N° de minute : 184/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 11 août 2022
Chambre civile
Numéro R.G. : N° RG 21/00165 - N° Portalis DBWF-V-B7F-SBD
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 mai 2021 par le tribunal de première instance de NOUMEA (RG n° :18/2801)
Saisine de la cour : 8 juin 2021
APPELANT
Mme [D] [Z]
née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 6],
demeurant : [Adresse 1]
Représentée par Me Grégory MARCHAIS de la SELARL D'AVOCATS LUCAS MARCHAIS, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
Société ALLIANZ VIE,
Siège social : [Adresse 5]
Représentée par Me Philippe REUTER de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA
Société d'assurances AVANSSUR,
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Barbara CAUCHOIS de la SARL BARBARA CAUCHOIS, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 4 juillet 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
Mme Nathalie BRUN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.
Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, le délibéré fixé au 01/08/2022 ayant été prorogé au 04/08/2022 puis au 11/08/2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
Le 9 décembre 2009, Mme [Z] a souscrit auprès de la société Allianz vie une police « Garantie des accidents de la vie », pour la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, renouvelable par tacite reconduction, qui la garantissait ainsi que son concubin.
Le [Date décès 4] 2016, M. [O] est décédé à [Localité 7].
Selon jugement du 6 juillet 2017, le tribunal correctionnel d'Aix en Provence a notamment reconnu M. [Y] coupable d'avoir le 5 octobre 2016, étant conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, causé involontairement la mort de M. [O] et déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [Z].
Le 5 janvier 2017, Mme [Z] a accepté une indemnité de 3.000.000 FCFP proposée par la société Allianz vie « en règlement du préjudice moral subi lors de l'accident de la circulation du 05.10.2016. »
Selon requête introductive d'instance déposée le 4 septembre 2018, Mme [Z] a attrait la société Allianz vie devant le tribunal de première instance de Nouméa pour obtenir le paiement d'une somme de 66.520.224 FCFP en réparation de son préjudice économique consécutif au décès de M. [O].
Selon assignation délivrée le 6 juin 2019, la société Allianz vie a appelé la société Avanssur, assureur du véhicule impliqué dans l'accident, en intervention forcée.
La société Allianz vie s'est opposée à cette demande en faisant valoir d'une part, que sa garantie avait un caractère supplétif et que le préjudice économique de Mme [Z] avait vocation à être indemnisée par l'assureur de l'auteur de l'accident, d'autre part que la preuve d'une relation de concubinage à la date de l'accident n'était pas rapportée.
La société Avanssur a indiqué n'avoir versé aucune somme à Mme [Z].
Par jugement en date du 31 mai 2021, la juridiction saisie, retenant qu'il n'était pas établi que l'action initiée sur intérêts civils devant le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence n'était plus en cours, a :
- débouté Mme [Z] de l'ensemble de ses prétentions ;
- dit que Mme [Z] assumerait la charge des dépens.
Selon requête déposée le 8 juin 2021, Mme [Z] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de son mémoire d'appel transmis le 31 janvier 2022, Mme [Z] demande à la cour de :
- infirmer le jugement déféré ;
- constater que la société Avanssur n'a à ce jour versé aucune somme à Mme [Z] ;
- constater que Mme [Z] n'a pas sollicité dans le cadre de la procédure sur intérêts civils par devant le tribunal d'Aix-en-Provence, l'indemnisation de son préjudice économique ;
- constater que la proposition de la société Allianz n'est pas conforme à la règle de calcul applicable ;
- au besoin, surseoir à statuer en attendant la production du certificat de non-appel du jugement du tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence statuant sur les intérêts civils ;
- dire et juger que la société Allianz doit garantir Mme [Z] au titre du préjudice économique résultant du décès de son concubin intervenu le [Date décès 4] 2016 ;
- condamner la société Allianz à verser à Mme [Z] la somme de 66 520 224 FCFP ;
- dire et juger que les sommes dues produiront intérêts au taux légal, avec anatocisme, à compter de la date du dépôt de la requête introductive d'instance ;
- condamner la société Allianz à verser à Mme [Z] la somme de 450 000 FCFP en cause d'appel et la même somme au titre des frais de première instance en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la selarl Lucas Marchais.
Selon conclusions déposées le 15 décembre 2021, la société Allianz vie prie la cour de :
- confirmer le jugement entrepris ;
- dire que le contrat « Garantie accident de la vie » contracté par Mme [Z] ne peut intervenir qu'à titre supplétif et ne peut se cumuler avec les prestations à caractère indemnitaire perçues ou à percevoir de la part de la société Avanssur au titre de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
- dire qu'il ne saurait être discuté du préjudice économique de Mme [Z] par la concluante qu'une fois les droits à indemnisation détenus par celle-ci à l'encontre de la société Avanssur connus ;
- constater que Mme [Z] n'apporte pas la preuve de sa relation de concubinage avec M. [O] et du partage d'une communauté d'intérêts économiques dans cette relation de concubinage ;
- débouter Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes, la qualité de bénéficiaire du contrat n'étant pas démontrée et les dispositions contractuelles relatives au caractère supplétif de la garantie n'étant pas respectées ;
- à titre infiniment subsidiaire, ramener à de plus justes proportions les sommes sollicitées par Mme [Z] au titre de son préjudice économique ;
- condamner Mme [Z] au paiement d'une somme de 300.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Dans des conclusions transmises le 3 novembre 2021, la société Avanssur demande à la cour de :
- prendre acte de ce qu'aucune somme n'a été versée à Mme [Z] par la société Avanssur ;
- constater qu'aucune demande n'est formulée à l'encontre de la société Avanssur ;
- condamner tous succombants à verser à la concluante une somme de 300.000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 mars 2022.
