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02/06/2022 | FRANCE | N°20/000817

France | France, Cour d'appel de noumea, 02, 02 juin 2022, 20/000817


No de minute : 34/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 02 Juin 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 20/00081 - No Portalis DBWF-V-B7E-RJ3

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Août 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/62)

Saisine de la cour : 03 Septembre 2020

APPELANT

M. [N] [G]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 4] ([Localité 4])
demeurant [Adresse 3]
Comparant et assisté par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, Avocat au Barreau de NOUMEA

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S.A. SOCIETE LE NICKEL, prise en la personne de son Directeur Général en exercice
Siège Social : [Adresse 1]
Représentée par...

No de minute : 34/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 02 Juin 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 20/00081 - No Portalis DBWF-V-B7E-RJ3

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Août 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/62)

Saisine de la cour : 03 Septembre 2020

APPELANT

M. [N] [G]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 4] ([Localité 4])
demeurant [Adresse 3]
Comparant et assisté par Me Virginie BOITEAU membre de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, Avocat au Barreau de NOUMEA

INTIMÉ

S.A. SOCIETE LE NICKEL, prise en la personne de son Directeur Général en exercice
Siège Social : [Adresse 1]
Représentée par Me Séverine BEAUMEL membre de la SELARL BEAUMEL SELARL D'AVOCAT, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mai 2022, en audience publique, devant la cour composée de Mr Philippe DORCET, Président de chambre, Président, Mme Nathalie BRUN, Conseiller et M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.

Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE

ARRÊT contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, Président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

M. [N] [G] a été embauché par la SLN dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée en date du 02 août 2004, en qualité d'ouvrier "calcination fusion" jusqu'au 31 janvier 2005 puis était renouvelé jusqu'au 31 juillet 2005. A compter du 1er août 2005, il était reconduit dans ses fonctions selon contrat de travail à durée indéterminée moyennant un salaire mensuel brut de 211 052 XPF pour 33,60 heures de travail par semaine. Embauché jusqu'au 31 octobre 2016 au poste d'électricien d'entretien, il était nommé à compter du 1er novembre 2016, chef d'équipe électricien d'entretien des réseaux haute tension.

Suite à des incidents avec son supérieur hiérarchique, M. [T] et notamment une altercation en date du 20 février 2018 au cours de laquelle il refusait de mettre à jour la fiche sur les accidents de travail, M. [G] consultait le médecin de travail de la SLN qui le déclarait le 20 février 2018 inapte temporaire à son poste de travail et le renvoyait vers son médecin traitant qui lui prescrivait un arrêt de travail du 23 février au 9 mars 2018.

Le 21 février 2018, il déposait auprès des services de la CAFAT une déclaration d'accident de travail faisant état du harcèlement moral exercé par M. [T]. En toute hypothèse, il était déclaré apte à la reprise de son travail par le médecin de travail le 26 mars 2018.

Le 11 avril 2018, il était convoqué à un entretien préalable disciplinaire pour avoir refusé de mettre à jour la fiche d'accident de travail le 20 février 2018. Au final, il lui était notifié le 30 avril 2018 qu'à raison du contexte, aucune sanction ne serait prise, l'importance de son rôle de garant du respect des règles et des procédures de sécurité lui étant néanmoins rappelée en sa qualité de chef d'équipe.

Le 11 juillet 2018, la CAFAT décidait de reconnaître le caractère professionnel de l'accident consécutifs aux faits intervenus le 20 février 2018.

Le 25 avril 2018, alors que M. [G] travaillait avec deux autres collègues électriciens, M. [D] [A] et M. [F] [P], ce dernier subissait une décharge électrique de 127 volts dans la main droite. Une enquête était ordonnée et un rapport établi le 25 avril.

