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13/02/2023 | FRANCE | N°20/00121

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 13 février 2023, 20/00121


N° de minute : 11/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 13 Février 2023



Chambre commerciale









Numéro R.G. : N° RG 20/00121 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RR3



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Novembre 2020 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG n° :20/139)



Saisine de la cour : 01 Décembre 2020





APPELANTS



M. [G] [O]

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 3]

ReprÃ

©senté par Me Pierre-louis VILLAUME, avocat au barreau de NOUMEA



Mme [M] [O]

née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 5]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numér...

N° de minute : 11/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 13 Février 2023

Chambre commerciale

Numéro R.G. : N° RG 20/00121 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RR3

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Novembre 2020 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA (RG n° :20/139)

Saisine de la cour : 01 Décembre 2020

APPELANTS

M. [G] [O]

né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Pierre-louis VILLAUME, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [M] [O]

née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 5]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/000693 du 02/07/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)

Représentée par Me Pierre-Louis VILLAUME, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉE

S.A. BANQUE CALEDONIENNE D'INVESTISSEMENT, représentée par son Directeur Général en exercice,

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Céline DI LUCCIO de la SELARL CABINET D'AVOCATS BOISSERY-DI LUCCIO-VERKEYN, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller, président,

Mme Zouaouïa MAGHERBI, Conseiller,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Mme Marie-Claude XIVECAS, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

**********************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Suivant acte sous seing privé du 28 janvier 2016, la BANQUE CALEDONIENNE D'INVESTISSEMENT (BCI) a consenti à la S.A.R.L « CHEZ LE RITAL » un prêt professionnel à taux variable (IEOM) d'un montant de 13 000 000 de francs CFP remboursable en 84 mensualités de 271'585 francs CFP, destiné au financement partiel de l'acquisition d'un fonds de commerce de boucherie à [Localité 7].

Par actes sous seing privé du même jour, M. [G] [O] et Mme [M] [O], sa fille, tous deux co-gérants de la société emprunteuse, se sont portés cautions solidaires dans la limite, chacun, de la somme de 6 500 000 francs CFP 'en capital plus intérêts au taux nominal de 2,80 % l'an, commissions, frais et accessoires" ;

Par jugement du 5 décembre 2016, le tribunal mixte de commerce de NOUMEA a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société CHEZ LE RITAL. Cette procédure a été convertie en liquidation judiciaire suivant jugement du 24 avril 2007

La banque a déclaré sa créance au passif de la procédure le 27 décembre 2016 et a réitéré sa déclaration entre les mains du liquidateur les 7 et 12 juin 2017.

Par requête du 5 juin 2020, la banque a fait convoquer M. [G] [O] et Mme [M] [O] devant le tribunal mixte de commerce afin de les voir condamnés solidairement, en leurs qualités de caution et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui payer la somme de 6 500 000 francs CFP, outre intérêts au taux contractuel sur le principal et au taux légal sur les indemnités, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par jugement réputé contradictoire du 13 novembre 2020, le tribunal a condamné M. [G] [O] et Mme [M] [O], en leurs qualités de cautions, à payer solidairement entre eux à la BCI la somme de 6 500 000 francs CFP avec intérêts au taux contractuel à compter du jugement ainsi qu'aux dépens de l'instance.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête déposée au greffe de la cour le 1er décembre 2020, M. et Mme [O] ont relevé appel de cette décision.

Aux termes de leur dernières écritures communiquées par RPVA le 16 mars 2022, ils demandent à la cour :

- de condamner la BCI à leur verser la somme de 6'500'000 Francs CFP à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de ses manquements à ses obligations d'information et de mise en garde et de la disproportion de leur engagement au regard de leurs capacités financières ;

- de débouter la BCI de ses demandes plus amples ou contraires ;

- de fixer les unités de valeur revenant au conseil de Mme [M] [O], agissant au titre de l'aide judiciaire ;

- de condamner la BCI aux entiers dépens, dont distraction au profit de leur conseil.

En réplique, la BCI conclut, au terme de ses dernières écritures communiquées par RPVA le 20 octobre 2021, à la confirmation du jugement frappé d'appel et à la condamnation des intimés à lui verser la somme de 250'000 francs CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de son conseil. Elle conteste en substance tout manquement à ses obligations légales et contractuelles. Elle soutient que M. [G] [O] doit être regardé comme une caution avertie et qu'en toute hypothèse les engagements consentis n'étaient nullement disproportionnés à leurs revenus et patrimoines respectifs.

Pour un exposé détaillé des moyens et arguments invoqués par les parties, la cour se réfère expressément à leurs écritures respectives, aux notes de l'audience et aux développements ci-dessous.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour relève en premier lieu que la validité des actes de cautionnement dont se prévaut la banque et la réalité de sa créance ne sont pas contestées par les appelants, de sorte que le jugement mérite confirmation en ce qu'il les a condamnés solidairement au versement à la banque d'une somme de 6'500'000 francs CFP.

