No de minute : 33/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 02 Juin 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : No RG 20/00078 - No Portalis DBWF-V-B7E-RJW
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Juillet 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :18/313)
Saisine de la cour : 17 Août 2020
APPELANT
S.A.R.L. INSTITUT DE FORMATION PROFESSIONNELLE DE CONDUCTEURS ROUTIERS, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
Siège Social : [Adresse 2]
Représentée par Me Franck ROYANEZ membre de la SELARL D'AVOCAT FRANCK ROYANEZ, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
M. [S] [O]
né le [Date naissance 1] 1988 à [Localité 5] ([Localité 5])
demeurant [Adresse 3]
Non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Avril 2022, en audience publique, devant la cour composée de Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, Président, Mme Nathalie BRUN, Conseiller, M. Thibaud SOUBEYRAN,Conseiller, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.
Greffier lors des débats et de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
ARRÊT réputé contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, Président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
***************************************
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE ET D'APPEL
M. [S] [O] moniteur d'auto-école demeurant en Bourgogne, a signé le 12 avril 2017 à [Localité 6] (Saône-et-Loire - 71) un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mai 2017 avec la SARL INSTITUT DE FORMATION PROFESSIONNELLE DES CONDUCTEURS ROUTIERS (ci après dénommée IFPCR) pour un salaire net de 212 500 XPF, contrat s'exécutant à [Localité 4] (NC).
Une période d'essai prenant fin le 31 mai 2017 figurait dans la convention outre une clause de non-concurrence d'une durée de 24 mois insérée à l'article 12 prévoyant l'octroi d'une indemnité mensuelle de 37 500 XPF à titre de complément de salaire.
Le 03 juillet 2017, Monsieur [O] était destinataire d'un certificat de travail mentionnant une activité salariée pour le compte de la société du 1er mai au 30 juin 2017 inclus (pièce No3). Or il s'avérait qu'il avait travaillé pour le compte de la SARL IFPCR-NC jusqu'au 12 juillet 2017 inclus.
Le 21 juillet 2017, les parties concluaient un nouveau contrat de travail mais à durée déterminée pour 6 mois du 24 juillet 2017 au 23 janvier 2018 en raison d'un « surcroît temporaire d'activité ».
Le 21 mai 2018, le salarié écrivait à son employeur dans les termes suivants : « Je, soussigné monsieur [O] [S], déclare cesser mon activité de moniteur auto-école à IFCR-NC/ route 66. ». En réponse datée du 23 mai 2018 (pièce No8), M. [R], gérant de la société, lui indiquait que ne s'étant pas présenté à un rendez-vous prévu le 22 mai, il lui demandait de le recontacter, pour fixer un nouvel entretien.
Dans un courrier non daté, monsieur [O] répondant à son employeur en ces termes : « Par contrat à durée indéterminée, j'ai commencé à travailler en qualité de moniteur d'auto-école le 1er mai 2017. Mon CDI comportait une période d'essai de 1 mois se terminant le 31 mai. Cette durée n'a pas été renouvelée, ni à votre demande, ni à ma demande. La période d'essai s'est donc arrêtée le 31 mai.
Par suite, j'ai continué à travailler pour vous pendant plusieurs mois mais, vous avez voulu que je signe un CDD 6 mois commençant le 24/07/2017 et se terminant le 24/01/2018.
Je conteste la signature de ce dernier CDD car mon premier CDI n'a jamais été rompu et j'étais dans l'ignorance de la législation du travail en NC et vous en avez profité.
Selon mon analyse, la signature d'un CDD alors que j'étais en CDI était complètement inutile. J'estime que mon activité pour votre compte s'est poursuivie en CDI mais votre manoeuvre à me faire signer un CDD s'analyse en un licenciement, et par la même sans cause réelle et sérieuse (abusif).
Par ailleurs, j'ai toujours manifesté mon opposition à votre manière de gérer votre personnel au regard du droit du travail, car vous n'avez pas respecté les règles élémentaires du droit du travail :
-Non-paiement des heures supplémentaires : je vous rappelle que les heures effectuées au-delà de 39h00 par semaine ouvrent droit à des majorations de 25 % pour les 8 premières heures et de 50 % pour les autres (au-delà de 47h00 par semaine donc).
-Vous n'avez pas respecté les principes mêmes de la clause de non-concurrence : il ne peut y avoir de contrepartie financière qu'à la rupture du contrat de travail !
