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15/09/2022 | FRANCE | N°19/000825

France | France, Cour d'appel de noumea, 05, 15 septembre 2022, 19/000825


No de minute : 64/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 15 septembre 2022

Chambre commerciale

Numéro R.G. : No RG 19/00082 - No Portalis DBWF-V-B7D-QC2

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 mai 2019 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG no :2014/110)

Saisine de la cour : 1er juillet 2019

APPELANTS

M. [H] [O]
né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Séverine LOSTE, membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

Mme

[X] [V]
née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Béatrice AUPLAT-GILLARDIN, me...

No de minute : 64/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 15 septembre 2022

Chambre commerciale

Numéro R.G. : No RG 19/00082 - No Portalis DBWF-V-B7D-QC2

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 mai 2019 par le tribunal mixte de commerce de NOUMEA (RG no :2014/110)

Saisine de la cour : 1er juillet 2019

APPELANTS

M. [H] [O]
né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Séverine LOSTE, membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [X] [V]
née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Béatrice AUPLAT-GILLARDIN, membre de la SARL GILLARDIN AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. [H] [O]
né le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Séverine LOSTE, membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

Mme [X] [V]
née le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Béatrice AUPLAT-GILLARDIN, membre de la SARL GILLARDIN AVOCATS, avocat au barreau de NOUMEA

M. [C] [A]
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Fabien MARIE, membre de la SELARL D'AVOCATS CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 4 août 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
M. François BILLON, Conseiller,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.

Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Selon « convention de cession de titres sous conditions suspensives » en date du 17 décembre 2010, M. [A] et M. [O], qui détenaient l'intégralité du capital social de la société Pharmacie centrale qui exploitait une officine de pharmacie [Adresse 8], se sont engagés à céder toutes leurs parts sociales à Mme [V] moyennant un prix global de 505.337.595 FCFP, « payable comptant à la date de la cession », le prix devant être financé au moyen d'un financement bancaire et de fonds propres. Mme [V] a subordonné son engagement à l'obtention d'un prêt et au dépôt d'un dossier de déclaration d'exploitation de l'officine.

Selon « convention de cession de titres » en date du 21 juin 2011, M. [A] et M. [O] ont cédé toutes leurs parts sociales à Mme [V] moyennant le prix convenu, 101.067.519 FCFP revenant à M. [A] et 404.270.076 FCFP à M. [O]. Il a été précisé que le prix avait été déterminé sur la base des états financiers de l'exercice clos le 30 septembre 2010.

Par un acte séparé daté du 21 juin 2011, intitulé « contrat de garantie », M. [O] et M. [A] ont souscrit une garantie de passif et d'actif au profit de Mme [V].

Par requête introductive d'instance déposée le 4 février 2014, Mme [V] a attrait M. [O] devant le tribunal mixte de commerce de Nouméa pour obtenir le paiement d'une somme de 5.396.456 FCFP au titre de la garantie d'actif et de passif et d'une somme de 94.600.000 FCFP en réparation du préjudice occasionné par le dol commis par le défendeur, tenant à la présentation de comptes sociaux inexacts.

Selon assignation délivrée le 17 février 2017, M. [O] a appelé en garantie M. [A].

Les deux instances ont été jointes.

M. [O] s'est opposé aux prétentions de Mme [V] en soulevant la prescription de l'action introduite au titre de la garantie d'actif et de passif, en lui reprochant de ne pas l'avoir régulièrement mise en oeuvre et en contestant toute manoeuvre dolosive.

M. [A] a fait valoir qu'il ne répondait pas des malversations de son associé.

Par jugement en date du 24 mai 2019, la juridiction saisie a :
- condamné M. [O] à payer à Mme [V] les sommes suivantes :
5.396.456 FCFP au titre de ses parts et portions dans la garantie d'actif et de passif conclue par acte du 21 juin 2011, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2014,
20.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts au titre du dol commis au préjudice de Mme [V],
- débouté chacune des parties du surplus de ses demandes,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions, hors celles ayant trait aux dépens,
- condamné M. [O] à payer à Mme [V] une indemnité de 600.000 FCFP et à M. [A] une indemnité de 200.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de la selarl Gillardin - Auplat.