Par courrier daté du 23 mai 2018, remis à l'intéressé le 28 mai 2018, M. [G] était convoqué a un entretien préalable le 30 mai en vue d'un éventuel licenciement en suite de quoi, il était licencié pour faute grave par LR/AR en date du 27 juin 2018. ll lui était reproché d'être la cause d'un choc électrique (127 volts continu) dont avait été victime son collègue M. [P] le 25 avril 2018 et notamment de n'avoir pas procédé à une VAT (Vérification d'Absence de Tension), opération préalable à toute intervention en matière électrique. Il lui était également reproché juste après cet incident, d'avoir décidé en concertation avec ses deux collègues de n'avoir pas déclaré cet accident à la hiérarchie.

Selon l'employeur, ces fait constituaient un manquement à la mise en sécurité du chantier par la non réalisation de la «VAT», un manquement à l'obligation de déclaration de tout accident ou incident à caractère grave ainsi qu'une mise en danger d'autrui, tout choc électrique entraînant une surveillance médicale dont la durée est appréciée par le médecin, cette dissimulation ayant privé M. [P] de cette surveillance essentielle.

Par requête du 6 mars 2019, M. [N] [G] a fait convoquer devant le tribunal du travail de Nouméa la SA SOCIETE LE NICKEL dite SLN, aux fins de déclarer qu'il avait fait l'objet d'un licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse et condamner la société défenderesse à lui payer les sommes de 551 020 XPF au titre de l'irrégularité de procédure, 1 653 060 XPF (indemnité de préavis), 165 306 XPF ),congés payés sur préavis, 771 428 XPF (indemnité légale de licenciement), 13 220 000 XPF (dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse), 2 500 000 XPF(préjudice moral) et 300 000 XPF (frais irrépétibles) outre la remise des documents habituels (certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, et bulletins de salaire conformes).

Dans son jugement du 18 août 2020, le tribunal du travail de Nouméa déclarait le licenciement de M. [G] pour faute grave irrégulier, justifié et non vexatoire et condamnait la société SA LE NICKEL dite SLN à lui payer trois cent vingt-six mille sept cent cinquante-et-un (326 751) XPF avec exécution provisoire au titre de l'indemnité pour irrégularité de procédure mais déboutait le requérant du surplus de ses demandes. Elle condamnait également l'employeur à payer a M. [G] une somme de cent cinquante mille (150 000) XPF au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

PROCEDURE D'APPEL

Par requête en date du 03 septembre 2020, M. [G] relevait appel de cette décision. Au terme de son mémoire ampliatif du 27 octobre 2020 et de ses écritures récapitulatives signifiées par RPVA en date du 30 décembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample développement, l'appelant rappelle qu'en 14 ans d'ancienneté à la SLN il n'a jamais fait l'objet d'une quelconque procédure disciplinaire. Il soutient notamment que la rupture du contrat est la conséquence d'un harcèlement moral dont il a fait l'objet et qu'en outre :

- son licenciement était irrégulier en la forme ainsi qu'il a été jugé par le tribunal du travail mais également en raison de la violation des dispositions du règlement intérieur qui prévoient que la convocation doit se dérouler en présence d'un représentant de sa hiérarchie : une telle violation du règlement intérieur entraînant de jurisprudence (métropolitaine) l'annulation de la sanction prononcée

- le fait qu'il n'a pas été mis à pied à titre conservatoire et a travaillé pendant 33 jours après l'incident démontre qu'aucune faute grave n'était établie

- qu'aucune mise en danger d'autrui ne peut lui être reprochée ce qui résulte d'un certificat médical établi par un expert sur l'intensité du courant était sans danger pour le corps humain,

- qu'il résulte du rapport d'incident qu'aucune faute ne pouvait lui être reprochée ce dont atteste l'arbre des responsables établi par la SLN (PJ 29) puisque la responsabilité de l'incident du 25 avril incombe tant à l'agent de consignation qui n'avait pas effectué la VAT sollicitée qu'au chef d'exploitation qui n'avait pas contrôlé le travail de l'agent de consignation ou à M . [P] qui avait enlevé ses gants isolants et utilisé un tournevis non isolé

