No de minute : 80/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 14 novembre 2022
Chambre commerciale
Numéro R.G. : No RG 21/00132 - No Portalis DBWF-V-B7F-SVI
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 10 décembre 2021 par le président du tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG no :21/48)
Saisine de la cour : 23 décembre 2021
APPELANT
S.A.R.L. PHILIPPE JARCET ARCHITECTE, représentée par son gérant en exercice,
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Fabien CHAMBARLHAC de la SELARL LFC AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
M. [T] [S], pris en sa qualité d'ancien liquidateur de la SARL MALLARME,
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Me Vanessa ZAOUCHE de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 10 octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François BILLON.
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
La SARL MALLARMÉ a procédé à la construction d'une résidence dénommée [Localité 4] consistant en un bâtiment collectif à usage d'habitation divisé en 35 lots, situé [Adresse 1].
La construction de l'immeuble a été confiée à :
- la société JARCET, architecte maîtrise d'oeuvre,
- la société ETC, gros oeuvre,
- la société SOCALET, lot étanchéité,
- la société COSTANTIN, travaux de baîtres à eau et des toitures en tôle,
- la société SOCOTEC, mission de bureau de contrôle.
L'ímmeuble a été achevé au mois de décembre 2015.
La SARL MALLARMÉ a été dissoute amiablement à compter du 15 décembre 2017 et sa radiation a été effectuée le 21 décembre 2018 avec effet au 29 octobre 2018.
Le Syndicat des copropriétaires de la résidence [Localité 4], M. [L], M. [X] et Mme [V] [N] ont fait assigner devant le président du tribunal de première instance de Nouméa, statuant en référé, afin d'obtenir la désignation d'un expert judiciaire, les sociétés ETC, SOCALET, COSTANTIN, SOCOTEC et M. [S], liquidateur de la société MALLARMÉ, en exposant que leurs logements respectifs subissaient de graves infiltrations d'eau provenant de la dalle de parking située au-dessus, que les travaux de reprise de l'étanchéité proposés par les sociétés ETC et SOCALET s'avéraient insuffisants et qu'il était nécessaire d'approfondir les investigations sur la cause des désordres.
A l'audience, les demandeurs se sont désistés de leur demande à l'encontre de M. [S], ès qualités de liquidateur de la Sarl MALLARMÉ.
Par ordonnance du 15 septembre 2021, le président du tribunal de première instance a constaté le désistement du syndicat des copropriétaires de la résidence [Localité 4], de M. [L], de M. [X] et de Mme [V] [N] à l'encontre de M. [S], ès qualités de liquidateur de la SarL MALLARMÉ, et a ordonné une expertise confiée à M. [O].
Par ordonnance du 19 novembre 2021, rendu par le président du tribunal de première instance, les opérations d'expertise ont été étendues à la société SARL Philippe JARCET qui avait assuré la maîtrise d'oeuvre.
Par acte du 8 novembre 2021, la société Philippe JARCET ARCHITECTE a assigné M. [S] devant le président du tribunal de commerce statuant en référé, aux fins suivantes :
- désigner tel mandataire ad'hoc qu'il plaira, avec mission de représenter la SARL MALLARMÉ, et prendre toutes écritures qu'il avisera dans toute procédure concernant ladite société, et notamment, dans l'instance qui sera engagée à son encontre devant le président du tribunal de première instance de Nouméa aux fins de lui voir déclarer commune et opposable l'ordonnance de référé no 21/00172 rendue le 15 septembre 2021 ayant désigné M. [O] en sa qualité d'expert judiciaire ;
- dire qu'il sera déféré au président du tribunal mixte de commerce de Nouméa en cas de difficulté et que la mission du mandataire cessera de plein droit dès qu'il sera mis fin à tout différend, litige, procédure de contrôle et procédure contentieuse de toute nature en cours, soit par l'effet de transactions ou de décisions passées en force de chose jugée ;
- mettre à la charge de M. [S] l'ensemble des frais tenant à l'exécution du mandat ad'hoc ;
- condamner M. [S] aux entiers dépens ainsi qu'à payer à la SARL PHILIPPE JARCET ARCHITECTE une somme de 150 000 F CFP en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie.
La société JARCET a ainsi exposé pour l'essentiel qu'il y avait intérêt à ce qu'un représentant légal de la société MALLARMÉ soit au litige et notamment aux opérations d'expertise, celle-ci ayant souscrit une assurance décennale auprès de la société ALPHA INSURANCE.
Elle a soutenu que M. [S], ès qualités de liquidateur de la société MALLARMÉ, avait procédé à la liquidation amiable de celle-ci en dépit du risque de mobilisation de la responsabilité décennale incombant aux constructeurs et assimilés et que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, elle était donc fondée sur le fondement des dispositions de l'article 808 du code de procédure civile à solliciter la désignation d'un administrateur ad'hoc pour la représenter, peu importe que la société ait été dissoute.
