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17/11/2022 | FRANCE | N°21/000057

France | France, Cour d'appel de noumea, 02, 17 novembre 2022, 21/000057


No de minute : 86/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 17 novembre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 21/00005 - No Portalis DBWF-V-B7F-RV2

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Janvier 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/135)

Saisine de la cour : 15 Janvier 2021

APPELANT

S.A. SOCIETE LE NICKEL dite SLN représentée par son Directeur Général en exercice
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Séverine BEAUMEL membre de la SELARL BEAUMEL SELARL D'AVOCAT, avocat au barreau de NO

UMEA

INTIMÉ

M. [X] [Y]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Annie D...

No de minute : 86/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 17 novembre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 21/00005 - No Portalis DBWF-V-B7F-RV2

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Janvier 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/135)

Saisine de la cour : 15 Janvier 2021

APPELANT

S.A. SOCIETE LE NICKEL dite SLN représentée par son Directeur Général en exercice
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Séverine BEAUMEL membre de la SELARL BEAUMEL SELARL D'AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. [X] [Y]
né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Annie DI MAIO membre de la SELARL D'AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANT

CAFAT
Siège social : [Adresse 3]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
Mme Nathalie BRUN, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.

Greffier lors des débats et lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 novembre 2022 après prorogation, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Monsieur Thibaud SOUBEYRAN, conseiller en lieu et place du président empêché et par Mme Isabelle VALLEE, greffier auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Suivant contrat à duré indéterminée du 2 mai 1996, M. [Y] a été recruté par la S.A. SOCIETE LE NICKEL (la SLN) en qualité d'ouvrier mécanicien.

Par courrier du 18 décembre 2008, le médecin du travail signifiait à la SLN que l'état de santé de M. [Y] nécessitait " le transport sur KOPETO 2B avec une voiture à suspension "douce" et une contre-indication au port de charges supérieures à 10 kg, à la conduite des engins miniers et aux travaux nécessitant la flexion, la rotation du tronc avec manutention d'objets, les travaux recommandés étant ceux de petite mécanique n'exigeant pas la manutention de pièces lourdes".

Par courrier du 3 décembre 2014, la CAFAT reconnaissait le caractère professionnel, au titre du tableau 57/B, de l'épicondylite des coudes bilatérale constatée le 9 octobre 2014 par le médecin du travail.

Par courrier du 18 août 2015, la CAFAT évaluait à 5 % l'incapacité permanente partielle résultant de cette atteinte et notifiait à M. [Y] le montant annuel de la rente servie.

Le 8 décembre 2016, M. [Y] était déclaré apte par le médecin du travail, qui prescrivait néanmoins "dans la mesure du possible et selon l'organisation du travail, (de) privilégier des tâches en limitant la manutention et les gestes répétés".

Le 19 juin 2017, il était victime d'un accident sur son lieu de travail et était placé en arrêt de travail.

Le 18 septembre 2017, aux termes d'une "fiche d'aptitude médicale" suivant "visite de reprise après accident du travail", le Dr [A], médecin chef du département de santé au travail de l'entreprise, le déclarait apte à la reprise avec limitation du port de charges de 10 à 15 kg maximum et relevait que M. [Y] n'avait toujours pas fait l'objet de changement de poste malgré les activités critiques énumérées (travail en hauteur, manutention mécanique, levage, conduite de véhicules lourds, d'engins, de poids-lourds) qu'il était contraint d'effectuer.

Le 23 avril 2018, M. [Y] était absent de son poste de travail. Le lendemain, il communiquait àson employeur un certificat initial d'arrêt de travail établi le 24 avril 2018 le plaçant en arrêt maladie du 23 au 24 avril 2018 inclus.

Le 2 mai 2018, M. [Y] était déclaré inapte à son poste de "mécanicien entretien IF".