- que ni l'agent de consignation ni le chef d'exploitation à l'origine de l'accident n'ont d'ailleurs été sanctionnés non plus que ses deux collègues mis à pied et que la sanction prise était disproportionnée ce que démontrait sans peine la réaction bienveillante de la SLN dans des accidents similaires

- que dès lors son licenciement pour ne pas avoir procédé à une vérification préalable de la tension, au lieu et place de ses salariés, en sa qualité de chef d'équipe, alors que la pancarte placée sur l'équipement lui laissant croire que la mise hors tension avait été faite, est disproportionnée par rapport aux faits et ne constitue nullement une faute grave mais tout au plus une faute d'inattention ou une insuffisance professionnelle,

- qu'il avait spontanément évoqué l'incident dès le lendemain en réunion de sécurité alors même qu'il n'avait pas par ailleurs à le déclarer puisque la victime n'était pas blessée et ne souhaitait pas consulter un médecin.

Enfin il fait valoir qu'il était fragilisé par le harcèlement moral dont il était l'objet de la part de son supérieur hiérarchique , M. [T] auquel a succédé M. [M] qui au lieu de le défendre lors de l'entretien n'avait cessé de l'accabler en l'accusant après avoir multiplié les procédures disciplinaires dès son retour fin mars 2018.

Il conclut donc que son licenciement pour faute grave est injustifié, que toutes ses demandes indemnitaires et salariales sont fondées et estime justifiée sa demande de dommages-intérêts à ce titre en renouvelant les demandes présentées devant le tribunal (cf supra). Il sollicite dans le dernier état de ses écritures 500 000 XPF sur le fondement de l'article 700 du CPCNC.

La SLN ne soutient plus en appel que la procédure de licenciement serait régulière. En revanche pour ce qui regarde le respect des droits de la défense lors de l'entretien préalable, l'employeur relève que l'attestation de M. [K] selon lequel M. [M], présent lors de l'entretien aurait été « mal intentionné » envers M. [G], ne repose sur rien de concret et que ce dernier échoue à prouver en quoi, il aurait trompé la direction sur les fautes qui lui sont reprochées.

Elle conteste, par ailleurs, avoir annoncé à des salariés que M. [G] était licencié avant que la mesure ne lui soit notifiée en faisant valoir que les attestations que le requérant produit n'ont aucune valeur probante compte tenu de leur imprécision et du fait qu'elles sont écrites sur le même modèle.

Elle considère que le licenciement est parfaitement justifié dans la mesure où le requérant ne saurait échapper à ses responsabilités pour l'incident du 25 avril 2018 alors que contrairement à ce qu'il soutient il avait reçu de nombreuses formations concernant le pilotage opérationnel S49 et la norme NF C 18-510 et avait participé à des réunions sur la sécurité.

Elle soutient également qu'il avait reçu des rapports hebdomadaires et mensuels sur les accidents survenus et les mesures à prendre pour les éviter ainsi qu'un compte rendu le 12 octobre 2017 qui rappelait la nécessité de déclarer tous les incidents relatifs à la sécurité et qu'en l'espèce il avait cumulé les fautes : omission d'effectuer la VAT, laissé son équipe intervenir seul, régularisation du travail en catimini et non déclaration de l'accident

Elle fait valoir, par ailleurs que la faute des agents de consignation et de son équipe n'atténuent en rien la sienne et qu'en réalité M. [G] avait tout mis en oeuvre dès le 20 février 2018 pour obtenir un arrêt de travail qu'il souhaitait voir qualifier en accident du travail ce que la CAFAT avait refusé.

Elle relève que son salarié ne saurait se prévaloir du comportement harceleur de M. [T] alors que celui-ci avait quitté l'entreprise lors de l'incident depuis deux mois ni de deux autres incidents dont les auteurs n'auraient pas été sanctionnés dont les circonstances sont différentes et dont un est antérieur aux renforcements des formations sur la sécurité dont il a bénéficié.

