No de minute : 93/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 5 décembre 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : No RG 20/00116 - No Portalis DBWF-V-B7E-RQ5
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Octobre 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no: 18/82)
Saisine de la cour : 20 Novembre 2020
APPELANT
Mme [F] [O]
née le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 4] ([Localité 4])
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Sophie BRIANT membre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA/
INTIMÉ
S.A.S. HYPERMAT A L'ENSEIGNE MR BRICOLAGE, représentée par son Directeur Général en exercice
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Noémie KOZLOWSKI, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Juillet 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
Mme Nathalie BRUN, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN,Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 5 décembre 2022 après prorogations, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Monsieur Thibaud SOUBEYRAN, conseiller, en remplacement du président empêché, M. Philippe DORCET, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
**********************
PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE :
Suivant contrat à durée indéterminée du 3 août 2015, Mme [F] [O] était engagée par la société HYPERMAT exerçant sous l'enseigne M. BRICOLAGE en qualité de chef comptable à temps plein moyenne un salaire brut mensuel de 400 000 francs CFP, outre 13e mois et prime d'intéressement.
Par courrier du 24 avril 2017, elle était convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire le 3 mai 2017 "suite à plusieurs événements survenus". Aucune sanction ne lui était notifiée à l'issue de l'entretien.
Le 30 mai 2017, lors d'un entretien avec Monsieur [B], directeur général de la société, elle était victime d'un malaise qui justifiait son évacuation vers le centre hospitalier.
Elle était placée en accident du travail le même jour et jusqu'au surlendemain. Cet arrêt de travail était reconduit à plusieurs reprises jusqu'au 30 novembre 2018.
Elle adressait à la CAFAT le 13 juin 2017 une déclaration d'accident du travail aux termes de laquelle elle imputait son malaise à une crise de spasmophilie consécutive aux propos tenus lors de l'entretien par le directeur général de la société, qui la pressait d'accepter une rupture conventionnelle de son contrat de travail sous peine de procéder à son licenciement pour faute grave.
Suivant courrier du 10 juillet 2017, la CAFAT reconnaissait l'accident du travail du 30 mai 2017.
Par courrier du 6 décembre 2017, la CAFAT, se prévalant de l'examen de son médecin-conseil, fixait au 31 décembre 2017 la date de consolidation de son état de santé et retenait l'existence de séquelles indemnisables.
Par courrier du 12 décembre suivant, Mme [F] [O] contestait partiellement la décision de la CAFAT en ce qu'elle excluait des suites de l'accident du travail la pathologie dont elle souffrait à l'épaule droite, soutenant qu'elle était la conséquence de la chute survenue à l'occasion de son malaise.
Suivant requête du 8 janvier 2018, son conseil contestait la date de consolidation retenue par la CAFAT et l'absence de reconnaissance de cette pathologie au titre de l'accident du travail.
Par courrier des 28 févriers 2018 et 6 mars 2018, la CAFAT lui notifiait sa prise en charge au titre de l'assurance longue maladie du 2 février 2018 au 14 mai 2020.
Par courrier du 26 mars 2018, la CAFAT maintenait son refus de prise en charge de la lésion "épaule hyperalgique" au titre de l'accident du travail, décision qu'elle contestait par requête du 24 avril 2018.
Par courrier du 3 juillet 2018, la CAFAT informait Mme [F] [O] que le Dr [B], missionné en qualité d'expert à la suite de sa contestation, avait retenu l'existence d'un lien de causalité entre l'accident du travail et "le tableau d'épaule hyperalgique" et avait précisé que son état de santé n'était pas consolidé au 1er avril 2018, jour de l'examen.
Suivant requête déposée le 22 mars 2018, Mme [F] [O] saisissait le tribunal du travail de Nouméa aux fins de le voir constater qu'elle avait été victime, le 30 mai 2017, d'un accident du travail et, après le cas échéant avoir ordonné expertise des circonstances de l'accident, de le voir reconnaître que la société HYPERMAT avait violé son obligation de sécurité de résultat et avait commis une faute inexcusable. Elle sollicitait qu'une expertise médicale soit ordonnée aux fins de déterminer l'étendue de ses préjudices et la condamnation de son employeur à lui verser la somme de 3 millions de francs CFP à titre de provision à valoir sur son indemnisation, outre celle de 500 000 francs CFP au titre de l'assistance d'un médecin-conseil.