Ainsi j'estime que la somme de 37 500 francs mensuels représente la contrepartie de mon activité et pas de la clause de non-concurrence qui reste due.
-Vous n'avez pas respecté la mensualisation de mon salaire. En juillet 2017, décembre 2017, février 2018 , ex en février 2018 vous avez décidé de me rémunérer sur 145 h de travail alors que j'ai travaillé sans prendre de repos plus que le jour de repos hebdomadaire.
-Vous n'avez pas soumis la cotisation CAFAT ce que vous estimiez la contrepartie financière de la clause de non-concurrence alors que cette contrepartie est un élément de salaire ;
-Je vous rappelle également que la durée du travail ne peut excéder 48 h maximum sans dérogation. Sauf erreur de ma part, vous n'êtes pas bénéficiaire de cette dérogation et pourtant j'ai effectué jusqu'à 58 h30 de travail certaines semaines : semaine 1, 3, 4, 6, 7, 8, 25, 26, 27, 54 (décompte ci-joint).
Pour autant, vous me restez redevable de :
-157h30 représentant les heures supplémentaires dues sur toute la période travaillée dont le détail est joint à la présente :
-la contrepartie financière de 37 500 frs (X 11 mois restant due = 412 500 FRS + régularisation prime 10 % = 453 750 frs +12 000 frs juillet 2017 +14 146 frs octobre 2017) que vous voudrez bien me verser chaque mois pendant 24 mois (cf CDI) ainsi que les CP sur cette contrepartie (18 j de CP X 8173= 147 114 frs).
-les heures de travail disparues en juillet 2017 : 70h00, décembre 2017 : 24h00, février 2018 24h00 représentant 1 479 X 1 18h00 = 174 522 X tarif majoré (attention le salaire de base doit inclure les 37 500).
Afin que nos relations puissent ne pas encombrer les tribunaux, je vous propose que ces sommes augmentées de trois mois de salaire (représentant le préjudice que j'ai subi) fassent l'objet d'une rupture conventionnelle, au terme de laquelle je renoncerai a toute poursuite devant le tribunal du travail.
À défaut de réponse de votre part, et sous réserve du paiement avéré, au plus tard le 26/06/2018, je me réserve le droit d'engager des poursuites en remboursement des sommes dues assorties des dommages et intérêts »
***
Par requête du 7 décembre 2018, M. [O] a fait citer la SARL IFPCR-NC devant le tribunal du travail aux fins de requalifier sa prise d'acte de rupture en licenciement abusif, condamner l'IFPCR à lui verser les sommes de 656 604 XPF (coût du billet d'avion et transport de bagages), 660 058 XPF (billet et frais de retour), 28 761 XPF à titre de salaire complémentaire, 195 625 XPF à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, 458 964 XPF (heures supplémentaires avec régularisation CAFAT), 45 896 XPF (congés payés sur heures supplémentaires), 69 606 XPF (mensualisation et régularisation auprès de la CAFAT « sous astreinte »), 347 552 XPF (primes de fin d'année 2017 et 2018), 320 817 XPF (indemnité compensatrice de préavis outre 32 082 XPF de congés payés afférents). Il sollicite également 500 000 XPF au titre du préjudice financier, 2 600 000 XPF à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif et 250 000 XPF au titre des frais irrépétibles ainsi que la remise du certificat de travail pour la période du 1er mai 2017 au 21 mai 2018 sous astreinte journalière de 10 000 XPF, le tout avec exécution provisoire.
Il soutenait pour l'essentiel que son employeur avait commis de nombreux manquements justifiant que sa démission soit requalifiée en prise d'acte aux torts de la société défenderesse et qu'elle produise les effets d'un licenciement abusif.
