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30/01/2023 | FRANCE | N°22/00030

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 30 janvier 2023, 22/00030


N° de minute : 7/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 30 janvier 2023



Chambre commerciale









Numéro R.G. : N° RG 22/00030 - N° Portalis DBWF-V-B7G-S6R



Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 17 mars 2022 par le juge commissaire de [Localité 4] (RG n° 21/1182)



Saisine de la cour : 28 mars 2022





APPELANT



M. [V] [Y],

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Lionel CHEVALIER de la SELARL LIONEL CHEVALIER, avoc

at au barreau de NOUMEA



INTIMÉS



Mme [D] [Y] épouse [T],

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Philippe GILLARDIN de la SARL GILLARDIN AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA



S.E.L.A.R...

N° de minute : 7/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 janvier 2023

Chambre commerciale

Numéro R.G. : N° RG 22/00030 - N° Portalis DBWF-V-B7G-S6R

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 17 mars 2022 par le juge commissaire de [Localité 4] (RG n° 21/1182)

Saisine de la cour : 28 mars 2022

APPELANT

M. [V] [Y],

demeurant [Adresse 3]

Représenté par Me Lionel CHEVALIER de la SELARL LIONEL CHEVALIER, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

Mme [D] [Y] épouse [T],

demeurant [Adresse 2]

Représentée par Me Philippe GILLARDIN de la SARL GILLARDIN AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

S.E.L.A.R.L. MARY LAURE GASTAUD, ès qualités de mandataire liquidateur de la SCI de gestion de patrimoine et d'exploitation agricole SOCAGRAINS,

Siège : [Adresse 1]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 5 décembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme Béatrice VERNHET-HEINRICH.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par jugement en date du 16 septembre 2019, le tribunal de première instance de Nouméa a ouvert une procédure collective à l'encontre de la Société civile immobilière de gestion de patrimoine et d'exploitation agricole 'Socagrains' sur assignation de Mme [D] [Y].

Dans le cadre de cette procédure, le 23 octobre 2019, Mme [D] [Y] s'est déclarée créancière de la SCI Socagrains, sur le fondement d'un jugement prononcé par le tribunal de première instance de Nouméa le 8 avril 2002 ainsi que sur un second jugement du 30 octobre 2000, ayant condamné la SCI Socagrains à payer :

- aux époux [R] [T] et [D] [Y] épouse [T], cautions solidaires de cette société envers la Crédit agricole mutuel, la somme de 6 349 075 francs Pacifique avec intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2000, date de la signification de la requête introductive d'instance,

- à M. [E] [Y], la somme de 3 713 814 francs Pacifique avec intérêts au taux légal à compter du 4 mai 2000, date de la signification de la requête introductive d'instance,

- aux époux [R] [T] et [D] [Y] épouse [T] et M. [E] [Y] la somme de 80 000 francs Pacifique au titre des frais irrépétibles.

La selarl Mary -Laure Gastaud, en qualité de liquidateur judiciaire, a contesté cette créance devant le juge-commissaire, lequel a, par ordonnance en date du 17 mars 2022, admis la créance de Mme [D] [Y] pour un montant de 15 606 649 francs Pacifique, sous déduction du versement de la somme de 1 300 000 francs Pacifique, à déduire au marc le franc avec la créance de Mme [O] [Y] - [K].

PROCÉDURE D'APPEL

M. [V] [Y], en sa qualité de gérant de la société Socagrains, a relevé appel de cette ordonnance par requête enregistrée au greffe de la cour le 28 mars 2022.

Dans ses dernières conclusions déposées sur le réseau privé virtuel des avocats le 27 avril 2022, auxquelles il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, il demande à la cour de :

- à titre principal, dire que la créance déclarée par Mme [D] [Y] repose sur un titre exécutoire qui était prescrit à la date de sa déclaration de créance, et rejeter dès lors la créance qu'elle a déclarée au passif de la société Socagrains ;

- subsidiairement , si la Cour devait estimer que la question qui lui est posée excède ses pouvoirs juridictionnels, qu'elle se déclare alors incompétente, et invite Mme [D] [Y] à faire établir sa créance dans les conditions prévues par I'article 107 de la délibération n°352 du 18 janvier 2008 ;

en tout état de cause,

- condamner Mme [D] [Y] à régler à M. [E] [Y] la somme de 300.000 francs Pacifique au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Mme [D] [Y] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 27 juin 2022, auxquelles il y a lieu de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, Mme [D] [Y] demande à la cour de dire que la créance détenue par Mme [D] [Y] épouse [T] en son nom personnel et en qualité d'héritière de [E] [Y] est exigible et valablement déclarée à la liquidation pour un montant de 15 606 649 francs Pacifique sous déduction du versement d'une somme de 1 300 000 francs Pacifique à déduire au marc le franc avec la créance de Mme [D] [Y].

