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10/11/2022 | FRANCE | N°21/000987

France | France, Cour d'appel de noumea, 02, 10 novembre 2022, 21/000987


No de minute : 80/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 10 Novembre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 21/00098 - No Portalis DBWF-V-B7F-SU5

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/159)

Saisine de la cour : 21 Décembre 2021

APPELANT

Association LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS (LCT), prise en la personne de son représentant légal en exercice
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Nicolas RANSON membre de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au b

arreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme [E] [O] épouse [B]
née le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 5...

No de minute : 80/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 10 Novembre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 21/00098 - No Portalis DBWF-V-B7F-SU5

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/159)

Saisine de la cour : 21 Décembre 2021

APPELANT

Association LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS (LCT), prise en la personne de son représentant légal en exercice
Siège social : [Adresse 1]
Représentée par Me Nicolas RANSON membre de la SARL ZAOUCHE RANSON, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

Mme [E] [O] épouse [B]
née le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 5]
Représentée par Me Martin CALMET membre de la SARL DESWARTE-CALMET, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Octobre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH,Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François BILLON.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Par contrat de travail à durée déterminée à temps partiel, Mme [E] [O] a été embauchée par la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS (LCT), à compter du 1er août 2015, en qualité de secrétaire comptable, Niveau III, échelon 2, indice 238, conformément aux dispositions de l'accord de branche Commerce et divers, moyennant un salaire mensuel brut de 150 000 F CFP, pour 20 heures par semaine (86,66 heures mensuelles) réparties du lundi au vendredi de 7 heures à 11 heures.

Mme [O] a été confirmée dans ses fonctions par un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) à temps partiel daté du 26 janvier 2016 pour un salaire mensuel brut de 180 000 F CFP.

Elle a été promue à temps complet, à compter du 1er décembre 2017, aux fonctions de responsable administrative et comptable, niveau Ill, échelon 2, indice hiérarchique 238, moyennant un salaire fixe mensuel brut de 452 466 F CFP pour 169 heures par contrat à durée indéterminée conclu le 11 décembre 2017.

Début 2018, un nouveau bureau ayant été élu au sein de la LCT, Mme [O] a reçu un courrier daté du 13 juin 2018 remis en mains propres le 15 juin 2018, par lequel son employeur lui proposait une modification de son contrat de travail pour motif économique impactant son temps de travail (mi-temps), sa rémunération (50 %), ses missions et ses horaires au motif que l'étude de son poste avait établi que son emploi ne relevait pas d'un temps complet.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 juillet 2018, Mme [O] a refusé cette modification de son contrat de travail en raison de la diminution de son salaire et de la modification de ses horaires de travail.

Par courrier daté du 8 août 201 8 remis en mains propres, Mme [O] a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique fixé au 16 août 2018.

Par courrier daté du 26 septembre 2018, remis le 17 octobre 2018, elle a été licenciée pour motif économique.

Le 1er novembre 2018, Mme [O] a demandé à son employeur de fixer la fin de son préavis initialement prévue au 4 décembre à la date du 2 novembre, en exposant avoir retrouvé un emploi débutant au 6 novembre 2018, ce que la LCT a accepté.

Le 6 novembre 2018, elle a été destinataire de son solde de tout compte sur lequel elle a apposé la mention manuscrite "reçu pour solde de tout compte".

Par requête introductive d'instance enregistrée le 13 juin 2019 complétée par des conclusions en réponse, Mme [O] épouse [B] a fait convoquer la LCT essentiellement aux fins suivantes :

- CONDAMNER la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS à lui payer les sommes suivantes :

- 461 495 F CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement irrégulier,

- 3 691 960 F CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1 000 000 F CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire.

Au terme de ses écritures, Mme [O] a ainsi soutenu, à titre principal, que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse pour ne pas avoir été notifié dans un délai de 30 jours tel que le prévoyait la jurisprudence, et, à titre subsidiaire, que la lettre de licenciement était insuffisamment motivée, la réalité de difficultés économiques graves au moment de son licenciement n'étant pas établie.

La LCT a répliqué pour l'essentiel que le licenciement était justifié exposant n'avoir pas pu reclasser la salariée et que la procédure de licenciement économique était régulière, le délai d'un mois entre l'entretien préalable et la notification du licenciement n'étant exigé qu'en matière disciplinaire.