Au terme de ses conclusions l'IFPCR concluait pour l'essentiel au débouté de l'ensemble des demandes de son salarié et à titre subsidiaire, en cas de requalification de la démission en licenciement abusif, à la réduction des demandes au requérant à titre de dommages-intérêts à 6 mois de salaires en considération de son ancienneté d'un an et des dispositions de l'article Lp 122-35 du code du travail
Par jugement en date du 16 juillet 2020, le tribunal du travail a requalifié la démission de M. [O] en prise d'acte de la rupture aux torts de la société IFPCR-NC produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a en outre condamné la société IFPCR-NC à payer à régler les sommes de 96 946 XPF (billet d'avion et transport de bagages), 14 146 XPF (salaire complémentaire), 458 964 XPF (heures supplémentaires), 45 896 XPF (congés payés sur les heures supplémentaires), 69 606 XPF (mensualisation), 167 000 XPF (dommages-intérêts pour non-paiement primes de fin d'année 2017 et 2018, 320 817 XPF (indemnité compensatrice de préavis et 32 082 XPF (congés payés sur préavis), 300 000 XPF (dommages-intérêts pour préjudice financier), 1 000 000 XPF (dommages et intérêts pour licenciement abusif) outre 150 000 XPF de frais irrépétibles. Il fixait la moyenne des trois derniers salaires à 320 817 XPF et ordonnait l'exécution provisoire pour l'ensemble des indemnités accordées avec intérêts au taux légal, outre régularisation de la situation auprès de la CAFAT avec remise à M. [O] dans un délai de 15 jours d‘un certificat de travail rectifié pour la période du premier mai au 21 juin 2018 (préavis compris). Il rejetait pour le surplus les autres demandes du salarié, l'employeur étant condamné aux dépens.
Par message reçu au greffe de la cour d'appel le 17 août 2020, l'IFCPR relevait appel de cette décision. Il déposait un mémoire ampliatif le 18 novembre 2020 outre des conclusions du 14 mars 2022. En retour, sur le fond, M. [O] produisait plusieurs jeux de conclusions récapitulatives, le dernier en date du 03 décembre 2021.
SUR QUOI, LA COUR,
Sur la requalification de la prise d'acte
M. [O] indique tout d'abord que son employeur a multiplié les infractions à la législation du travail en ce qu'il ne pouvait pas signer un CDD à la suite d'un CDI.
L'article 3 du contrat de travail signé le 12 avril 2017 disposait : « Le présent contrat conclu pour une durée indéterminée ne pourra être confirmé qu'a l'issue d'une période d'essai qui prendra fin le 31/05/2017 au soir. A la demande de l'une ou l'autre des parties cette période d'essai peut être renouvelée une fois. Un avenant au contrat sera alors établi. Au cours de cette période, chacune des parties pourra rompre le présent contrat sans préavis ni indemnités. »
En cette matière, la jurisprudence exige un accord du salarié pour le renouvellement de la période d'essai s'agissant d'une décision qui ne saurait relever de la seule volonté de l'employeur. Le consentement du salarié doit être exprès et non équivoque faute de quoi le renouvellement n'est pas établi et toute rupture de la période d'essai pendant cette seconde période sera requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, l'IFCPR soutient que la période d'essai initiale qui expirait le 31 mai aurait été renouvelée jusqu'au 30 juin et que le requérant n'était pas adapté aux fonctions. Or il ne fournit aucun document ou élément de preuve tels que l'avenant prévu au contrat ou aucun écrit du salarié en ce sens de nature à établir que M. [O] avait expressément consenti au renouvellement. Il s'agit donc d'une rupture abusive qui doit être considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En outre, il est établi que le requérant a travaillé du 3 au 8 juillet 2017, pour l'appelante puis jusqu'au 12 juillet ainsi qu'il résulte d'un bulletin de salaire et du certificat de travail fournis. Faute d'un contrat écrit, l'intimé est présumé se trouver en contrat à durée indéterminée, peu important à ce titre que la relation se soit interrompue le 12 juillet sans procédure de licenciement : toute rupture à ce stade devra être qualifiée de licenciement abusif.
Il s'avère que M. [O] a par ailleurs travaillé du 21 juillet 2017 au 24 juillet 2018 dans un premier temps dans le cadre d'un CDD de 6 mois prenant fin au 23 janvier 2018 (sic) en raison d'un « surcroît temporaire d'activité » (article 2 du contrat)
Le 21 mai 2018, le salarié adressait le courrier suivant à son employeur : « Je, soussigné monsieur [O] [S], déclare cesser mon activité de moniteur auto-école à IFCR-NC, route 66. » dont il demande qu'il soit considéré comme ayant valeur de prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Or pour qu'une démission produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il faut d'une part que les faits invoqués par le salarié soient non seulement établis mais constituent des manquements suffisamment graves pour caractériser une rupture imputable à l'employeur et d'autre part que le salarié justifie qu'un différend antérieur ou contemporain de la démission l'avait opposé à l'employeur (Soc. 9 décembre 2007 no 06-42.550 Bull no218).