Les premiers juges ont principalement retenu :
- qu'en vertu de l'article 5.3, Mme [V] avait régulièrement mis en oeuvre la garantie d'actif et de passif en notifiant uniquement sa demande à M. [A] avant l'expiration du délai de la garantie ;
- que l'action de Mme [V] n'était pas prescrite ;
- que M. [O] n'ayant pas contesté la demande de garantie dans le délai imparti et M. [A] ayant expressément reconnu le bien fondé de la demande, la somme réclamée était due ;
- que M. [O] s'était livré à une manoeuvre dolosive en valorisant un pas de porte en 2009 pour régulariser son compte courant d'associé débiteur ;
- que le préjudice subi par Mme [V] résidait dans la perte de chance de contracter à des conditions plus avantageuses ;
- que M. [A] s'étant d'ores et déjà acquitté de sa portion dans la garantie d'actif et de passif, M. [O] n'était pas fondé à solliciter sa garantie ;
- que M. [A] étant étranger au dol commis par M. [O], ce dernier ne pouvait pas solliciter sa garantie.

Selon requête déposée le 1er juillet 2019, Mme [V] a interjeté appel de cette décision en intimant M. [O].

Selon requête déposée le 12 juillet 2019, M. [O] a interjeté appel en intimant Mme [V] et M. [A].

La jonction des deux instances a été ordonnée.

Aux termes de ses conclusions transmises le 27 décembre 2021, Mme [V] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [O] à lui payer la somme de 20.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts au titre du dol commis à son préjudice ;
à titre principal,
- condamner M. [O] à lui payer la somme de 109.049.828 FCFP à titre de dommages et intérêts au titre du dol commis à son préjudice ;
- confirmer le jugement déféré pour le surplus ;
à titre subsidiaire,
- condamner M. [O] à lui payer la somme de 58.484.545 FCFP à titre de dommages et intérêts au titre du dol commis à son préjudice ;
- confirmer le jugement déféré pour le surplus ;
en tout état de cause,
- débouter M. [O] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner M. [O] à payer à Mme [V] la somme de 530.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la selarl Gillardin - Auplat.

Selon conclusions transmises le 19 août 2020, M. [O] prie la cour de :
- débouter Mme [V] de toutes ses demandes ;
- réformer, en toute hypothèse, le jugement entrepris en ses dispositions portant condamnations à l'encontre de M. [O] ;
- rejeter toutes les demandes de Mme [V] en confirmant par ailleurs uniquement les dispositions ayant débouté partiellement Mme [V] en ses demandes et ayant débouté M. [A] en toutes ses demandes ;
- à titre subsidiaire, et dans l'hypothèse où la cour déciderait de faire droit partiellement aux demandes de Mme [V] en confirmant le jugement querellé, dire et juger que M. [A] devra garantir M. [O] de l'ensemble des condamnations pouvant être maintenues et/ou prononcées à son encontre ;
- en toute hypothèse, condamner Mme [V] et M. [A] à payer à M. [O] la somme de 500.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans des conclusions transmises le 7 juillet 2021, M. [A] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [O] de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre ;
- recevoir M. [A] en son appel incident ;
- condamner M. [O] à payer à M. [A], à titre de dommages et intérêts, la somme de 7.296.909 FCFP assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;
- condamner M. [O] à payer à M. [A] la somme de 600.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 mai 2022.

Sur ce, la cour,

1) Il résulte du rapport de M. [F], expert comptable consulté par Mme [V], en date du 25 février 2013, que le montant de 6.940.936 FCFP réclamé au titre de la garantie d'actif et de passif et mis à la charge de M. [O] à due concurrence de 5.396.456 FCFP, se décompose comme suit :
- provisions CP et charges sur CP (passif non déclaré) : 341 801 FCFP
- indemnités de départ en retraite (passif non déclaré) : 437 713 FCFP
- clients - impayés (actif inexistant) : 242 270 FCFP
- primes sur ex antérieurs (passif non déclaré) : 1 797 625 FCFP
- compte courant débiteur (actif inexistant) : 195 366 FCFP
- loyer impayé + charges (passif non déclaré) : 1 309 109 FCFP
- charges exceptionnelles (passif non déclaré) : 2 626 418 FCFP.

