N° de minute : 71/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 29 septembre 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 21/00058 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SIF
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Juillet 2021 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/142)
Saisine de la cour : 11 août 2021
APPELANT
S.E.L.A.R.L. PHARMACIE AUSTRALE, venant aux droits de la SELARL PHARMACIE ANSE VATA,
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Myriam LAGUILLON de la SELARL LEXNEA, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
Mme [K] [A]
née le 26 août 1983 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Virginie BOITEAU de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. François BILLON.
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Mme [K] [A] a été embauchée initialement en contrat de travail à durée déterminée à compter du 8 février 2016, puis en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 avril 2016 par la SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA, pour exercer les fonctions de préparatrice en pharmacie, agent de maîtrise 1, moyennant un salaire brut mensuel de 346 500 F CFP pour 169 heures par mois suivant la convention collective du commerce. A compter du 1er juillet 2017, son salaire fixe mensuel brut a été porté à la somme de 366 500 F CFP.
M. [W], père de la gérante Mme [L], a eu une altercation avec Mme [A] survenue selon elle le 16 octobre 2018 et non le 12 octobre 2018 précisé dans la lettre de licenciement, qui l'a conduite à se plaindre par courriel adressé à Mme [L] d'avoir été traitée "d'incapable" par M. [W].
Le 19 octobre 2018, Mme [A] a eu un incident avec une cliente, Mme [J], alors qu'elle lui avait fait une remarque concernant son âge et sa situation maritale (divorcée).
Mme [A] a été placée en arrêt maladie du 6 novembre 2018 au 10 novembre 2018 prolongé jusqu'au 22 novembre 2018 avec sorties libres à visée thérapeutique.
Par courrier du 28 novembre 2018, Mme [A] a été convoquée à un entretien préalable à une mesure de sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement fixé au 7 décembre 2018. L'entretien a eu lieu entre la gérante, Mme [L], Mme [K] [A] et Mme [O], membre du personnel assistant la salariée qui a établi un compte-rendu de l'entretien préalable.
Par courrier du 3 janvier 2019 adressé le même jour en recommandé avec accusé de réception non réclamé, Mme [A] a été licenciée pour fautes graves.
' Mme [A], par requête introductive d'instance enregistrée le 22 octobre 2019 complétée par des conclusions postérieures, a fait convoquer la SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA devant le tribunal du travail de Nouméa aux fins de :
DIRE et JUGER irrégulier son licenciement ;
FIXER son salaire mensuel brut de référence à la somme de 456 798 F CFP ;
CONDAMNER en conséquence la société défenderesse à lui payer la somme de 491 151 F CFP en compensation de l'irrégularité de la procédure ;
DIRE ET JUGER que son licenciement doit d'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNER la SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à lui verser les sommes suivantes :
* 982 302 F CFP au titre de l'indemnité de préavis
* 98 230 F CFP au titre des congés payés sur préavis
* 877 332 F CFP au titre du rappel sur primes de fin d'année
* 147 345 F CFP à titre d'indemnité légale de licenciement
* 5 481 576 F CFP à titre de dommages et intéréts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
* 1 500 000 F CFP au titre de son préjudice moral ;
ORDONNER à la société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA de lui remettre un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, et des bulletins de salaire conformes à la période travaillée ;
DIRE ET JUGER que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires et à compter de la requête introductive pour les créances salariales ;
ORDONNER l'exécution provisoire pour la moitié des créances indemnitaires nonobstant appel ni caution ;
CONDAMNER la Société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à lui rembourser la somme de 300 000 F CFP au titre des frais irrépétibles engagés.
Au terme de ses dernières écritures, la requérante a soutenu le caractère irrégulier de son licenciement aux motifs :
- que l'altercation du 16 octobre 2018 et non du 12 octobre comme mentionnée dans la lettre de licenciement, avec M. [W], père de la gérante et pharmacien remplaçant, n'a jamais été évoqué lors de l'entretien préalable de sorte qu'elle n'a jamais pu s'expIiquer sur ce grief reproché, cette omission lui étant préjudiciale ;
- que I'employeur lui avait précisé en fin d'entretien préalable qu'un avertissement lui serait notifié et qu'il a changé d'avis en intégrant ce nouveau grief afin de la licencier pour fautes graves, de sorte que son préjudice est avéré et justifie le règlement de dommages et intérêts (un mois de salaire) ;
Sur le fond, la requérante a soutenu que le licenciement pour faute grave n'était pas justifié au motif que la procédure de licenciement pour fautes graves n'avait été diligentée que le 7 décembre alors que I'employeur connaissait les faits depuis le 27 octobre, sans qu'aucune mesure de mise à pied conservatoire ait été prise et qu'en outre les griefs reprochés n'étaient pas caractérisés.
Ellle a ainsi soutenu ne pas avoir eu des comportements désagréables avec ses collègues et la clientèle, affirmant n'avoir jamais eu d'avertissements écrits antérieurs, et que la gérante avait ainsi monté un dossier après sa requête introductive d'instance en produisant des attestations imprécises voire pour certaines de complaisance.
Sur I'incident du 16 octobre 2018 avec M. [W], elle a fait valoir que ce grief était prescrit, le licenciement ayant été notifié après le délai de deux mois courant à compter du mail daté du 16 octobre 2018 qu'elle avait adressé à la gérante pour I'informer de I'incident et dont celle-ci avait été informée par M. [W], dès son retour de congés payés le 27 octobre.
Elle a également contesté les faits tels que décrits dans la lettre de licenciement admettant seulement avoir laissé un sac de médicaments sur le comptoir après la fermeture de l'officine afin d'échanger avec Mme [L] le lendemain sur la conduite à tenir pour cette prescription.
