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30/01/2023 | FRANCE | N°20/00414

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre civile, 30 janvier 2023, 20/00414


N° de minute : 10/2023



COUR D'APPEL DE NOUMÉA



Arrêt du 30 janvier 2023



Chambre civile









Numéro R.G. : N° RG 20/00414 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RRC



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 octobre 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :16/03564)



Saisine de la cour : 23 novembre 2020





APPELANT



ASSOCIATION ENSEMBLE POUR LA PLANETE (EPLP) prise en la personne de sa présidente en exercice,

Siège : [

Adresse 3]

Représentée par Me Martin CALMET de la SARL DESWARTE-CALMET, avocat au barreau de NOUMEA





INTIMÉS



S.A. SOCIETE DES MINES DE LA TONTOUTA, prise en la personne de son repré...

N° de minute : 10/2023

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 30 janvier 2023

Chambre civile

Numéro R.G. : N° RG 20/00414 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RRC

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 octobre 2020 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :16/03564)

Saisine de la cour : 23 novembre 2020

APPELANT

ASSOCIATION ENSEMBLE POUR LA PLANETE (EPLP) prise en la personne de sa présidente en exercice,

Siège : [Adresse 3]

Représentée par Me Martin CALMET de la SARL DESWARTE-CALMET, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

S.A. SOCIETE DES MINES DE LA TONTOUTA, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 1]

Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

S.A. SOCIETE GESTION EXPLOITATION MINES DE NICKEL GEMINI, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Sophie BRIANT de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA

S.A. SOCIETE NICKEL MINING CORPORATION

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Frédéric DESCOMBES de la SELARL D'AVOCATS D&S LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,

Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Le 3 décembre 2012, un glissement de terrain est survenu sur la route d'accès à la concession « Bienvenue », exploitée par la société Nickel mining company (NMC) et située sur la presqu'île [Localité 6] à [Localité 7]. Des matériaux éboulés se sont déversés dans le creek Xwé Nyamia.

Selon arrêté fixant les mesures d'urgence en date du 4 janvier 2013, le président de la province Nord a enjoint à la société NMC de procéder à la sécurisation du site et au nettoyage des conséquences de l'éboulement.

Dans la nuit du 2 au 3 janvier 2013, un glissement de terrain est survenu au droit de la fosse de la mine « Early down », exploitée par la Société des mines de la Tontouta (SMT) et située sur la presqu'île [Localité 6] à [Localité 7]. Des matériaux éboulés se sont déversés dans un affluent du creek Xwé Nékwé Cari.

Selon arrêté fixant les mesures d'urgence en date du 24 janvier 2013, le président de la province Nord a enjoint à la société NMC de procéder à la sécurisation du site et au nettoyage des conséquences de l'éboulement.

Selon arrêté du 28 juin 2013, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a agréé l'association « Ensemble pour la planète » « au titre de la protection de l'environnement dans le cadre géographique de la Nouvelle-Calédonie », pour une durée de cinq ans, à compter de sa date de publication (JONC du 30 juillet 2013).

Selon requête introductive d'instance déposée le 29 décembre 2016, l'association ELP a introduit devant le tribunal de première instance de Nouméa une action en responsabilité à l'encontre de la société NMC, de la société SMT et de la société Gestion exploitation mines de nickel (dite Gemini), qui intervenait sur les mines « Bienvenue » et « Early down » en qualité de tâcheron en application de deux délibérations du président de la province Nord du 18 juillet 2001, pour obtenir la réparation du préjudice écologique occasionné par les glissements de terrain des 3 décembre 2012 et 3 janvier 2013.

La société NMC a argué de l'irrecevabilité de l'action engagée, les défenderesses contestant par ailleurs toute responsabilité.

Par jugement en date du 19 octobre 2020, la juridiction saisie a :

- déclaré l'action exercée par l'association ELP recevable,

- débouté l'association ELP de l'ensemble de ses demandes,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné l'association ELP à payer à chacune des défenderesses une somme de 300.000 FCFP en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'association ELP aux dépens.