Par ailleurs, elle demandait au tribunal de constater que son employeur avait commis des manquements suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts avec les effets d'un licenciement nul, subsidiairement de retenir que cette résiliation était sans cause réelle ni sérieuse. Elle sollicitait en conséquence diverses sommes au titre de son contrat de travail, y compris au titre d'heures supplémentaires accomplies entre le 25 juillet 2016 et le 24 mai 2017 et en indemnisation de ses préjudices liés à la rupture abusive de son contrat de travail.
Par jugement contradictoire du 27 octobre 2020, le tribunal a :
- dit que Mme [F] [O] avait été victime le 30 mai 2017 d'un accident du travail et que tous les arrêts de travail dus à cet accident en raison de sa pathologie psychologique devaient être pris en charge au titre de la législation professionnelle ;
- dit qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner une enquête ou une expertise sur la pathologie psychique et sur les circonstances de l'accident en l'absence de témoins lors de l'entretien du 30 mai et compte tenu des éléments médicaux produits et débouté les parties de leurs demandes formées à ce titre ;
- dit que la société HYPERMAT n'avait pas commis de faute inexcusable et débouté en conséquence Mme [F] [O] de ses demandes à ce titre tant s'agissant de la majoration de la rente que des provisions sur préjudices corporels et matériels.
S'agissant de la pathologie de l'épaule et de la date de consolidation des deux pathologies ainsi que de l'appréciation du taux de déficit fonctionnel pour le calcul de la rente, le tribunal a ordonné une expertise médicale, confiée au Dr [Z], aux frais avancés de la CAFAT.
Le tribunal a par ailleurs retenu que la société HYPERMAT avait commis des manquements suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts et a dit que cette résiliation avait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a, à ce titre, condamné l'employeur à payer à Mme [F] [O] la somme de 6 millions de francs CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse outre diverses sommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, d'indemnité de licenciement, d'indemnité compensatrice de congés payés. Le tribunal a en outre fait droit à la demande présentée par Mme [F] [O] au titre des heures supplémentaires accomplies et non rémunérées pour la période du 25 juillet 2016 au 24 mai 2017 et a débouté Mme [F] [O] de sa demande formée au titre du rappel des commissions sur marge non perçues à compter de son arrêt de travail.
PROCEDURE D'APPEL :
Mme [F] [O] a interjeté appel partiel de cette décision par requête du 20 novembre 2020 en ce que le tribunal :
- a dit que la société HYPERMAT n'avait pas commis de faute inexcusable et l'a déboutée de ses demandes à ce titre ;
- a condamné la société HYPERMAT à lui payer une indemnité de congés payés limitée à 85 jours ;
- a dit que son employeur n'avait pas violé son obligation de sécurité de résultat et l'a déboutée de ses demandes à ce titre ;
- l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement abusif fautif du préjudice distinct et de sa demande de rappel de commissions.