La lettre en date du 21 mai 2018 est sans ambiguïté : elle a été donnée sans aucune réserve. Néanmoins, la réponse de l'IFCPR du 23 mai reprochant à M. [O] son absence à un rendez-vous qui lui aurait été fixé le 22 laisse poindre un différend antérieur ou contemporain : "Je t'ai attendu nous devions voir ensemble les modalités de ton départ suite à ta demande de démission à savoir la rédaction de ta lettre avec exonération du préavis tes revendications salariales, afin que je fasse vérifier si cela concorde ?.". Par ailleurs, le salarié ayant saisi le tribunal de la requalification de sa démission dans un délai de 6 mois établit un lien entre des comportements fautifs de l'employeur suffisamment graves pour ne pas poursuivre la relation contractuelle et l'acte de démission.
Dans ses écritures, l'IFCPR se borne à soutenir que la démission du salarié était motivée, non pas par des manquements graves de sa part, mais par le fait que M. [O] avait retrouvé un autre emploi. Il ne fournit néanmoins aucun élément à l'appui de ses affirmations.
Or M. [O] développe tant devant le premier juge qu'en cause d'appel les reproches suivants à l'endroit de l'IFCPR :
?aucune prise en charge de son billet d'avion et du transport de ses bagages, en violation des dispositions de l'article R121-1 du code du travail alors qu'il a été recruté en métropole
?pas d'application du salaire net minimal conventionnel applicable de 250 000 XPF mais insertion d'une clause de non-concurrence prévoyant un montant mensuel de 37 500 XPF en complément de salaire et ce, afin de le soustraire aux charges sociales
?274,5 heures supplémentaires (soit 458 964 XPF) non payées
?absence de mensualisation et rémunération sur la base de 145 heures en décembre 2017 et février 2018 d'où un solde à régler de 69 606 XPF (34 803 XPF x 2)
?4 jours de congés (4,18,25 et 29 décembre 2017) non payés
?prime de fin d'année non versée (article 25 de la convention collective applicable)
sentiment d'extrême précarité due à la signature d'un CDD en suite du CDI initial
?Poursuite du CDD au-delà du 23 janvier 2018, date prévue au contrat
Il sollicite en conséquence la requalification de sa prise d'acte en licenciement abusif compte tenu des trois licenciements abusifs subis et ses demandes salariales et indemnitaires justifiées sur la base d'un salaire moyen de 320 817 XPF en considération de son ancienneté.
Il soutient enfin que les conditions de la rupture étaient vexatoires et justifieraient une indemnisation conséquente en rapport avec les tentatives d'intimidation de l'employeur pour lui imposer un rendez-vous le 23 mai et en lui reprochant la perte d'une clé de voiture dont il lui a demandé le remboursement.
De son côté l'employeur expose :
?qu'il n'avait pas à régler le billet d'avion et le transport de bagages de son salarié, ce dernier ne résidant en Nouvelle-Calédonie et ne remplissant pas l'ancienneté prévue par le code du travail ;
?que M. [O] n'établit pas la preuve du montant de ses frais de voyage ;
?qu'il l'a recruté en CDI à compter du 1er mai 2017, comportant une période d'essai d'un mois qu'il avait renouvelé compte tenu du comportement inadapté de son salarié : celui-ci n'ayant pas changé d'attitude, la période d'essai était simplement venu à échéance le 30 juin 2017
?que face à un surcroît d'activité, il avait dû embaucher à nouveau M. [O] du 24 juillet 2017 au 23 janvier 2018 après une période où il n'aurait pas travaillé (du 1er au 12 juillet)
?que la démission claire et non équivoque du 21 mai 2018 était motivée par le fait que son employé avait trouvé un nouvel emploi et non à raison de reproches qui n'ont jamais été portés à sa connaissance oralement ou par courrier daté en ce sens ne lui ayant été adressé
?qu'il avait d'ailleurs donné rendez-vous à son salarié pour discuter des modalités de son départ et en particulier de l'exonération de son préavis ;
?que les heures supplémentaires réclamées, outre qu'elles ne sont pas établies, avaient été novées en repos compensateur avec l'accord de M. [O]
?que ce dernier ayant quitté la société avant la fin d'année 2018, aucune prime de fin d'année ne lui est due
L'ensemble de ces revendications sera en conséquence examiné point par point afin de déterminer si elles sont établies et suffisamment graves pour justifier la requalification de la lettre de démission en prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur.