Sur ce, la cour,
1/ L'article 2.2 des conditions générales de la police litigieuse dispose :
« L'indemnisation des dommages corporels couverts est faite selon les régles du droit commun, dans la limite du plafond de garantie de 1 million d'euros par victime dont 15 000 € maximum au titre de l'incapacité temporaire et dans les conditions suivantes :
Elle intervient toujours déduction faite des prestations versées par les organismes sociaux ou les tiers payeurs désignés aux articles 29 à 33 de la Loi n° 85.677 du 5 juillet 1985.
Par ailleurs, celle-ci ne se cumule pas avec des prestations de caractère indemnitaire perçues ou à percevoir par l'assuré ou les bénéficiaires d'un tiers responsable et/ou de son assureur, d'un organisme visé par les articles 29 à 33 de la Loi n° 85.677 du 5 juillet 1985.
Vous devez porter ces prestations à notre connaissance dès qu'elles vous sont notifiées par le débiteur et ont été acceptées par vous. »
Dans ses conclusions, la société Avanssur, assureur du véhicule impliqué dans l'accident dont M. [O] a été victime, affirme qu'elle n'a versé aucune somme à Mme [Z] en réparation de son préjudice. Cette assertion est confirmée par les mentions figurant dans le jugement rendu le 20 septembre 2018 par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence qui, statuant sur l'action civile des proches du défunt, et au contradictoire de la société Avanssur, a constaté que Mme [Z] n'avait présenté aucune demande.
Aucune disposition de la police ne subordonnant le recours contre la société Allianz vie à une action préalable contre l'auteur de l'accident, il y a lieu de déclarer l'action de Mme [Z] recevable.
2/ La société Allianz vie dénie à Mme [Z] tout droit à réparation du préjudice économique allégué aux motifs que la preuve d'une relation de concubinage avec le défunt n'est pas rapportée, pas plus que celle d'une communauté d'intérêts financiers.
Le concubinage est défini par l'article 505-8 du code civil comme étant « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. »
Il résulte des attestations concordantes produites par l'appelante que celle-ci vivait maritalement avec le défunt, au domicile de celui-ci, depuis 2009. Dans l'avis de décès paru dans la presse, Mme [Z] a été présentée comme la « compagne » de M. [O]. La preuve d'une vie commune, stable et continue, caractéristique d'un concubinage est rapportée.
Par ailleurs, l'existence d'une communauté de vie économique entre M. [O] et Mme [Z] sera retenue puisque cette dernière était hébergée par M. [O] et profitait ainsi de ses revenus et qu'il est justifié de mouvements financiers entre les patrimoines des concubins.
En conclusion, la cour retiendra que M. [O] avait la qualité d'assuré au sens de la police.
3/ Au vu des pièces produites, les revenus annuels du couple [O] - [Z] s'élevaient, au moment du décès à 5.191.080 + 3.239.215 = 8.430.295 FCFP.
Le couple étant sans enfant à charge et M. [O] ayant, selon les propres explications de l'appelante, un train de vie confortable puisqu'il était propriétaire d'un bateau, d'une motocyclette et d'une grosse automobile, qui exigeaient des frais d'entretien coûteux, la part de consommation personnelle du défunt ne saurait être inférieure à 50 %. Dans ces conditions, la perte patrimoniale annuelle de Mme [Z] ressort à 8.430.295 - [( 8.430.295 x 50 %) + 3.239.215] = 975.932 FCFP.
M. [O] et Mme [Z] étaient âgés respectivement de 58 ans et 50 ans.
En faisant application du prix de l'euro de rente viagère correspondant à l'âge de M. [O], qui avait l'espérance de vie la moindre, soit 19,947 selon le barème de capitalisation 2016 publié par la Gazette du palais, Mme [Z] a droit à une indemnité de 975.932 x 19,947 = 19.466.925 FCFP.
Par ces motifs
La cour,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Condamne la société Allianz vie à payer à Mme [Z] une indemnité de 19.466.925 FCFP en réparation de son préjudice patrimonial, outre intérêts au taux légal à compter de ce jour, les intérêts se capitalisant selon les modalités de l'article 1154 du code civil ;
Condamne la société Allianz vie à payer à Mme [Z] une somme de 450.000 FCFP en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société Avanssur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Allianz vie aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier,Le président.