2) M. [O] soulève l'irrecevabilité de la demande formulée par Mme [V] au titre de la garantie d'actif et de passif pour avoir été tardivement mise en oeuvre au motif que Mme [V] ne démontrait « nullement » qu'elle lui avait notifié « avant le 31 mars 2013, sa volonté de mettre en oeuvre la garantie d'actif et de passif et de lui réclamer sa quote-part au titre de la somme de 6.940.936 XPF ».

Le « contrat de garantie », conclu concomitamment à la « convention de cession de titres » avec laquelle il forme « un tout indivisible » selon les termes de l'article 12 de cette dernière convention, contient une clause intitulée « garantie d'actif et de passif - indemnisation », par laquelle M. [O] et M. [A], présentés comme les « garants », ont garanti « l'exactitude et le caractère complet de toutes les déclarations » qu'ils avaient faites, tenant notamment à la conformité des « comptes de référence » « aux prescriptions, règles et méthodes applicables et appliquées à la société » (article 4.7 du contrat de garantie) et sont engagés à « dédommager le bénéficiaire de tout préjudice subi dans les conditions déterminées » dans l'acte.

Il a été prévu :
« 5.2 Durée de la garantie
La présente garantie est consentie et restera valable jusqu'au 31 mars 2013.
Par exception :
- en matière fiscale ou douanière, elle expirera un mois après l'expiration du délai légal de prescription en la matière (articles 985 du code des impôts et article 208 du code des douanes),
- en matière sociale, elle expirera un mois après l'expiratíon du délai légal de prescription en la matière (article Lp 143-8 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie).
De convention expresse entre les parties, le BENEFICIAIRE pourra mettre en jeu la présente garantie jusqu'à l'expiration du délai concerné ci-dessus stipulé quand bien même les sommes éventuellement dues par les GARANTS ne seraient pas connues ou déterminables à cette date, dès lors qu'un événement susceptible d'entraîner l'application de la présente garantie, tel que par exemple et de façon non limitative, un contrôle fiscal, social, douanier ou autre, ou encore un litige avec un tiers, sera intervenu avant l'expiration de celle-ci et que le BENEFICIAIRE en aurait dûment informés les GARANTS ».

Les conditions de « mise en oeuvre de la garantie » sont définies par l'article 5.3 qui prévoit :
« Afin de faire valoir ses droits dans le cadre de la présente garantie,
le BENEFICIAIRE notifiera à l'un quelconque des GARANTS par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre simple remise en main propre contre récépissé ou par voie d'huissier, dans le délai de 15 jours de la connaissance ou découverte par la SOCIETE ou le BENEFICIAIRE, de tout fait, contrôle ou revendication de la part de tout tiers, de nature à mettre en jeu la présente garantie et notamment de tout contrôle par l'administration fiscale, un organisme social ou par l'administration douanière afin qu'il soit à même de pouvoir fournir, dans les délais prescrits par la législation ou la réglementation en vigueur, tous les éléments de réponse et de défense et de discuter avec les prétendus créanciers de la légitimité ou du montant de leurs créances, préalablement à tout versement ou toute acceptation par la SOCIETE de ce passif.
Les GARANTS pourront transiger ou assurer leur défense lors de toutes actions, procédures ou enquêtes, à ses propres frais et avec ses propres conseils. Le BENEFICIAIRE s'engage à consulter les GARANTS pour établir la gestion de Réclamation. Si les GARANTS exercent une telle prérogative, le BENEFICIAIRE lui donnera sans délai toutes facilités, directement ou à leurs conseils, qui sont nécessaires à l'effet de sauvegarder leurs intérêts auprès de toute juridiction ou commission devant laquelle l'affaire sera entendue, et pour exercer toutes voies de recours contre toute décision, sentence arbitrale ou verdict rendu sur l'affaire litigieuse.
Le montant de tout passif nouveau révélé ne deviendra exigible à l'encontre des GARANTS qu'autant que ce montant sera définitivement arrêté soit par une décision judiciaire passée en force de chose jugée, soit par l'accord du représentant des GARANTS sur une transaction ou reconnaissance par ces derniers du montant du passif ainsi révélé. Le paiement sera alors effectué dans un délai de VINGT ET UN (21) jours. Passé ce délai les GARANTS seront redevable d'une astreinte, convenue dès à présent comme contractuelle et définitive de CENT MILLE (100.000) XPF par jour de retard.
Toutefois, si les garants ne notifient pas au BENEFICIAIRE leur intention d'exercer leur défense dans délai de TRENTE (30) jours (sauf procédure d'urgence) suivant la réception de la notification mentionnée ci avant, le BENEFICIAIRE pourra transiger au plaider aux frais des GARANTS, le résultat de l'action, de la procédure ou de l'enquête s'imposant à ce dernier. »

Il résulte de ces dispositions que Mme [V] devait mettre en jeu la garantie avant le 31 mars 2013.

