No de minute : 87/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 21 Novembre 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : No RG 22/00010 - No Portalis DBWF-V-B7G-S34
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Novembre 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no: 19/127)
Saisine de la cour : 08 Mars 2022
APPELANT
Mme [C] [P] [N]
née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Valérie ROBERTSON, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
Mme [M] [T]
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 6]
Représentée par Me Valérie LUCAS de la SELARL SELARL D'AVOCATS LUCAS MARCHAIS, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Juillet 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.
Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 21 novembre 2022 après prorogations, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile,
- signé par M. Thibaud SOUBEYRAN, conseiller en lieu et place de M. Philippe DORCET, président, empêché et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Suivant contrat à durée indéterminée du 1er février 2013, Mme [P] [N] a engagé Mme [T] en qualité d'employée de maison, niveau I, échelon I à mi-temps, soit 85 heures par mois, pour un salaire mensuel de 152 183 francs CFP sur une base de 169 heures de travail.
Par courrier du 29 juin 2018, le contrôleur du travail du travail, saisi par Mme [T], a indiqué à Mme [P] [N] que les fiches de paye remises à sa salariée laissaient apparaître une durée mensuelle du travail inférieure à 20 heures contrairement aux mentions du contrat de travail. Il soulignait par ailleurs qu'au mois de janvier 2018, l'indemnité de congés payés était inférieure au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la même période si la salariée avait continué à travailler. Il constatait enfin qu'au mois de février 2018, Mme [T] n'avait pas effectué, à la demande de son employeur, le travail pour lequel elle avait été engagé et qu'elle avait reçu un bulletin de paie mentionnant une indemnité pour solde de ses congés sans qu'aucune procédure ne soit engagée pour rompre le contrat de travail. Il demandait à Mme [P] [N] de régulariser la situation.
Par requête du 17 mai 2019, Mme [T] a saisi le tribunal du travail de Nouméa aux fins de le voir constater que son contrat de travail avait été rompu verbalement, sans cause réelle et sérieuse, par l'employeur. Elle sollicitait la condamnation de Mme [P] [N] à lui payer diverses sommes en indemnisation mais également au titre du rappel de salaires et à régulariser sa situation auprès de la CAFAT ainsi qu'à produire les documents de fin de contrat sous astreinte.
Par jugement réputé contradictoire du 13 novembre 2020, le tribunal du travail a :
– dit que Mme [T] avait fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et vexatoire ;
– dit que Mme [P] [N] n'avait pas respecté le contrat de travail et les droits de Mme [T] ;
– en conséquence, condamné Mme [P] [N] à payer à Mme [T] diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts ;
- condamné Mme [P] [N] à régulariser la situation de Mme [T] et à lui remettre sous astreinte son certificat de travail ainsi que ses bulletins de salaire rectifiés pour les années 2017 et 2018 ;
- débouté Mme [T] pour le surplus de ses demandes et fixé le nombre d'unités de valeur revenant à son conseil.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a notamment retenu que l'employeur n'avait pas rémunéré sa salariée au regard du minimum horaire prévu au contrat, que la requérante avait subi un préjudice de l'absence de définition de ses horaires et jours de travail et que la rupture du contrat de travail procédait d'un licenciement verbal, nécessairement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
PROCÉDURE D'APPEL
Suivant requête déposée au greffe de la cour le 30 novembre 2020, Mme [P] [N] a interjeté appel de cette décision.
Au terme de ses dernières écritures du 28 juillet 2022 dont elle sollicite le bénéfice à l'audience, l'appelante poursuit l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement frappé d'appel. Elle sollicite que soit écartée des débats l'attestation versée en pièce no3 par l'intimée, et entend voir la cour débouter Mme [T] de l'ensemble de ses demandes avant de la condamner à lui verser la somme de 250 000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles. Elle soutient en substance que la modification des heures de travail prévue au contrat résulte d'une initiative unilatérale de la salariée, tout comme la résiliation du contrat de travail, dont elle estime qu'elle ne procède pas d'un licenciement verbal.
En réplique, au terme de ses conclusions du 1er avril 2022 dont elle se prévaut à l'audience, l'intimée, après avoir sollicité le "rejet" de la pièce adverse no5, sollicite la confirmation du jugement frappé d'appel tout en reprenant dans le même temps l'ensemble de ses demandes indemnitaires formées en première instance et, y ajoutant, sollicite la condamnation de Mme [P] [N] à lui payer la somme de 2 425 000 francs CFP au titre de la liquidation de l'astreinte prononcée par le premier juge. Elle conteste d'une part avoir donné son accord pour une réduction de ses heures de travail, d'autre part que la rupture du contrat de travail est intervenue à son initiative.