Au terme de ses dernières conclusions du 21 février 2022 dont elle se prévaut à l'audience, elle demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société HYPERMAT, en ce qu'il a fixé la moyenne de ses salaires à 615 731 francs CFP, en ce qu'il a condamné son employeur à lui payer les sommes de 1 230 881 francs CFP au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 123 088 francs CFP au titre des congés payés afférents, de 400 038 francs CFP au titre de l'indemnité de licenciement sauf à parfaire à la date de l'arrêt, de 874 713 francs CFP au titre des heures supplémentaires non rémunérées et une somme en rémunération de 85 jours de congés non payés ;
- infirmer le jugement pour le surplus et :
- condamner la société HYPERMAT à lui payer la somme de 22 155 948 francs CFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement non causé ;
- juger que la société HYPERMAT a violé son obligation de sécurité et commis une faute inexcusable, en conséquence ordonner une expertise médicale aux fins d'évaluation de ses préjudices et lui allouer une provision à hauteur de 2 627 039 francs CFP ;
- condamner la société HYPERMAT à lui verser la somme de 1 000 000 de francs CFP en réparation de son préjudice distinct du licenciement ;
- juger que la suppression injustifiée de ses commissions sur marge brute constitue une faute, fixer le montant de la moyenne à retenir à 77 929 francs CFP et condamner la société HYPERMAT à lui payer la somme de 77 929 francs CFP à titre de rappel de commissions sur marge brute pour la période du mois de juin 2017 jusqu'au 30 septembre 2021, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chaque commission, soit le 10 de chaque mois ;
- en tout état de cause, condamner la société HYPERMAT à payer les intérêts au taux légal sur toutes ces sommes à compter de la demande et dire qu'elles seront frappées d'anatocisme, de confirmer la décision s'agissant des frais irrépétibles et de condamner la société HYPERMAT à lui verser la somme de 550 000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'à assumer la charge des dépens.
La société HYPERMAT sollicite quant à elle aux termes de ces écritures du 1er novembre 2021 dont elle se prévaut l'audience la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Mme [F] [O] de ses demandes au titre de la faute inexcusable et des commissions sur marge, l'infirmation pour le surplus et le rejet de l'ensemble de ses demandes. Elle sollicite à titre reconventionnel que la cour résilie judiciaire le contrat et dise que cette résiliation s'assimile à une démission, avant de condamner Mme [F] [O] à lui payer une indemnité compensatrice de préavis de 2 mois, soit 1 230 881 francs CFP. Elle demande enfin la condamnation de l'appelante à lui verser la somme de 200 000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles.
La CAFAT n'a pas comparu en cause d'appel.
Pour un exposé exhaustif des moyens des parties, la cour renvoie expressément à leurs écritures respectives, aux notes de l'audience et aux développements ci-dessous.
SUR CE :
Sur l'accident du 30 mai 2017 :
Vu les dispositions de l'article 2 du décret no57-245 du 24 février 1957 et de l'article 77 de l'AIT ;
Il est constant au visa de ces articles que la qualification d'accident du travail est présumée lorsque cet accident survient par le fait ou à l'occasion du travail, l'employeur conservant toutefois la faculté de renverser cette présomption en démontrant que le travail n'a joué aucun rôle dans sa survenue.
La société HYPERMAT fait grief au jugement d'avoir commis une erreur de droit et d'appréciation en se fondant, pour reconnaitre tant la matérialité de l'accident que son imputabilité au travail, sur les seules déclarations de la salariée et sur des éléments médicaux insuffisants.
Toutefois, c'est sans encourir les griefs invoqués et par des motifs que la cour adopte que le tribunal après avoir rappelé les circonstances non contestées du malaise de Mme [F] [O] survenu le 30 mai 2017 à l'occasion de l'entretien avec le directeur de la société, a retenu :
- que les conditions de la présomption d'imputabilité étaient en l'espèce réunies dès lors que le malaise, survenu sur le lieu et durant le temps de travail, était immédiatement consécutif à un évènement soudain, tenant au refus explicit et non contesté de la direction de la conserver dans les effectifs de la société et de renégocier les conditions de son départ ;
- que l'employeur n'établissait pas que le malaise n'était pas en lien avec le travail ;
- que suite à ce malaise, la salariée avait été évacuée aux urgences hospitalières et avait bénéficié d'un arrêt de travail de trois jours ; que la dépression réactionnelle au déroulement de cet entretien était avérée tant par les constations du Dr [N] , médecin psychiatre, que par celles du Dr [B], médecin conseil de la CAFAT, ce dont il résultait, en l'absence de démonstration d'un état antérieur ou d'une cause extérieure, que les arrêts de travail prescrits du fait de son symptôme dépressif réactionnel étaient imputables à l'accident du travail.
