant des créances salariales ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les créances salariales dans les conditions prévues par l'article 886-2 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

-fixé à la somme de 320.000 francs pacifique la moyenne des trois derniers mois de salaire ;

-ordonné l'exécution provisoire de la présente décision à hauteur de 50 % des sommes allouées à titre de dommages-intérêts ;

-rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

-fixé à quatre (4) unités de valeur, le coefficient de base servant au calcul de la rémunération de Maître Nicolas Million avocat au barreau de Nouméa, désigné au titre de l'aide judiciaire

- condamné la Snc Fare Quai Ferry aux dépens.

PROCÉDURE D'APPEL

La Scn Fare Quai Ferry, représentée par son directeur, a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe de la cour d'appel le 11 août 2021.

Dans ses dernières écritures déposées au greffe le 10 août 2022 , qui ont été oralement soutenues lors de l'audience, la Snc Fare Quai Ferry demande à la cour de :

- réformer le jugement du tribunal du travail en date du 10 août 2021

En conséquence, à titre principal

- débouter M. [R] [E] de l'intégralité de ses demandes

A titre accessoire, si la cour venait à confirmer la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail :

- débouter M. [R] [E] de sa demande de requalification de sa démission

- débouter M. [R] [E] de sa demande relative au paiement d'heures supplémentaires

En tout état de cause,

- condamner M. [R] [E] à payer à la Snc Fare Quai Ferry la somme de 300 000 francs pacifique sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie.

Dans ses dernières écritures, déposées le 7 juin 2022, qui ont été développées oralement le jour de l'audience , M. [R] [E] demande à la cour de :

- dire et juger que les demandes de la société Fare Quai Ferry se heurtent à l'autorité de chose jugée par le tribunal du travail de Nouméa le 23 novembre 2021

- déclarer irrecevables les demandes de la société Fare Quai Ferry relatives à la nature de la relation contractuelle l'unissant à M. [E],

- dire l'appel recevable, mais mal fondé

En conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,

- fixer les unités de valeurs dues à Maître [D] [S] avocat agissant au titre de l'aide judiciaire.

Enfin, la Cafat, assignée en intervention forcée en vue d'entendre déclarer commune la décision de la cour à intervenir , demande à la cour, dans ses écritures notifiées par voie électronique le 29 avril 2022 , soutenues oralement lors de l'audience :

- de constater que M. [E] bénéficiait d'un contrat de travail

- condamner la société Snc Fare Quai Ferry à payer à la Cafat la somme de 50 000 francs pacifique sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie.

L'affaire a été fixée à l'audience du 15 décembre 2022 par ordonnance du 28 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour est saisie du seul appel principal de la Snc Fare Quai Ferry qui critique la décision du tribunal du travail ayant d'une part, qualifié la relation existant entre M. [E] et elle même de contrat de travail, et d'autre part requalifié la démission du salarié en une rupture de la relation aux torts de l'employeur, dont découlent l'ensemble des condamnations pécuniaires prononcées à son encontre.

Il convient de relever à titre liminaire que même si la société Snc Fare Quai Ferry a relevé appel du jugement rendu par le tribunal de travail le 10 août 2021, dans son ensemble, elle n'a présenté aucun moyen ni aucune prétention , dans le cadre de ses demandes subsidiaires , relativement aux sommes qu'elle a été condamnée à verser à M. [E], à l'exception de la condamnation prononcée au titre des heures supplémentaires.

I Sur la nature juridique de la relation de travail.

Pour qualifier le rôle et la mission impartis à M. [E] au sein de la Snc Fare Quai Ferry, et affirmer l'existence d'un contrat de travail , le tribunal de travail a relevé que les attestations émanant des collègues de travail de M. [E], mettaient en évidence que celui-ci , devait solliciter l'autorisation de M. [O] pour ouvrir et fermer la cuisine et qu'il devait attendre l'arrivée de M. [O] ou de sa fille pour pouvoir prendre ses fonctions de cuisinier. Le tribunal observait par ailleurs, que ces témoignages mettaient également en évidence que M. [E] était soumis aux mêmes notes de service que les autres salariés et qu'il avait du notamment, signer une note de service émanant de M. [O], interdisant au personnel l'utilisation du téléphones portables pendant les heures de service. Les premiers juges notaient que, selon ses collègues M. [E] se voyait imposer des horaires de travail notamment le soir, pendant les périodes de fêtes de fin d'année , qu'il devait en référer en permanence à M. [O] et que celui ci lui faisait des reproches sur son travail, M. [E] n'apparaissant autonome que dans le seul exercice de ses fonctions de cuisinier.