Elle estime donc que le cumul des fautes caractérise la gravité de la faute qui lui est reprochée, le caractère tardif de la sanction se justifiant dans la mesure où elle a attendu que les résultats de l'enquête soient restitués au service des ressources humaines.

Le licenciement n'est donc ni brutal ni violent ni vexatoire. Elle conclut au débouté de toutes les demandes et sollicite le versement de la somme de 400 000 XPF au titre des frais irrépétibles.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la régularité de la procédure de licenciement

La SLN ne conteste pas la décision du premier juge qui déclare la procédure irrégulière : elle indique avoir procédé au règlement de l'indemnisation à laquelle elle a été condamnée sur ce point soit la somme de 326 751 XPF correspondant à un mois de salaire (salaire de base et ses primes).

Sur la violation des droits de la défense lors de l'entretien préalable et la méconnaissance du règlement intérieur

Le Tribunal n'a pas répondu sur le moyen soulevé tiré de l'application de la procédure prévue par le règlement intérieur à savoir l'article 5.2 lequel précise que l'entretien préalable se déroule « en présence d'un représentant de la hiérarchie de l'intéressé ». Or la présence de M. [M] aurait  gravement porté tort à M. [G] puisque ce dernier aurait immédiatement formulé des reproches envers son subordonné et par suite aurait  « trompé » la direction de la SLN : « Il a tout fait pour que l'employeur sanctionne durement M. [G] »

La déclaration de M. [M] est la suivante :  « Au début de l'entretien, je lui expose les faits qui sont :
- manquement à la mise en sécurité du chantier par non vérification de la consignation et non réalisation de la VAT. Cette tache incombe au chargé de travaux. [N] [G] avait cette fonction lors de l'intervention. Il est le responsable de la sécurité de l'équipe.
- absence de déclaration d'IACG (Incident à caractère grave) à sa hiérarchie. De plus, l'équipe se concerte pour ne pas déclarer l'accident.

Suite à l'explication des faits, [N] [G] reconnaît ne pas avoir fait les vérifications de la consignation et les VAT pour sécuriser l'intervention de ses collègues. »

Ce passage est interprété par la défense comme une reconnaissance par M. [M] de ce qu'il a « ...tout fait pour que l'employeur sanctionne durement M [G] (?) C'est même lui qui a énuméré la liste des griefs reprochés à M. [G] en insistant sur la gravité des fautes commises ! »

Or il s'avère qu'en réalité, M. [M] se contente de rappeler les faits reprochés au salarié au début de l'entretien ainsi qu'il est d‘usage dans toute audience pénale ou disciplinaire en reprenant les termes de la prévention et les normes ou textes applicables.

Par ailleurs, le « responsable RH » M. [B], était bien présent, la présence de M. [M] répondant à la fois à l'obligation de l'article 5.2 précitée et à la nécessité d'expliquer les aspects techniques de la prévention tout comme M. [G] était assisté  d'un salarié présent à ses côtés.

En outre, M [G] à montrer en quoi, à la lecture des pièces produites, l'attitude de M. [M] a été de nature à léser ses intérêts. Les « forts liens d'amitié » dénoncés existant entre M. [M] et M. [T] lesquels seraient à l'origine de la décision défavorable dont M . [G] se dit victime reposent sur la seule attestation de M. [K] selon lequel M. [M] aurait « étouffé » un incident électrique mettant en cause M. [T] (PJ 36 du 31 décembre 2019 « M. [M] a décidé volontairement de ne pas mettre cela dans l'enquête pour ne pas mettre en défaut M. [T] »).

Si la présence de la hiérarchie du salarié lors d'un entretien préalable peut s'expliquer par la volonté d'offrir des garanties supplémentaires à ses employés, il s'agit également d'offrir une présentation technique des faits que le service RH ne maîtrise pas nécessairement. En outre, il sera rappelé que le supérieur de M. [G] est tenu à un devoir de loyauté tant envers son employeur représenté par la RH qu'envers son subordonné. Enfin, pour mémoire, le mise en cause possédait 14 ans d'ancienneté dans la société et pouvait parfaitement s'exprimer dès l'audsience en présenced'un salarié à ses côtés.