Le premier juge a principalement retenu :

- que l'association ELP avait qualité pour agir en justice puisqu'elle était dotée de la personnalité juridique et que deux délibérations de son conseil d'administration du 30 septembre 2014 et 11 août 2016 avaient autorisé une action en justice ;

- que l'association avait intérêt à agir en justice puisque l'action entrait dans son objet statutaire de protection de la qualité environnementale ;

- que l'exploitation des concessions minières « Bienvenue » et « Early down » avait commencé avant l'entrée en vigueur du code minier ;

- que les société SMT et NMC avaient été autorisées à poursuivre l'exploitation de ces deux concessions selon arrêtés du président de l'assemblée de la province Nord des 6 janvier 2015 et 4 mai 2015 ;

- que l'association ELP ne caractérisait pas les fautes commises par les défenderesses dans la gestion des eaux et aucune violation de l'article Lp 142-5 du code minier n'était démontrée dans la mesure où l'engravement des creeks était ancien et dû aux anciennes pratiques minières.

Selon requête déposée le 23 novembre 2020, l'association EPLP a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions déposées le 29 mars 2022, l'association EPLP demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable l'association EPLP ;

- l'infirmer pour le surplus ;

- condamner solidairement les sociétés Gemini et NMC à lui régler la somme totale de 37.220.000 FCFP, décomposée comme suit :

. 1.000.000 FCFP au titre du préjudice résultant de l'atteinte aux intérêts collectifs de l'association EPLP

. 35.220.000 FCFP au titre de l'atteinte à l'environnement décomposés comme suit :

16.413.000 FCFP correspondant au préjudice écologique lié à l'atteinte floristique,

3.807.000 FCFP correspondant au préjudice écologique lié à l'atteinte au milieu aquatique

15.000.000 FCFP correspondant au préjudice écologique lié à l'atteinte océanique

. 1.000.000 FCFP au titre de l'atteinte aux actions concrètes que mène l'association ELP ;

- condamner solidairement les sociétés Gemini et SMT à lui régler la somme totale de 180.894.000 FCFP l'association EPLP, décomposée comme suit :

. 1.000.000 FCFP au titre du préjudice résultant de l'atteinte aux intérêts collectifs de l'association EPLP

. 178.894.000 FCFP au titre de l'atteinte à l'environnement décomposés comme suit :

10.395.000 FCFP correspondant au préjudice écologique lié à l'atteinte floristique

138.499.500 FCFP correspondant au préjudice écologique lié à l'atteinte au milieu aquatique

30.000.000 FCFP correspondant au préjudice écologique lié à l'atteinte océanique

. 1.000.000 FCFP au titre de l'atteinte aux actions concrètes que mène l'association ELP ;

- condamner chaque société intimée à payer à l'association ELP la somme de 500.000 FCFP en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la sarl Deswarte-Calmet.

Selon conclusions transmises le 14 février 2022, la société NMC prie la cour de :

à titre principal,

- déclarer irrecevable l'action introduite par l'association EPLP compte tenu de son défaut d'intérêt à agir à l'égard de la tribu de Poro, et infirmer sur ce point le jugement en date du 19 octobre 2020 ;

à titre subsidiaire,

- juger infondées tant dans leurs principes que dans leurs montants les demandes de l'association EPLP et confirmer le jugement déférée l'ayant déboutée de l'intégralité de ses demandes ;

- débouter l'association EPLP de l'intégralité de ses demandes ;

en tout état de cause,

- condamner l'association EPLP à payer à la société NMC la somme de 1.500.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la selarl D & S Légal.

Selon conclusions transmises le 13 août 2021, la société SMT demande à la cour de :

à titre principal,

- déclarer que la prétention nouvelle soumise à la cour par l'association EPLP est irrecevable, en ce qu'elle tend à obtenir la réparation de préjudices distincts de ceux dont la réparation était demandée en première instance, et porte exclusivement sur les prétendues atteintes au creek Xwê Nèkwé Cari et à la baie de Nakéty ;

- rejeter la demande de l'association EPLP tendant à l'annulation du jugement entrepris la déboutant notamment de sa demande de condamnation de la société SMT ;