Par courrier daté du 3 mai 2018, la SLN lui proposait une affectation sur un poste d'aide superviseur à compter du 7 mai, proposition de reclassement qu'il acceptait par mention manuscrite le 7 mai 2018.

Toutefois, après avoir été entendu le 16 mai 2018, M. [Y] faisait l'objet d'un licenciement par courrier daté du 23 mai 2018 remis en main propre le 30 mai suivant et ainsi rédigé :

"Nous vous avons reçu en entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement le mercredi 16 mai 2018 afin de recueillir vos explications sur votre absence injustifiée du 23 avril 2018.

Le certificat médical d'arrêt de travail pour maladie que vous avez fourni à votre hiérarchie prescrit un arrêt les journées des 23 et 24 avrils 2018. Or, ce certificat est daté du 24 avril 2018. Le médecin ne pouvait valablement prescrire un arrêt antérieur au jour de la consultation. En conséquence, votre absence au poste de travail le 23 avril 2018 est injustifiée.

Lors de l'entretien vous nous avez expliqué que vous aviez contracté la dingue et que vous n'aviez pu vous rendre chez le médecin le 23 avril.

Vos explications ne sont pas de nature à modifier notre appréciation des faits.

Cette absence injustifiée constitue un manquement à vos obligations contractuelles.

Par ailleurs vous avez déjà été sanctionné à plusieurs reprises :

- Mai 2016 : 5 jours de mise à pied pour trois absences injustifiées et pour astreinte non assurée (faits d'avril),
- Mai 2016 : avertissement pour non port de la ceinture de sécurité (faits de mars),
- Novembre 2016 :15 jours de mise à pied pour deux absences injustifiées.

Compte tenu de votre absence injustifiée le 23 avril 2018 et de votre passé disciplinaire, nous avons décidé de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute simple.

Nous vous dispensons d'exécuter le préavis de rupture. Ce licenciement prend donc effet à l'issue des trois mois de préavis qui courent à compter de la date de première présentation de ce courrier (...)".

Par requête du 21 mai 2019, M. [Y] saisissait le tribunal du travail de Nouméa aux fins de voir reconnaître d'une part que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, d'auitre part que son employeur avait commis une faute inexcusable à l'origine de son accident du travail du 19 juin 2017. Il sollicitait par ailleurs que soit ordonnée une expertise médicale aux fins d'évaluer l'ensemble de ses préjudices et que son employeur soit condamné à lui verser diverses sommes au titre de l'indemnité légale de licenciement et en réparation de ses préjudices.

Par jugement dont appel du 6 janvier 2021, le tribunal a reconnu que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, a condamné la SLN à verser à M. [Y] diverses sommes au titre de l'indemnité légale de licenciement et en réparation de ses préjudices. Il a en outre jugé que l'employeur avait commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident du travail de son salarié, a ordonné la majoration au maximum de la rente servie à M. [Y] par la CAFAT et a ordonné une expertise médicale aux frais avancés de la CAFAT tout en radiant l'affaire du rôle dans l'attente du dépôt du rapport. Il a enfin condamné la SLN à verser à M. [Y] une somme de 150 000 francs sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter la charge des dépens.

PROCEDURE D'APPEL :

Suivant requête déposée au greffe de la cour le 14 janvier 2021, la SLN a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses écritures récapitulatives communiquées par RPVA le 21 avril 2022 et dont elle se prévaut à l'audience, la SLN demande à la cour d'infirmer le jugement et, à titre principal, de débouter M. [Y] de l'ensemble de ses demandes, subsidiairement de limiter le solde de l'indemnité de licenciement à devoir à la somme de 496 525 francs CFP, en tout état de cause de le débouter de sa double demande de dommages-intérêts fondée sur la faute inexcusable et sur le manquement à l'obligation de sécurité. Elle sollicite par ailleurs sa condamnation à lui verser la somme de 420 000 francs CFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au terme de ses dernières conclusions communiquées le 2 mai 2022 dont il sollicite le bénéfice à l'audience, M. [Y] demande à la cour d'infirmer partiellement le jugement entrepris et de condamner la SLN à lui verser la somme d'un million de francs CFP au titre du manquement caractérisé à son obligation de sécurité, outre les sommes de 964 704 francs CFP au titre de l'indemnité de licenciement, de 8 300 000 francs CFP au titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier et abusif et la somme de 630 000 francs CFP au titre du préjudice moral né des circonstances humiliantes du licenciement. Il sollicite enfin la condamnation de la SLN à lui verser la somme de 400 000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles.