L'employeur a précisé que le licenciement économique était fondé et motivé par le refus de la requérante d'accepter la proposition de modification de son contrat de travail, son poste n'ayant pas été supprimé mais modifié tel que le motivait parfaitement sa lettre de licenciement.

La LCT a ajouté que la mesure était rendue nécessaire par la réorganisation urgente de sa structure en raison du déséquilibre existant entre les recettes et les dépenses dû notamment à la diminution constante des subventions publiques en 2017 et 2018.

Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal du travail de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :

Dit que le licenciement de Mme [E] [O] épouse [B] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, régulier et non vexatoire ;

En conséquence,

Condamne la Ligue calédonienne de tennis à lui verser la somme de 3 230 000 F CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la décision ;

Ordonne I'exécution provisoire à hauteur de 50 % de la somme allouée au titre des dommages-intérêts ;

La déboute de toutes ses autres demandes ;

Condamne la Ligue calédonienne de tennis à lui payer la somme 150 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la ligue calédonienne de tennis aux dépens.

PROCÉDURE D'APPEL

Par requête déposée au greffe le 21 décembre 2021, la LCT a interjeté appel de la décision.

Le mémoire ampliatif d'appel a été enregistré au RPVA le 15 mars 2022.

Par conclusions en réplique transmises au RPVA le 13 juillet 2022, la Ligue fait valoir pour l'essentiel :

- que le reclassement de la salariée au sein de la Ligue était impossible celle-ci étant la seule salariée de sa catégorie professionnelle, les autres postes étant des postes techniques ;

- que le moyen relatif au délai trop long entre l'entretien et la notification du licenciement a été justement rejeté par les premiers juges au motif que Mme [O] n'a pas été licenciée dans le cadre d'une procédure disciplinaire et qu'en conséquence le délai d'un mois prévu par l'article Lp. 132-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ne lui est pas applicable ;

- que selon la jurisprudence constante l'employeur peut licencier pour motif économique le salarié refusant la modification d'un élément essentiel de son contrat de travail consécutive à des difficultés économiques, une mutation technologique ou une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

- que la jurisprudence reconnaît la possibilité pour les associations sans but lucratif d'initier un licenciement économique dès lors :

qu'elles justifient de difficultés économiques,

lesquelles doivent revêtir un caractère suffisamment sérieux et durable, sans être nécessairement "catastrophiques" au jour du licenciement,

qu'elles justifient du refus par le salarié de la modification ou de la suppression du poste ;

- qu'ainsi la seule possibilité de rétablir l'équilibre entre dépenses et recettes consistait en une réorganisation de la LCT en diminuant une partie de ses charges de personnel, la Ligue rencontrant des difficultés économiques objectives et avérées au moment du licenciement de Mme [O] (résultat comptable négatif sur 2017) mais aussi un déséquilibre allant s'accroissant pour l'exercice clôt en août 2018 ;

- qu'il convient enfin de relever que la Cour de cassation a pu rappeler que la sauvegarde de la compétitivité n'est pas un motif contradictoire avec des difficultés économiques déjà existantes (Cass. soc., 3 mars 2016, no 15-11.046, Bull. civ. V, no 83) et qu'il résulte implicitement d'une décision du Conseil constitutionnel que la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise doit permettre à l'entreprise d'anticiper des difficultés économiques à venir en prenant des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants (Cons. const. 12-1-2002 no 2001-455 DC : RJS 3/02 no 275).

En conséquence, la LCT demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

DIRE ET JUGER la LCT recevable et bien fondée en ses moyens, fins et conclusions,

DECLARER recevable l'appel formé par la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS (LCT) à l'encontre du jugement rendu le 23 novembre 2021 par le tribunal du travail de Nouméa sous le numéro de rôle 21/00239 ;

INFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

DIRE ET JUGER que le licenciement économique de Mme [O] est fondé sur une cause réelle et sérieuse

En conséquence,

DEBOUTER Mme [O] de l'ensemble de ses demandes,

En toute hypothèse,

CONDAMNER Mme [O] au paiement de la somme de 330 000 F CFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.