Sur I'incident du 19 octobre 2018 avec Mme [J], elle a réfuté les faits reprochés et le témoignage de la cliente Mme [J] et a ajouté que si elle avait tenu des propos maladroits, ceux-ci n'étaient pas de nature à permettre de la licencier.
' La société PHARMACIE DE L'ANSE VATA fait valoir que le licenciement de Mme [A] était régulier et parfaitement justifié par les faits reprochés.
Elle a soutenu le caractère régulier du licenciement en arguant que la requérante n'établissait pas que I'altercation avec M. [W] n'aurait pas été évoquée lors de l'entretien préalable et qu'en tout état de cause, elle ne pouvait cumuler des dommages et intéréts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et ceux pour irrégularité de procédure.
Sur le bien fondé du licenciement, elle a fait valoir qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir tardé pour licencier la salariée en effectuant des enquêtes, afin de vérifier les faits reprochés, alors même que son père était partie à I'un des incidents et que cette enquête était nécessaire afin d'écIaircir les responsabilités de chacun.
Elle a précisé avoir appris le comportement critiquable de Mme [A] avec de nombreux clients au vu de leurs témoignages en cours de la procédure, soit entre la date de l'entretien et la notification de la lettre de licenciement et avoir décidé par bienveillance de ne la licencier qu'après les fêtes de Noël, son licenciement n'étant donc ni brutal, ni vexatoire.
Elle a estimé établi les faits de négligence et d'insubordination à I'encontre de M. [W] par l'attestation de Mme [Z] [Y] et a ajouté que sa collègue de travail a minimisé les faits concernant Mme [J].
Enfin, elle fait valoir que le comportement des personnels de pharmacie doit être exemplaire en terme de discrétion et d'empathie envers les patients et qu'en l'espèce, la requérante ne présentait absolument pas les qualités requises.
Elle a conclu que le licenciement pour fautes graves était fondé et a estimé, subsidiairement, que la cause réelle et sérieuse devait être retenue.
' Par jugement du 20 juillet 2021, le tribunal du travail de Nouméa a statué ainsi qu'il suit :
DIT que le licenciement de Mme [K] [A] pour faute grave est injustifié et vexatoire ;
CONDAMNE la société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à payer à Mme [K] [A] les sommes suivantes :
- 804 636 F CFP au titre de l'indemnité de préavis ;
- 80 463 F CFP au titre des congés payés sur préavis ;
- 120 695 F CFP à titre d'indemnité légale de licenciement ;
- 3 000 000 F CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement injustifié ;
- 755 166 F CFP à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice dû à la carence de l'employeur concernant le paiement des primes de fin d'année ;
- 300 000 F CFP au titre du préjudice distinct ;
CONDAMNE la société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à remettre à Mme [K] [A] le bulletin de salaire de janvier 2019 et les documents de fin de contrat rectifiés et à régulariser la situation auprès des organismes sociaux dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision ;
RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit dans les conditions prévues par l'article 886-2 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;
ORDONNE l'exécution provisoire à hauteur de 50 % des sommes allouées au titre des dommages-intérêts ;
DEBOUTE Mme [K] [A] du surplus de ses demandes ;
FIXE son salaire moyen des trois derniers mois à la somme de 402 318 F CFP ;
CONDAMNE la société SELARL PHARMAClE DE L'ANSE VATA à payer à Mme [A] la somme de 180 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE la société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA aux dépens.
PROCÉDURE D'APPEL
La PHARMACIE AUSTRALE venant aux droits de la PHARMACIE DE L'ANSE VATA a interjeté appel de la décision le 11 août 2021 par requête enregistrée au greffe.
Le mémoire ampliatif d'appel a été déposé le 28 octobre 2021.
Par conclusions récapitulatives parvenues au greffe le 18 juillet 2022, elle fait valoir, pour l'essentiel :
- que le licenciement est régulier, l'ensemble des griefs ayant bien été évoqués lors de l'entretien préalable au licenciement, le compte-rendu de l'entretien non signé par les parties n'ayant aucune force probante ;
- que le délai légal du licenciement a bien été respecté ;
- que le tribunal du travail n'était pas fondé à reprocher à l'employeur d'avoir laissé Mme [A] travailler durant deux mois à compter de la commission des faits des 17 et 19 octobre 2018 pour rejeter la faute grave et invalider le licenciement ;
- que l'attitude et le ton inappropriés de Mme [A] avec les clients, ainsi que l'altercation avec M. [W] sont de nature à justifier le licenciement pour faute, à tout le moins constitue bien une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
- qu'à titre très subsidiaire, la cour devra constater le caractère disproportionné et erroné des demandes indemnitaires de Mme [A].
' En conséquence, LA PHARMACIE DE L'ANSE VATA demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
1/ Constater l'absence d'irrégularité dans la procédure de licenciement de Mme [K] [A] ;
2/ Constater le bien fondé du licenciement pour faute grave de Mme [K] [A] ;
En conséquence :
3/ Débouter Mme[K] [A] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A TITRE SUBSIDIAIRE
4/ Constater que le licenciement de Mme [K] [A] est justifié par une cause réelle et sérieuse ;
5/ Considérer que le salaire de référence de Mme [K] [A] est de 402 318 F CFP ;
A TITRE TRES SUBSIDIAIRE
6/ Constater que Mme [K] [A] ne justifie pas de son préjudice au titre de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
7/ Réduire la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de Mme [K] [A] au minimum légal de 6 mois de salaire ;
8/ Constater que Mme [K] [A] ne justifie pas l'existence de préjudices distincts ;
En conséquence :
9/ Débouter Mme [K] [A] de toutes ses demandes au titre des préjudices distincts ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE
10/ Dire et juger qu'aucune prime de fin d'année n'est due à Mme [K] [A] ;
En conséquence :
11/ Débouter Mme [K] [A] de sa demande de rappel de prime de fin d'année ;
12/ Condamner Mme [K] [A] à verser à la société PHARMACIE AUSTRALE la somme de 600 000 F CFP sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
13/ Condamner Mme [K] [A] à payer à la société PHARMACIE AUSTRALE tous dépens à intervenir dans le cadre de l'exécution de l'arrêt à intervenir.