- rejeter la demande de l'association EPLP à faire condamner solidairement la société SMT et la société Gemini à régler une somme de 180.894.000 FCFP ;

- rejeter la demande présentée par l'association EPLP concernant les frais irrrépétibles et la condamnation aux entiers dépens des sociétés mises en cause ;

- condamner l'association EPLP à verser à la société SMT la somme de 1.000.000 FCFP au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

à titre subsidiaire,

concernant les prétentions indemnitaires de l'association EPLP au titre tant du préjudice écologique que du préjudice tiré de l'atteinte aux intérêts collectifs qu'elle défend et aux actions concrètes qu'elle mène,

- déclarer que l'association EPLP n'est pas fondée, en l'absence de faute de la part de la société défenderesse, à obtenir la réparation du préjudice écologique et du préjudice tiré de l'atteinte à la mission de protection de l'environnement des associations qui la composent ;

- déclarer que l'association EPLP n'est pas fondée à obtenir la réparation du préjudice écologique allégué en l'absence de gravité du dommage ;

- à titre infiniment subsidiaire, prendre acte des observations de la société défenderesse sur le quantum du préjudice écologique allégué et en tirer toute conséquence de droit ;

concernant les prétentions indemnitaires de l'association EPLP au titre du préjudice tiré de l'atteinte intérêts collectifs qu'elle défend et aux actions concrète qu'elle mène ;

- déclarer que l'association EPLP n'est pas fondée à obtenir la réparation du préjudice susvisé en l'absence de preuve de son existence ;

- à titre infiniment subsidiaire, prendre acte des observations de la société concluante sur le quantum du préjudice causé par l'atteinte à la mission de protection de l'environnement et en tirer toute conséquence de droit ;

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et rejeter la demande de l'association EPLP tendant à l'annulation du jugement déféré la déboutant notamment de sa demande de condamnation de la société SMT ;

- rejeter la demande de l'association EPLP tendant à faire condamner solidairement la société SMT et la société Gemini à régler une somme de 180.894.000 FCFP ;

- rejeter la demande présentée par l'association EPLP concernant les frais irrépétibles et la condamnation aux entiers dépens des sociétés mises en cause ;

- condamner l'association EPLP à verser à la société SMT la somme de 1.000.000 FCFP au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Dans des conclusions transmises le 2 juillet 2021, la société Gemini demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- dire et juger que l'association EPLP échoue à établir la moindre responsabilité de la société Gemini dans la survenance des éboulements du 3 décembre 2012 et du 2 janvier 2013 ;

- dire et juger que l'association EPLP ne rapporte pas le moindre élément probant permettant d'établir la réalité des préjudices invoqués et notamment de préjudices écologiques ;

- dire et juger que l'association EPLP n'est pas fondée à obtenir réparation des prétendus préjudices invoqués ;

- débouter l'association EPLP de toutes ses demandes ;

- condamner l'association EPLP à verser à la société Gemini la somme de l .000.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner l'association EPLP aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er juillet 2022.

Sur ce, la cour,

1) La société NMC excipe de l'irrecevabilité de l'action introduite par l'association appelante en ce que celle-ci entend agir dans l'intérêt de la tribu de Poro.

A aucun moment, l'association ELP qui poursuit l'indemnisation de son préjudice moral et d'un préjudice environnemental ne sollicite l'indemnisation d'un préjudice qu'aurait subi la tribu de Poro à la suite des deux éboulements litigieux de sorte que cette exception ne peut qu'être rejetée.

2) La société SMT excipe de l'irrecevabilité des demandes d'indemnisation dirigées à son encontre, telles que formulées en cause d'appel, aux motifs qu'il s'agit de demandes nouvelles au sens de l'article 565 du code de procédure civile et que ces demandes ne sont ni l'accessoire, ni la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises au premier juge.

Dans ses conclusions, l'association ELP ne répond pas à ce moyen.

Dans ses ultimes conclusions de première instance (conclusions transmises le 20 février 2020), l'association ELP, qui insistait sur l' « activité imbriquée » de ses adversaires, poursuivait la condamnation « in solidum » des sociétés NMC, SMT et Gemini à lui verser les sommes de :

- 56.819.028.000 FCFP au titre de son préjudice matériel environnemental et écologique,

- 200.000.000 FCFP au titre de son préjudice moral.