**********************

Par conclusions enregistrées au RPVA le 13 mai 2022, portant appel incident, Mme [O] fait valoir, pour l'essentiel ;

- qu'il ressort des termes de la lettre de licenciement qu'elle a été licenciée pour des motifs économiques futurs, sans qu'il ne soit donné aucune précision quant à l'incidence des difficultés économiques décrites sur son emploi ; que, dans ces conditions, la juridiction ne pourra que constater que cette insuffisance de motivation équivalant à une absence de motivation, rend la mesure de licenciement dépourvue de cause réelle et sérieuse ;

- qu'en réalité, le véritable motif du licenciement est que la LCT reproche à sa salariée son passage à temps complet, alors même que cela a été contractuellement prévu ; que la salariée a été victime d'une querelle de pouvoirs entre l'ancien bureau et le nouveau bureau de la LCT, ce dernier n'acceptant pas le passage à temps plein de la salariée ;

- que le tribunal a ainsi justement considéré que le détail des charges d'exploitation démontrait que les augmentations entre 2017 et 2018 étaient essentiellement dues aux autres charges et non exclusivement aux charges de personnels et charges sociales ;

En conséquence, Mme [O] demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :

DIRE ET JUGER Mme [E] [O] recevable et bien-fondée en ses moyens, fins et conclusions ;

CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal du travail de Nouméa le 23 novembre 2021 no21/239 ;

Statuant à nouveau,

CONSTATER que le licenciement de [E] [O] par la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS est intervenu dans des circonstances vexatoires ;

En conséquence,

CONDAMNER la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS à payer à Mme [E] [O] la somme de 1 000 000 F CFP ;

En tout état de cause,

CONDAMNER la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS à payer à Mme [E] [O] la somme de 350 000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.

CONDAMNER la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS aux entiers dépens dont distraction au profit de la SARL DESWARTE-CALMET.

**********************
L'ordonnance de fixation de la date de l'audience a été rendue le 16 août 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que l'irrégularité du licenciement tenant au fait que la notification du licenciement n'avait pas été faite par lettre recommandée mais par remise en mains propres contre décharge, qui a été écartée )à juste titre par les premiers juges, n'est plus soulevée en appel par Mme [O] ;

Attendu qu'il en est de même pour la notification tardive du licenciement rejetée pertinemment par les premiers juges, qui ne fait plus l'objet de contestation en appel ;

De l'absence de motivation de la lettre de licenciement

Attendu que Mme [O] fait grief à son employeur de l'avoir licenciée pour motif économique sans mentionner l'incidence des difficultés économiques alléguées sur son emploi, contrairement aux exigences de la jurisprudence ; qu'elle soutient en conséquence que cette insuffisance de motivation équivaut à une absence de motivation ce qui rend nécessairement le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu cependant qu'il est exact qu'une lettre de licenciement qui se bornerait à indiquer une raison économique (difficultés économiques, réorganisation de l'entreprise, baisse des résultats et des subventions de fonctionnement) ou seulement l'élément matériel (suppression de poste, refus d'une modification du contrat de travail) ne serait pas suffisamment motivée ;

Attendu qu'en revanche, la lettre de licenciement énonçant à la fois les difficultés économiques de l'employeur et la suppression de l'emploi est suffisamment motivée (Cass. Soc., 22 juin 2011, no10-10.780) ; qu'il en est de même pour la lettre mentionnant que le licenciement avait pour cause la modification, refusée par le salarié, de son contrat de travail consécutive à une réorganisation de l'entreprise (Cass.Soc. 27 mars 2012, no 11-14.223) ;

Attendu qu'il est établi que la lettre de licenciement datée du 26 septembre 2018 précise bien que la décision de licenciement pour motif économique a été prise en raison du refus de Mme [O] d'accepter la modification de son contrat de travail, suite à la réorganisation de l'entreprise ;

Attendu que c'est ainsi pour de justes motifs que la présente décision se rapproprie, que les premiers juges ont débouté Mme [O] de sa demande tendant à déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse pour absence de motivation de la lettre, après avoir relevé que, contrairement à ce que soutenait la salariée, la lettre était motivée, celle-ci indiquant que les charges étaient plus importantes que les recettes et qu'il convenait donc de réduire les charges salariales en transformant son poste à mi-temps pour diminuer les charges sociales ; que cette disposition du jugement entrepris doit être confirmée ;

Du caractère réel et sérieux du licenciement pour motif économique

Attendu qu'aux termes des dispositions de l'article Lp. 122-9 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie, tout licenciement pour motif économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;