La CAFAT, à qui le mémoire ampliatif d'appel a été communiqué, n'a pas comparu.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie expressément à leurs écritures respectives, aux notes de l'audience et aux développements ci-dessous.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la faute inexcusable de l'employeur :

Il appartient à l'employeur, en vertu des articles Lp. 261-1 à Lp. 261-3 du code du travail de la Nouvelle Calédonie de prendre les mesures de prévention, d'information, de formation nécessaires à la sécurité et à la protection de la santé de ses salariés, ainsi que de mettre en place une organisation du travail et des moyens adaptés à ces objectifs.

L'employeur se doit ainsi d'évaluer les risques pesant sur ses salariés afin de les "combattre à la source", d'adapter les outils, méthodes et équipements de travail en vue notamment de limiter les conséquences de tâches accomplies sur la santé de ses salariés, créanciers à son égard d'une obligation de sécurité de résultat.

A défaut, si un salarié établit que le manquement de son employeur lui a causé une atteinte préjudiciable alors qu'il aurait dû avoir conscience du danger auquel il l'exposait, sa faute inexcusable est susceptible notamment de justifier une majoration de la rente à laquelle il peut prétendre et, le cas échéant, d'ouvrir droit à indemnisation des postes de préjudice non couverts par la rente.

En l'espèce, l'employeur ne conteste pas que M. [Y] a subi, le 19 juin 2017, un accident du travail relaté comme suit aux termes du "retour d'expérience sécurité" adressé au CHSCT et produit aux débats :

" Récit des faits : deux agents doivent regonfler à l'azote les pneumatiques du débourbeur de B1. Pour ce faire ils utilisent des bouteilles d'azote. Ces bouteilles sont amenées via un palan au niveau supérieur, puis sont déplacées manuellement au niveau du plancher du débourbeur. Ces bouteilles pèsent 70 kg. Après l'opération, un des agents se plaint de douleurs à l'épaule et au coude droit.

Conséquence directe : ATAA (42 jours d'ITT, le 31/07/2017 l'agent est toujours en arrêt).

Mesures correctives :
– Achat d'un flexible gonflable de 18 mètres permettant d'éviter le déplacement manuel des bouteilles
– Fabrication d'un " panier " pour sécuriser le levage des bouteilles avec le palan.

Points à retenir :

Un travailleur ne doit pas porter des charges supérieures à 25 kg dans les conditions d'un port répétitif et 30 kg dans les conditions d'un port occasionnel.

Si la charge est supérieure à 30 kg/personne des moyens de manutention mécanisés doivent être mis en place et une modification de l'installation réalisée comme cela a été le cas suite à l'accident."

L'arbre des causes joint, sous forme de schéma, à ce document, mentionne que "[X] porte l'arrière de la bouteille d'azote (...) sur un escalier.

Or, la SLN ne justifie pas d'une évaluation préalable du risque lié à cette opération, alors qu'elle ne pouvait ignorer que le transport sans engins de levage ou aide mécanique, sur un escalier, d'une bouteille d'azote de 70 kg pour le gonflage des pneumatiques du plancher 23 D exposait ses salariés à un port de charges excédant la limite réglementaire de 30 kg et à des atteintes physiques graves, en particulier aux niveaux musculaire et articulatoire.