Sur la prise en charge des frais de voyage :
L'article R121-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose que lorsque le salarié a été engagé hors du Territoire par un contrat de travail à durée indéterminée, les frais de voyage et de transport des bagages sont à la charge de l'employeur.
Les dispositions de l'article R 121-2 prévoient qu'en cas de rupture du contrat de travail, le salarié bénéficie de cette prise en charge dans les cas suivants « ...lorsqu'il a exercé son activité professionnelle en Nouvelle-Calédonie pendant moins de deux années et qu'il est licencié pour motif économique ou sans cause réelle et sérieuse. »
En l'espèce, le contrat de travail a été signé par le requérant alors qu'il était en métropole : ceci résulte de la mention rédigée de la main même de l'employeur : "A [Localité 6] le 2 avril 2017 " M. [O] produit en outre son billet d'avion du 23 avril 2017 "Métropole / Nouvelle-Calédonie". L‘IFCPR ne fournit aucun élément sérieux de nature à contredire que le salarié n'était pas à [Localité 6] le 2 avril. Le fait que soit mentionnée une adresse calédonienne sur le contrat est cohérent avec le fait que l'employeur lui procurait "hébergement gratuitement (dans les locaux de l'entreprise) depuis son arrivée »
Dans ces conditions, la société défenderesse sera condamnée a lui payer le montant du coût du voyage ALLER d'un montant de 812,40 € soit 96 946 XPF
S'agissant des « frais de bagage », en réalité les frais de déménagement, la Cour à l‘instar du tribunal constate que le requérant produit un simple devis, ce qui n'est pas suffisant pour justifier du paiement de cette somme. En outre, le salarié ne précise pas s'il a quitté le Territoire suite à sa démission et ne saurait solliciter à ce stade le remboursement des frais de retour et de bagages.
Sur le salaire moyen et le règlement de la clause de non-concurrence :
M. [O] demande que son salaire mensuel moyen soit fixé à hauteur de 250 000 XPF soit 245 070 XPF brut alors qu'il était payé 212 500 XPF net conformément à la convention collective COMMERCE et à la grille de classification des salariés applicable en l'espèce
Il résulte en effet de l'article 12 du contrat de travail que l'IFCPR versait en complément du salaire une somme de 37 500 XPF, contrepartie de son obligation de non-concurrence qu'il ne soumettait pas aux cotisations sociales et ce, de manière strictement illégale puisque toute contrepartie financière sous forme de majoration de salaire en cours du contrat est illicite et reste soumise aux prélèvements sociaux de jurisprudence constante.
Il s‘agissait d'évidence de minorer le salaire brut du requérant tout en lui versant un salaire net correspondant au salaire moyen des moniteurs d'auto-école sur la place qui est de 250 000 XPF et ce, afin de réduire les charges sociales.
Sur les heures supplémentaires :
L'article Lp 221-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose : «Les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale du travail ou de la durée considérée comme équivalente, donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour les huit premières heures et 50 % pour les heures suivantes. »
L'article Lp. 221-5 stipule : « Une convention ou un accord collectif étendu, ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement, peut prévoir le remplacement du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations prévues à l'article Lp. 221-4, par un repos compensateur de 125 % pour les huit premières heures et de 150 % pour les heures suivantes. »
M. [O] produit un tableau récapitulatif d'heures effectuées et l'agenda de ses rendez-vous : il indique avoir réalisé de nombreuses heures supplémentaires en 2017 et 2018.
En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié qui soutient avoir exécuté des heures supplémentaires de rapporter la preuve de ce qu'il avance. Or sur ce point, l'IFCPR ne fournit aucun élément probant de nature à contredire le requérant se contentant d'indiquer que les heures supplémentaires étaient compensées par des repos sans produire le registre ou les documents réglementaires permettant un calcul précis des heures de travail de chaque salarié (cf. R 221 -1 du code du travail).
Le compte des heures supplémentaires produit par M. [O] et récapitulées dans un tableau sera donc validé sur la base d'un salaire net de 250 000 XPF faute pour la défenderesse de justifier des horaires de travail effectués par le salarié et l'IFCPR condamné à verser la somme de 458 964 XPF outre 45 896 XPF au titre des rappels sur congés payés afférents.
