No de minute : 44/2022
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 2 Juin 2022
Chambre sociale
Numéro R.G. : No RG 19/00129 - No Portalis DBWF-V-B7D-QRR
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Décembre 2019 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :17/102)
Saisine de la cour : 19 Décembre 2019
APPELANT
Société D'EXPLOITATION DU PACIFIQUE SODEPAC, représenté par son gérant en exercice
dont le siège est situé [Adresse 3]
Représentée par Me Fabien MARIE membre de la SELARL D'AVOCATS CALEXIS, Avocat au Barreau de NOUMEA
INTIMÉ
M. [K] [X]
né le [Date naissance 2] 1960 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Nicolas MILLION membre de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MILLIARD MILLION, Avocat au Barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Février 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
Mme Nathalie BRUN, Conseiller,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Thibaud SOUBEYRAN.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : Mme Isabelle VALLEE
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, après prorogation, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, le 5 mai 2022, puis prorogé au 2 juin 2022
- signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par Mme Isabelle VALLEE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Suivant contrat à durée déterminée du 22 décembre 2005 prolongé par cinq avenants, M. [K] [X] a été recruté par la société SODEPAC en qualité d'employé de boucherie du 23 décembre 2005 au 31 mai 2006.
Par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2006, il a été engagé en cette même qualité à temps plein moyennant une rémunération mensuelle de 160 000 francs CFP.
Le 13 novembre 2015, le directeur de la société SODEPAC a déposé plainte pour des faits de vol aggravé commis au sein du magasin par divers employés, entraînant l'audition par les services de police de plusieurs salariés entre le 16 et le 22 novembre 2015.
Par courrier manuscrit du 19 novembre 2015 rédigé durant un entretien avec les directeurs du magasin et du groupe, M. [K] [X] a présenté sa démission immédiate, s'accusant d'avoir dérobé des marchandises au sein du magasin, d'avoir accordé des remises à certains salariés et décrivant diverses pratiques frauduleuses au sein du magasin.
Le 23 novembre 2015, il se présentait toutefois au commissariat de police de [Localité 4] pour déposer plainte à l'encontre de ses employeurs, estimant avoir été victime de chantage et de pressions en vue d'obtenir sa démission.
Par requête du 19 avril 2017, il a saisi le tribunal du travail de Nouméa aux fins de voir requalifier la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner son employeur à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité de préavis, de congés payés et en indemnisation de ses préjudices.
Par jugement contradictoire du 10 décembre 2019, le tribunal, après avoir relevé que la démission n'avait pas été donnée de manière libre et éclairée et ne pouvait être considérée comme rendue de manière réfléchie et non équivoque, a requalifié la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et a fait droit en partie à ses demandes pécuniaires.
PROCEDURE D'APPEL :
Par requête déposée au greffe de la cour le 17 décembre 2019, la société SODEPAC a interjeté appel de cette décision.
Au terme de ses dernières écritures du 10 juin 2021, elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de débouter M. [K] [X] de l'ensemble de ses demandes tout en le condamnant à lui payer la somme de 300 000 francs CFP à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre la même somme au titre de ses frais irrépétibles. Elle fait valoir que M. [K] [X] n'établit pas que sa démission a été donnée sous la contrainte ou sous la dictée de son employeur et souligne que l'ensemble des faits évoqués aux termes du courrier du 19 novembre 2015 ont été confirmés par la procédure pénale diligentée.
Aux termes de récapitulatives du 16 juillet 2021, M. [K] [X] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à la condamnation de la société SODEPAC à lui payer la somme de 250 000 francs CFP au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.
Pour un exposé détaillé des moyens respectifs des parties, la cour renvoie expressément à leurs écritures et aux notes de l'audience ainsi qu'aux développements ci-dessous.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la démission :
Vu les dispositions de l'article Lp.122-38 du code du travail de Nouvelle-Calédonie ;
La démission s'analyse en une rupture unilatérale du contrat de travail par laquelle le salarié marque sa volonté de mettre fin à la relation de travail de manière claire et non équivoque.
Le caractère clair et non équivoque de la démission peut être mis en cause dans deux cas de figure : lorsque le salarié invoque les manquements de l'employeur de nature à rendre équivoque sa démission et lorsqu'il invoque des circonstances de nature à établir qu'il n'a pas librement donné sa démission, qu'il n'était pas dans un état physique ou moral normal, qu'il n'avait pas les capacités pour mesurer la portée de sa décision ou qu'il a démissionné sous la contrainte de son employeur.
Dans ce dernier cas, il a par exemple été jugé que n'avait pas exprimé une volonté claire et non équivoque le salarié qui avait démissionné lors d'un entretien avec son employeur et son supérieur sous la menace d'un licenciement pour faute lourde et du dépôt d'une plainte pénale et qui s'était par la suite rétracté (Soc. 25 juin 2003, 01-43.760).