Elle ne justifie pas davantage avoir donné à M. [Y] des consignes dans l'accomplissement de sa tâche afin de prévenir le risque d'accident, avoir adapté le processus ou avoir mis à sa disposition des outils et dispositifs de levage propres à écarter tout risque d'atteinte comme elle en avait la possibilité, ainsi qu'en témoignent les mesures correctives élémentaires adoptées consécutivement à l'accident du 19 juin 2017.

Cette faute est d'autant plus inexcusable, s'agissant de M. [Y], que l'employeur avait été informé, par note interne de son médecin, le Docteur [E] [I], dès le 18 décembre 2008 que l'état de santé de son salarié contre-indiquait notamment le port de charges supérieures à 10 kg et les travaux nécessitant la flexion, la rotation du tronc avec manutention d'objets", le médecin préconisant une orientation vers des travaux "de "petite" mécanique n'exigeant pas la manutention de pièces lourdes".

L'attention de l'employeur avait à nouveau été attirée sur la nécessité d'un reclassement de son salarié sur un poste excluant le port de charges lourdes par la reconnaissance du caractère professionnel de l'affection, constatée le 9 octobre 2014, dont souffrait M. [Y], en l'espèce une épicondylite des coudes (bilatérale) visée au tableau 57 B des maladies professionnelles, à l'origine d'un taux d'incapacité permanente partielle fixée par la CAFAT à 5 % le 3 juin 2015.

L'employeur rappelle lui-même, aux termes de son courrier du 3 mai 2018 que l'inaptitude au poste de mécanicien constaté le 2 mai 2018 par le médecin du travail fait suite à un accident du travail de 2005 et "à une rechute en 2016".

L'employeur ne pouvait ainsi méconnaître que ses carences répétées en matière de reclassement, d'évaluation et de prévention d'un risque pourtant aisément identifiable exposait M. [Y] à la survenue d'un accident grave du travail, ce d'autant que suivant une "fiche d'aptitude médicale" du 8 décembre 2016, le Docteur [F] [G], médecin et chef du département de santé au travail de la SLN, proscrivait à nouveau le port de charges lourdes en visant cette même affection professionnelle.

Contrairement à ce que soutient la SLN, le lien directe de causalité entre la maladie professionnelle et l'accident du travail est établi de manière certaine au regard de la localisation de la blessure et des suites médicales telles qu'elles résultent du certificat médical du Dr [A] du 18 décembre 2017 et des courriers du Dr [P] du 18 décembre 2017 et du Dr [M] du 19 décembre 2017.

Par ailleurs, la SLN n'est pas fondée à soutenir que sa réactivité "ne peut être mise en défaut" pour avoir proposé, par courrier du 3 mai 2018, un reclassement à M. [Y] alors que l'indication du reclassement avait été posée par le médecin de la société dès le 18 décembre 2008 et que M. [Y] avait subi un accident du travail le 19 juin 2017 en lien avec une maladie professionnelle reconnue le 3 décembre 2014.
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a retenu la faute inexcusable de l'employeur dans la survenue de l'accident du travail du 19 juin 2017 et qu'il a, en l'absence de toute démonstration d'une faute imputable au salarié, ordonné la majoration au maximum de la rente servie par la CAFAT.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a ordonné une expertise médicale aux fins d'évaluer les différents préjudices résultant de la faute inexcusable de son employeur à l'origine de l'accident du travail du 19 juin 2017 et en ce qu'il a sursis à statuer sur les demandes indemnitaires formées à ce titre.

M. [Y] forme en cause d'appel une demande de dommages et intérêts au titre de la violation par l'employeur de son obligation de sécurité, dont elle estime qu'elle lui a causé un préjudice spécifique, indemnisable indépendamment des dommages résultant de la faute inexcusable de l'employeur.