M. [S], ès qualités de liquidateur de la société MALLARMÉ a répliqué pour l'essentiel :
- que la demande était irrecevable au motif que la société MALLARMÉ avait été dissoute à compter du 15 décembre 2017 et radiée le 21 décembre 2018 avec effet au 29 octobre 2018, de sorte qu'elle n'avait plus de personnalité morale depuis le 29 octobre 2018 ;
- que le demandeur ne justifiait d'aucun intérêt à agir alors qu'il n'était pas établi que la société MALLARMÉ avait une quelconque responsabilité dans les désordres, l'expert n'ayant pas sollicité sa présence à l'expertise ;
- que les demandeurs à l'expertise n'avaient pas jugé utile de solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc et s'étaient désistés de leur demande à l'encontre de M. [S], ès qualités d'ancien liquidateur de la société MALLARMÉ ;
- qu'en tout état de cause, les frais liés à l`exécution d'un mandat ad hoc ne sauraient être à sa charge alors qu'aucune faute n'était établie à son encontre et qu'il n'appartenait pas au juge des référés d'apprécier si des fautes avaient été commises par le liquidateur amiable.
Par ordonnance en référé du 10 décembre 2021, le président du tribunal de première instance de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :
Déclare irrecevable la demande de la société SARL JARCET tendant à désigner un mandataire ad hoc avec mission de représenter la SARL MALLARMÉ, et prendre toutes écritures qu'il avisera dans toute procédure concernant ladite société, et notamment, dans l'instance qui sera engagée à son encontre devant le président du tribunal de première instance aux fins de lui voir déclarer commune et opposable l'ordonnance de référé no 21/00172 rendue le 15 septembre 2021 ayant désigné M. [O] en sa qualité d'expert judiciaire ;
En conséquence,
Déboute la société SARL JARCET de toutes ses demandes ;
Condamne la SARL PHILIPPE JARCET ARCHITECTE à payer à M. [S] la somme de 80 000 F CFP en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie.
Condamne la SARL PHILIPPE JARCET ARCHITECTE aux dépens dont distraction au profit de la SARL ZAOUCHE RANSON.
PROCÉDURE D'APPEL
Par requête déposée au greffe le 23 décembre 2021, valant mémoire ampliatif, la société PHILIPPE JARCET ARCHITECTE a interjeté appel de l'ordonnance.
Par des conclusions récapitulatives enregitrées au RPVA le 13 avril 2022, elle fait valoir pour l'essentiel :
- que le juge des référés n'était pas fondé à déduire des dispositions du code de commerce que l'action en désignation d'un mandataire ad'hoc avec pour mission de représenter la SARL MALLARMÉ était irrecevable dès lors que la société était dissoute, et cela alors même qu'une telle procédure est intentée spécialement pour remédier à une telle situation ;
- que, d'autre part, la société PHILIPPE JARCET ARCHITECTE n'a pas à démontrer le bien-fondé de sa demande mais seulement l'existence d'un litige né ou naître ;
- qu'enfin, le désistement du syndicat des copropriétaires et des autres copropriétaires ne saurait être un élément permettant d'en déduire une irrecevabilité de la présente demande.
En conséquence, elle demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
Réformer l'ordonnance dont est appel ;
La mettre à néant ;
Statuant à nouveau :
Désigner tel mandataire ou liquidateur « ad hoc » qu'il plaira, avec mission de représenter la SARL MALLARMÉ, et prendre toutes écritures qu'il avisera dans toute procédure impliquant ladite société, et notamment, dans l'instance qui sera engagée à son encontre après l'arrêt de cette cour d'appel, devant le président du tribunal de première instance de Nouméa aux fins de lui voir déclarer commune et opposable l'ordonnance de référé no 21/00172 rendue le 15 septembre 2021 ayant désigné M. [O] en sa qualité d'expert judiciaire ;
Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir au registre du commerce et des sociétés de Nouvelle-Calédonie ;
Dire que les frais et la rémunération du liquidateur ad hoc seront à la charge exclusive de la liquidation de la SARL MALLARME ;
Vu la résistance de M. [S],
Condamner M. [S] aux entiers dépens ainsi qu'à payer à l'appelante une somme de 300 000 F CFP en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie.
Le débouter de ses propres demandes au titre de l'article 700 et dépens.