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Mme [A], par conclusions en réponse enregistrées au greffe le 21 juin 2022, fait valoir pour l'essentiel :
- que lors de l'audience préalable au licenciement, il n'a été aucunement fait état d'une prétendue altercation avec M. [W], père de la gérante et pharmacien remplaçant, pendant les vacances de la pharmacienne titulaire au mois d'octobre 2017, ce qui rend la procédure irrégulière, ces faits ayant été mentionnés dans la lettre de licenciement ;
- que l'absence de réaction immédiate de l'employeur laissant la salariée en poste jusqu'au 8 janvier 2019, soit pendant plus de deux mois, est révélateur de l'absence de gravité des fautes commises ; que preuve en est que l'employeur indiquera, lors de l'entretien préalable, que compte tenu de la dispute avec Mme [J] un simple avertissement lui serait notifié mais qu'il fallait qu'elle fasse attention à son attitude ;
- que les comportements désagréables avec la clientèle qu'on lui reproche ne sont pas fondés, ainsi que les différents témoignages versés en attestent ; qu'en aucune façon l'image de marque de la pharmacie n'a été abimée par un comportement inapproprié ;
- que les comportements désagréables auprès de ses collègues de travail ne sont pas plus établis, d'autant que la lettre de licenciement ne précise pas expressément les faits commis et leurs dates précises ; qu'elle verse des témoignages de collègues qui l'ont connue dans cinq autres pharmacies du territoire qui démontrent qu'elle a toujours été appréciée ;
- qu'elle ajoute qu'elle n'a jamais fait l'objet de remarques quant à son comportement avec ses collègues de travail, sa hiérarchie ou les clients de la pharmacie de l'Anse Vata ; qu'elle conteste chacune des attestations défavorables versées par son employeur qui sont soit non datées quant aux faits reprochés, soit sans rapport avec les griefs visés dans la lettre de licenciement ;
- qu'elle conteste toute altercation avec M. [W], père de la gérante de la pharmacie qui venait en remplacement pendant les congés de celle-ci, dont elle aurait été à l'initiative le 16 octobre 2018 ; qu'au surplus, l'employeur ne saurait sanctionner un comportement fautif plus de deux mois après en avoir eu connaissance dès le 16 octobre 2018, seule la lettre de licenciement du 8 janvier 2019 faisant état de ce grief aucunement abordé lors de l'entretien préalable au licenciement ; que ce grief infondé est par conséquent prescrit ; qu'enfin, c'est bien elle qui a été humiliée par M. [W], lequel bénévole ne faisait pas partie du personnel de la pharmacie (articles L. 5125-20, L. 5125-21 et R. 5125-39 du code de la santé publique) et n'avait par conséquent pas autorité sur elle ;
- que s'agissant de l'altercation du vendredi 19 octobre 2018 vers 18 heures avec Mme [J], elle reconnait qu'elle n'aurait pas dû faire une remarque sur le fait que cette cliente était divorcée mais que cette remarque ne se voulait nullement blessante et était au contraire un signe d'empathie à l'égard de la cliente qui venait de vivre cet évènement douloureux dans sa vie personnelle ; que le fait que cette cliente ait dit qu'elle en référerait à [T] (prénom de la gérante, Mme [L]) établit que les relations entre cette cliente et la gérante étaient personnelles ; qu'en tout état de cause, cette remarque sur la vie privée de la cliente ne saurait être considérée comme un comportement violent, une inconduite notoire vis-à-vis de la clientèle et encore moins comme un comportement agressif ou même comme un manquement professionnel pouvant légitimer un licenciement.
' En conséquence, Mme [A] demande à la cour de statuer ainsi qu'il suit :
DIRE ET JUGER recevable mais mal fondé l'appel diligenté par la SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA,
CONFIRMER le jugement rendu par le tribunal du travail de Nouméa dont appel en toutes ses dispositions,
DEBOUTER la SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA en toutes ses demandes,
DIRE et JUGER irrégulier le licenciement de Mme [K] [A],
FIXER le salaire mensuel brut de référence de Mme [A] à la somme de 402 318 F CFP,
CONSTATER l'absence de toute faute grave pouvant justifier le licenciement de la salariée,
DIRE ET JUGER que le licenciement de Mme [A] doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONFIRMER le jugement rendu en ce qu'il a condamné la SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à verser à Mme [K] [A] les sommes suivantes :
- 804 636 F CFP au titre de l'indemnité de préavis,
- 80 463 F CFP au titre des congés payés sur préavis,
- 755 166 F CFP au titre du rappel sur primes de fin d'année,
- 120 695 F CFP à titre d'indemnité légale de licenciement,
- 3 000 000 CFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 300 000 F CFP au titre de son préjudice distinct,
- 180 000 F CFP au titre des frais irrépétibles et aux entiers dépens ;
ORDONNER à la Société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA de remettre à Mme un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, et des bulletins de salaire conformes à la période travaillée ;
DIRE ET JUGER que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance pour les créances indemnitaires et à compter de la requête introductive de première instance pour les créances salariales ;
CONDAMNER la Société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à rembourser à Mme [K] [A] la somme de 350 000 F CFP au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel et aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL BOITEAU.