Attendu que, contrairement aux dispositions métropolitaines, le code du travail de Nouvelle Calédonie ne précise pas la nature des difficultés économiques de nature à rendre légitime le licenciement et qu'en conséquence il convient de se référer à la jurisprudence ; qu'ainsi, le licenciement économique est celui motivé par des difficultés économiques de l'entreprise suffisamment importantes et durables ou celui motivé par la réorganisation de l'entreprise, rendu nécessaire pour la sauvegarde de sa compétitivité ; que le licenciement économique ne peut intervenir que dans la mesure où, d'une part l'employeur justifie la réalité de la cause économique et que d'autre part le reclassement du salarié n'est pas possible dans l'entreprise, faute de quoi le licenciement est considéré sans cause réelle et sérieuse ;

Attendu que de manière plus générale, l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige ; que les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif ;

Attendu qu'il convient en conséquence de reprendre les termes particulièrement détaillés de la lettre de licenciement datée du 26 septembre 2018, pour apprécier si le licenciement pour motif économique de Mme [O] repose sur une cause réelle et sérieuse :

"A la suite de notre entretien en date du 16 août 2018 auquel vous vous étes présentée accompagné de Monsieur [H] [P], Conseiller Technique Régional appartenant à la LCT, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier "pour motif économique", ce en raison du refus de la modification de votre contrat de travail.

Pour mémoire, vous avez été embauchée suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er août 2015 pour occuper le poste de "Secrétaire Comptable " de la ligue.

Fin 2017, vous étes devenue "Responsable administratif et comptable" à temps plein.

Suivant courrier du 13 juin 2018, nous vous avons proposé une modification de votre contrat de travail emportant :
- une réduction de votre temps de travail (passage à mi-temps),
- ce avec diminution corrélative de votre rémunération brute,
- un recentrage de vos missions sur la comptabilité,
- et enfin une modification de vos horaires.

S'agissant d'une modification d'éléments essentiels de votre contrat de travail cette proposition a été faite par lettre recommandée avec accusé de réception détaillant les motifs économiques la justifiant.

Particulièrement nous vous avons expliqué que la LCT avait clôturé l'exercice 2017 par une perte comptable de 3.7 Millions XPF, qu'elle connaissait d'importantes difficultés pour équilibrer son budget pour l'exercice en cours et que le budget 2019 allait être plus difficile encore.

Pour mémoire quatre des cinq derniers exercices budgétaires de la LCT se sont soldés par :

- une perte d'exploitation de - 9,5 M XPF en 2013, - 14,2 M XPF en 2014, - 5,5 M XPF en 2015 et- 2,6 M XPF en 2017,
- et une perte nette de - 8,4 M XPF en 2013, - 15,4 M XPF en 2014, - 9,3 M XPF en 2015 et- 3,7 M XPF en 2017.

Seul l'exercice 2016 a dérogé à la règle pour une raison favorable strictement conjoncturelle avec baisse significative des charges salariales (- 13, 85 M XPF) suite à un départ en retraite au passage à mi-temps de deux autres postes salariés- dont le vôtre - et à l'embauche à mi temps d'une nouvelle CED sur 5 mois de l'année alors que ce poste était à temps plein les années précédentes. Les subventions demeurant stables par ailleurs.

L'exercice actuel n'est pas encore clos -comptablement parlant- mais les comptes provisoires confirment cet historique des difficultés économiques.

A savoir (étant rappelé que les comptes sont provisoires) :
- résultat d'expIoitation négatif à hauteur de 8,4 Millions d'XPF,
- résultat comptable négatif à hauteur de 7,6 Millions d'XPF.

Pour dire les choses simplement, la situation économique de la LCT (c'est-a-dire son résultat d'expIoitation et son résultat comptable) se dégrade depuis plus d'un exercice.

Les causes de ces difficultés -durables dans le temps- sont autant conjoncturelles que structurelles.

Vous le savez, dans le cadre de vos responsabilités comptables, la LCT doit chaque année faire avec des injonctions contradictoires pour présenter ne serait-ce qu'un budget "à l'équilibre".

Chaque année les équipes de la LCT doivent faire coïncider les charges fixes et variables avec le niveau attendu des " recettes" :

- Notre budget dépend toujours fortement des subventions qui nous sont versées par les organismes publiques ou notre fédération (70 % de notre chiffre d'affaires) et dans une moindre mesure avec le niveau attendu des autres recettes (Autres aides et partenariats,+ locations+billetterie + cotisations et licences),

- Nos charges récurrentes - hors personnels - sont à un niveau difficilement réductible (achat de matériel, frais de déplacement, organisation de tournoi) sauf à diminuer nos recettes et à remettre en cause une partie des subventions qui nous sont versées ;

- Nos charges de personnels se composent essentiellement des rémunérations du personnel technique (entraîneurs etc.) et du personnel du siège étant précisé que la direction est totalement bénévole et que le CTR est Cadre d'état avec un salaire totalement pris en charge par l'Etat.