Indépendamment des effets de la solidarité entre les garants instituée par le contrat de garantie, sur lesquels les premiers juges se sont appuyés pour retenir que Mme [V] pouvait utilement opposer à M. [O] la notification faite le 25 février 2013 à M. [A], il sera observé que, selon exploit de Me [W], huissier de justice, en date du 26 mars 2013, délivré à domicile, une lettre datée du même jour dans laquelle Mme [V] déclarait former une réclamation « à (son) encontre dans le cadre de (sa) garantie d'actif-passif liée à la cession de la SELARL Pharmacie centrale » et lui réclamait le paiement des sommes dues « sous quinzaine » ainsi que le rapport de M. [F] chiffrant à 6.940.936 FCFP le montant dû au titre de la garantie d'actif et de passif ont été signifiés à M. [O]. Une telle signification était efficace puisqu'une notification par voie d'huissier est expressément autorisée par l'article 5.9 et qu'elle est intervenue l'adresse communiquée par M. [O] dans l'acte de cession.

M. [O] est mal venu à soutenir qu'il n'aurait été informé des demandes de Mme [V] qu'après l'expiration du délai de garantie.

La demande de Mme [O] est recevable.

3) M. [O] affirme que Mme [V] serait déchue de la garantie « pour non-respect de l'obligation d'information du cédant par la cessionnaire ».

Il résulte du rapport de M. [F] qu'à l'exception d'un chef de demande motivé par une action en justice, les montants réclamés correspondent à des anomalies comptables tenant à l'absence d'enregistrement en comptabilité de provisions, de charges omises ou de créances douteuses.

En ce que l'activation de la garantie d'actif et de passif ne fait pas suite à des réclamations de tiers formulées après la cession auxquelles les garants auraient pu utilement s'opposer mais répond à des corrections d'ordre technique, aucune déchéance de garantie ne peut être utilement invoquée par M. [O].

Il est constant que le 9 mai 2012, la SCI Anni a assigné la société Pharmacie centrale en paiement du loyer du mois de janvier 2011 (920.840 FCFP) et des charges du second trimestre 2011 (388.269 FCFP). Dès lors que M. [O], associé et un des gérants de cette société familiale, était directement intéressé au succès de cette action, il ne saurait être reproché à Mme [V] de ne pas lui avoir notifié cette réclamation contre laquelle il n'allait opposer aucun « élément de réponse et de défense ». La demande formulée par Mme [V] au titre de ce poste sera donc examinée.

4) Mme [V] soutient que sa créance au titre de la garantie d'actif et de passif est « devenue définitive à l'égard des deux garants » puisque ni M. [O], ni M. [A] n'ont contesté le principe de sa réclamation « dans le délai de trente jours fixé à l'acte (article 5-3 dernier alinéa) », M. [A] ayant même reconnu la légitimité de sa réclamation en réglant sa quote-part.

Ce raisonnement ne peut pas être entériné par la cour en ce que le délai de trente jours institué par l'article 5.3 régit la procédure d'identification de la partie, garants ou bénéficiaire, qui conduira les négociations voire l'éventuel procès avec le tiers réclamant.

Selon l'article 5.3 alinéa 3 du contrat de garantie, l'exigibilité du passif nouvellement révélé suppose une décision judiciaire passée en force de chose jugée, un accord du représentant des garants sur une transaction ou une reconnaissance par les garants du montant du passif ainsi révélé. Dès lors qu'il n'est pas démontré que M. [A] avait la qualité de « représentant des garants », sa décision de donner suite à la réclamation de Mme [V] n'a pas engagé M. [O] qui demeure recevable à contester les montants sollicités.

5) M. [O] conteste devoir la moindre somme au titre de garantie d'actif et de passif en reprochant à l'avis de M. [F] de reposer sur une lecture erronée du contrat de garantie.