Pour un exposé détaillé des moyens et de l'argumentation des parties, le tribunal renvoie à leurs écritures respectives, aux notes de l'audience et aux développements ci-après.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail :
Aux termes de l'article Lp. 122-1 du code du travail de Nouvelle Calédonie, le contrat de travail peut être rompu à l'initiative du salarié ou de l'employeur.
Les deux parties s'entendent pour estimer que le contrat de travail a été rompu le 28 février 2018, ce que confirment le solde de congés payés et la mention "Date de sortie : 28/02/2018" portées sur le bulletin de salaire du mois de février 2018 établi par l'employeur.
Mme [P] [N] fait grief au jugement frappé d'appel d'avoir pris pour acquis que Mme [T] avait fait l'objet d'un licenciement verbal et soutient que la rupture du contrat de travail relève de l'initiative de la salariée.
Il convient de rappeler que la démission s'analyse comme l'acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail
En l'espèce, aucune des attestations ni aucune des pièces produites par Mme [P] [N] en cause d'appel n'établit que Mme [T] a démissionné, a fortiori de manière claire et non équivoque.
Il se déduit des mentions portées sur le bulletin de salaire du mois de février 2018 par l'employeur qu'en l'absence de démonstration de la démission de Mme [T], la rupture du contrat de travail est intervenue à l'initiative de Mme [P] [N].
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a estimé que cette rupture, réalisée sans respect des dispositions des articles Lp. 122-4 et suivants du code du travail, procédait d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Aux termes de l'article Lp. 122-35 du code du travail, si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article Lp. 122-27.
Aux termes de l'article Lp. 122-27 du code du travail, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Le taux et les modalités de calcul sont fixés par voie conventionnelle en fonction de la rémunération perçue antérieurement à la rupture du contrat. L'indemnité ne peut toutefois être inférieure à un taux fixé par délibération du congrès.
L'article R. 122-4 précise que l'indemnité de licenciement prévue à l'article Lp. 122-27 ne peut être inférieure à une somme calculée, par année de service dans l'entreprise, sur la base de 20 heures de salaire pour les salariés rémunérés à l'heure et d'un 10e de mois pour les salariés rémunérés au mois. Le salaire servant de base au calcul de l'indemnité est le salaire moyen des trois derniers mois.
L'article 88 de l'accord interprofessionnel territorial prévoit quant à lui que l'indemnité de licenciement est calculée sur la base d'un 10e de mois par année d'ancienneté, plus 1/15 au-delà de 10 ans d'ancienneté.
Il convient de tenir compte des fractions d'année incomplète et de se placer à la fin du préavis pour apprécier le nombre d'années de service servant de base au calcul.
Aux termes du jugement frappé d'appel, le tribunal, relevant que Mme [T] justifiait de 6 années d'ancienneté, lui a alloué la somme de 47 073 francs CFP au titre de l'indemnité légale de licenciement et la somme de 784 550 francs CFP au titre de l'indemnité prévue à l'article Lp.122-35, outre les sommes de 156 910 francs CFP et de 15 691 francs au titre des congés payés sur préavis, sommes qui ne sont pas discutées en cause d'appel, le jugement méritant en effet confirmation sur ce point au regard des termes du contrat de travail produit aux débats.
Sur les rappels de sommes dues au titre du contrat de travail :
Mme [P] [N] fait grief au jugement de l'avoir condamnée au versement de diverses sommes à titre de rappels de salaires faute d'avoir rémunéré sa salarié à hauteur du volume horaire prévu au contrat de travail sans avoir recueilli son accord écrit pour un diminution de son temps de travail. Elle se prévaut de diverses attestations faisant état de la mauvaise volonté de Mme [T] à se rendre sur son lieu de travail. Elle soutient également que Mme [T] avait cessé de se rendre sur son lieu de travail à compter du début de l'année 2018
Toutefois, Mme [P] [N] n'établit pas, comme il lui incombe, avoir convenu expressément avec sa salariée d'une diminution du temps de travail contractuellement fixé, de sorte que le tribunal a retenu à juste titre que l'employeur était tenu de rémunérer Mme [T] sur la base du volume horaire prévu au contrat. Mme [P] [N] ne justifie d'ailleurs pas avoir engagé de procédure disciplinaire face à l'abandon de poste qu'elle impute, sans en justifier, à sa salariée durant plusieurs mois.
Les sommes allouées par le tribunal, justifiées par les pièces produites (contrat, bulletins de salaire), ne sont pas discutées à hauteur d'appel. Le jugement sera confirmé à cet égard.
Sur les préjudices invoqués par Mme [T] :
Mme [P] [N] fait grief au jugement de l'avoir condamnée à payer à Mme [T] la somme de 78 000 francs au titre du préjudice subi en l'absence de définition de ses horaires et jours de travail.