Enfin, la selarl Mary Laure Gastaud, ès qualités, a, par courrier du 8 juillet 2022, avisé la cour de ce qu'elle s'en rapportait à la sagesse de la juridiction.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 août 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour est saisie du seul appel principal de M. [V] [Y], ès qualités de gérant de la débitrice, qui conteste la décision d'admission de la créance alléguée par Mme [D] [Y] épouse [T].

I. Sur le moyen tiré de l'incompétence du juge commissaire

M. [Y] soulève à titre subsidiaire l'incompétence du juge commissaire mais n'énonce aucun moyen de droit pour soutenir le bien fondé de cette exception de procédure.

La cour observe en tout qu'en tout état de cause, cette exception de procédure, tirée de l'incompétence de la juridiction saisie, n'est pas recevable faute d'avoir été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, conformément aux dispositions de l'article 74 du code de procédure civile.

Il convient en conséquence de la déclarer irrecevable.

II. Sur le titre de créance

Le juge-commissaire a admis la créance déclarée par Mme [D] [Y] au passif de la SCI Socagrains en se fondant sur le jugement rendu le 30 octobre 2000 ayant condamné cette dernière à rembourser à M. [R] [T] et à Mme [D] [Y] épouse [T] les sommes par eux versées en leur qualité de cautions solidaires, à l'établissement bancaire, auprès duquel la SCI dont ils étaient les associés avait contracté un prêt.

Il a estimé que l'inscription d'hypothèque définitive prise en vertu de ce jugement à hauteur de 11 788 780 francs Pacifique le 16 mai 2012 en sûreté de cette créance avait interrompu la prescription sur le fondement des articles 2244 et 2245 du code civil de Nouvelle-Calédonie.

M. [V] [Y] soutient que la créance de la succession de M. [E] [Y] est prescrite car elle repose sur un titre exécutoire rendu le 30 octobre 2000. Il fait valoir que depuis la loi du 17 juin 2008, les jugements sont soumis au régime de prescription de droit commun qui prévoit un délai de cinq ans, selon les dispositions de l'article 2224 du code civil.

Il soutient qu'aucun acte n'a pu interrompre ce délai quinquennal, dans la mesure où les actes de saisie réalisés en 2012 et en 2017 n'ont pas été dénoncés au débiteur, condition exigée de manière constante par la Cour de cassation pour accorder un effet interruptif aux actes d'exécution.

Il fait valoir que l'inscription d'hypothèque prise sur les biens de la SCI au profit de Mme [D] [Y] ne peut être analysée comme un acte d'exécution interruptif du délai de prescription, au terme d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation suivant laquelle une inscription d'hypothèque n'est qu'une sûreté accessoire d'une obligation, qui tombe automatiquement lorsque ladite obligation principale s'éteint notamment par prescription.

Enfin, M. [V] [Y] rappelle que l'ordonnance rendue par le président du tribunal mixte de commerce, le 28 mars 2019 pour désigner un conciliateur, préalable indispensable à l'ouverture d'une procédure collective à l'égard d'un débiteur agriculteur ne peut avoir aucun effet interruptif car elle est dépourvue de l'autorité de la chose jugée.

Mme [D] [Y] souligne le fait que le mandataire judiciaire n'a formé aucun recours à l'encontre de la décision d'admission de sa créance et rappelle que la procédure collective a été ouverte sur sa seule initiative puisqu'elle est seule créancière de la SCI, qui ne présente aucun autre passif. Elle fait valoir, d'une part que son titre exécutoire n'est pas prescrit, et que si la cour estimait le contraire, sa créance, provenant du règlement par des associés d'une dette sociale, est une créance d'associé, que le gérant devait automatiquement porter sur son compte courant d'associé. Cette créance est toujours exigible dans la mesure où le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter du moment où l'associé réclame son remboursement ce qu'elle n'a jamais fait.

1. Sur la prétention de créance fondée sur le titre exécutoire

La cour rappelle que l'application de l'article L 111-4 du code des procédures civiles d'exécution qui institue une prescription de dix ans pour l'exécution forcée des titres exécutoires, a été expressément exclue sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie par l'article 25 de la loi du 25-II de la loi du 17 juin 2008. Il en découle que l'exécution forcée des titres exécutoires est soumise sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie au délai de prescription quinquennal de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, prévu par l'article 2224 du code civil.

Selon l'article 2244 du code civil (étendu à la Nouvelle-Calédonie par l'ordonnance du 12 octobre 1992 et remplacé par la loi du 17 juin 2008), le délai de prescription ou le délai de forclusion est interrompu par un acte d'exécution forcée. Cependant, il est de jurisprudence constante, que l'acte d'exécution forcée ne peut s'entendre de l'inscription d'une hypothèque provisoire ou définitive, qui n'est pas une voie d'exécution mais une sûreté, accessoire d'une obligation et que l'acte de saisie doit nécessairement être dénoncé au débiteur pour produire son effet interruptif.