Les premiers juges s'appuyaient également sur le fait qu'il bénéficiait en réalité d' une rémunération identique à celle qu'il percevait dans son précédent emploi, au sein de restaurant ' La Barca' pour 169 heures de travail mensuel , rémunération conforme au salaire d'un chef cuisinier confirmé , à la seule différence, que sa rémunération était fixe , quelles que soient les heures de travail effectuées.

Enfin, le tribunal a observé que l'enquête effectuée par la Cafat, pour la période du premier trimestre 2016 au dernier trimestre de l'année 2017 avait abouti à un avis de régularisation adressé à la Snc Fare Quai Ferry le 5 juillet 2018, que M. [E] ne détenait aucune part sociale de la société Snc Fare Quai Ferry, et qu'il n'assurait aucune fonction administrative.

La Snc Fare Quai Ferry , entend sur ce dernier point préciser qu'aucune autorité de la chose jugée ne s'attache au jugement rendu le 23 novembre 2021 au terme duquel le tribunal a validé la contrainte émise à son encontre par la Cafat à l'issue du redressement concernant M. [E] et M. [H], s'agissant d'un litige n'opposant pas les mêmes parties, et n'ayant pas non plus la même cause. Elle rappelle qu'elle est contrôlée par une société Holding 3 LG, qui détient la totalité de ses parts sociales depuis le 31 juillet 2017 et précise que c'est dans ce cadre juridique particulier que doivent être appréhendées les relations entre les gérants de la Snc Quai Ferry et la société holding 3LG qui en est l'associée unique, elle même conduite par son gérant, M. [O] . Elle soutient que dans cette organisation, il était tout à fait normal, que M. [E], comme M. [I] [H] qui avait aussi le statut de gérant , se voient imposer, à titre de règle interne, certaines limites à leurs pouvoirs , les décisions les plus importantes relevant de l'autorisation préalable de l'associé unique ' Holding 3LG'.

Sans contester la matérialité des situations ou des faits décrits par les salariés, auteurs des attestations sur lesquelles le tribunal s'est appuyé pour analyser la nature juridique de la relation, la Snc Fare Quai Ferry prétend qu'aucun des faits et situations rapportés par ces témoignages n'est suffisant pour caractériser un lien de subordination. Elle se prévaut d'une jurisprudence au terme de laquelle les juridictions ont pu conclure à l'absence de lien de subordination lorsque le gérant est le détenteur du monopole des connaissances techniques, ce qui était bien le cas de M. [E], selon elle , puisqu'il était le seul détenteur des connaissances techniques requises pour gérer la cuisine.

Elle ajoute que si l'absence de lien de subordination est évidente pour les gérants investis des pouvoirs pour agir au nom de la société et suffit en elle même à écarter toute requalification du mandat social en contrat de travail, elle considère que ce critère n'est pas pertinent dans la situation de M. [E], au regard de la brève durée de ses fonctions ( quatre mois et demi ) qui ne lui a pas permis ni de participer à la politique générale de l'entreprise ni de signer des contrats l'engageant auprès des tiers. Elle précise que c'est également pour cette raison, qu'il n'a pas participé à l'établissement des comptes sociaux, ni rendre compte de quoi que ce soit à l'assemblée générale des lors que l'exercice social, clos le 30 septembre 2017 relevait pour l'essentiel de la gestion du cédant . Pour illustrer l'absence de tout lien de subordination de M. [E], la Snc Quai Ferry soutient encore qu'il bénéficiait d'une grande autonomie pour engager la société en passant des commandes auprès des fournisseurs, ou encore pour faire passer des entretiens d'embauche, comme pour organiser son travail , des lorsqu'il n'était pas tenu à des horaires fixes.

Elle indique par ailleurs que le tribunal s'est fondé sur des attestations émanant de personnes qui se sont prononcées sur le statut de M. [E] au sein de l'entreprise , uniquement à partir de ce qu'elles voyaient de son activité et sans connaître la 'réalité juridique' de la situation. Enfin elle affirme que la rémunération versée à M. [E] , à hauteur 350 000 francs mensuels est bien supérieure à celle d'un cuisinier , au regard de la grille établie par l'accord professionnel de la branche 'hôtel bars, cafés ' qui prévoit un salaire de l'ordre de 216 135 francs pacifique.

M. [E] demande à la cour de confirmer la décision de requalification des premiers juges. Il affirme que la nature juridique de la relation contractuelle le liant à la société Snc Fare Ferry a été définitivement tranchée par le tribunal, dans le cadre du litige ayant opposé la société à la Cafat , en observant que cette décision n'a été frappée d'aucun appel de sorte, que, revêtue de la chose jugée, elle rend irrecevable toute prétention contraire.