M. [Y], qui souligne que les manquements de son employeur à son obligation de sécurité concourent à l'engagement de sa faute inexcusable, ne précise toutefois pas les éléments constitutifs du préjudice spécifique dont il entend obtenir réparation, lequel ne saurait se confondre avec le préjudice né de l'accident du travail du 19 juin 2017.

Dès lors, il sera débouté de sa demande indemnitaire formée à ce titre.

Sur le bien-fondé du licenciement :

Aux termes de l'article Lp.122-3 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie, tout licenciement doit être motivé par une cause réelle et sérieuse. Le licenciement n'est pas nécessairement fondé sur une faute grave ou lourde mais le fait ou l'ensemble de faits de nature personnelle invoqués par l'employeur doivent rendre impossible le maintien de la relation de travail.

L'article Lp. 122-6 dispose que l'employeur énonce, dans la lettre de licenciement, le ou les motifs du licenciement, l'employeur n'étant pas fondé à invoquer devant le juge d'autres motifs que ceux qui y sont portés.

Aux termes de l'article Lp. 122-33 du même code, "en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié."

Il appartient à l'employeur de démontrer la réalité et le caractère sérieux de la cause dont il se prévaut.

En l'espèce, l'employeur reproche au salarié une faute simple tenant à une absence injustifiée le 23 avril 2018 alors que le certificat médical produit par le salarié, daté du lendemain, ne pouvait valablement prescrire un arrêt antérieur au jour de la consultation.

L'employeur rappelle en outre que M. [Y] a déjà été sanctionné :

- au mois de mai 2016 pour trois absences injustifiées et pour astreinte non assurée au mois d'avril à cinq jours de mise à pied ;

- au mois de mai 2016 pour une absence de port de ceinture de sécurité au mois de mars 2016 un avertissement ;

- au mois de novembre 2016 pour deux absences injustifiées à 15 jours de mise à pied.

Toutefois, le tribunal a constaté à juste titre que l'absence du 23 avril 2018 n'était pas injustifiée dès lors que le salarié avait produit le 24 avril 2018 un certificat médical prescrivant un arrêt de travail du 23 au 24 avril 2018 inclus. Ce certificat médical, est corroboré par l'attestation du Dr [L] en date du 12 juin 2018 mentionnant que l'état de santé de M. [Y] rendait manifestement impossible son activité professionnelle le 23 avril 2018, ce dernier étant atteint de la dingue ainsi que le confirment les résultats d'analyse sanguine du 2 mai 2018 et le courrier de la Province sud du 4 mai 2018.

Par ailleurs, la remise non contestée de l'arrêt de travail à l'employeur le 24 avril 2018 n'apparaît pas tardive au regard des dispositions de l'article 76 de l'AIT qui impose au salarié, de justifier de son incapacité résultant d'une maladie ou d'un accident dans un délai de 48 heures. Le règlement intérieur de la SLN laisse également aux salariés de l'entreprise un délai de 48 heures pour avertir leur hiérarchie "si l'empêchement résulte d'une maladie". Enfin, la note no 2017-01 de la direction des ressources humaines datée du 14 février 2017, qui ne saurait déroger au règlement intérieur, prévoit que " le salarié doit avoir un justificatif valable dès son premier jour d'absence", ce qui n'implique pas que ce justificatif doit être communiqué à l'employeur dès le premier jour comme le soutient à tort la SLN, mais que le salarié doit pouvoir établir que son absence est, depuis le premier jour, justifiée pas un motif légitime.

Il s'ensuit que la faute simple n'est pas caractérisée, l'employeur n'établissant pas, au surplus, en quoi les absences de l'intéressé avaient désorganisé l'activité de l'entreprise au point de rendre impossible la poursuite du contrat de travail, étant relevé que l'employeur maintenait, au jour de la faute invoquée, son salarié sur un poste de travail incompatible avec son état de santé malgré une maladie professionnelle reconnue et plusieurs accidents du travail.