Les appelants recherchent toutefois la responsabilité de la banque pour manquement à ses obligations de mise en garde et entendent par suite obtenir la compensation des créances réciproques.

Vu les dispositions de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en Nouvelle Calédonie ;

Il est constant en matière de prêt professionnel que le créancier est tenu de mettre en garde la caution non avertie à raison de la disproportion de son engagement au regard de ses biens et ressources, ce qui implique qu'il procède préalablement à une telle vérification.

En l'espèce, la SCI ne conteste pas la qualité de caution non avertie de Mme [M] [O]. Elle soutient en revanche avoir mis en garde l'intéressée contre les risques de disproportion éventuelle entre la garantie accordée et ses capacités de remboursement 'en faisant remplir par la caution une fiche de renseignement confidentiel'. Elle conteste par ailleurs toute disproportion dès lors que Mme [M] [O] disposait d'un revenu stable, que le montant de sa garantie était limité à 6'500'000 francs CFP et qu'elle disposait d'autres garanties, notamment d'un nantissement sur le fonds de commerce évalué à 13 millions de francs CFP de sorte que le risque pour la caution était limité.

Toutefois, le fait pour la banque de faire remplir à la caution une fiche de renseignements confidentiels ne permet pas à la banque de se voir délivrée de son obligation de mise en garde.

Or, il résulte des pièces produites aux débats par la banque elle-même que Mme [M] [O], employée en qualité de secrétaire médicale pour un salaire mensuel moyen de 174'000 francs CFP, vivant seule avec un enfant mineur à charge, ne possédait aucun patrimoine personnel. Elle ne disposait par ailleurs d'aucune expérience en boucherie ou en gestion d'entreprise et n'était à aucun moment évoquée dans la présentation du projet de rachat et d'exploitation du fonds de commerce remis à la banque. Elle n'était d'ailleurs supposée tirer aucun revenu de l'exploitation du fonds.

Au regard de ces éléments, l'engagement sollicité et obtenu par la BCI de Mme [M] [O], caution non avertie, apparaît manifestement disproportionné à ses capacités de remboursement et à son patrimoine, nonobstant le nantissement sur le fonds de commerce pris par la banque, garantie particulièrement fragile en l'espèce et qui s'est, de fait, rapidement révélé infructueux.

Le préjudice de ce défaut de mise en garde évident apparaît particulièrement important pour Mme [M] [O] qui justifie d'un revenu annuel fluctuant entre 2'070'617 et 2'421'300 64 francs CFP entre 2015 et 2018 sans changement dans sa situation familiale ou patrimoniale, ce que confirme encore la décision du bureau d'aide judiciaire du 2 juillet 2021.

La BCI sera condamnée en réparation à verser à Mme [M] [O] la somme de 6'500'000 francs CFP.

S'agissant de M. [G] [O], la BCI soutient en premier lieu qu'elle n'était pas tenue à son égard d'une quelconque obligation de mise en garde dès lors que ce dernier devait être considéré comme une caution avertie pour avoir une bonne connaissance du marché de la boucherie en Nouvelle-Calédonie et pour avoir assuré la co-gérance pendant cinq années d'une autre boucherie.

Toutefois, il résulte des pièces produites aux débats que M. [G] [O], titulaire d'un certificat d'aptitude professionnelle de charcutier traiteur, n'a occupé, au cours de sa carrière, que des emplois de commis de cuisine, découpeur, livreur, boucher, charcutier, vendeur et traiteur, à l'exception, dans les années 1990, de deux expériences de responsable de contrat sur portefeuille à temps partiel auprès d'un assureur et de fondé de pouvoir d'un syndic de copropriété chargé de la gestion des entreprises de maintenance.

Ces qualifications et ces expériences ne sont pas de nature à lui conférer la qualité de caution avertie, la circonstance selon laquelle il a exercé son art en Nouvelle-Calédonie depuis 1997 étant à cet égard sans incidence.

Si, M. [G] [O] a certes occupé la fonction de cogérant d'une boucherie concurrente au sein d'une grande enseigne, cette seule expérience ne saurait par elle-même et en l'absence de toute précision sur la nature de ses attributions effectives lui conférer la qualité de caution avertie.

La cour relève d'ailleurs que le projet de rachat du fonds de commerce a été présenté à la banque par un professionnel de la finance (Solutions Finance) et que M. [G] [O] n'avait, au jour de son engagement, souscrit aucun autre emprunt qu'un crédit immobilier pour l'achat de sa résidence principale.

Au regard de ces éléments, la banque ne pouvait se dispenser à l'égard de M. [G] [O], caution non avertie, de son obligation de mise en garde.

M. [G] [O] soutient en cause d'appel que la banque a failli à cette obligation et que son engagement était disproportionné au regard de ses revenus et de son patrimoine, ce que conteste la banque à titre subsidiaire.