L'article 5.1, intitulé « indemnité due », prévoit :
« Les GARANTS agissant divisément garantissent l'exactitude et le caractère complet de toutes les déclarations ci-dessus, et s'oblige, en conséquence, à indemniser intégralement le BENEFICIAIRE de toute perte, dommage ou préjudice que celui-ci et/ou la société pourrait subir en raison de l'inexactitude de l'une quelconque de ses déclarations ou de l'omission d'informations significatives concernant la SOCIETE.
Les GARANTS agissant divisément garantissent en outre le bénéficiaire contre tout passif ou engagement hors bilan non comptabilisé ou non suffisamment provisionné, toute diminution ou insuffisance d'actif, toute dette, toute charge, toute perte ou tout autre dommage affectant ou pouvant affecter la SOCIETE et notamment, mais de façon non exclusive, en matière de responsabilité civile, en matière fiscale, sociale ou pénale, ayant une cause ou une origine antérieure à la DATE DE CESSION et dont l'existence n'aurait pas été révélée ou n'aurait été que partiellement révélée à la date des présentes, et s'engage, en conséquence :
- à rembourser au BENEFICIAIRE l'intégralité des sommes dues au titre de la présente garantie, ou si celui-ci le souhaite, à indemniser la SOCIETE du montant desdites sommes.
Monsieur [A] ne sera tenu que pour tout préjudice postérieur à sa nomination aux fonctions de gérant de la SOCIETE et proportionnellement au nombre de parts détenu dans le capital de celle-ci.
La valeur de référence à prendre en compte pour l'appréciation de toute apparition ou augmentation de passif ou engagement hors bilan, de toute diminution ou insuffisance d'actif, de toute dette, charge, perte, ou autre dommage supporté en raison d'événement entrant dans le cadre de ce qui est indiqué ci-dessus est celle figurant dans les comptes de référence. »

L'article 2 du « contrat de garantie » précise que « les 'comptes de référence' désignent la situation comptable intermédiaire établie au 20 juin 2011 servant à l'application du contrat de garantie. »

L'article 13 de l'acte de cession et l'article 4.7 du contrat de garantie définissent les modalités selon lesquelles cette situation intermédiaire devait être arrêtée

6) La somme de 341 801 FCFP correspond, selon le rapport de M. [F], à des provisions pour congés payés et pour charges sociales et fiscales sur congés payés qui ont été « minorées » dans les « comptes arrêtés au 30 septembre 2010 ».

Dès lors qu'il n'est pas démontré que cette minoration affecte les comptes de références, à savoir la situation comptable intermédiaire arrêtée au 20 juin 2011, celle-ci n'entraîne pas la mise en oeuvre de la garantie d'actif et de passif. Autrement dit, aucune somme n'est due à ce titre.

7) S'agissant du montant de 437 713 FCFP mis en compte au titre des indemnités de départ en retraite, le même raisonnement commande de rejeter ce poste puisque la dissimulation affecte, selon le travail de M. [F], les comptes arrêtés au 30 septembre 2010, cet expert-comptable observant que la provision figurait bien dans les comptes de référence.

8) De même, la cour retiendra qu'aucune somme n'est due au titre des créances douteuses (242 270 FCFP) puisque M. [F] lie cette anomalie au « bilan arrêté au 30 septembre 2010 » et que la cour ignore si cette anomalie affectait les comptes de référence.

9) Pour les motifs précédemment retenus, aucun montant ne sera accordé au titre des primes sur exercices antérieurs (1 797 625 FCFP) puisque cette anomalie a été détectée par M. [F] dans le bilan arrêté au 30 septembre 2010 et que celui-ci a également noté une régularisation dans la situation intermédiaire.

10) M. [F] a observé que le compte courant de M. [O] dans les livres de la société Pharmacie centrale présentait un solde débiteur de 195 366 FCFP dans les comptes arrêtés au 30 septembre 2011.

M. [O] expose, sans être démenti par Mme [V], avoir réglé sa dette à la société Pharmacie centrale le 20 juin 2013. Il produit une photocopie du chèque qu'il a tiré sur la Banque de Nouvelle-Calédonie.

Cette dette éteinte ne saurait donner lieu à un second paiement.

11) M. [F] observe que le loyer et les charges impayés réclamés par la société SCI Anni n'ont donné lieu à aucune provision dans les comptes de référence qui étaient établis « à la diligence et sous la responsabilité des cédants » (article 12 de la convention de cession).