Dès lors, la décision sera confirmée en ce qu'elle a déclaré le licenciement de M. [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes indemnitaires consécutives au licenciement :

Sur l'indemnité légale de licenciement :

Aux termes de l'article Lp. 122-27 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie, le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement. Le taux et les modalités de calcul sont fixés par voie conventionnelle en fonction de la rémunération perçue antérieurement à la rupture du contrat. L'indemnité ne peut toutefois être inférieure à un taux fixé par délibération du congrès.

L'article R. 122-4 précise que l'indemnité de licenciement prévue à l'article Lp. 122-27 ne peut être inférieure à une somme calculée, par année de service dans l'entreprise, sur la base de 20 heures de salaire pour les salariés rémunérés à l'heure et d'un 10e de mois pour les salariés rémunérés au mois. Le salaire servant de base au calcul de l'indemnité est le salaire moyen des trois derniers mois.

L'article 88 de l'accord interprofessionnel territorial prévoit quant à lui que l'indemnité de licenciement est calculée sur la base d'un 10e de mois par année d'ancienneté, plus 1/15 au-delà de 10 ans d'ancienneté.

Il convient de tenir compte des fractions d'année incomplète et de se placer à la fin du préavis pour apprécier le nombre d'années de service servant de base au calcul.

Aux termes du jugement frappé d'appel, le tribunal, relevant que M. [Y] justifiait de 22 années et quatre mois d'ancienneté en incluant le préavis, lui a allooué la sommed e 468 179 francs CFP.

M. [Y] soutient que le salaire mensuel servant de base de calcul s'élève en réalité à 316 221 francs CFP et non à 256 927 francs CFP comme rentenu à tort par le tribunal et sollicite à ce titre la somme totale de 964 704 francs CFP.

La société SLN ne conteste pas l'évaluation de l'indemnité légale de licenciement réalisée par M. [Y] en cause d'appel mais rappelle qu'elle a déjà versé, en exécution du jugement, la somme de 468 179 francs CFP.

Au regard des bulletins de salaire versés à la procédure et des demandes respectives des parties, il y a lieu de condamner la société SLN à verser au titre de l'indemnité légale de licenciement la somme de 964 704 francs CFP, sous déduction de la somme déjà versée à ce titre par l'employeur, soit la somme non contestée de 468 179 francs CFP.

Sur l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Aux termes de l'article Lp. 122-35 du code du travail, si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article Lp. 122-27.

Le tribunal a, à ce titre, condamné l'employeur à verser au salarié la somme de 5 138 540 francs CFP correspondant à 20 mois de salaire.

M. [Y] sollicite à hauteur d'appel que le montant de cette indemnité soit porté à 8 300 000 francs CFP correspondant à 26 mois de salaire moyen brut, la société SLN demandant pour sa part à la cour à titre principal le débouté de la demande présentée à ce titre, à titre subsidiaire la limitation de la somme allouée au regard notamment du barème indicatif pratiqué en France métropolitaine, du passé disciplinaire du salarié, de l'opacité de sa situation personnelle et de sa situation réelle actuelle et prévisible.

En l'espèce, le licenciement sans cause réelle et sérieuse a été prononcé alors que M. [Y], qui pouvait se prévaloir de 22 ans d'ancienneté, était âgé de 43 ans et pouvait prétendre à poursuivre dans les mêmes conditions de revenus son emploi au sein de la SLN sur le poste en reclassement qui lui avait été proposé, au regard de sa maladie professionnelle, quelques jours avant la rupture fautive de son contrat et qu'il avait immédiatement accepté. La perspective de retrouver un emploi dans le secteur industriel correspondant à sa qualification et à une distance raisonnable de son domicile de [V] est particulièrement limitée, alors même que sa compagne tire des revenus irréguliers de son activité de prothésiste ongulaire et que le couple a à sa charge deux enfants en bas âge.