En cause d'appel, l'association ELP modifie ses demandes puisqu'elle distingue les préjudices occasionnés par le glissement du 3 décembre 2012, dont elle demande réparation aux sociétés NMC et Gemini, des préjudices occasionnés par le glissement du 2 janvier 2013 dont elle demande réparation aux sociétés SMT et Gemini.

S'il est exact qu'à plusieurs reprises, l'association ELP a visé dans ses conclusions du 20 février 2020 l'impact environnemental à [Localité 8], également appelée [Localité 5] (pages 10, 11, 34, 35), les développements consacrés à l'évaluation des préjudices subis par le milieu dulçaquicole, le milieu terrestre et le milieu lagonaire ne permettent pas de retenir qu'elle avait alors limité ses demandes à l'impact environnemental sur le creek Xwé Nyamia et [Localité 8]. La cour retiendra que l'association ELP a clarifié ses prétentions et que la ventilation qu'elle opère désormais entre les deux sinistres est autorisée par l'article 566 du code de procédure civile.

L'exception d'irrecevabilité soulevée par la société SMT doit être rejetée.

3) L'association ELP recherche, pour chacun des sinistres, la responsabilité des intimées sur le fondement de l'article Lp 142-23 du code minier de la Nouvelle-Calédonie qui dispose :

« L'explorateur ou l'exploitant, ou à défaut le titulaire du titre minier, est responsable des dommages causés par son activité.

Il peut, toutefois, s'exonérer de sa responsabilité en apportant la preuve d'une cause étrangère.

Cette responsabilité n'est limitée ni au périmètre, ni à la durée de validité du titre minier.

En cas de disparition ou de défaillance du responsable, la province est garante de la réparation des dommages mentionnés au premier alinéa ; elle est subrogée dans les droits de la victime à l'encontre du responsable. »

4) La société Gemini conteste toute responsabilité dans le glissement de terrain du 3 décembre 2012 en observant que :

- ce glissement ne résultait pas de son activité puisqu'il a affecté « un talus issu d'un ancien remblai et servant de piste d'accès à la mine » ,

- qu'il était « la résultante d'un phénomène naturel exceptionnel qui n'a lieu que tous les 20 ans ».

Pour sa part, la société NMC oppose qu'aucune violation de ses obligations légales ne peut lui être reprochée, le site ayant été exploité depuis 2007 conformément à l'autorisation minière délivrée à l'époque par la DIMENC. Elle observe que la zone ne présentait au jour de la reprise de la concession aucun désordre de sorte qu'aucune violation de son obligation de gestion des eaux instituée par l'article R 142-5 du code minier ne peut lui être reprochée.

Il est constant que la mine « Bienvenue » était régulièrement exploitée, à la date du 3 décembre 2012, en vertu d'une autorisation délivrée sous l'empire de la législation minière antérieure au code minier de la Nouvelle-Calédonie. Toutefois, ce code minier étant entré en vigueur le 30 avril 2009, l'éventuelle responsabilité la société NMC et la société Gemini s'apprécie au regard des prescriptions de l'article Lp 142-5 précité.

Il résulte du dossier (rapport du service des mines et carrières de la province Nord en date du 28 décembre 2012, diagnostic géotechnique du 17 décembre 2012 du Laboratoire géotechnique calédonien) que le glissement du 3 décembre 2012 a affecté un talus de remblais servant de piste d'accès à la mine. Dans son rapport, le Laboratoire géotechnique calédonien a noté que ce talus « se trouvait dans l'axe d'un creek naturel a priori toujours actif » qui drainait « une partie des eaux d'infiltration du massif ».