Il en découle que ni les saisies -arrêts réalisées en novembre 2012 et en juillet 2017, qui n'ont pas été dénoncées à la débitrice, ni l'inscription d'hypothèque réalisée en 2012 n'ont interrompu la prescription du délai d'exécution forcé du jugement prononcé le 30 octobre 2000, signifié à la débitrice le 13 décembre 2000, de sorte que la prescription est acquise depuis le 17 juin 2013 c'est-à-dire à l'expiration du délai de cinq ans ayant commencé à courir à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, dans sa rédaction applicable à la Nouvelle-Calédonie).

Il en est de même de l'ordonnance rendue le 28 mars 2019, sur la requête déposée le 15 janvier 2019 par Mme [T], portant ouverture de la procédure de conciliation obligatoire et préalable à l'ouverture d'une procédure collective, intervenue bien après l'expiration de ce délai, et qui ne constitue pas, en tout état de cause, un acte d'exécution forcée au sens de l'article 2244 du code civil, cette décision n'ayant par ailleurs aucune autorité de chose jugée relativement au point en litige entre les parties dans la présente instance. La cour rappelle en effet que cette ordonnance, qui désigne Mme [C] en qualité de conciliateur pour une durée de trois mois avec pour mission de favoriser le règlement amiable de la situation financière de la société débitrice, ne produit au regard de l'article 2238 du code civil invoqué par Mme [Y], qu'un effet suspensif et non interruptif, limité en l'espèce à trois mois, lequel ne saurait en tout état de cause d'aucune efficience pour faire 'renaître' la force exécutoire du titre prescrit depuis le 17 juin 2013.

En conséquence, il convient d'accueillir le moyen opposé par l'appelant tiré de la prescription du titre exécutoire fondant la créance.

2. Sur la prétention de créance fondée sur le compte courant d'associé

Le juge-commissaire, qui a accueilli la déclaration de créance fondée sur le jugement du 30 octobre 2000 après avoir écarté la contestation opposée par M. [V] [Y] tirée de sa prescription, ne s'est pas prononcé sur le second fondement juridique soutenu par Mme [D] [Y], tiré de sa qualité d'associée.

Mme [D] [Y] souligne le fait que le seul passif de la SCI Socagrains résulte des créances déclarées par les associés et que celles-ci ne sont toujours pas éteintes, faute de résolution des associés en assemblée générale en ce sens. Elle ajoute que sa créance est toujours exigible, dans la mesure où le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter du moment où l'associé réclame son remboursement ce qu'elle n'a jamais fait.

M. [V] [Y] affirme que Mme [D] [Y] ne peut se prévaloir de sa qualité d'associée de la SCI Socagrains pour soutenir que cette qualité la rendrait automatiquement créancière de la SCI par inscription à son profit d'une créance en compte courant d'associé. Il précise qu'à la supposer même créancière au titre de son compte courant, il n'en demeure pas moins que le délai de prescription de celle-ci court à compter de la demande de remboursement faite par l'associé créancier. Or, il affirme que cette demande est intervenue en amont de la procédure ayant donné lieu à l'obtention du jugement du 30 octobre 2000 de sorte que son action en paiement se trouve également éteinte par prescription.

Il ressort des articles L 622-25 du code de commerce et 98 de la délibération n° 352 du 18 janvier 2008 qu'il appartient au créancier de préciser dans sa déclaration, notamment les éléments de nature à prouver l'existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d'un titre, et à défaut une évaluation si son montant n'a pas encore été fixé.

Or, force est de constater au cas d'espèce, que la déclaration de créance litigieuse déposée par Mme [D] [Y] épouse [T] auprès du mandataire liquidateur le 23 octobre 2019 ne porte que sur les créances découlant du jugement rendu le 30 octobre 2000 et du jugement rendu par le tribunal de première instance de Nouméa le 8 avril 2002. Elle ne s'est pas prévalue d'une quelconque créance qui aurait été inscrite à son compte courant d'associé. Il en découle que la cour, qui ne statue que sur les seules déclarations de créance contestées devant elle, ne peut que rejeter ce moyen.

III. Sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Compte tenu de la situation respective des parties, il convient d'exonérer l'intimée de l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

IV. Sur les dépens

Mme [D] [Y] épouse [T] qui succombe devant la cour sera condamnée au paiement des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare irrecevable l'exception de procédure soulevée à titre subsidiaire par M. [V] [Y] ;

Infirme l'ordonnance rendue le 17 mars 2022 par le juge commissaire à la procédure de liquidation judiciaire de la SCI Socagrains ;

Et, statuant à nouveau,

Rejette la créance déclarée par Mme [D] [Y] épouse [T] le 23 octobre 2019 ;

Déboute l'appelant de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [D] [Y] épouse [T] aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/00030
Date de la décision : 30/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-30;22.00030 ?
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