Par conclusions récapitulatives enregistrées au RPVA le 15 juin 2022, M. [S], pris en sa qualité d'ancien liquidateur de la SARL MALLARMÉ, fait valoir, pour l'essentiel :
- que la société JARCET tente de créer la confusion dans l'esprit de la cour s'agissant de l'intervention de M. [S] lors des opérations d'expertise mais également dans la réalisation des travaux de reprise qui ont pu être réalisés avant l'expertise mais qui se sont avérés inefficaces ; que M. [S], outre d'avoir été gérant en son temps de la société MALLARMÉ, est également le gérant de la société ETC, qui a été en charge du lot gros oeuvre de la résidence [Localité 4] ; que la société ETC est partie à l'expertise en cours de M. [O] ;
- que la société JARCET soutient que, nonobstant l'article L. 237-2 du Code de commerce et la déchéance de personnalité morale de la société dissoute et liquidée, la jurisprudence considère que la personnalité morale d'une société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés ; que cependant, pour se prévaloir de cette jurisprudence, encore faut-il justifier que les droits et obligations à caractère social de la société n'ont pas été liquidés et justifier d'un intérêt personnel, direct et actuel à agir en désignation d'un mandataire judiciaire, conformément aux dispositions de l'article 122 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie relatives aux fins de non-recevoir ; que le défaut d'intérêt d'une partie constitue une fin de non-recevoir que le juge peut soulever d'office ;
- que si la Cour de cassation a pu préciser que le juge saisi d'une requête en désignation d'un administrateur provisoire n'a pas à se prononcer sur le bien-fondé de l'action en vertu de laquelle cette désignation est sollicitée, encore convient-il de ne pas confondre le bien-fondé de l'action en indemnisation projetée et l'intérêt à agir de la demande de désignation d'un mandataire ad hoc ;
- qu'au surplus, la demande étant formée devant le juge des référés, il ne doit y avoir aucune contestation sérieuse ; que la société JARCET pense pouvoir mettre en oeuvre la responsabilité décennale des constructeurs à l'encontre de la société MALLARMÉ, alors même qu'elle n'est ni architecte, ni entrepreneur mais maître d'ouvrage ; que cette dernière n'a pas de responsabilité décennale vis-à-vis de la société JARCET mais tout au plus une responsabilité contractuelle d'architecte maître d'ouvrage de cinq ans déjà prescrite, les travaux litigieux ayant été réceptionnés le 12 août 2015;
- que les seules personnes ayant un intérêt à solliciter la désignation d'un mandataire ad hoc sont les acquéreurs des appartements vendus en état futur d'achèvement, lesquels n'ont pas jugé utile de porter une quelconque demande à l'encontre de la société MALLARMÉ et de solliciter eux-mêmes la désignation d'un mandataire ad hoc ; que la société JARCET ne peut avoir intérêt à agir pour autrui.
En conséquence, M. [S], ès qualités, demande à la cour de statuer ainsi :
Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du 10 novembre 2021 ;
Subsidiairement, si la Cour faisait droit à la demande de désignation d'un mandataire ad hoc,
Rejeter la demande de la société JARCET tendant à voir les frais du mandataire ad hoc mis à la charge de la « liquidation » de la société MALLARMÉ et les laisser à la charge du demandeur, la société JARCET ;
En tout état de cause,
Désigner M. [S] en qualité de mandataire ad hoc de la société MALLARMÉ ;
Condamner la société JARCET à payer à M. [S] la somme de 350 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que les dépens, distrait au profit de la SARL ZAOUCHE RANSON.
L'ordonnance de fixation de la date de l'audience a été rendue le 20 juin 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que les dispositions de l'article L.23 7-2 du Code de commerce prévoient que :
"La société est en liquidation dès l'instant de sa dissolution pour quelque cause que ce soit sauf dans le cas prévu au troisième alinéa de l'article 1844-5 du Code civil. Sa dénomination sociale est suivie de la mention 'société en liquidation'.
La personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation, jusqu'à la clôture de celle-ci.
La dissolution d'une société ne produit ses effets à l'égard des tiers qu'à compter de la date à laquelle elle est publiée au registre du commerce et des sociétés" ;
Attendu que selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la personnalité morale de la société survit, nonobstant la clôture de la liquidation consécutive à sa dissolution et l'accomplissement des formalités de publicité, dès lors que tous les droits et obligations à caractère social n'ont pas été liquidés (Com. 2 mai 1985, Bull. no 139 ; Com. 11 juin 1985, Bull. no 189 ; Civ. 3ème 31 mai 2000, Bull. no 120 ; Com. 16 novembre 2004, Bull. no 196) ;
Attendu que la société MALLARMÉ a été dissoute à compter du 15 décembre 2017 et la radiation de la société au registre du commerce et des sociétés suite à la clôture des opérations de liquidation a été effectuée le 21 décembre 2018 avec effet au 29 octobre 2018 ;
Attendu que le premier juge a justement relevé que la société JARCET n'établissait pas quel droit ou obligation à caractère social n'aurait pas été liquidé alors qu'aucune instance n'était en cours concernant la société promoteur-vendeur MALLARMÉ avant la liquidation, pendant les opérations de liquidation et avant sa radiation du registre du commerce et surtout ne précisait pas en quoi la responsabilité de la société promoteur-vendeur pourrait être mise en cause dans le litige ;
Attendu qu'en appel, cette argumentation n'est pas combattue en ce que la société JARCET ne justifie toujours pas quels droits et obligations à caractère social n'auraient pas été liquidés et n'indique pas plus pour quelle raison la société MALLARMÉ pourrait être mise en cause ; qu'au surplus, il convient de relever que le syndicat de copropriétaire lui-même s'est désisté de sa demande à l'encontre la société MALLARMÉ dans le cadre de la procédure de référé tendant à la désignation de l'expert M. [O], lequel n'a en outre pas sollicité la mise en cause de la société MALLARMÉ ;
Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SARL PHILIPPE JARCET ARCHITECTE à payer à M. [S] la somme de 150 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de la SARL ZAOUCHE RANSON.
Le greffier, Le président.