La preuve n'est donc pas rapportée de ce que M. [M] se serait acharné sur son subordonné et que les intérêts de M. [G] auraient été lésés au point d'entraîner l'annulation de la sanction prononcée à l'issue.

Sur la cause du licenciement :

Le licenciement n'est légitime que s'il est fondé sur une cause réelle et sérieuse, ce qui nécessite la preuve de griefs matériellement vérifiables et objectifs qui sont suffisamment pertinents et rendent inéluctables la rupture du contrat de travail.

Le licenciement peut être fondé sur une faute, qui peut être grave ou lourde, et dans ce cas il revêt un caractère disciplinaire, ou sur un fait ou un ensemble de fait de nature personnelle qui rend impossible le maintien de la relation de travail.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et doit énoncer de manière suffisamment précise les motifs invoqués par l'employeur. ll appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave d'en rapporter la preuve. A défaut, le doute profite au salarié.

Le juge doit apprécier l'existence et la gravité de la faute et ce, même en cas d'aveu de la part du salarié.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations, résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Le rapport d'enquête (PJ 28 appelant) effectué par M. [M] expose ce qui suit : «  Le 25 avril 2018 lors du serrage d'un bornier avec un tournevis dynamométrique dans le coffret de commande du disjoncteur SF6 FD9 au poste 63KV,  M. [P] a pris une décharge électrique dans la main droite qui s'est ressentie dans la main gauche, sans pouvoir lâcher prise pendant environ 5 secondes (main gauche sur le châssis (?) il continue ainsi le serrage jusqu'à ressentir un choc électrique constant à n'en plus pouvoir lâcher le tournevis. La perte d'équilibre permet le lâcher prise »

L'enquête a révélé que l'autorisation de travail avait été délivrée conformément à la commande et la consignation avait été faite en phase avec la demande (partie puissance).

M. [G] après avoir contrôlé les MALT CC et noté la présence du panneau consigné sur la poignée du coffret de commande du disjoncteur a quitté les lieux pour se rendre à l'atelier chercher une « PIR » (Plateforme Individuelle Roulante autrement dit un escabeau à large plateau comportant une prise et une barrière utilisé pour les travaux en hauteur). Au bout d'une heure et demie d'attente, son chef d'équipe ne revenant pas, M. [P] a entrepris le serrage des bornes sans la « PIR » et hors la présence de M. [G]. Alors qu'il rencontrait des difficultés lors du serrage avec ses gants isolants, M. [P] les a retirés et a continué non sans avoir pris appui sur le châssis pour gagner de la hauteur tout en posant sa main gauche sur le coffret : il a ressenti un choc électrique constant à n'en plus pouvoir lâcher le tournevis, seule la perte d'équilibre lui permettant de lâcher prise.

Ressentant des douleurs aux avant-bras et sur le côté droit au niveau des côtes, il s'est alors dirigé avec son collègue M. [A] vers la salle de relayage et a constaté que le départ 127VFE9 n'était pas consigné.

Les deux salariés sont allés à la rencontre de leur chef d'équipe, M. [G] et l'ont informé de l'événement, ce dernier décidant de concert avec ses deux collègues de ne pas déclarer l'accident et de retourner à leur poste ainsi qu'il ressort de la déclaration de M. [A] (PJ 34 « Après concertation tous les trois, nous avons décidé de ne pas déclarer »).

L'accident ne sera évoqué par les deux salariés de l'équipe que le lendemain matin lors de la réunion dite du compte rendu « 1/4 h sécurité » et de manière anecdotique alors même que l'atelier auquel M. [G] avait assisté le 12 octobre 2017 indiquait que les évènements incidents et accidents doivent être déclarés « le plus tôt possible ».