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L'ordonnance de fixation de la date de l'audience a été rendue le 17 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1- De la régularité de la procédure de licenciement
1.1- Du respect du délai légal de notification du licenciement
Attendu que ce grief n'est pas repris en cause d'appel par Mme [A], les premiers juges ayant à juste titre relevé que Mme [A] avait admis dans ses dernières écritures que le licenciement lui avait été notifié dans le délai légal d'un mois après l'entretien préalable du 7 décembre 2018 prévu par l'article Lp. 132-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, le courrier recommandé lui ayant été expédié le 3 janvier 2019 ;
1-2 De l'évocation de tous les griefs lors de l'entretien préalable
Attendu que l'employeur conteste le caractère irrégulier de la procédure retenu par les premiers juges tenant au fait que le grief relatif à l'altercation avec M. [W], pharmacien bénévole et père de la gérante, n'avait pas été évoqué lors de l'entretien préalable du 7 décembre 2018 retranscrit par Mme [O], membre du personnel ayant assisté la salariée ; que l'employeur fait ainsi valoir que ce compte-rendu n'étant signé ni par l'employeur, ni par la salariée, ne saurait avoir une valeur probante ;
Attendu cependant que la preuve étant libre en matière sociale, la Cour de cassation considère que rien ne s'oppose à ce que le juge retienne une attestation établie par le conseiller du salarié qui l'a assisté pendant l'entretien préalable à son licenciement et en apprécie librement la valeur (Soc. 23 octobre 2013, pourvoi n°12-22.342) ;
Attendu que la lecture de ce compte-rendu établi par Mme [O] indique comme objet : 'sanction disciplinaire suite au courrier d'une patiente', et n'évoque aucunement l'altercation entre M. [W] et Mme [A], mais indique notamment que : '[T] (prénom de la gérante) explique à [K] ([A]) qu'elle va lui envoyer un avertissement écrit suite à cette plainte et lui rappelle que cela fait suite à plusieurs recadrages oraux qu'elle lui a fait depuis 2 ans1/2" ;
Attendu que c'est ainsi par de justes motifs que la cour se réapproprie que les premiers juges ont fait valoir que le procès-verbal de compte-rendu d'entretien signé par Mme [O], qui assistait à l'entretien, sans que I'employeur produise d'élément objectif sérieux pour l'écarter, pouvait faire foi ; qu'ainsi, faute pour la PHARMACIE DE L'ANSE VATA de rapporter la preuve contraire ou d'apporter des éléments mettant en cause la sincérité des allégations de ce témoin, il sera retenu que la procédure est irrégulière, tous les griefs contenus dans la lettre de licenciement n'ayant pas été évoqués lors de l'entretien préalable ;
2- De la faute grave et de la cause réelle et sérieuse du licenciement
Attendu que l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige ;
Attendu que les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif ;
Attendu que la faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur et à lui seul, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et situe nécessairement le débat sur le terrain disciplinaire mais le licenciement peut être légitime même si la faute n'est pas qualifiée de grave : il faut et il suffit qu'elle ne permette plus la poursuite de la relation de travail ;
Attendu que la jurisprudence définit la faute grave comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que depuis sa décision du 27 septembre 2007, la chambre sociale de la Cour de cassation juge que "la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" ; qu'ainsi la référence au préavis a été supprimée mais la faute grave reste nécessairement associée à la rupture immédiate des relations de travail ;
Attendu que la lettre de licenciement pour fautes graves datée du 3 janvier 2019 adressée le même jour en recommandé avec accusé de réception, est ainsi rédigée :
' (...) Depuis plusieurs mois déjà, nous avons été contraints de vous adresser de nombreux avertissements verbaux en raison de votre comportement avec les clients. Outre des remarques déplacées, vous vous permettez d'utiliser un ton inapproprié à l'égard des clients.
Les comptes rendus de réunions hebdomadaires attestent de ces débordements auprès des clients et de vos collègues qui nuisent nécessairement à I'image de la pharmacie.
Dans le cadre de la démarche Qualité dans laquelle s'est engagée la Pharmacie de l'Anse Vata depuis plusieurs mois, la consultante extérieure a été également témoin de vos agissements fautifs.
A la suite de votre entretien annuel d'évaluation du 31 juillet 2018, vous vous étiez engagée à améliorer votre relationnel avec les clients.
C'est uniquement en raison de la qualité de votre travail que nous avons fait preuve d'indulgence à votre égard en ne vous sanctionnant pas plus sévèrement.
Pour autant, il s'avére que vous n'avez tiré aucune conséquence de ces nombreux avertissements. Votre comportement s'est dégradé à tel point qu'il nous apparaît impossible de vous maintenir au sein de l'entreprise.
Outre de nombreux débordements de votre part vis-à-vis de la clientèle, nous avons à vous reprocher deux faits particulièrement graves.
D'une part, le 12 octobre 2018, vous avez été à l'initiative d'une altercation avec M. [C] [W], Pharmacien bénévole présent au sein de l'étabIissement en mon absence.
Comme vous le savez, il était notamment en charge du contrôle des ordonnances et de la gestion du tiers payant.
M. [W] a constaté que vous aviez commis une grave erreur en laissant sur le comptoir un sachet de médicaments accompagnés de deux feuilles de soin et ce, alors même qu'en raison de la valeur de ces médicaments (4,5 millions de F CFP), ils devaient être mis au coffre-fort.
Vous avez fait preuve d'une grave négligence fautive en laissant sur le comptoir le sachet de médicaments et les deux feuilles de soins.