Sur le non- respect de la règle de mensualisation :
L'article Lp. 143-2 du code du travail dispose : « La rémunération des salariés est mensuelle et indépendante, pour un horaire de travail effectif déterminé, du nombre de jours travaillés dans le mois. Le paiement mensuel neutralise les conséquences de la répartition inégale des jours entre les douze mois de l'année.
Pour un horaire équivalent à la durée légale hebdomadaire de trente-neuf heures, la rémunération mensuelle due au salarié se calcule en multipliant le salaire minimum garanti horaire de la catégorie par cent soixante-neuf.
Le paiement de la rémunération est effectué une fois par mois?.. »
L'employeur n'a pas respecté cette règle pour décembre 2017 et février 2018, le salarié ayant été réglé pour 145 heures et non 169. Dans ces conditions, l'IFCPR sera condamné à lui verser la somme de 69 606 XPF (34 803 XPF x 2) due à ce titre sur la base d'un salaire de 245 070 XPF tel que réclamé.
Sur le défaut de paiement de l'indemnité de congés payés :
L'article Lp. 241-19 du code de travail de Nouvelle-Calédonie dispose : « Le congé annuel prévu à l'article Lp. 241- 2 ouvre droit à une indemnité égale au dixième de la rémunération totale perçue par le salarié au cours de la période de référence.
Pour la détermination de la rémunération totale, il est tenu compte : 1o) De l'indemnité de congé de l'année précédente, 2o) Des indemnités afférentes au repos compensateur pour heures supplémentaires éventuellement accomplies 3o) Des périodes assimilées à un temps de travail par les articles Lp. 241-3 et Lp. 241-4.
L'indemnité est calculée selon les règles fixées à la présente section et proportionnellement à la durée du congé effectivement dû ».
L'article Lp. 241-20 stipule « L'indemnité prévue à l'article Lp. 241-19 ne peut être inférieure au montant de la rémunération qui aurait été perçue pendant la période de congé si le salarié avait continué à travailler. Cette rémunération, sous réserve du respect des dispositions légales, est calculée en fonction : 1o Du salaire gagné pendant la période précédant le congé, 2o De la durée du travail effectif de l'établissement »
L'examen des bulletins de mai et juin 2017 montre que le requérant a bien été réglé de ses jours de congés dus sur la période du premier mai au 30 juin 2017. Pour les périodes suivantes et ainsi que relevé par le premier juge, le salarié ne produit pas tous ses bulletins de salaire pour la période d'août 2017 à mai 2018 (manquent avril et mai 2018), ni le solde de tout compte de sorte qu'il ne peut être fait le décompte des congés-payés qui lui sont éventuellement dus.
ll sera débouté sur ce point.
Sur la prime de fin d'année
ll résulte des dispositions de l'article 25 de la convention collective commerce et divers, que les agents relevant des catégories ouvriers, employés techniciens et agents de maîtrise doivent bénéficier d'une gratification annuelle dont le mode de calcul, de répartition, la période sont déterminés au sein de chaque établissement : il s'agit d'une prime obligatoire qui n'a manifestement pas été versée au vu des pièces versées par les parties.
En l'absence d'accord ou de versement de la prime de fin d'année, M. [O] est fondé à demander l'indemnisation de son préjudice qui sera arbitré à un mois de salaire. Le calcul opéré par le tribunal sera par ailleurs validé puisque le salarié n'a travaillé dans la société que 8 mois en 2017 et n'était plus présent dans l'entreprise en fin d'année 2018.
La somme due par l'IFCPR à ce titre sera en conséquence égale à 167 000 XPF à titre de dommages-intérêts (250 000 XPF / 12 × 8).
Sur les demandes de salaire complémentaire pour juillet et octobre 2017
Le requérant sollicite la somme de 12 000 XPF précisant n'avoir perçu que 25 500 XPF en juillet 2017. Cependant, il ne conteste pas ne pas avoir travaillé du 13 au 23 juillet, soutenant avoir été licencié abusivement le 12 juillet et ne sollicitant pas son salaire pour cette période. ll sera donc débouté sur ce point.