Il s'ensuit que contrairement à ce que soutient le requérant, l'incident n'était pas bénin puisque M. [P] est resté collé au tournevis, a perdu l'équilibre par l'effet de la décharge et a ressenti des douleurs aux avants bras et au côté droit durablement.

M. [G] indique qu'en réalité cet incident présentait peu de gravité apparente et entend contester le rapport d'enquête établi par M. [M] en date du 26 avril (PJ 28) en faisant état de deux déclarations des 05 février et 04 septembre 2020 de M. [A] (PJ 27 et 34) seul témoin des faits selon lequel, non seulement, M. [P] n'a pas été « collé » au coffret avec la main et n'est jamais tombé « de sa hauteur » ou encore « Je vous confirme que M. [P] n'est pas resté collé au tournevis et n'est pas tombé ».

Il sera relevé sur ce point d'une part qu'aucune déclaration du principal intéressé, M. [P] ne figure au dossier alors qu'il reste le mieux placé pour expliquer ce qui s'est passé et d'autre part que si ce dernier a fait des déclarations, seul M. [M], chargé de l'enquête, en a été destinataire puisqu'il relate l'incident au vu des éléments portés à sa connaissance sauf à imaginer que l'intéressé, chef du service, ait tout inventé et menti à sa hiérarchie. Il d'ailleurs sera observé que M. [A] fut l'une des deux premières personnes entendues dans le cadre de l'enquête de M. [M].

Cet argument sera donc écarté.

La défense de M. [G] produit par ailleurs une attestation du 12 juillet 2018 émanant du Docteur [E] (PJ 46) expert près la cour d'appel de Nouméa lequel certifie qu'une décharge en tension continue de 127 volts présentait « une intensité sans danger pour le corps humain ».

Or un examen médical se justifiait tant à raison des instructions à suivre en cas d'incident que compte tenu des douleurs ressenties par le salarié. Pour mémoire, tout choc électrique est susceptible d'entraîner des conséquences physiologiques et des lésions, notamment cardiaques, plusieurs heures après qu'il a été ressenti. M. [A] expliquera, alors que le choc avait eu lieu le matin, ce qui suit : « Ce n'est que l'après midi, après les heures de travail que j'ai signalé à M. [G] que M. [P] m'a dit qu'il avait reçu une bonne châtaigne. »

En tout état de cause, en charge de la sécurité de son équipe et alors qu'il avait eu connaissance dès le matin de la décharge reçue par son ouvrier, M. [G] aurait dû le déclarer et orienter immédiatement son collègue blessé vers l'infirmerie. N'étant ni médecin ni infirmier, il n'avait aps la capacité de déterminer a priori si M. [P] avait besoin de soins.

A cette faute s'ajoute celle de ne pas avoir vérifié l'absence de tension ainsi que le lui imposait la norme contestée NF C 8-510 et qui constitue une mesure de bon sens tant sur le tableau qu'au départ de l'électricité dans la salle de relayage puis celle d'avoir laissé seule son équipe intervenir, ce qui a contribué au non-respect des règles de sécurité et notamment au fait que M. [P] enlève ses gants, utilise un tournevis non isolé et mette sa main sur le coffret.

M. [G] explique néanmoins que la norme précitée n'était pas applicable en Nouvelle-Calédonie ce dont atteste un courrier de la Direction du Travail de Nouvelle-Calédonie Or ce n'est pas la norme elle-même qui lui imposait de procéder à une VAT, mais son contrat de travail.

En effet, dans le cadre de la délivrance et révisions des habilitations électriques pour intervenir sur ses sites, la SLN a mis en place à compter de 2014 puis courant 2017 une nouvelle organisation interne afin de répondre aux exigences de la NF C 18-510 (pièce 7 et 10 SLN). M. [G] a d'ailleurs reçu en 2017 un recueil de sécurité électrique UTE C 18-510 dans le cadre de son habilitation (pièce 2 SLN).

