N° de minute : 43/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 2 juin 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : N° RG 20/00129 - N° Portalis DBWF-V-B7E-RUA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 décembre 2020 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :19/178)
Saisine de la cour : 30 décembre 2020
APPELANT
S.E.L.A.R.L. MARY LAURE GASTAUD MANDATAIRE JUDICIAIRE, ès qualités de mandataire liquidateur de la SARL LE GIBUS, représentée par sa gérante en exercice Me Mary-Laure GASTAUD
dont le siège social est situé 1 bis bd extérieur - Immeuble le Fortin - 98800 NOUMEA
Représentée par Me Morgan NEUFFER, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
Mme [M] [U] [K] épouse [W]
née le 16 février 1961 à SAIGON (VIETNAM)
demeurant 36 rue Charleroi - Appart 1 - 98800 NOUMEA
Représentée par Me Frédéric DAUBET- ESCLAPEZ, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 3 mars 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,
Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, le 5 mai 2022 puis prorogé au 2 juin 2022
- signé par M. Philippe ALLARD, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Mme [M] [U] [K] épouse [W] a travaillé à compter du 1er avril 2003 en qualité de cuisinière pour le compte de la SARL LE GIBUS, dont son époux, M. [E] [W], avait racheté l'intégralité des parts sociales et exerçait la gérance.
Par jugement du 7 août 2017, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SARL LE GIBUS, avant de prononcer sa liquidation judiciaire par jugement du 18 février 2019.
Par courrier du 5 mars 2019, la SELARL Mary-Laure GASTAUD, désignée en qualité de mandataire liquidateur, a informé Mme [M] [U] [K] épouse [W] qu'elle ne lui reconnaissait pas la qualité de salariée en l'absence de lien de subordination, estimant qu'elle gérait, 'en fait et en droit', la société liquidée. Elle l'invitait néanmoins, par courrier du 11 avril 2019, à déclarer son éventuelle créance à la procédure collective.
Par requête déposée au greffe le 23 juillet 2019, Mme [M] [U] [K] épouse [W] a saisi le tribunal du travail de Nouméa aux fins de voir reconnaître sa qualité de salariée de la société LE GIBUS et de voir fixer le montant de sa créance salariale à 5'445'000 francs CFP.
Par jugement contradictoire du 18 décembre 2020, le tribunal a fait droit à ses demandes.
PROCÉDURE D'APPEL
Suivant requête déposée au greffe de la cour le 30 décembre 2020, la SELARL Mary-Laure GASTAUD a interjeté appel de cette décision.
En l'état de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 31 août 2021, elle demande à la cour :
- à titre principal d'enjoindre à Mme [M] [U] [K] épouse [W] de produire l'autorisation de travail délivré par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie lui permettant d'occuper un emploi salarié sur le territoire, à défaut de dire qu'un éventuel contrat de travail est frappé d'illégalité et de débouter Mme [M] [U] [K] épouse [W] de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, de retenir qu'elle ne se trouvait pas dans une relation de subordination pour avoir exercé les fonctions de dirigeant de fait de la société LE GIBUS et de la débouter en conséquence l'ensemble de ses demandes ;
- de la condamner, en tout état de cause, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En réplique, Mme [M] [U] [K] épouse [W], aux termes de ses dernières écritures du 8 octobre 2021, demande à la cour, après avoir constaté qu'elle produisait l'autorisation de travail sollicitée, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Pour un exposé des moyens respectifs des parties, la cour renvoie expressément à leurs dernières écritures et aux notes de l'audience ainsi qu'aux développements ci-dessous.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Conformément aux dispositions de l'article 1315 du code civil dans sa rédaction applicable en Nouvelle-Calédonie, il appartient à celui qui se prévaut de l'existence d'un contrat de travail d'en établir l'existence.
De même, en présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui en invoque le caractère fictif d'en rapporter la preuve.
En l'espèce, c'est à juste titre que le tribunal a retenu l'existence d'un contrat de travail apparent au regard de la promesse d'embauche circonstanciée du 5 février 2003, des bulletins de salaires produits pour la période de janvier 2014 à février 2019 (édités chaque mois), des déclarations nominatives adressées à la CAFAT, de l'état des créances portant mention des cotisations dues pour les deuxième trimestre 2018 et premier trimestre 2019 au titre de l'activité salariée de Mme [M] [U] [K] épouse [W].
Il est constant par ailleurs que Mme [M] [U] [K] épouse [W] a effectivement travaillé en qualité de cuisinière dans le restaurant exploité par la société LE GIBUS et qu'elle n'avait pas la qualité de gérante de droit de cette société. Cette activité salariée était autorisée par arrêté n°03-2883 / GNC du 6 novembre 2003 ainsi qu'il résulte de la mention portée sur la carte de séjour de l'intéressée produite aux débats.
La SELARL Mary-Laure GASTAUD soutient en revanche que l'absence de revendication de toute rémunération depuis 2011 procède d'un choix de Mme [M] [U] [K] épouse [W] impliquant qu'elle avait agi en qualité de gérante de fait en s'envestissant dans la gestion financière de la société.
Toutefois, la seule abstention de Mme [M] [U] [K] épouse [W] de réclamer le paiement effectif de ses salaires n'est pas, en l'absence de renonciation expresse et de tout autre élément caractérisant son implication effective dans la gestion de la société, de nature à établir sa qualité de gérante de fait et à exclure l'existence d'un lien de subordination.
Il ne peut en effet être écarté que cette abstention ait procédé pour Mme [W] d'une impossibilité morale de réclamer le paiement effectif de ses salaires à son époux, dont il n'est par ailleurs pas contesté qu'il pourvoyait seul aux besoins du ménage grâce à la perception d'une pension de retraite, ce dont il résultait nécessairement une dépendance économique.
La cour relève en outre que la gestion de fait est en l'espèce d'autant moins caractérisée que Mme [W] n'apparaît dans aucun document relatif à la gestion de la société, que le comptable de la société identifie M. [W] comme le seul gérant de la société et que Mme [W] était d'autant moins intéressée à la réussite de la société LE GIBUS à titre personnel qu'elle ne possédait aucune part sociale et qu'elle se trouve mariée à son gérant sous le régime de la séparation de biens suivant contrat du 17 juillet 2002 produit aux débats.
Dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge a écarté le caractère fictif du contrat de travail et, constatant qu'aucune contestatation n'était élevée sur le montant des salaires réclamés, a fixé la créance de Mme [M] [U] [K] épouse [W] à ce titre à 5 445 000 francs CFP.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DIT n'y avoir lieu à faire injonction à l'intimée de produire de nouvelles pièces ;
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
FIXE à cinq unités de valeur le coefficient de base servant au calcul de la rémunération de Me DAUBET ESCLAPEZ, désigné au titre de l'aide judiciaire.
Condamne la SELARL Mary-Laure GASTAUD, ès qualités, aux dépens d'appel.
Le greffier,Le président.