Mme [F] [O] produit au surplus en cause d'appel le rapport de l'expertise réalisée le 3 avril 2021 par le Dr [Z], missionné par le tribunal et dont les conclusions ne sont pas discutées par l'employeur. L'expert retient, au titre des séquelles fonctionnelles de l'accident du travail du 30 mai 2017, un syndrome algodystrophique de l'épaule droite et au titre des séquelles psychologiques et un "état anxio-asthéno-dépressif chronique à dimension névrotique avec constante psycho-traumatique".
Ainsi, contrairement à ce que soutient la société HYPERMAT, tant l'existence de l'accident, que celle des lésions et atteintes invoquées et l'imputabilité directe des secondes au premier sont établis, la présomption d'imputabilité, loin d'être renversée, étant en l'espèce renforcée par les éléments constants de la procédure et les données médicales produites aux débats.
Il s'ensuit que le jugement mérite confirmation sur ce point.
Il convient par ailleurs de juger que le syndrome algodystrophique de l'épaule droite est consécutif à l'accident du travail du 30 mai 2017 et doit être pris en charge à ce titre. Il y a lieu également de préciser que la date de consolidation doit être fixée, conformément aux conclusions du rapport d'expertise non discutées sur ce point, au 3 mars 2021 et que le déficit fonctionnel permanent à retenir pour le calcul éventuel de la rente doit être fixé à 19 %.
Sur la caractérisation d'une faute inexcusable de l'employeur :
Aux termes de l'article 34 du décret du 24 février 1957 relatif à la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer, lorsque l'accident est dû à une faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, les indemnités dues à la victime ou à ses ayants droit sont majorées.
La démonstration que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat engage sa responsabilité dès lors que le salarié victime établit qu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il l'exposait et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Il appartient dès lors à Mme [F] [O] de démontrer que la société HYPERMAT avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait sa salariée et qui s'est réalisé à l'occasion de l'accident du travail du 30 mai 2017.
Mme [F] [O] soutient à cet égard que son employeur avait ou aurait nécessairement du avoir conscience qu'elle se trouvait en situation de stress, de surcharge de travail et fragilisée par les remarques vexatoires tenues à son encontre par le directeur commercial de la société.
Toutefois, elle ne produit pour étayer ses affirmations aucun élément permettant d'établir qu'elle se trouvait, au jour de l'entretien, soumise à un stress particulier, lequel ne peut se déduire par principe de son importante charge de travail.
Si la procédure de licenciement pour faute grave initiée à son encontre était de nature à générer chez elle une crainte quant à la pérennité de son emploi, cette seule circonstance est également insuffisante à établir que son employeur avait nécessairement conscience d'un état de fébrilité tel qu'il justifiait la prise de mesures particulières pour prévenir un accident.
Mme [F] [O] ne justifie ni avoir alerté son employeur d'un état de vulnérabilité particulier préalablement à l'entretien du 30 mai 2017, ni que cet entretien s'est déroulé dans des conditions anormales.
Enfin, aucun élément médical produit aux débats n'établit de lien direct et certain entre l'état de stress invoqué et le malaise constitutif de l'accident du travail, les médecins psychiatres et le sapiteur évoquant un psycho traumatisme réactionnel sans l'imputer aux conditions de travail de Mme [F] [O] et sans établir que cette dernière, sans état antérieur, se trouvait au moment de l'entretien dans un état de vulnérabilité psychique.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [F] [O] de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et des demandes d'expertise et de provision subséquentes.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :
Vu l'article 1184 du Code civil dans sa rédaction applicable à la Nouvelle-Calédonie ;
Il est constant que le salarié peut solliciter la résiliation du contrat de travail aux torts de son employeur en cas de faute ou de manquement d'une gravité suffisante pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle. Cette rupture produite alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le tribunal a relevé, pour faire droit à sa demande, que Mme [F] [O] était manifestement surchargée et qu'elle pouvait difficilement faire face à toutes ses missions, ce qui engendrait inévitablement des retards et des tensions avec le personnel, qu'elle était en outre dénigrée par le directeur commercial auprès du directeur administratif et financier sans que l'employeur ne démontre avoir pris des mesures pour mettre un terme à ces comportements portant atteinte à sa dignité.
La société HYPERMAT fait valoir que les manquements qui lui sont imputés ne sont ni avérés, ni suffisamment graves, à supposer qu'ils soient établis, pour justifier la résiliation du contrat de travail.