Le problème, depuis deux exercices, réside dans le fait que notre niveau de charge est supérieur à nos "recettes".

Ce problème (qui pouvait se produire ponctuellement par le passé) s'est malheureusement aggravé sur le dernier exercice.

Particulièrement, les salaires et charges du service "administration " (hors femme de ménage en arrêt longue maladie depuis le début de l'année) dont vous faites partie qui sont passées de 2.650 M XPF à 6.250 M XPF en un seul exercice - lequel a pourtant été ramené à une durée de 11 mois.

En effet, depuis décembre 2017 vous étes passée à temps plein et mécaniquement la masse salariale a grimpé de près de 120 %.

Cette hausse de nos charges salariales n'a pas été compensée par une augmentation corrélative de nos recettes.

Pour l'exercice à venir, il n'y a aucune perspective de retour à l'équilibre et si aucune n'est entreprise, la LCT va rencontrer de graves difficultés économiques qui iront en s'amplifiant.

En année pleine sur 12 mois, les salaires et charges du service "administration" (toujours hors femme de ménage) passeraient à près de 7.385 M XPF, soit un surcoût annuel supplémentaire de plus de 1 million XPF.

Nous devons impérativement procéder à cette réorganisation de la LCT pour palier ces difficultés / assurer sa pérennité (en retrouvant un équilibre entre recettes et dépense) et continuer à remplir sa mission sociale.

Nous avons procédé à une analyse de la situation et le constat est sans appel :

- Nous ne pouvons pas compter sur une augmentation de nos subventions (lesquelles sont stables, voire en diminution) :

* Les subventions publiques état (CNDS) ou territoriales (DJSNC, provinces et communes) perçues ou reprises en année N sont passées de 21,360 MXPF en 2016 à 20,5 MXPF en 2017 mais cette somme inclue 11,68 MXPF d'engagements à réaliser venant grever d'autant notre résultat. Le même montant de subventions est espéré pour 2018 sachant que sur cette somme de 20, 5 millions XPF, seuls 11. 5 MXPF ont été perçus et comptabilisés à ce jour sans disposer d'une quelconque garantie de percevoir le complément (aucune délibération signée et transmise à ce jour),

* La Dotation Globale de Fonctionnement (notre principale subvention fédérale) est passée de 18.6 MXPF en 2014 à 17. 9 MXPF en 2015 pour se stabiliser à 17.2 MXPF depuis 2016 (hors aides liées à l'externalisation de la paye qui n'a pas été opérée chez nous et la revente d'une partie de notre stock de places pour le tournoi de [N] [F])

- Nos autres sources de revenus sont toutes en diminution : Notre territoire n'échappe pas à la tendance nationale structurellement baisse du nombre de licenciés et adhérents. Les revenus issus des locations de terrains et licences ont chuté respectivement d'environ 1 million et 1,5 millions XPF et notre tournoi ATP a connu cette année sa première perte de l'ordre de 1,5 Millions XPF avec par ailleurs un cahier des charges encore plus contraint financièrement par l'ATP pour les années futures.

- Une diminution de nos charges de fonctionnement paraît difficile à mettre en place (sauf à entrainer une dégradation forte des prestations que nous sommes tenus d'assurer dans le cadre de nos statuts nous liant à notre organisme de tutelle, la FFT et la délégation de service public nous liant a notre délégataire, la mairie de [Localité 4]. Concernant ce dernier point nous souhaitons rappeler que nous sommes encore contractuellement tenus d'assurer pour près de 12 millions XPF de travaux sur le site du Ouen Toro. Somme qui devra en majeure partie être récupérée sur nos fonds propres (trésorerie). A défaut nous serions en faute vis-à-vis de la mairie et potentiellement sommes de quitter le site.

Autre contrainte, étant une association, nous ne sommes pas guidé par une "recherche de profit" mais par notre objet social qui est "d'organiser, administrer, diriger et développer le sport du tennis, du para tennis, du beach tennis, du padel et de la courte paume" sur le Territoire.

Revers de la médaille : cela nous interdit de diminuer drastiquement les moyens techniques consacrés à l'encadrement et la formation des joueurs... sauf à manquer à notre mission.