Il importe peu à cet égard que cette norme ait été applicable ou pas sur le Territoire : la SLN avait décidé de renforcer la sécurité des intervenants sur site en anticipant l'application d'une norme UTE plus exigeante qui était recommandée en métropole depuis 2012. Sa mise en oeuvre n'était en conséquence pas négociable pour les salariés de la SLN en exécution des termes de leur contrat de travail (article 6 cf. PJ 56 [G]) par lequel le salarié s'engage à observer toutes les instructions et consignes particulières de travail et de sécurité qui lui sont données.

Pour mémoire, le Règlement intérieur de la SLN comporte toute une série de prescriptions en matière d'hygiène et de sécurité et notamment (article 3.1) « ?.les prescriptions contenues dans le recueil des normes et procédures de sécurité à l'usage du personnel, les prescriptions spécifiques communiquées par notes de service, gammes ou instructions de fabrication, de contrôle ou d'essais ainsi que les instructions verbales ou écrites de la hiérarchie, les dispositions définies par la procédure d'autorisation de travail, les prescriptions générales de sécurité qui font l'objet du présent règlement intérieur et qui comprennent un certain nombre d'obligations et d interdictions. »

Enfin, le courrier précité de la DTE observe qu'en sa qualité de garant de la sécurité et de la santé de ses salariés et de leur maintien en compétence, l'employeur peut mettre en place toute action de formation qu'il juge adéquate et bien que non obligatoire, la norme NF C 18-510 peut s'appliquer sur un base volontaire.

Or M. [G] ne saurait se dédouaner en faisant valoir qu'il n'était pas formé alors que l'employeur justifie qu'il a effectué de nombreuses formations en électricité (6 en 2014, une en 2015, huit en 2016 et 4 en 2018(cf PJ 6 SLN)) participant à de nombreuses réunions ("1/4 d'heure sécurité") où sont rappelées les procédures de sécurité ainsi que la nécessité de déclarer le plus rapidement possible les incidents et accidents (pièces no4, 5, 10,11,22) Il est donc particulièrement mal venu à invoquer l'inapplicabilité d'une norme que son employeur avait instauré en référence pour la sécurité électrique sur l'ensemble de ses sites.

M. [G] explique par ailleurs que les fautes incombent à ses deux subordonnés voire à l'agent en charge de la consignation préalable à son chantier, M. [S] ou au chef d'exploitation.

Ainsi que souligné par le premier juge avec pertinence, il ne saurait reporter sa propre responsabilité sur ses collègues alors qu'en sa qualité de chef d'équipe il lui appartenait de respecter les consignes de sécurité et les procédures en vérifiant l'absence de tension pour la sécurité des membres de son équipe et de la sienne. Il lui devait particulièrement veiller à ce que M. [P] procède à la manipulation avec ses gants et un tournevis isolé et à la qualité et à l'emploi des outils de son équipe en sa qualité de chef.

Dans ces conditions, le cumul de la violation des règles de sécurité caractérise la faute grave qui lui est reprochée.

Enfin, il ne saurait atténuer sa responsabilité en invoquant les actes de harcèlement dont il a été victime de la part de son supérieur hiérarchique, M. [T] puisqu'il n'avait plus de relations professionnelles avec ce dernier depuis deux mois (arrêt de travail du 20 février jusqu'au 26 mars et départ de l'entreprise de M. [T] fin mars 2018).

Sur la mise à pied, le requérant tire argument de ce qu'il n'a pas été mis à pied immédiatement pour en déduire que la faute dans ses conditions n'était pas grave. Pour mémoire, le caractère de la faute s'apprécie au moment du licenciement et l'absence de mise à pied conservatoire pendant le cours de la procédure de licenciement ne prive pas l'employeur de fonder celui-ci sur une faute grave (Cass. Soc. 16 janvier 2007, Juris data 2007-037097).

Enfin, contrairement à ce que soutient le requérant, le licenciement qui est prévu dans le règlement intérieur pour faute grave, n'apparaît pas comme une mesure disproportionnée alors qu'il était chargé, en qualité de chef d'équipe, de faire respecter les règles de sécurité et que les fautes commises étaient des violations des procédures de sécurité et du règlement intérieur de nature à compromettre la santé des salariés.