Le tribunal a retenu que l'employeur ne justifiait pas avoir mis sa salariée en mesure de connaître chaque mois le rythme de son travail et qu'elle ne se trouvait pas dans l'obligation de se tenir en permanence à la disposition de son employeur, ce qui lui a nécessairement occasionné un préjudice indemnisable.
Toutefois, il résulte des explications des parties et des pièces versées aux débats que Mme [T] a travaillé à horaires réguliers depuis février 2012 au domicile de Mme [P] [N], qu'elle exerçait dans le même temps un emploi à mi-temps au sein de la SARL LE RIVIERA, à horaires tout aussi réguliers, de sorte qu'elle ne pouvait se tenir en permanence à la disposition de Mme [P] [N] et qu'aucun préjudice n'est en l'espèce établi.
Mme [T] sera dès lors déboutée de sa demande à ce titre.
Mme [P] [N] fait également grief au jugement de l'avoir condamnée à verser à Mme [T] une certaine somme au titre des conditions vexatoires de son licenciement.
Le tribunal a retenu que le rupture s'était effectuée dans des circonstances brutales à l'origine d'un préjudice moral pour la salariée, sans préciser la nature de ces circonstances.
Mme [T] soutient que le licenciement verbal et immédiat d'une femme ayant toujours donné entière satisfaction à son employeur après 6 années de bons et loyaux services doit être considéré comme vexatoire.
Toutefois, ces circonstances ne sauraient à elles seules établir ni le caractère vexatoire ou brutal du licenciement, ni l'existence d'un préjudice distinct du licenciement lui-même, dont les conséquences ont par ailleurs donné lieu à indemnisation.
Mme [T] sera par conséquent également déboutée de sa demande formée à ce titre.
Sur l'établissement des documents de fin de contrat et la réparation du préjudice afférent :
Aux termes des articles Lp. 143-6 du code du travail, 62, 94 et 95 de l'AIT, l'employeur est tenu de délivrer, à la rupture du contrat, un bulletin de salaire récapitulant l'ensemble des sommes versées au salarié au titre de la rupture, outre un certificat de travail et un reçu pour solde de tout compte établi en double exemplaire.
Il n'est pas contesté par les parties que ces deux derniers documents n'ont pas été établis et que le bulletin de salaire du mois de février 2018 était incomplet, faute de mentionner l'ensemble des sommes dues au titre de la rupture du contrat de travail.
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a condamné Mme [P] [N] à remettre à Mme [T] sous astreinte son certificat de travail ainsi que son bulletin de salaire du mois de février 2018 rectifié au regard de sa décision. Par ailleurs, le tribunal ayant condamné Mme [P] [N] à verser diverses sommes à Mme [T] au titre des rappels de salaire, le jugement mérite confirmation en ce qu'il a condamné Mme [P] [N] à remettre sous astreinte à sa salariée des bulletins de salaires rectifiés et à effectuer les déclarations à la CAFAT nécessaires à l'exercice de ses droits.
Mme [T] sollicite en outre la réparation du préjudice constitué par la privation, faute de délivrance des documents de fin de contrat, des indemnités chômage auxquelles elle pouvait prétendre.
Le premier juge a fait droit à cette demande à hauteur de 240 000 francs CFP.
Toutefois, Mme [T] n'établit pas que la transmission à la CAFAT des pièces rectifiées ne lui permettra pas de percevoir le rappel des indemnités auxquelles elle peut prétendre depuis le 28 février 2018, de sorte que le préjudice invoqué n'est pas certain et que sa demande formée à ce titre ne peut prospérer.
Sur la liquidation de l'astreinte :
Il résulte des dispositions de l'article 886-1 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie que le tribunal du travail de Nouméa ne connaît pas de l'exécution forcée de ses jugements.
Il en résulte que ni le tribunal du travail, qui ne s'est pas expressément réservé la liquidation de l'astreinte, ni la cour saisie d'une demande en ce sens à l'occasion de l'appel formée contre sa décision, ne sont compétents pour statuer sur la demande de liquidation d'astreinte.
Sur les demandes annexes :
Mme [P] [N] succombant à titre principal sera condamnée à supporter la charge des entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a condamné Mme [M] [P] [N] à payer à Mme [C] [T] diverses sommes en indemnisation du caractère vexatoire du licenciement, de la violation de la législation sur le temps de travail et de la privation des indemnités chômage.
Statuant à nouveau de ces chefs,
DÉBOUTE Mme [C] [T] de ses demandes d'indemnisation formées au titre du caractère vexatoire du licenciement, de la violation de la législation sur le temps de travail et de la privation des indemnités chômage ;
Y ajoutant,
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande formée au titre de la liquidation d'astreinte ;
FIXE à 3 le nombre d'unités de valeur attribuées à Me Valérie LUCAS au titre de son intervention à l'aide judiciaire ;
CONDAMNE Mme [M] [P] [N] aux dépens d'appel ;
Le greffier, Le conseiller.