De plus, M. [W] a constaté qu'il y avait une erreur de tarification.
Lorsqu'il vous en a fait la remarque lors de votre prise de poste, vous avez refusé de l'écouter en insistant sur le fait que vous deviez soi-disant vous occuper seule de ce dossier et que tout avait été vérifié.
Alors qu'il vous a informée qu'il prenait le relais et qu'il se chargeait dorénavant de ce dossier sensible, vous avez de nouveau refusé en menaçant de ne pas venir travailler le lendemain.
M. [W] refusa ce chantage et descendit à son bureau.
Lorsqu'il s'est aperçu qu'il avait oublié le sachet de médicament, il est revenu sur ses pas et a constaté que vous aviez en main ledit sachet de médicaments.
Alors qu'il vous a demandé de le lui donner, vous avez refusé en faisant preuve d'une insubordination notoire.
Un tel comportement est tout simplement inadmissible. En tant que préparatrice en pharmacie, vous devez avoir parfaitement conscience de la limite de vos compétences et respecter les missions du pharmacien.
Vous avez fait preuve d'une absence totale de professionnalisme en refusant l'intervention d'un pharmacien dans la gestion de ce dossier sensible.
Outre la négligence avec laquelle vous avez traité cette affaire, votre attitude puérile accompagnée d'insubordination et de chantage ne peut être tolérée au sein de l'entreprise.
D'autre part, le vendredi 19 octobre 2018 vers 18h, vous avez été à l'initiative d'une altercation avec une cliente au cours de laquelle vous avez tenu des propos intolérables et eu une attitude inacceptable.
Vous vous étes permis de faire à cette cliente des remarques désobligeantes sur sa situation matrimoniale en lui indiquant notamment qu'elle avait fait une erreur en se mariant aussi jeune : " Née en 1987 en plus, il faut réfléchir avant de prendre une décision'.
Lorsqu'une de vos collègues vous a demandé si vous souhaitiez quelque chose, vous lui avez tenu les propos suivants et ce, devant la cliente : "Une corde, je ne sais pas ce qu'elles ont toutes aujourd'hui mais c'est la journée!".
Après avoir récupéré ses médicaments, cette cliente vous a conseillé de "changer de métier " ce a quoi vous avez répondu "Hum, j'y penserai".
Alors que cette cliente était en train de quitter rétablissement, vous l'avez interpellée. Lorsqu'elle s'est retournée vers vous, vous avez pris soin de déchirer devant ses yeux son ordonnance sur laquelle figurait son renouvellement de médicaments pour sa chimiothérapie.
Nous avons eu connaissance de ces faits fautifs qu'à mon retour de congés, le 27 octobre 2018. Un tel comportement démontre une fois de plus une absence totale de professionnalisme.
Cette attitude est parfaitement incompatible avec vos fonctions de préparatrice en pharmacie en contact quasi permanent avec la clientèle.
Nous sommes donc au regret de constater que votre comportement avec la clientèle ne s'est absolument pas amélioré, il s'est même dégradé et ce, en dépit des nombreuses remarques que nous vous avons faites.
II résulte de ce qui précède, que votre comportement fautif nuit gravement au bon fonctionnement de l'entreprise et porte atteinte à l'image de la pharmacie.
Compte-tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien au sein de celle-ci s'avère impossible.
Nous sommes donc dans l'obIigation de prononcer à votre encontre une mesure de licenciement pour fautes graves.(...)" ;
Attendu qu'il convient, en conséquence, d'examiner les différentes griefs mentionnés dans la lettre de licenciement, d'apprécier s'ils sont établis et s'ils caractérisent les fautes graves retenues par I'employeur ou, à tout le moins, une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
2-1 De l'attitude et du ton inappropriés de Mme [A] à l'égard des clients
Attendu que l'employeur fait grief aux premiers juges de ne pas avoir pris en compte les attestations qu'elle a produites de la même manière que celles produites par la salariée et d'avoir ainsi dénié toute valeur probante à ses attestations ; qu'ainsi, la PHARMACIE DE L'ANSE VATA soutient que de nombreux témoignages établissent que Mme [A], en tant que préparatrice, avait un comportement déplacé vis-à-vis des clients et que cette attitude est nécessairement fautive et empêchait son maintien au sein de l'entreprise ;
Attendu que l'employeur produit neuf attestations destinées à établir un comportement désagréable de Mme [A] à l'égard de la clientèle de l'officine, tandis que Mme [A] entend combattre ces témoignages défavorables par une vingtaine d'attestations élogieuses d'autres clients ;
Attendu que sans qu'il soit nécessaire de reprendre chacune des attestations versées par l'employeur pour établir les fautes graves reprochées à la salariée, force est de constater que la plupart des attestations versées font état de faits non datés, à l'exception de deux d'entre elles qui concernent des faits anciens au regard d'un licenciement notifié le 3 janvier 2019 ou sont postérieures à la date de l'entretien préalable ; qu'ainsi, Mme [N] relate que le 11 décembre 2018 alors qu'elle venait non comme cliente mais pour voir une personne travaillant au sein de la pharmacie, elle a été accueillie sèchement par Mme [A] ; que par ailleurs, Mme [V] précise que Mme [A] lui aurait mal parlé le 29 décembre 2016 tout en précisant qu'elle a des liens d'amitiés avec la gérante ; que les nombreux compte-rendus de réunions hebdomadaires produits par les parties depuis 2017 ne font état que de deux incidents avec des clients, un compte rendu du 20 octobre 2017 relève que Mme [A] 's'est emportée avec des patients' sans que soient précisées les circonstances et l'autre compte-rendu du 10 novembre 2017 (faits du 7 novembre) note qu'elle 'a fait une réflexion négative à un client' sans plus de précision ; que les attestations ainsi versées par l'employeur, qui sont généralement imprécises quant à la date de l'évènement relaté ou la personne visée par le grief voire prescrits pour ceux précisant la date des faits reprochés, ne sont en tout état de cause pas de nature à caractériser des fautes graves, ainsi que les premiers juges ont déjà pu le souligner par des motifs que la présente décision entend se réapproprier ;