Sur le fond, il rappelle que le juge n'est jamais tenu par la qualification juridique que les parties ont donné à leur relation contractuelle et qu'une jurisprudence constante reconnaît notamment aux juridictions du travail la faculté de requalifier le mandat social en contrat de travail. Il fait valoir que tous les éléments versés aux débats et notamment les diverses attestations délivrées par ses anciens collègues mettent en évidence que ses conditions de travail étaient bien celles d'un simple salarié, dépourvu de tout pouvoir d'organisation ou de représentation des intérêts de la société à l'égard des tiers . Il précise que cette situation a d'ailleurs motivé le redressement effectué par la Cafat qui a émis une contrainte pour récupérer auprès de la société Fare Quai Ferry les cotisations sociales dont elle aurait du s'acquitter pour l'emploi de certaines personnes, dont M. [E].

Sur ce, la cour,

I- En premier lieu la cour écarte le moyen soulevé par M. [E] , tiré de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement rendu le 23 novembre 2023 par le tribunal du travail dans le litige opposant la société Snc Fare Quai Ferry à la Cafat , faute d'opposer les mêmes parties , au sujet des mêmes prétentions.

II- Selon l'article lp 111-2 du code du travail de Nouvelle Calédonie, est considérée comme salariée toute personne physique qui s'est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération , sous la direction et l'autorité d'une autre personne, physique ou morale, publique ou privée.

Il découle de ce texte que la relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité de sorte que c'est à juste titre que les premiers juges , ont assis leur analyse sur les conditions de travail dans lesquelles M . [E] exerçait son métier, telles que décrites par d'autres salariés, sans s'en tenir à la seule ' réalité juridique' évoquée par l'appelante procédant du procès verbal de désignation de M. [E] aux fonctions de gérant.

Le tribunal , par une analyse pertinente de l'ensemble de ces éléments a retenu que M. [E] exerçait en réalité son activité professionnelle exclusivement sous l'autorité et le contrôle de M. [O], gérant de la Snc Fare Quai Ferry même si, il avait effectivement le pouvoir de passer commandes et de signer les factures afférentes à l'achat des marchandises nécessaires à la préparation des plats..

La cour n'ignore pas que l'exercice d'un mandat social n'exclut pas nécessairement l'accomplissement de tâches techniques y compris sous le contrôle ou l'autorité d'un tiers, comme le suggère la société Snc Fare Quai Ferry, mais cette coexistence d'un double statut au sein de la même structure , impose que les deux activités soient clairement définies, et rémunérées de manière distincte ce qui n'était nullement le cas en l'espèce au vu des procès verbaux des 16 août et 1er octobre 2017, portant désignation par M. [O], es qualité d'associé unique des deux sociétés Holding et Fare Quai Ferry , de M. [E] aux fonctions de gérant.

Dans ces conditions, le jugement frappé d'appel sera confirmé de ce chef.

II Sur la rupture du contrat de travail .

S'il ressort de l'article p121-1 du code du travail que le contrat de travail à durée déterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié dans les conditions prévues par la loi, il est en revanche de jurisprudence constante que, pour entraîner la rupture du contrat de travail la démission du salarié doit être un acte volontaire réfléchi et non équivoque .

La lettre de démission adressée par M. [E] à son employeur le 1er janvier 2018 était rédigée dans les termes suivants' Par la présente , je mets fin à notre fausse gérance qui nous lie à ce jour. Les conditions de travail sont inacceptables , le chantage et la pression que vous me mettez au quotidien m'empêche totalement d'exercer mes fonctions' Je ne peux plus subir tout cela '.

Au vu de ce courrier, et des attestations produites par M. [E] , émanant d'autres salariés de l'entreprise, le tribunal a considéré que M. [E] avait été contraint de quitter l'entreprise, et que son départ relevait de la seule responsabilité de son employeur.

La société Scn Fare Quai Ferry soutient que la requalification de la démission en prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de l'employeur, opérée par les premiers juges ne peut se concevoir que s'il est admis que M. [E] avait la qualité de salarié, ce qui n'est pas établi selon elle. Pour autant, elle fait valoir que même si la cour devait confirmer le salariat de M. [E], il n'en demeure pas moins que sa démission est parfaitement claire et sans équivoque et ne laisse aucun doute sur sa volonté de mettre fin à la relation.

M. [E] demande à la cour de confirmer la décision du tribunal en ce sens qu'il a bien été poussé à quitter l'entreprise en raison des faits qu'il a dénoncés et prouvés.

La cour rappelle qu'il est de jurisprudence constante que la démission n'est pas caractérisée à défaut de volonté explicite, claire et non équivoque de démissionner, et qu'elle ne doit pas avoir été provoquée par un manquement de l'employeur à ses obligations. Il incombe en conséquence au salarié qui invoque un tel manquement , non seulement d'établir les faits qui le caractérisent , mais aussi de démontrer qu'ils sont suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur.