En l'espèce, le premier juge a retenu, au visa de l'article 1109 du Code civil, que la démission " sur-le-champ", alors qu'il était complètement déstabilisé par les gardes à vue de ses collègues, qu'il souffrait d'un syndrome dépressif très important et qu'il se trouvait confronté à ses deux supérieurs hiérarchiques, n'avait pu être rendue de manière réfléchie et non équivoque.
La société SODEPAC soutient qu'elle n'a exercé aucune pression sur son salarié en vue d'obtenir sa démission et réfute que les termes lui en ont été dictés à l'occasion de l'entretien organisé le 19 novembre 2015 avec les directeurs du magasin et du groupe.
De fait, aucune pièce produite aux débats ne permet de confirmer ou d'infirmer que les termes de la lettre de démission ont été dictés à M. [K] [X] ou que ses responsables hiérarchiques lui ont tenu des propos de nature à constituer une invitation, a fortiori une pression, en vue d'obtenir sa démission.
Il n'est toutefois pas contesté que cette lettre de démission, rédigée de manière manuscrite sur plus de quatre pages, a été établie durant l'entretien tenu le 19 novembre 2015 entre M. [K] [X] et ses deux supérieurs hiérarchiques, sans que le cadre de cet entretien, organisé le matin même, n'ait été précisé au salarié, par ailleurs délégué syndical.
Il est constant qu'à l'occasion de cet entretien, M. [K] [X] a été interrogé par ses supérieurs hiérarchiques quant à son implication dans les faits de vol et d'escroquerie dont étaient soupçonnés la plupart des employés du magasin aux termes de la plainte déposée le 13 novembre 2015. La lettre de de démission revient d'ailleurs de manière très détaillée sur l'implication des différents personnels du magasin dans ces faits. M. [K] [X] motive explicitement sa décision de démissionner par ses regrets d'avoir été impliqué dans de tels faits.
Il se déduit de ce qui précède que sa décision de démissionner a été prise de manière soudaine et immédiate, à l'occasion de l'évocation, en présence de ces deux supérieurs hiérarchiques, de faits de nature délictuelle auxquelles il reconnaissait avoir participé.
Il résulte par ailleurs du certificat médical établi le lendemain par le Dr [J] que M. [K] [X], examiné " dans le cadre d'un conflit professionnel", présentait " un syndrome de stress sévère avec des idées suicidaires, évoluant sur une personnalité fragile" justifiant un suivi psychologique.
Ces constatations sont concordantes avec la mention portée par les policiers du commissariat de [Localité 4] à son procès verbal d'audition du 23 novembre 2015, selon laquelle : "le déclarant semble très affecté par cette affaire et s'est mis à pleurer à plusieurs reprises au cours de sa déposition et a déclaré avoir voulu se suicider après la dictée de ce courrier".
Il n'est d'ailleurs pas contesté par l'employeur que M. [K] [X] était particulièrement affecté par l'enquête préliminaire ouverte suite à la plainte du 13 novembre 2015 et aux auditionx, sous le régime de la garde à vue, de plusieurs salariés du magasin à compter du 16 novembre 2015.
Au regard de ce qui précède, c'est par une analyse que la cour adopte que le premier juge a pu estimer que sa démission ne procédait pas d'un choix libre et éclairé mais d'une décision précipitée, dans un contexte de fragilité psychologique objectif qui n'avait pu échapper à son employeur et revêtait dès lors un caractère équivoque justifiant sa requalification en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, sanction effectivement retenue en pareil cas par une jurisprudence constante.
La réalité des faits imputés à M. [K] [X] ainsi qu'aux autres salariés est à cet égard indifférente, seule l'appréciation de la validité de la démission étant en débat à l'exclusion de toute faute reprochée au salarié.
Il y a lieu dès lors de confirmer le jugement frappé d'appel de ce chef.
Sur les condamnations prononcées :
La société SODEPAC ne conteste pas le montant des sommes allouées au titre des indemnités de préavis, de congés payés et de licenciement. Elle sollicite que la condamnation prononcée à titre de dommages-intérêts soit ramenée à de plus justes proportions.
Le tribunal a alloué à M. [K] [X] la somme de 300 000 francs CFP au titre du préjudice moral consécutif à la rupture brutale du contrat de travail.
En l'espèce, M. [K] [X] justifie avoir subi, du fait des circonstances de la rupture de son contrat de travail, un préjudice moral distinct et spécifique dont le premier juge a estimé à juste titre qu'il devait être évalué à hauteur de 300 000 francs CFP au regard des termes du certificat médical constatant l'existence d'un syndrome de stress important justifiant un suivi psychologique.
La décision entreprise sera également confirmée de ce chef.
Sur les demandes annexes :
La société SODEPAC, qui échoue à faire la démonstration de son bon droit en cause d'appel, sera condamnée à supporter les dépens et à verser à l'intimé une somme complémentaire de 250 000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant ;
CONDAMNE la société SODEPAC à payer à M. [K] [X] la somme de 250 000 francs CFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
CONDAMNE la société SODEPAC aux dépens d'appel ;
Le greffier,Le président.