2-2 De l'attitude non professionnelle à I'encontre de ses collègues
Attendu que l'employeur entend démontrer par quatre attestations l'attitude non professionnelle de Mme [A] envers ses collègues tandis que la salariée combat ce grief en versant une dizaine d'attestations établies par ses précédents employeurs ou collègues dans cinq autres pharmacies où elle a travaillé :
' Attestation de M. [S] [M], pharmacien assistant, de septembre à décembre 2017
Attendu que M. [M] fait ainsi valoir qu'il 'a eu l'occasion, à plusieurs reprises, d'assister à un comportement ainsi qu'à des réflexions déplacées avec la clientèle qui malgré les compétences de Mme [A] n'ont pas lieu d'être dans une officine' ;
Attendu que ces déclarations qui concernent en réalité des relations avec la clientèle qui peuvent être rattachées aux compte-rendus de réunions hebdomadaires précédemment rappelées des 20 octobre et 10 novembre 2017, sont imprécises et ne permettent donc pas à Mme [A] d'y répondre ; qu'elles ne traduisent en tout état de cause pas de mauvaises relations avec ses collègues ;
' Attestation de Mme [H] [E], agent commercial de la pharmacie
Attendu que Mme [E] précise ne pas avoir 'été à l'aise de travailler avec Mme [A], nous n'avons pas le même comportement avec la clientèle' ;
Attendu que ce témoignage n'est pas de nature à caractériser une faute de Mme [A] ;
' Attestation de Mme [I] [P], pharmacienne assistante, de mai à juin 2019 dans la pharmacie de [Localité 4]
Attendu que cette attestation concerne un comportement de Mme [A] après son licenciement dans une autre pharmacie au titre duquel Mme [A] fournit une attestation de la gérante de cette pharmacie qui s'est déclarée 'enchantée de ses services' précisant que 'les clients ont été très contents de ses conseils' ;
Attendu qu'il n'est pas de nature à caractériser une faute de nature à justifier un licenciement ;
' Attestation de M. [B] [D], pharmacien ayant employé Mme [A] de février 2010 à février 2012
Attendu que si M. [D] fait part, dans son attestation du 2 mai 2019, qu'il avait eu à sanctionner Mme [A] par un blâme le 31 décembre 2010 et par un avertissement le 20 septembre 2011 pour 'discours secs et désinvoltes à l'égard de la clientèle et collègues' ; que Mme [A] produit un certificat de travail en date du 9 septembre 2009 de ce même employeur la décrivant comme une 'personne très agréable et efficace, passage trop court' pour l'avoir certes employée pour la période du 24 août au 9 septembre 2009 ; que si ces deux attestations ne sont pas incompatibles dans la mesure où le comportement de la salariée a pu évoluer défavorablement, le comportement reproché remontant à près de dix ans avant le licenciement, ne sont pas de nature à servir de fondement à la faute aujourd'hui alléguée d'autant plus que la salariée a produit des attestations de plusieurs gérantes de pharmacie pour lesquels elle a effectué des remplacements établissant qu'elle était compétente efficace, disponible et respectueuse avec ses collègues ;
Attendu enfin que l'employeur produit un courriel du 13 mai 2019 de M. [G], pharmacien assistant, qui porte l'appréciation suivante sur Mme [A] :
'J'atteste que Mme [A] connaît bien son travail et y met toute son énergie. Par contre malgré l'affection que j'ai pour elle, [K] le sait et on en a parlé, au travail elle peut avoir des problèmes relationnels durs et difficiles à gérer auxquels j'ai été confronté durant la période où j'ai travaillé à ses côtés. En dehors c'est une personne attentionnée avec un bond fond et c'est pour cette raison que je l'apprécie' ;
Attendu que les premiers juges ont ainsi justement analysé au travers des différentes attestations fournies de part et d'autre, que si Mme [A] était une excellente professionnelle, elle pouvait parfois être dure avec ses collègues, ce qui ne saurait être suffisant pour caractériser une faute grave sauf à établir que ce caractère était de nature à nuire au fonctionnement normal de la société, ce qui n'est pas établi en l'état ; que la cour fait sienne cette appréciation ;
2-3 De l'altercation du 16 octobre 2018 avec M.[W], pharmacien bénévole, père de la gérante
' De la prescription
Attendu que Mme [A] soutient que la négligence et l'insubordination qui lui sont reprochées sont des griefs présentant un caractère instantané et ne peuvent donc donner lieu à des poursuites disciplinaires au-delà du délai de deux mois prévu par l'article Lp. 132-6 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ; qu'elle ajoute que les faits reprochés étant du 16 octobre 2018, elle ne pouvait être licenciée plus de deux mois après par la lettre de licenciement qui lui est parvenue le 8 janvier 2019 et qu'ainsi le grief doit être considéré comme étant prescrit ;
Attendu cependant qu'il n'est pas contesté que si les faits reprochés sont du 16 octobre 2018 (et non du 12 octobre comme précisé par erreur dans la lettre de licenciement), l'employeur en ayant eu connaissance par un échange de courriels des 16 et 17 octobre 2018 ce qui l'a conduit à convoquer Mme [A] par un courrier du 28 novembre 2018 à un entretien préalable fixé au 7 décembre 2018 ; que l'employeur a ainsi bien 'engagé des poursuites disciplinaires' dans le délai de deux mois, au sens de l'article Lp. 132-6 du code précité ; qu'en conséquence les faits ne sont pas prescrits ;