Les intimées ne démontrent pas que les « fortes pluies enregistrées la veille et l'avant-veille » du sinistre avaient le caractère de la force majeure qui leur aurait permis de se retrancher derrière une « cause étrangère ». Le « bulletin climatique de la Nouvelle-Calédonie » du mois de décembre 2012, versé par la société NMC (annexe n° 2), qui fait état de forts cumuls sur le massif du [Localité 9] ou à [Localité 10] le 3 décembre, n'est pas décisif parce que ces sites sont situés à plusieurs dizaines de kilomètres de la presqu'île [Localité 6] et que le bulletin fait état d'une disparité des cumuls en raison du caractère localisé de très nombreuses averses.

Dès lors que l'arrachement a eu pour siège un ouvrage artificiel, utilisé dans le cadre de l'exploitation de la mine, le sinistre doit être tenu pour lié à l'activité minière et est susceptible d'engager la responsabilité de plein droit des sociétés NMC et Gemini, telle qu'instituée par l'article Lp 142-5.

Le glissement de terrain litigieux n'engage la responsabilité des intimées que s'il a porté atteinte à un intérêt propre de l'association appelante ou porté atteinte à un intérêt collectif dont elle assure la défense conformément à ses statuts.

L'association ELP soutient que le glissement de terrain a été la cause d'un préjudice écologique tenant à une atteinte floristique, à une atteinte au milieu aquatique et à une atteinte océanique.

Selon l'article 2 de ses statuts, l'association ELP a pour objet de « protéger, de conserver et de restaurer les espaces, ressources, milieux et habitats naturels, biologiques et non biologiques, le patrimoine historique et culturel, les espèces vivantes, la diversité et les équilibres fondamentaux écologiques, l'eau, l'air, les sols et sous-sols, terrestres et marins, les sites, les paysages et le cadre de vie, de lutter contre les pollutions et nuisances, de promouvoir la découverte, le respect et l'accès à la nature et, d'une manière générale, d'agir pour la sauvegarde de ses intérêts dans le domaine de l'environnement, de la santé publique, de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme ; de promouvoir la durabilité forte du développement, ainsi que la solidarité, notamment intergénérationnelle, et l'égalité des genres ; de lutter contre le spécisme ; de soutenir et défendre en justice chacun de ses membres. »

Le préjudice écologique allégué est de nature à porter atteinte aux intérêts collectifs que l'association entend défendre.

Il est admis que le préjudice écologique consiste en une atteinte à l'environnement, c'est-à-dire en une dégradation d'un écosystème.

Au-delà de la pétition de principe de l'appelante qui écrit que « la réalité de l'impact environnemental tant terrestre qu'aquatique, dulçaquicole et marin, de l'arrachement du 3 décembre 2012 ne saurait être contestée », la seule description des conséquences environnementales du sinistre est fournie par un rapport intitulé « Etat des lieux - Anse Poro » émis le 31 août 2017 par la société Aqua Terra, à la demande de la société NMC. Ce travail faisait suite à une précédente intervention de ce cabinet d'études lors de l'instruction de la demande d'autorisation d'exploiter déposée par la société SMT en vertu du code minier (Etude d'impact environnementale n° 023/12) qui donne une image similaire de la dégradation du milieu naturel sur cette zone.

Il résulte de l' « état des lieux » que :

- le glissement s'est produit dans un massif marqué par des « pratiques minières anciennes », se traduisant par de « grandes décharges », des ravines plus ou moins profondes, un engravement des creeks, mais aussi par une forte dégradation de la végétation dans les zones non concernées par l'activité minière, occasionnée par des feux à répétition ;

- le glissement de terrain a affecté un maquis ligno-herbacé d'une biodiversité « basse », une « formation littorale anthropisée » ainsi qu'une cocoteraie ;

- « aucun écosystème d'intérêt patrimonial » n'a été perturbé par le glissement ;

- le creek Xwé Nyamia, dans le lit duquel la boue s'est écoulée, n'est pas pérenne de sorte que la coulée de débris n'avait pas pu affecter des poissons puisque le creek n'en abritait pas et qu'elle n'avait eu qu'un impact « de faible importance » sur des macroinvertébrés benthiques peu diversifiés ;

- les colonies coralliennes dans l'anse de Poro, à laquelle aboutit le creek Xwé Nyamia, sont « dans un état de santé moyen à satisfaisant, en accord avec leur localisation et ne présentent aucun impact de l'accident environnemental de décembre 2012 », le bureau d'études ayant notamment observé que les dépôt sédimentaires de particules terrigènes sont absents sur le platier récifal et qu'ils sont « très réduits sur le tombant et la pente sédimentaire » et ne limitent pas l'édification des coraux.