Au cas d'espèce, la cour, qui ne reviendra pas sur la qualification de la convention unissant les parties , considère comme les premiers juges, que les termes employés par M. [E] dans le courrier du 1er janvier 2018 , qui dénoncent 'les conditions inacceptables , le chantage et la pression qu'il subit au quotidien' ne laissent aucun doute sur le fait que son départ est en réalité forcé et commandé par la nécessité de protéger sa santé physique et mentale et non comme le suggère M. [O] , sans apporter la moindre preuve, pour se tourner vers un autre emploi.

De même, force est de constater que M. [N], Mlle [U], Mme [P], ( employées en tant que serveuses) M. [X] ( client et ancien collègue du Barca) , M. [T] [G]( ancien serveur ) décrivent de manière concordante le comportement de M. [O] tant à l'égard de M. [E] que de l'ensemble des employés en parlant ' de ses attitudes fréquemment agressives et impolies et même humiliantes ', des insultes qu'il pouvait proférer, y compris devant la clientèle, ou encore ' de son absence de respect envers ses employés, et de sa vulgarité envers eux, particulièrement devant les touristes, voire des menaces de fermer le restaurant pour les mettre à la rue ainsi que ses moments de colère'.

Ces témoignages soulignent également la pression exercée sur M. [E], qui se voyait imposer, spécialement en période de fête, des journées de travail continues parfois de 15 heures consécutives sans coupure, ni jour de repos.

La cour observe que les moyens opposés par M. [O] , qui argue de l'impartialité des témoins, qui chercheraient à lui nuire , ou de l'impertinence de leurs témoignages, au regard du peu de temps que certains ont passé dans l'entreprise, pour réduire à néant leur force probante, ne sont étayés par aucun élément sérieux.

Ainsi, c'est par une analyse pertinente, partagée par la cour, que les premiers juges ont retenu l'existence de preuves suffisantes pour caractériser un manquement grave de M. [O] à ses obligations légales , énoncées aux articles L 113 -1 et Lp 261-1 du code du travail de Nouvelle Calédonie, d'une part en assurant à ses salariés, des relations de travail empreintes de respect et exemptes de toute forme de violence, et d'autre part, en prenant les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale des salariés.

Dans ces conditions, le jugement dont appel sera confirmé de ce chef.

III sur les heures supplémentaires .

Le tribunal a condamné la scn Fare Quai Ferry à verser à M. [E] la somme de 2 394944 francs pacifique au titre des heures supplémentaires, au regard d'une part des témoignages établissant qu'il travaillait sans pause, en commençant sa journée à 6 heures 30 et parfois jusqu'à 23 heures pendant les périodes de fêtes de fin d'année et d'autre part des éléments chiffrés qu'il avait versés dans sa requête en indiquant qu'il travaillait de 6 heures 30 à 17 heures, la société Snc Fare Quai Ferry étant de son côté dans l'incapacité de fournir la moindre indication sur les heures effectivement travaillées par le requérant.

Devant la cour, la société Snc Fare Quai Ferry, qui reprend les arguments déjà exposés devant les premiers juges, rappelle qu'en matière d'heures supplémentaires, la charge de la preuve est partagée entre le salarié et l'employeur et qu'en l'espèce, aucune des attestations produites, ne prouve l'amplitude du travail de M. [E] , qui n'a pas été en capacité de détailler des horaires de travail précis de sorte qu'il ne démontre pas avoir accompli des heures supplémentaires.

M. [E] demande à la cour de confirmer toutes les condamnations financières et s'agissant des heures supplémentaires en particulier , fait valoir, comme en première instance, que la preuve de leur accomplissement résulte des attestations délivrées par les autres salariés.

En l'absence d'éléments nouveaux soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges , par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties, en retenant que les attestations déjà évoquées ci avant, et les informations données par M. [E] quant à ses horaires de travail, auxquelles l'employeur n'oppose aucun élément objectif sérieux, constituaient des éléments de preuve suffisants, pour fixer à 11 heures le nombre d'heures supplémentaires qu'il aexécutées chaque semaine pendant 23 semaines et pour arrêter le montant des sommes dues, après application des coefficients de majoration à 25 % et 50 % , à 1 959 600 francs pacifique en ce qui concerne les heures supplémentaires majorées à 25 % et à 435 344 francs pacifique pour les heures majorées à 50 %.

Le jugement sera en conséquence confirmé de ce chef.

IV Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

La société Fare Quai Ferry, succombe en toutes ses prétentions devant la cour. Elle sera en conséquence déboutée de la demande formée de ce chef.

V Sur les dépens

Pour les mêmes raisons, elle sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré conformément à la loi,

- Confirme le jugement rendu le 10 août 2021 par le tribunal du Travail de Nouméa en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

- Déboute la société Fare Quai Ferry de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile

- Condamne la société Fare Quai Ferry aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00057
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;21.00057 ?
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