' Des faits reprochés
Attendu qu'il est établi que le 16 octobre 2018, Mme [A] a laissé un sac de médicaments de grande valeur et deux feuilles de soins sur le comptoir après 19 heures, soit après la fermeture de l'officine, dans le but selon elle d'avoir une réponse de Mme [L], sa supérieure hiérarchique, concernant la tarification à retenir ; qu'elle n'a ainsi pas mis au coffre ce médicament ce qu'a constaté le lendemain matin M. [W], pharmacien bénévole, avant l'ouverture de l'officine et en présence de Mme [A] le conduisant à la traiter d'incapable selon la salariée, propos cependant contestés par M. [W] ; que Mme [A] réfute pour sa part avoir menacé de ne pas venir travailler le lendemain sans réellement contester les propos de M. [W] selon lesquels elle aurait dans un premier temps refusé de lui remettre les médicaments ;
Attendu que si ce comportement pourrait être analysé comme fautif, il convient cependant de constater qu'il s'agit de la première négligence d'une salariée que l'employeur reconnaît par ailleurs avoir apprécié pendant plusieurs années pour ses aptitudes professionnelles ;
Attendu par ailleurs, que la cour est conduite à constater l'importance très relative donnée par l'employeur à cet incident qui aurait dû le conduire, si la gravité de la faute était réellement établie, à mettre immédiatement à pied la salariée et non à continuer de l'employer pendant plus de deux mois après les faits reprochés ; qu'au surplus, il a été précédemment établi par le compte-rendu de l'entretien préalable au licenciement précédemment rappelé que cette faute n'a pas été abordée par l'employeur au cours de l'entretien, ce qui traduit là encore que la faute n'était pas jugée comme étant grave ;
Attendu qu'il résulte de ces éléments pris en leur ensemble, que cette faute tenant tant à la non mise au coffre du médicament qu'à l'insubordination alléguée qui n'est pas suffisamment établie et qui s'inscrit dans un échange très certainement vif sans cependant que la responsabilité de l'un ou l'autre des protagonistes puisse être déterminée de manière précise, n'est pas de nature en tout état de cause à constituer une cause réelle et sérieuse au licenciement ;
2-4 De l'altercation du 19 octobre 2018 avec Mme [J], cliente
Attendu que les premiers juges ont fait une juste analyse de la cause en relevant que, contrairement à ce que soutient I'employeur, les circonstances de I'incident n'établissaient pas que Mme [A] avait eu un comportement inadmissible et dégradant à I'encontre de Mme [J] mais que c'est la cliente qui s'est vexée suite à une parole effectivement malheureuse de Mme [A] selon laquelle celle-ci aurait dit à la cliente qu'il était malheureux d'être divorcée si jeune ;
Attendu qu'il est établi que l'employeur a laissé travailler Mme [A] jusqu'au 7 janvier 2019, soit plus de deux mois après cet incident, ce qui traduit là encore l'importance toute relative de l'incident qui ne saurait en permettre un licenciement pour ce seul grief ;
3- Des conséquences financières
3-1 Du salaire de référence
Attendu que les parties sont communes à dire, en cause d'appel, que le salaire de référence doit être fixé à 402 318 F CFP, somme retenue par les premiers juges ;
3-2 De l'indemnité de préavis et des congés payés sur préavis
Attendu que la somme de 804 636 F CFP retenue par les premiers juges au titre du préavis (deux mois compte-tenu d'une ancienneté supérieure à deux ans et inférieure à dix ans, selon l'article 87 de l'accord interprofessionnel territorial) et la somme de 80 463 F CFP au titre des congés-payés sur préavis, qui ne sont pas contestées doivent être confirmées ;
3-3 De l'indemnité légale de licenciement
Attendu qu'il doit être fait application des articles Lp. 122-27 et R. 122-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie et de l'article 88 de l'accord interprofessionnel territorial qui prévoit que :
'Lorsque le travailleur compte deux ans d'ancienneté continue au service du même employeur, il a droit, sauf en cas de faute grave ou en cas de force majeure ou en cas de départ à la retraite à une indemnité minimum de licenciement calculée sur la base :
' de 1/10ème de mois par année d'ancienneté jusqu'à 10 ans d'ancienneté,
' de 1/10ème de mois par année d'ancienneté plus 1/15ème de mois par années d'ancienneté sur la période au-delà de 10 ans d'ancienneté' ;
Attendu que les dispositions des premiers juges ayant retenu, au regard des trois années d'ancienneté de la salariée, la somme de 120 695 F CFP (402 318 x1/10 x 3), qui ne font l'objet d'aucune critique, doivent être confirmées ;
3-4 Des dommages et intérêts pour licenciement injustifié
Attendu que Mme [A] demande en appel la confirmation de la somme de 3 000 000 F CFP allouée par les premiers juges au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre celle de 300 000 F CFP prévue par la décision entreprise au titre du préjudice distinct ;
Attendu que la cour analysera successivement ces deux demandes qui relèvent en réalité d'une part de la perte injustifiée de l'emploi et d'autre part des circonstances de la rupture ;
De la perte injustifiée de l'emploi
Attendu qu'il s'agit d'évaluer le préjudice matériel ou économique ; que cette évaluation doit tenir compte de l'ancienneté dans l'entreprise, de l'âge du salarié licencié, de sa situation après la rupture, du montant de son salaire, sans cependant faire référence aux circonstances de la rupture ni au comportement de l'employeur ;
Attendu que la PHARMACIE DE L'ANSE VATA s'oppose à la demande en paiement d'une indemnité de 3 000 000 F CFP, telle qu'allouée par les premiers juges, en demandant à la cour de limiter ce poste au minimum légal soit à une indemnité correspondant au six derniers mois de salaire compte-tenu de son ancienneté supérieure à deux ans (article Lp. 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie) ;