En outre, les nouveaux partenariats conclus sont uniquement destinés à financer nos actions sportives et en aucun cas des charges administratives sauf à aller à l'encontre de notre mission première d'une part et perdre toute crédibilité auprès de nos institutions et partenaires financiers d'autre part.

Dans ce contexte, très contraint, la réorganisation entreprise doit nécessairement se porter sur nos charges de fonctionnement et en premier chef le service administration dont vous êtes l'unique salariée (l'autre salariée étant la femme de ménage).

Nous vous avons donc proposé une modification de votre contrat de travail pour vous repasser à mi-temps et diminuer la masse salariale, pour l'exercice à venir, de 3, 7 Millions d'XPF, ce qui nous aurait permis de revenir à l'équilibre.

En outre, cette réorganisation nous paraissait opportune dès lors que la pesée de votre poste il est apparu que :

- la partie référents base ADMIN est assumée en quasi-totalité par les autres salariés et bénévoles,
- la partie " secrétariat" était très congrue (2 ou 3 mails par jour),
- l'établissement des BP n'est effectuée qu'une fois par mois (1 DNT par trimestre),
- la partie "comptabilité ne représentait qu'approximativement 4300 lignes/an... soit 2150 opérations annuelles (10 par jour).

Vous aviez jusqu'au 31 juillet 2018 pour y répondre.

Ce même jour vous avez refusé cette modification de votre contrat de travail en raison "de l'importante baisse de revenu résultant de la réduction de salaire" ce tandis que vos obligations familiales seraient non conciliables avec les nouveaux horaires.

Nous avons pris note de votre refus, cela étant nous n'avons pas renoncé à cette modification qui s'inscrit dans une réorganisation absolument nécessaire pour faire face aux difficultés économiques que rencontre la ligue.

Ne pouvant vous imposer cette modification, la LCT a donc pris l'initiative de démarrer une procédure de licenciement pour motif économique.

C'est dans ce cadre que vous avez été convoquée à un entretien préalable et que nous vous avons entendue.

Comme nous l'indiquions au cours de celui-ci, nous avons recherché toutes les possibilités de reclassement conformément à l'article Lp 122-13 du code du travail, sans succès malheureusement.

Nous n'avons donc pas d'autre solution que de prononcer votre licenciement pour motif économique, étant précisé que vous êtes la seule salariée de votre catégorie... ce tandis que vous avez refusé la modification de votre contrat de travail qui vous a été proposée.

L'ensemble de ces circonstances justifie votre licenciement pour motif économique.

Compte tenu de votre ancienneté votre préavis d'une durée de deux mois débutera à la date de présentation de cette lettre. (...)" ;

************
Attendu que pour démontrer la cause réelle et sérieuse du licenciement économique de Mme [O], la LCT fait ainsi valoir essentiellement que face à la perspective d'un déficit allant croissant, elle n'avait d'autre solution que de maîtriser les dépenses de personnel, au premier chef desquelles la rémunération de Mme [O] qui, du fait de son passage à temps plein intervenu quelques mois auparavant soit le 1er décembre 2017, était passé de 180 KF à 453 KF (brut salarial) et représentait le poste le plus important des dépenses du personnel administratif ;

Attendu cependant que la cour est conduite à observer, ainsi que les premiers juges l'avaient déjà relevé et sans que ces points soient contredits en appel :

- qu'il résulte des pièces comptables produites par la LCT que le résultat d'exploitation négatif de 2018 est dû essentiellement à la baisse des subventions et des produits d'exploitation, les charges d'exploitation n'étant passées que de 79 957 174 F CFP en 2018 alors qu'elles étaient d'un montant de 78 701 513 F CFP en 2017 et de 78 705 723 F CFP en 2016 ;

- que le détail des charges d'expIoitation démontre que leur augmentation entre 2017 et 2018 est due essentiellement aux autres charges et non exclusivement aux charges de personnel et charges sociales ; qu'ainsi, en 2017, les frais de personnel étaient de 19 280 820 F CFP en 2018 alors qu'ils étaient de 17 621 468 F CFP en 2017 et que les autres charges (aides aux clubs, bourses aux élèves, au BE et autres élèves) étaient de 1 956 621 F CFP en 2017 et de 4 308 293 F CFP en 2018 ;