En l'espèce, l'employeur a dû diligenter une enquête dont le rapport n'a été finalisé que le 18 mai 2018 (pièce no23 requérant) de sorte que M.[G] ne saurait lui reprocher d'avoir vérifié les circonstances précises de l'accident ni d'avoir été ainsi tenu par le dépôt de ce rapport.

En conséquence, la sanction n'est pas disproportionnée notamment dans la mesure où ses deux collègues, qui étaient sous ses ordres et n'avaient pas respecté les mesures de protection individuelle ont été sanctionnés par une mise à pied disciplinaire de 15 jours. Le fait que d'autres incidents aient eu lieu dans l'entreprise en particulier les 13 février 2017 et 12 décembre 2018 voire en 2021 (PJ 64), sans que les salariés concernés n'aient été licenciés est inopérant dans la mesure où les circonstances de l'accident étaient différentes et que les chefs de travaux n'ont pas cherché à dissimuler l'accident contrairement au requérant (pièces No31 et 32).

ll sera donc retenu que la mesure de licenciement est justifiée et le requérant sera débouté de toutes ses demandes indemnitaires et salariales à ce titre et les demandes de remise de pièces et de régularisation auprès des organismes sociaux, sans objet, seront rejetées.

Sur l'indemnisation

L'article Lp. 122-35 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose que si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, a la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. Si ce licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, en cas de deux ans ou plus d'ancienneté. Lorsque l'ancienneté du salarié est inférieure a deux ans dans ce cas de licenciement pour cause non réelle et sérieuse, l'indemnité octroyée par le juge est fonction du préjudice subi' et peut de ce fait être inférieure aux salaires de six derniers mois.

A l'instar du premier juge, il est donc établi que pour irrégulière que soit la procédure, le licenciement n'en est pas moins parfaitement justifié et comporte une cause réelle et sérieuse.

Sur le préjudice moral

ll est de jurisprudence constante qu'un licenciement même justifié par une cause réelle et sérieuse ne doit pas être vexatoire et que défaut l'employeur peut être condamné à payer au salarié des dommages-intérêts.

En l'espèce, le requérant ne démontre pas que son employeur a eu un comportement de nature à lui causer un préjudice moral. Il n'est pas établi pas que l'employeur a manqué à son obligation de résultat de sécurité alors qu'il est établi que la SLN s'est séparé du supérieur hiérarchique dont M. [G] se plaignait et auquel il reprochait des actes de harcèlement.

Enfin, le fait de demander au salarié de quitter l'entreprise le jour de la notification du licenciement et de l'empêcher postérieurement d'accéder au site constitue l'application de la sanction prononcée sans qu'il y ait à retenir une faute

ll sera donc débouté de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

Sur l'exécution provisoire

ll sera rappelé que l'exécution provisoire est de plein droit en cause d'appel

Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile de Nouvelle-Calédonie

L'article 700 du Code de procédure civile dispose que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante a payer à l 'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu de cette condamnation.

Ainsi, vu les circonstances particulières de l'espèce, il convient que chaque partie garde à sa charge ses propres frais irrépétibles.

Sur les dépens

La gratuité de la procédure devant le tribunal du travail de Nouméa (article 880-1 du code de procédure civile) n'implique pas l'absence de dépens au sens de l'article 696 du code de procédure en ce que cette absence aurait en particulier pour conséquence de ne pas permettre à la partie gagnante de voir ses frais de signification des décisions mis à la charge de la partie qui succombe. En conséquence M. [G] sera condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du tribunal de Nouméa en date du 18 août 2020

DIT que chaque partie garde à sa charge ses frais irrépétibles.

CONDAMNE M. [G] aux dépens ;

Le greffier,Le Président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de noumea
Formation : 02
Numéro d'arrêt : 20/000817
Date de la décision : 02/06/2022
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2022-06-02;20.000817 ?
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