De même, il réclame paiement de 14 146 XPF pour octobre 2017 n'ayant perçu que 23 354 XPF au lieu de la prime contractuelle de 37 500 XPF. Or il résulte du bulletin de salaire d'octobre que le salarié a en effet seulement perçu une somme de 23 354 XPF. L'IFCPR sera donc condamnée à lui payer le complément demandé soit 14 146 XPF.
En conclusion et conséquence de ces nombreux manquements, les demandes de M. [O] apparaissent fondées et justifient la requalification de la rupture du contrat en prise d'acte aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
***
Sur le salaire moyen mensuel
Le salaire moyen de trois derniers mois, compte tenu des heures supplémentaires effectuées par le requérant sera fixé à la somme de 320. 817 XPF / mois.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis
L'article 87 de l'AIT "Préavis réciproque" dispose : « Dans le cas de démission ou de licenciement pour motif autre qu'une faute grave commise par le travailleur, ou autre qu'un cas de force majeure, le délai-congé est de (?) un mois pour un travailleur ayant une ancienneté continue comprise entre six mois et moins de deux ans (?..) »
Tel est bien le cas de M. [O] lequel est dès lors est fondé à solliciter à ce titre une somme de 320 817 XPF outre 32 082 XPF de congés-payés afférents
Sur le préjudice financier
Les manquements à la législation sociale de l'IFCPR énumérés supra caractérisent incontestablement une faute entraînant un préjudice moral et financier au salarié qui venait s'installer en Nouvelle- Calédonie : une somme de 300 000 XPF lui sera accordée à ce titre
Sur les dommages-intérêts pour licenciement abusif
L'article LP 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose : «Si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée (?) et survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité (?) Lorsque l'ancienneté du salarié est inférieure à deux ans, dans ce cas de licenciement pour cause non réelle et sérieuse, l'indemnité octroyée par le juge est fonction du préjudice subi et peut de ce fait être inférieure aux salaires de six derniers mois »
Compte tenu de son âge (30 ans) au moment de la rupture, du montant de son salaire et de son ancienneté, il lui sera alloué la somme de 1 000 000 XPF à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des trois licenciements abusifs subis.
Sur l'exécution provisoire
ll sera rappelé que l'exécution provisoire est de droit en cause d'appel.
Sur la régularisation des cotisations CAFAT et la production des documents :
ll convient de condamner la société défenderesse à régulariser la situation auprès de la CAFAT et à remettre au requérant un certificat de travail pour la période du premier mai 2017 au 21 juin 2018 (préavis compris) dans un délai de 15 jours à compter de la présente décision.
Sur les frais irrépétibles
ll serait inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais irrépétibles engagés. La défenderesse sera condamnée à lui payer la somme de 150 000 XPF à ce titre.
Sur les dépens
La gratuité de la procédure devant les juridictions du travail (article 880-1 du code de procédure civile) n'implique pas l'absence de dépens au sens de l'article 696 du code de procédure en ce que cette absence aurait en particulier pour conséquence de ne pas permettre à la partie gagnante de voir ses frais de signification des décisions mis à la charge de la partie qui succombe. En conséquence l'IFCPR sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré conformément a la loi, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal du travail de Nouméa du 16 juillet 2020 et notamment à régler à M. [O] les sommes suivantes :
-quatre-vingt-seize mille neuf cent quarante-six (96 946) francs CFP au titre du coût du billet d'avion et du transport de bagages;
-quatorze mille cent quarante-six (14 146) francs CFP à titre de salaire complémentaire ;
-quatre cent cinquante-huit mille neuf cent soixante-quatre (458 964) francs CFP au titre des heures supplémentaires ;
-quarante-cinq mille huit cent quatre-vingt-seize (45 896) francs CFP à titre des congés payés sur les heures supplémentaires ;
-soixante-neuf mille six cent six (69 606) francs CFP au titre de la mensualisation ;
-cent soixante-sept mille (167 000) francs CFP à titre de dommages-intérêts pour non-paiement de la prime de fin d'année pour les années 2017 et 2018;
-trois cent vingt mille huit cent dix-sept (320 817) francs CFP au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de trente-deux mille quatre-vingt-deux (32 082) francs CFP représentant les congés payés sur préavis,
-trois cent mille (300 000) francs CFP à titre de dommages-intérêts pour préjudice financier
-un million (1 000 000) francs CFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
- cent cinquante mille francs (150 000 XPF) au titre des frais irrépétibles
CONDAMNE l'IFCPR aux dépens.
Le greffier,Le président,