Ce constat, que l'association ELP ne conteste pas et qu'aucun élément du dossier ne remet en question, ne révèle aucune aggravation des atteintes aux écosystèmes terrestres ou aquatiques déjà occasionnées par des activités minières anciennes et plus généralement par l'activité humaine. Les attestations d'habitants de la presqu'île qu'elle invoque rendent compte d'une dégradation de la richesse du lagon en lien avec l'activité minière mais ne font état d'aucun appauvrissement particulier occasionné par le sinistre du 3 décembre 2012.

Dès lors qu'il n'est pas démontré que le glissement litigieux a provoqué un préjudice écologique, l'association ELP doit être déboutée de ses demandes d'indemnisation des préjudices découlant de l'atteinte aux intérêts collectifs et de l'atteinte à l'environnement.

L'association ELP sollicite l'indemnisation du préjudice occasionné par « l'atteinte aux actions concrètes » qu'elle mène.

L'association ELP ne justifie pas avoir mené la moindre action concrète de sensibilisation à la protection de l'environnement de la presqu'île [Localité 6] avant le sinistre. Bien plus, elle ne démontre pas avoir participé à l'enquête publique menée lors de l'instruction de la demande d'autorisation d'exploiter déposée par la société NMC en 2012 : elle n'est citée ni dans le rapport du commissaire enquêteur du 26 octobre 2014, ni dans le procès-verbal de la réunion de la commission minière communale de [Localité 7].

Dans ces conditions, la cour retiendra que la preuve de l'atteinte alléguée n'est pas démontrée et rejettera ce chef de demande.

5) La société SMT, qui observe qu'il n'existe aucune solidarité entre elle-même et le tâcheron, conteste que sa responsabilité puisse être engagée sur le fondement de l'article Lp 142-23 du code minier en l'absence d'un lien entre le glissement du 3 janvier 2013 et son activité. Elle reproche à l'appelante de ne pas démontrer « qu'à l'endroit où l'éboulement s'est produit, la SMT a effectivement exercé une quelconque activité ». Elle ajoute que sa responsabilité ne peut pas davantage être recherchée sur le fondement de la faute puisqu'il n'est pas démontré que les conditions de l'article Lp 142-5 étaient réunies. Enfin, elle se retranche derrière les précipitations « exceptionnelles » provoquées par la dépression Freda.

La société Gemini conteste toute faute dans la gestion des eaux et dénie tout lien entre le glissement du 3 janvier 2013 et l'activité minière des sociétés SMT et Gemini. Elle affirme également que ce sinistre est le fruit d'un « événement climatique exceptionnel ».

Selon le rapport du service des mines et carrières de la province Nord du 23 janvier 2013, la société SMT l'a informé dans sa déclaration du 7 janvier 2013 « qu'un glissement de terrain était survenu dans le nuit du 2 et 3 janvier 2013 au droit de la fosse de la mine « Early Down », située sur la presqu'île de [Localité 6]  (...) à l'occasion des fortes pluies enregistrées lors du passage de la dépression Freda », que « les matériaux éboulés s'étaient déversés dans le creek situé au nord-est drainant cette zone (...) et que les matériaux essentiellement rocheux étaient restés confinés dans le lit du creek. » Ce rapport ne fournit aucune information complémentaire sur les circonstances du sinistre et ses conséquences.

A la suite de ce glissement, la société SMT a saisi le Laboratoire géotechnique calédonien qui a déposé un « diagnostic géotechnique - mémorandum de la visite du 2013/01/15 » dans lequel ce cabinet a observé :

« 2 Descriptif de l'éboulement

L'éboulement est survenu au droit d'un flanc naturel du massif de [Localité 6], Cf. Figure 1. L'empreinte de l'éboulement montre une loupe faisant une longueur avoisinant les 20 m, une profondeur inférieure à 10 m et une hauteur proche de 50 m. Cf. Photo 1

Le flanc endommagé présentait une pente proche de 2V/3H avec un couvert végétal peu dense composé principalement d'herbacés. Les éboulis se sont accumulés dans le lit du creek dans sa partie basse.