Il résulte de la fiche de renseignements remise à la banque que M. [G] [O] a déclaré des revenus mensuels de 500'000 francs CFP par mois, lesquels n'étaient pourtant pas cohérents avec la déclaration de revenus 2014 fournie dans le même temps à la banque et produite par elle à la procédure, qui portait mention de revenus annuels à hauteur de 4'442'472 francs, étant précisé que les revenus annuels de son épouse se limitaient à 236'341 francs CFP. La banque s'est pourtant abstenue de solliciter toute autre pièce, alors que l'avis d'imposition sur le revenu 2015 mentionne des revenus nettement inférieurs, à hauteur de 2'998'624 francs CFP.

Par ailleurs, la banque ne pouvait ignorer que le couple devait faire face à des remboursements d'emprunt immobilier importants mentionnés aux termes de la déclaration de revenus 2014 (déduction fiscale des seuls intérêts à hauteur de 1'179'717 francs CFP), ce d'autant que M. [G] [O] avait indiqué, aux termes de la fiche de renseignements, que le bien immobilier acquis seulement quatre années plus tôt et estimé à 30 millions de francs CFP, était grevé d'une hypothèque.

Enfin, le maintien d'une rémunération annuelle de 4'800'000 francs CFP évoqué par le document prévisionnel remis à la banque apparaissait manifestement irréaliste alors que le bénéfice réalisé par le fonds de commerce acquis s'était élevé, en l'absence de toute rémunération de personnel, à 1'327'623 francs CFP sur l'exercice 2014 et à 907'456 francs CFP en 2013 et que le projet consistait en la réalisation d'importants travaux dans le commerce, ce qui impliquait une fermeture prolongée et un risque important de perte de clientèle.

Le projet présenté par un professionnel de la finance invitait d'ailleurs la banque à la prudence au regard des risques présentés ('l'opération est donc faisable, même s'il est vrai que la marge de man'uvre n'est pas énorme'), ce qui aurait nécessairement dû accroître la vigilance de la BCI quant aux capacités de remboursement de M. [G] [O] au regard de ses revenus et de son patrimoine tels qu'ils apparaissaient à la lecture des justificatifs fournis.

En s'abstenant de solliciter des pièces plus complètes et actualisées pour évaluer en toute bonne foi la situation financière précise de M. [G] [O] et l'état de son patrimoine malgré les incohérences évidentes du dossier qui lui était présenté, la banque ne s'est pas mise en mesure d'apprécier la proportionnalité de l'engagement souscrit avec les revenus et patrimoine de M. [G] [O]. Or, ce dernier démontre que ses revenus et son patrimoine ne lui permettaient pas, au jour de son engagement, de faire face à son obligation de remboursement à hauteur de 6'500'000 francs CFP en cas de défaillance du débiteur principal.

Ce faisant, la banque a manqué à son égard à son obligation de conseil.

Le préjudice est d'autant plus important que M. [G] [O] justifie depuis lors d'une situation financière particulièrement obérée à la suite notamment d'un accident du travail survenu le 20 décembre 2016. Il n'a, de fait, déclaré aucun revenu pour les années 2016 et 2017 avant de faire valoir ses droits à la retraite. Il justifie d'une pension de retraite à hauteur de 569'549/12 + 31'734 = 79'196 CFP par mois, complément de solidarité inclus.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que le couple n'est plus propriétaire du bien immobilier acquis en 2012, vendu du fait de ses difficultés financières alors qu'il était encore grevé d'un emprunt immobilier.

Au regard de ces éléments, il y a lieu d'évaluer le préjudice subi par M. [G] [O] du fait de manquement de la banque à son obligation de mise en garde à 6'500'000 francs CFP et de la condamner au paiement de cette somme.

Il convient enfin de constater la compensation des créances réciproquement détenues par les parties.

Sur les demandes annexes :

Il y a lieu de dire que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés en première instance et en cause d'appel et de fixer à 5 le nombre d'unités de valeur revenant à Me VILLAUME dans le cadre de son intervention au titre de l'aide judiciaire.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement, sauf en ses dispositions relatives aux dépens ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la BANQUE CALEDONIENNE D'INVESTISSEMENT à payer à M. [G] [O] la somme de 6 500'000 francs CFP en réparation de son préjudice né du manquement de la banque à son obligation de mise en garde ;

CONDAMNE la BANQUE CALEDONIENNE D'INVESTISSEMENT à payer à Mme [M] [O] la somme de 6 500'000 francs CFP en réparation de son préjudice né du manquement de la banque à son obligation de mise en garde ;

CONSTATE la compensation des créances réciproques ;

DIT que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés en première instance et en cause d'appel ;

FIXE à 5 le nombre d'unités de valeur revenant à Me VILLAUME dans le cadre de son intervention au titre de l'aide judiciaire.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/00121
Date de la décision : 13/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-13;20.00121 ?
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