Toutefois, Mme [V] ne justifie pas de l'issue du procès initié par la société SCI Anni. En conséquence, la cour n'est pas en mesure d'affirmer que ce nouveau passif est devenu « exigible » au sens des stipulations précitées de l'article 5.3 du contrat de garantie. Ce poste ne peut donc pas être retenu par la cour.

12) En ce qui concerne les charges exceptionnelles (2 626 418 FCFP), M. [F] observe que « la situation du 21 juin 2011 met en évidence des charges exceptionnelles qui concerne l'exercice clos le 30 septembre 2010. Vu l'importance de ces charges, nous pouvons croire qu'elles ont été volontairement omises lors de la clôture du 30 septembre 2010 ».

Dès lors que l'anomalie n'affecte pas les comptes de référence, puisqu'elle a été corrigée, la garantie d'actif et de passif ne peut pas être mise en oeuvre de ce chef.

13) Il résulte de qui précède que Mme [V] ne peut prétendre à la moindre somme au titre de la garantie d'actif et de passif. Le jugement entrepris doit être infirmé en ce qu'il a condamné [O] à payer à Mme [V] la somme de 5.396.456 FCFP.

14) Mme [V] reproche à M. [O] de s'être rendu coupable de manoeuvres dolosives ayant consisté à :
- faire inscrire à l'actif du bilan de la société Pharmacie centrale un droit au bail fictif d'un montant de 36.484.545 FCFP qui n'a jamais été réglé à la SCI Les flots,
- régulariser son compte courant qui était débiteur en portant à son crédit le prix de vente d'un local et de parkings, puis le bénéfice distribuable dégagé grâce à la revente ultérieure de ces biens par la société Pharmacie centrale à la SCI Anni,
- encaisser de 2000 à 2007 des remises de fin d'années accordées par le GPNC à la société Pharmacie centrale,
- faire supporter par la société Pharmacie centrale des augmentations injustifiées de loyer au profit de la SCI Anni, dont il était par ailleurs associé et gérant,
- dissimuler un bail commercial signé le 4 février 2011.

Quoique pénalement répréhensible, l'encaissement allégué par M. [O] de ristournes consenties par le GPNC ne peut pas être tenu pour l'expression d'une volonté de tromper Mme [V] puisqu'il a eu lieu plusieurs années avant l'ouverture des pourparlers. Il n'a pas le caractère de manoeuvres dolosives.

Il est en de même de la fixation du loyer supporté par la société Pharmacie centrale à un montant excessif, au regard du marché locatif.

Il résulte du dossier que le 7 décembre 2007, M. [O] a vendu à la société Pharmacie centrale un local à usage commercial et des parkings. Le prix de cession (22.000.000 FCFP) n'a donné lieu à aucun flux financier : il a été porté au crédit du compte courant de M. [O] qui était alors significativement débiteur (échange de courriels des 12 et 18 mars 2008 entre MM. [S] et [P]). Cet actif a été revendu par la société Pharmacie centrale à la société SCI Anni dans le courant de l'année 2010 moyennant un prix de 22.000.000 F. La trésorerie procurée par cette opération a permis aux associés de distribuer des dividendes d'un montant de 22.384.400 FCFP le 14 décembre 2010, lors de l'approbation des comptes de l'exercice clos le 30 septembre 2010.

Mme [V] n'explicite pas en quoi ces opérations, ouvertement pratiquées, qui démontrent sans doute que M. [O] privilégiait son intérêt immédiat, auraient le caractère de manoeuvres intentionnellement menées pour tromper Mme [V] et la déterminer à conclure à un prix excessif.

Une somme de 36.484.545 FCFP a été portée à l'actif du bilan au 30 septembre 2009 sous la rubrique « immobilisations incorporelles » comme « fonds commercial (a) dont droit au bail ». Cette écriture figure dans le bilan 2010 et les bilans suivants. Pour justifier cette écriture, la SCI Les flots, représentée par M. [O], et la société Pharmacie centrale, représentée par M. [A], ont signé un document intitulé « quittance » et daté du 30 mars 2009, par lequel les parties ont exposé que selon acte sous seing privé en date du 10 avril 1997, la SCI Les flots avait donné à bail un local commercial sis à Nouméa d'une superficie de 187 m² pour une durée de vingt trois mois à compter du 1er mai 1997 et que la locataire était restée dans les lieux à l'issue de cette période. Cet acte stipule :
« ll a, alors, été convenu, entre les parties, le versement par le preneur au bailleur, en contrepartie de la jouissance des locaux loués un droit d'entrée d'un montant de trente six millions quatre cent quatre vingt quatre mille cinq cent quarante cinq francs CFP (36.484.545 FCFP).
Il a été prévu que ce droit d'entrée serait payé à la convenance du preneur. »