L'empreinte de l'éboulement montre une géologie caractérisée par :

- Un recouvrement latéritique ne dépassant pas 1 m d'épaisseur.

- Un horizon altéré de puissant variant de 2 à 5 m au maximum.

- Un plan rocheux propre et lisse incliné à environ 1V/1 H vers l'aval.

- Les matériaux fins et altérés (mélange de blocs de taille variable dans une matrice rocheuse) étaient 'simplement' posés sur cette terrasse rocheuse sans ancrage ou transition notable. Cf. Photo 2

L'inspection visuelle de l'éboulement réalisée lors de la visite n'a montré aucune trace de résurgences, écoulements ou stagnation d'eau dans l'emprise directe de l'éboulement.

Des fonds de fosse d'exploitation sont présents en contre-haut de l'éboulement et sont utilisés comme décanteurs. L'inspection de ces fonds montre des traces de légères stagnations d'eau mais aucun signe d'anomalie (renard, infiltration importante, fissures, etc.).

3 Mécanisme de l'éboulement

La présence de fonds de fosse d'exploitation en contre-haut de l'éboulement utilisés comme décanteurs laissait penser que l'éboulement serait dû à des infiltrations des eaux dans l'assise rocheuse pour resurgir au niveau du plan rocheux conduisant à la déstabilisation des matériaux fins et altérés d'autant plus que des traces de stagnations dans les fosses ont été relevés. Cependant, I'absence de toute trace d'écoulement au droit du plan rocheux d'une part et l'absence d'anomalies dans le fond de fosse associée à la faible montée du niveau des eaux dans le bassin d'autre part nous amène à écarter ce scénario.

En fait, le scénario qui nous semble le plus plausible se résume en un zappage du pied de la zone effondré par les écoulements du creek adjacent ayant conduit à un mouvement plus important avec le glissement des matériaux éboulés sur le plan rocheux lisse.

En effet, des traces d'écoulements sont facilement identifiables dans le creek adjacent depuis sa partie haute même si ce creek n'est pas utilisé en tant que point de rejet des eaux de la mine. Ces écoulements naissent d'une résurgence d'eaux provenant de l'infiltration des eaux météoriques dans le massif.

De même, le plan rocheux disparaît en partie basse soit au pied de l'éboulement et donc la zone d'ancrage initiale du coin de sol qui a cédé. A cet endroit, les matériaux semblent plus terreux et donc plus sensibles à l'eau.

Enfin, les matériaux présents au-dessus du plan rocheux étaient simplement posés et donc 'prêts à partir'. Dès que la butée de pied a été supprimée, ces matériaux se sont de suite mis en mouvement générant donc l'éboulement. »

Il résulte de ce rapport qui ne donne lieu à aucun commentaire de la part de l'association ELP que :

- l'éboulement a affecté un « flanc naturel » et non un remblais créé lors de l'exploitation de la mine ;

- cet éboulement n'a pas son origine dans des infiltrations d'eau provenant de la fosse d'exploitation creusée en contre-haut ;

- il s'explique par un phénomène d'érosion du pied du versant imputable au creek qui y coule ;

- ce phénomène d'érosion n'a pas été aggravé par l'activité humaine puisque le creek « n'est pas utilisé en tant que point de rejet des eaux de la mine ».

Dans ces conditions, il convient de conclure que l'éboulement du 3 janvier 2013 est sans lien avec l'activité minière des intimées de sorte que leur responsabilité objective ne peut être en l'espèce recherchée. L'association ELP sera déboutée de l'ensemble de ses demandes dirigées contre les sociétés SMT et Gemini.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne l'association ELP à payer à la société NMC une somme de 350.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'association ELP à payer à la société SMT une somme de 350.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'association ELP à payer à la société Gemini une somme de 350.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'association ELP aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la selarl D & S Légal.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/00414
Date de la décision : 30/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-30;20.00414 ?
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