- que les charges de personnel ont ainsi augmenté de 1 659 352 F CFP de 2017 à 2018 alors que les autres charges ont augmenté de 2 349 672 F CFP entre 2017 et 2018, étant précisé que sur l'exercice 2017 les autres charges n'étaient que de 1 956 621 F CFP et qu'elles étaient de 4 308 293 F CFP en 2018 ;

- que l'augmentation de charges d'exploitation de 2017 à 2018 n'est ainsi pas due essentiellement au passage à temps plein de Mme [O] mais bien à l'augmentation des autres charges (notamment les aides accordées au clubs et les bourses aux élèves) alors que les subventions d'exploitation ont baissé de 58 399 471 F CFP en 2017 à 44 749 413 F CFP en 2018 et le total des produits d'exploitation de 2017 à 2018 a baissé de 18 %, soit de 83 426 977 F CFP à 68 434 716 F CFP ;

- que le bilan 2018 démontre que les dettes fournisseurs ont augmenté de 2 899 297 F CFP entre 2017 et 2018 passant de 922 573 F CFP à 3 821 870 F CFP, alors que les dettes fiscales et sociales n'augmentent que de 1 250 304 F CFP passant de 3 528 673 F CFP à 4 778 977 F CFP ;

- qu'enfin, si les frais de personnel ont baissé de 6 007 417 F CFP en août 2019 par rapport au mois d'août 2018 (passant de 19 280 820 F CFP à 13 273 403 F CFP), les charges totales d'exploitation ont augmenté de 7 084 487 F CFP (passant de 4 308 293 F CFP à 11 392 780 F CFP) ;

Attendu en conséquence que, dans ces conditions, il n'est nullement établi que la situation économique de la LCT nécessitait de remettre en cause le temps plein accordé quelques mois auparavant à Mme [O] par une précédente équipe dirigeante mise en place à la suite de l'élection d'un nouveau bureau de la Ligue ;

Attendu qu'eu égard à ces éléments pris en leur ensemble, il convient de dire que le motif économique dont se prévaut l'employeur n'est pas justifié et que le licenciement est donc dépourvu d'une cause réelle et sérieuse ;

De l'indemnisation

Du salaire moyen de Mme [O]

Attendu que la rémunération brute mensuelle de Mme [O] s'établissait à la somme de 452 446 F CFP, à laquelle s'ajoutait une prime d'ancienneté de 9 049 F CFP ; qu'en conséquence, le salaire brut moyen mensuel de Mme [O] doit être fixé à la somme de 461 495 F CFP ;

De l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Attendu que l'article Lp. 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie prévoit que si le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires de six derniers mois, est due sans préjudice le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article Lp. 122-27 ;

Attendu que Mme [O] est fondée à ce que la somme de 3 200 000 F CFP retenue par les premiers juges soit confirmée, compte-tenu de son ancienneté de trois années au sein de la LCT, quand bien même son employeur fait observer qu'elle a retrouvé très rapidement un emploi ;

Des dommages et intérêts pour préjudice moral distinct

Attendu que Mme [O] sollicite à ce titre la somme de 1 000 000 F CFP en exposant qu'elle a été contrainte de faire face à des pressions morales, à une mise à l'écart de ses collègues de travail et des réunions, à un dénigrement de son travail et de la réalisation de ses missions ou de ses tâches et qu'ainsi la rupture de son contrat après trois années durant lesquelles aucune difficulté n'a été rapportée ne pourra qu'être qualifiée de brutale pour la salariée ;

Attendu cependant que si la cour a pu relever que le motif économique n'était pas fondée pour licencier Mme [O], le fait de lui proposer de modifier son contrat de travail en revenant à un emploi à mi-temps ce qui était son statut peu de temps auparavant avec des tâches plus réduites, ne s'est pas accompagné de procédés dégradants ou portant atteinte à la santé ou aux conditions de travail de Mme [O], la LCT ayant par ailleurs acquiescé au souhait de sa salariée de fixer la fin de son préavis un mois plus tôt que prévu pour lui permettre de débuter rapidement dans le nouvel emploi qu'elle s'était trouvé ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise et de rejeter cette demande ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant par arrêt déposé au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant :

Condamne la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS (LCT) à payer à Mme [E] [O] la somme de 300 000 F CFP au titre des frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;

Condamne la LIGUE CALEDONIENNE DE TENNIS aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SARL DESWARTE-CALMET.

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de noumea
Formation : 02
Numéro d'arrêt : 21/000987
Date de la décision : 10/11/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2022-11-10;21.000987 ?
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