Il résulte de l'échange de courriels entre MM. [S] et [P] précédemment évoqué que le paiement d'un pas de porte plus de dix années après l'entrée dans les lieux avait été imaginé par « D. [R] » pour permettre, en concours avec la vente du local et parkings déjà évoquée, de créditer le compte courant de M. [O] qui était débiteur de 49.000.000 FCFP. M. [P] indiquait ne pas comprendre « grand-chose à ce montage » alors que la société Pharmacie centrale était « déjà dans les locaux » et qu'il n'existait aucun justificatif. Aucun élément du dossier ne démontre que ce pas de porte, dont le paiement avait été laissé à la seule volonté de la débitrice, a effectivement été payé à la SCI Les flots.

M. [O] s'est rendu coupable d'une manoeuvre frauduleuse en inscrivant au bilan de la société reprise un pas de porte qui n'avait jamais été versé à la bailleresse, pour apurer sa dette envers la société Pharmacie centrale.

Mais, les circonstances dans lesquelles cette opération a été imaginée dès 2008, c'est-à-dire avant l'ouverture des négociations sur le rachat de la société, établissent que cette écriture frauduleuse, qui entrait dans le champ de la garantie d'actif et de passif destinée à préserver l'acquéreur de « toute diminution d'actif » (article 5.1), n'a pas été inscrite dans le but de tromper Mme [V] et de la déterminer à conclure. Elle ne peut fonder une action en réparation fondée sur le dol.

Mme [V] reproche à M. [O] d'avoir dissimulé la signature d'un bail portant sur les lots 34 et 36 entre la société Pharmacie centrale et la SCI Anni.

M. [O], qui s'était engagé, aux termes de l'article 16.2 du compromis du 17 décembre 2010 à ce que « la gestion de la société soit assurée de manière courante sans qu'il ne soit apporté de modifications, autres qu'ordinaires, au cours normal des affaires » et à « recueillir l'accord préalable du cessionnaire » pour toute « modification de contrats ou accords à long terme », a failli à ses obligations en signant un bail avec la société Anni, sans en aviser Mme [V]. Cependant, cette faute a été commise à une époque où Mme [V] s'était déjà engagée à acquérir les parts à un prix de 505.337.595 FCFP : elle n'a pas déterminé Mme [V] à conclure et ne peut donc pas être considérée comme une manoeuvre dolosive.

Il résulte de ce qui précède que Mme [V] ne démontre pas que son consentement a été vicié par des manoeuvres dolosives. Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

15) M. [A] réclame à M. [O] une somme de 7.296.909 FCFP en réparation du préjudice que lui avait occasionné la valorisation fictive d'un droit au bail pour un montant de 36.484.545 FCFP.

M. [A] a approuvé les comptes de l'exercice clos le 30 septembre 2009 au cours duquel l'opération litigieuse a été inscrite dans les comptes de la société. Il a signé la « quittance » du 30 mars 2009 qui légitimait cette écriture frauduleuse. Non seulement il a été partie prenante à la mise en oeuvre du stratagème mais encore il n'en ignorait pas l'objet comme le montrent les courriels de MM. [S] et [P].

M. [A] qui a été complice de la fraude, est mal venu à demander réparation du préjudice que cette fraude lui a indirectement occasionné. Il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Par ces motifs,

La cour,

Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné M. [O] à payer à M. [A] une indemnité de 200.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [V] de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute M. [A] de sa demande de dommages et intérêts dirigée contre M. [O] ;

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [V] aux dépens de première instance et d'appel, à l'exception de ceux afférents à l'intervention de M. [A] tant en première instance qu'en appel, lesquels resteront à la charge de M. [O].

Le greffier, Le président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de noumea
Formation : 05
Numéro d'arrêt : 19/000825
Date de la décision : 15/09/2022
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2022-09-15;19.000825 ?
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