Mme [F] [O] considère quant à elle que c'est à tort que le tribunal a écarté, pour fonder la résiliation, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
En l'espèce, le tribunal a constaté de manière pertinente que la fiche de poste de la salariée prévoyait dès l'origine de nombreuses tâches étrangères à l'activité de chef comptable et relevant de la gestion des ressources humaines (suivi des dossiers du personnel, élaboration des contrats de travail, suivi des absences, organisation des élections professionnelles, procédures disciplinaires).
Il n'est pas contesté que ces tâches étaient plus nombreuses et plus lourdes que celles confiées à la précédente chef comptable, qui comptait pourtant 40 ans d'ancienneté et qu'elles se sont sensiblement alourdies avec l'ouverture d'un troisième site, par ailleurs éloigné de [Localité 6] ([Localité 5]), laquelle avait porté à 85 salariés les effectifs de la société.
Par ailleurs, la société avait dû faire face dans le même temps aux conséquences d'un incendie qui avait entraîné la fermeture temporaire de l'un des magasins et à la mise en place d'un nouveau régime de taxe à la consommation (TGC), sans que l'employeur, qui ne pouvait ignorer cette surcharge objective de travail - dont témoigne par ailleurs le nombre important d'heures supplémentaires effectuées mensuellement par Mme [F] [O] - ne recrute de personnel pour l'assister dans ses tâches.
Cette dégradation progressive des conditions de travail, qui a eu pour effet d'altérer la fiabilité de Mme [F] [O] dans l'exécution de ses tâches et de tendre ses relations de travail, l'a exposée à des griefs répétés de la direction, jusqu'à sa convocation à un entretien préalable.
Dans le même temps, l'employeur ne justifie pas avoir pris de mesures pour mettre un terme aux propos dénigrants dont elle était l'objet de la part de l'un des cadres de l'entreprise et dont témoignent les courriers électroniques produits aux débats.
Enfin, la société HYPERMAT ne conteste pas avoir mis brutalement un terme, immédiatement après l'arrêt de travail, au paiement, pourtant continu depuis sa prise de fonction, d'une commission sur marge brute qui représentait entre 10 et 15% de sa rémunération.
Au regard de ces éléments, la dégradation progressive des conditions de travail de Mme [F] [O], l'absence de reconnaissance et de protection de sa direction et la diminution substantielle de sa rémunération immédiatement consécutive à son accident de travail constituent des manquements imputables à son employeur d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail.
Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef.
Sur les conséquences de la résiliation du contrat de travail :
La société HYPERMAT ne critique pas en cause d'appel les montants des sommes allouées par le tribunal suite à la résiliation judiciaire contrat de travail.
Mme [F] [O] sollicite quant à elle la confirmation du jugement en ce qu'il a fixé la moyenne des salaires mensuels à la somme de 615 731 francs CFP, en ce qu'il a condamné son employeur à lui payer les sommes de 1 230 881 francs CFP à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 123 088 francs CFP à titre de congés payés afférents et la somme de 400 038 francs CFP au titre de l'indemnité de licenciement.
Au regard des pièces versées à la procédure et de la position respective des parties, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur ces chefs de demande.
En revanche, Mme [F] [O] sollicite que l'indemnisation allouée au titre des dispositions de l'article Lp. 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie soient portée de 6 millions à 22 155 948 francs CFP, estimant que le tribunal a sous-évalué l'importance de son préjudice.
En l'espèce, Mme [F] [O] est à ce jour âgé de 53 ans, elle dispose de qualifications valorisables et d'une solide expérience. Elle justifie avoir perçu des indemnités journalières, puis des indemnités mensuelles jusqu'en juillet 2021 à hauteur de 307 500 francs CFP.
Le Dr [S] signale aux termes de son rapport de sapiteur "un impact très modéré sur l'activité professionnelle qui est en suspens (...) pour des raisons psychologiques et procédurale", alors que le Dr [Z] relève "une répercussion notable sur l'activité profesionnelle", Mme [F] [O] étant "inapte à reprendre les fonctions qu'elle exerçait au sein de la société HYPERMAT, en raison du conflit avec le dernier employeur". Il préconise ainsi son "reclassement professionnel dans ses compétences".