Attendu que les premiers juges ont justement indemnisé ce poste de préjudice en le fixant à la somme de 3 000 000 F CFP qui doit être confirmée ;
Des circonstances de la rupture
Attendu qu'il s'agit de déterminer si le salarié a subi un préjudice moral en raison du caractère brutal voire vexatoire du fait de l'attitude adoptée par l'employeur avant ou pendant la rupture ;
Attendu que Mme [A] fait valoir :
- qu'elle a souffert d'un état anxio-dépressif réactionnel, étant très investie professionnellement dans un métier qu'elle exerce depuis de nombreuses années ;
- qu'elle justifie par un certificat médical du 6 mars 2019 avoir présenté des troubles de l'appétit, une inappétence avec perte de 5 kg en quatre mois, un état anxieux important et des cervicalgies persistantes ;
- qu'elle a été particulièrement choquée de l'attitude de son employeur qui a décidé de la licencier sans vérifier sérieusement la réalité des griefs formés à son encontre ;
Attendu que la cour constate que Mme [A] n'est pas fondée à se prévaloir de procédés vexatoires dans la mise en oeuvre ou les circonstances de son licenciement et qu'il convient en conséquence de la débouter de cette demande et d'infirmer ainsi les premiers juges ;
3-5 De la prime de fin d'année
Attendu que la PHARMACIE DE L'ANSE VATA fait grief aux premiers juges de l'avoir condamnée à verser à Mme [A] une somme totale de 755 166 F CFP calculée sur la base d'un mois de salaire par année complète représentant un mois de salaire par année complète, au titre de la prime de fin d'année ;
Attendu que le caractère obligatoire des primes ou compléments de salaire découle de la nature de leur source ; que cette prime peut être d'origine légale, conventionnelle, contractuelle ou jurisprudentielle ou découler de la simple volonté de l'employeur ; que, dans ce dernier cas, il s'agit d'une simple libéralité constitutif d'un usage, l'employeur étant libre d'en fixer le montant ;
Attendu qu'en l'espèce, Mme [A] entend se prévaloir des dispositions de l'article 25 de la convention collective 'Commerces et divers', qui prévoient que :
'Les agents relevant des catégories ouvrier, employé, technicien ou agent de maîtrise bénéficieront d'une gratification de fin d'année dont le mode de calcul et de répartition sera déterminé par accord d'établissement' ;
Attendu que la PHARMACIE DE L'ANSE VATA fait cependant valoir justement que son entreprise comportant moins de cinquante salariés, il ne pouvait conclure un accord d'établissement, faute de délégués syndicaux représentatifs au sein de l'entreprise, conformément aux dispositions des articles Lp.332-1 et Lp. 323-24 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;
Attendu que l'employeur justifie cependant avoir versé, sous forme de libéralité constitutif d'un usage, une prime de fin d'année à hauteur de 100 000 F CFP par année complète ; qu'ainsi figure sur les bulletins de paye de Mme [A] le versement de cette prime à hauteur de :
- 40 000 F CFP au titre de la prime de fin d'année 2016 (salaire de novembre 2016),
- 29 000 F CFP au titre de la prime de fin d'année 2016 (régularisation sur le salaire de décembre 2018),
- 100 000 F CFP au titre de la prime de Noël 2017 (salaire de novembre 2017),
- 100 000 F CFP au titre de la prime de fin d'année 2018 (salaire de décembre 2018) ;
Attendu en conséquence, que les premiers juges n'étaient pas fondés à condamner la société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à payer à Mme [K] [A] la somme de 755 166 F CFP à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice dû à la carence de l'employeur concernant le paiement des primes de fin d'année ; que ces dispositions doivent ainsi être infirmées ;
3-6 De la remise des documents de fin de contrat et de la régularisation auprès des organismes sociaux
Attendu que l''employeur devra remettre au salarié un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, et des bulletins de salaire correspondant rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt à intervenir dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme la décision entreprise, sauf en ce qu'elle a statué ainsi :
'Dit que le licenciement de Mme [K] [A] pour faute grave est vexatoire ;
Condamne la société SELARL PHARMACIE DE L'ANSE VATA à payer à Mme [K] [A] :
- la somme de 755 166 F CFP à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice dû à la carence de l'employeur concernant le paiement des primes de fin d'année,
- la somme de 300 000 F CFP au titre du préjudice distinct ' ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que la SELARL PHARMACIE AUSTRALE vient aux droits de la SELARL PHARMAClE DE L'ANSE VATA ;
Dit que le licenciement de Mme [K] [A] pour fautes graves n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;
Dit que le licenciement n'est pas vexatoire ;
Rejette la demande formée par Mme [A] à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice dû à la carence de l'employeur concernant le paiement des primes de fin d'année, ainsi que celle formée au titre du préjudice distinct ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ;
Y ajoutant :
Dit que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance pour les créances indemnitaires et à compter de la requête introductive de première instance pour les créances salariales ;
Condamne la SELARL PHARMACIE AUSTRALE à payer à Mme [K] [A] la somme de 250 000 F CFP au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel et aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL BOITEAU.
Le greffier,Le président.