Il convient dans ces conditions et au regard du salaire moyen de M. [Y] retenu par les parties à hauteur de 316 221 francs CFP, de fixer l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 956 862 francs CFP correspondant à 22 mois de salaire et d'infirmer le jugement en ce sens.

Sur l'indemnisation d'un préjudice moral distinct :

Vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil dans sa rédaction applicable à la Nouvelle-Calédonie ;

Le jugement frappé d'appel a condamné la société la SLN à payer à M. [Y] la somme de 513 854 francs CFP en réparation du préjudice moral né des circonstances brutales de la rupture de la relation de travail.

L'intimée sollicite que cette somme soit portée, en cause d'appel, à 630 000 francs CFP, tandis que l'appelant, estimant que le préjudice invoqué n'est pas établi, conclut au rejet de sa demande.

En l'espèce, le licenciement sans cause réelle et sérieuse est intervenu quelques jours à peine après une proposition de reclassement au sein de l'entreprise, que M. [Y] avait immédiatement acceptée. L'employeur, qui pouvait pourtant s'appuyer sur son service de ressources humaines et faire appel, le cas échéant, à un avocat, a perduré dans sa volonté de rompre le contrat de travail en méconnaissance manifeste des dispositions légales alors que le salarié avait justifié, dès le 24 avril 2018, du motif médical de son absence du 23 avril 2018.

La société SLN, qui ne soutient ni ne justifie avoir convoqué M. [Y] à l'entretien préalable dont elle se prévaut, s'est par ailleurs abstenue sans explication de lui verser l'indemnité légale de licenciement à laquelle il pouvait prétendre, et qui n'a à ce jour été versée qu'à hauteur de 50 % alors qu'elle n'est contestée ni en son principe, ni en son montant.

Au surplus, il résulte de l'enquête de gendarmerie produite par l'employeur que la direction de la SLN a, durant la période de préavis, orienté les investigations menées suite à des faits de vols et dégradations sur le site de [V] et à proximité, vers M. [Y], sans disposer à son encontre d'aucun élément probant, l'exposant à un placement en garde à vue et à plusieurs perquisitions infructueuses avant le classement sans suite ordonné par le parquet de Nouméa. L'employeur a par la suite fait usage de manière répétée des pièces de cette procédure dans le cadre de l'instance prud'homale pour mettre directement en doute la moralité de son salarié malgré l'absence d'éléments probants alors que le licenciement était, aux termes du courrier du 23 mai 2018, fondé sur les seules absences injustifiées de l'intéressé.
Au regard de ce qui précède, c'est à juste titre le premier juge a condamné la société SLN à indemniser M. [Y] du préjudice moral occasionné par les circonstances inutilement brutales et vexatoires ayant accompagné son licenciement

Sur les demandes annexes :

La société SLN, qui succombe à l'instance, supportera la charge des dépens d'appel et sera condamnée à verser à M. [Y] la somme de 350 000 francs CFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE l'appel recevable,

Au fond,

CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a condamné la S.A. SOCIETE LE NICKEL à verser à M. [X] [Y] dit [N] les sommes de 468 179 francs CFP au titre de l'indemnité légale de licenciement et de 5 138 540 francs CFP au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

CONDAMNE la S.A. SOCIETE LE NICKEL à verser à M. [X] [Y] dit [N], en deniers ou quittance, les sommes de :

- 964 704 francs CFP au titre de l'indemnité légale de licenciement ;

- 6 956 862 francs CFP au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant :

DEBOUTE les parties de leurs demandes additionnelles ;

CONDAMNE la S.A. SOCIETE LE NICKEL à verser à M. [X] [Y] dit [N] la somme de 350 000 francs CFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie ;

CONDAMNE la S.A. SOCIETE LE NICKEL aux dépens d'appel ;

Le greffier, Le conseiller


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de noumea
Formation : 02
Numéro d'arrêt : 21/000057
Date de la décision : 17/11/2022
Sens de l'arrêt : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2022-11-17;21.000057 ?
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