Enfin, Mme [F] [O] fait valoir à juste titre que son état de santé et le conflit avec son employeur auront nécessairement des conséquences négatives sur son employabilité dans des fonctions similaires, dans le contexte de la Nouvelle-Calédonie.
Au regard de ce qui précède, il y a lieu de porter de 6 à 8 millions de francs CFP le montant de l'indemnité pour due par l'employeur sur le fondement de l'article Lp. 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie.
Sur le préjudice distinct :
Il est constant que le salarié peut demander, sur le fondement contractuel, une indemnité à raison du préjudice moral causé par les circonstances de la rupture, distincte des dommages et intérêts demandés pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il appartient au salarié d'établir les circonstances particulières de la rupture constituant une faute de l'employeur et lui ayant causé un préjudice direct. Il en est ainsi lorsque les circonstances du licenciement ont présenté un caractère brutal ou vexatoire.
Mme [F] [O] sollicite à ce titre la somme de 1 million de francs CFP et fait grief au tribunal de l'avoir déboutée de sa demande à ce titre en première instance alors qu'elle a subi une détérioration de son état de santé imputable au comportement fautif de son employeur, tenant à la dégradation de ses conditions de travail, aux propos tenus durant l'entretien du 30 mai 2017 et en particulier aux pressions et au chantage exercés sur elle à cette occasion.
Toutefois, Mme [F] [O] n'établit pas la réalité des propos vexatoires et des menaces dont elle indique avoir été victime à l'occasion de l'entretien du 30 mai 2017, aucun élément objectif ne venant étayer ses déclarations face aux dénégations de son employeur et en l'absence de tout témoin.
Par ailleurs, les préjudices résultant directement de l'accident du travail et de la rupture du contrat de travail n'entrent pas, par nature, dans le champ du préjudice distinct.
En l'absence de démonstration que les circonstances de la rupture du contrat de travail ont présenté un caractère brutal ou vexatoire et que les préjudices invoqués n'étaient pas indemnisés au titre de l'accident du travail ou de la rupture du contrat de travail, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [F] [O] de ce chef.
Sur le rappel d'heures supplémentaires et le paiement de 85 jours de congés payés :
La société HYPERMAT ne critique pas le jugement en ce qu'il a retenu que Mme [F] [O] était fondée à solliciter le paiement des heures supplémentaires et d'heures majorées non réglées pour les années 2016 et 2017 à hauteur de 874 713 francs CFP. Il ne remet pas davantage en cause la décision en ce qu'elle l'a condamnée à payer à sa salriée une somme au titre de 85 jours de congés payés.
Mme [F] [O] sollicite la confirmation du jugement sur ces points.
Au regard des pièces justificatives produites aux débats et notamment des feuilles de pointage et bulletins de salaire de Mme [F] [O], le jugement sera confirmé de ces chefs.
Sur le rappel de rémunération sollicité au titre des commissions sur marge :
Le tribunal, aux termes de la décision dont appel, a retenu que "le versement de la commission sur marge, bien que non prévu au contrat de travail de Mme [F] [O], constituait un usage dans l'entreprise auquel l'employeur ne pouvait pas mettre fin sans le dénoncer légalement et à l'égard de tous les salariés, sauf à faire preuve de discrimination salariale".
Mme [F] [O] sollicite à ce titre la condamnation de son employeur à lui payer une somme de 77 929 francs CFP pour chaque mois durant la période comprise entre le mois de juin 2017 et le 30 septembre 2021, augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chaque commission.
La société HYPERMAT ne critique sur ce point ni la qualification d'usage retenue par le tribunal pour qualifier la pratique du versement à Mme [F] [O] d'une commission sur marge mensuelle, ni les modalités de calcul de la somme sollicitée à titre de rappel, en proposant par exemple le calcul des commissions auxquelles elle pouvait prétendre sur la base des résultats la société.
Il résulte en effet des bulletins de salaire produits par Mme [F] [O] qu'elle a perçu dès le premiers mois de son activité, puis chaque mois jusqu'à son arrêt de travail, une somme comprise entre 63 704 francs CFP et 92 744 francs CFP.
La société HYPERMAT n'est pas fondée à soutenir, comme elle l'a fait en première instance, que ces versements lui ont été dissimulés et procèdent d'une fraude alors que la direction, et en particulier le directeur administratif et financier, avait nécessairement connaissance du détail de la rémunération de sa salariée et accès à ses bulletins de salaire.
L'employeur ne conteste pas davantage l'affirmation de Mme [F] [O] selon laquelle cette commission était perçue par l'ensemble des salariés de la société, information à laquelle ses fonctions lui permettaient en effet d'avoir accès.
La société HYPERMAT ne s'explique pas enfin sur les raisons pour lesquelles elle a cessé le versement de ces commissions le mois suivant l'arrêt de travail de Mme [F] [O].
Le tribunal sera donc approuvé en ce qu'il a qualifié cette pratique d'usage et en ce qu'il a retenu que l'employeur n'était pas fondé à y mettre un terme de manière isolée, sans information ni avertissement.
Faute pour l'employeur d'établir, comme il pouvait seul le faire, le montant exact des commissions sur marge auquel Mme [F] [O] pouvait prétendre chaque mois au regard des résultats de l'entreprise entre le 1er mai 2017 et le 30 septembre 2021 et à défaut de toute critique sur le mode de calcul du montant du rappel sollicité à ce titre sur la base de la moyenne des commissions perçues entre juin 2016 et mai 2017, il y a lieu de condamner la société HYPERMAT à régler à Mme [F] [O] la somme de 52 x 77 929 = 4 052 308 francs CFP, Mme [F] [O] n'étant quant à elle pas fondée, au regard des dispositions de l'article 1147 du Code civil dans sa rédaction applicable à la Nouvelle-Calédonie, à solliciter que les commissions soient "augmentées des intérêts au taux légal à compter de l'exigibilité de chaque commission, c'est-à-dire le 10 de chaque mois".
Sur les demandes annexes :
Il y a lieu de décider que les sommes allouées à Mme [F] [O] au titre des créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018, date de la requête introductive d'instance, que les sommes allouées à titre de dommages et intérêts porteront intérêts à compter de l'arrêt et que les intérêts échus sur une année seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
La société HYPERMAT, qui succombe à titre principal, sera condamnée à assumer la charge des dépens d'appel et à régler en outre à Mme [F] [O] la somme de 350 000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles d'appel non compris dans les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DECLARE l'appel recevable ;
Au fond,
CONFIRME le jugement frappé d'appel, sauf en ce qu'il a condamné la société HYPERMAT à payer à Mme [F] [O] la somme de 6 millions de francs CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté Mme [F] [O] de sa demande en règlement d'un rappel de rémunération au titre des commissions sur marge brute ;
Et statuant à nouveau de ces chefs :
CONDAMNE la société HYPERMAT à payer à Mme [F] [O] la somme de 8 000 000 de francs CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société HYPERMAT à payer à Mme [F] [O] la somme de 4 052 308 de francs CFP à titre de rappel de commissions sur marges ;
Y ajoutant :
DIT que le syndrome algodystrophique de l'épaule droite est consécutif à l'accident du travail du 30 mai 2017 et qu'il doit être pris en charge à ce titre.
FIXE la date de consolidation au 3 mars 2021.
FIXE le taux de déficit fonctionnel servant au calcul de la rente à 19 % ;
DIT que les sommes allouées à Mme [F] [O] au titre des créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2018, que les sommes allouées à titre de dommages et intérêts porteront intérêts à compter de l'arrêt et que les intérêts échus sur une année seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
DEBOUTE les parties de toutes leurs demandes additionnelles ou contraires ;
CONDAMNE la société HYPERMAT à payer à Mme [F] [O] la somme de 350 000 francs CFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
CONDAMNE la société HYPERMAT aux entiers dépens d'appel ;
Le greffier, Le conseiller.