No de minute : 108
COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 25 Novembre 2021
Chambre sociale
Numéro R.G. : No RG 20/00066 - No Portalis DBWF-V-B7E-RGK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juillet 2020 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no :17/71)
Saisine de la cour : 27 Juillet 2020
APPELANT
COMMUNAUTE DU PACIFIQUEreprésentée par son Directeur Général en exercice, Siège social : [Adresse 3] représentée par Me Frédéric DESCOMBES de la SELARL D'AVOCATS DetS LEGAL, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
M. [S] [V] né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 4], demeurant [Adresse 2] Représenté par Me Denis MILLIARD de la SELARL SOCIETE D'AVOCATS MILLIARD MILLION, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Octobre 2021, en audience publique, devant la cour composée de Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président, Mme Marie-Claude XIVECAS, Conseiller, M. Thibaud SOUBEYRAN, qui en ont délibéré, sur le rapport de Monsieur Philippe DORCET.
Greffier lors des débats et de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
ARRET contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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Par contrat de travail en date du 6 avril 1994 amendé par courrier en date du 23 mars 1995, monsieur [S] [V] a été embauché par la COMMISSION DU PACIFIQUE SUD (ci-après dénommée la CPS) en qualité de plombier, pour une durée de trois ans prenant effet le 5 avril 1994.
À compter du 4 février 1997 et jusqu'au 4 avril 2006, le contrat de travail de monsieur [V] était prolongé à 5 reprises pour une période trois ans.
Le 13 décembre 2005, son contrat de travail était prolongé de 3 ans, le poste de monsieur [V] étant alors promu adjoint au responsable du service maintenance. Le 21 janvier 2009, le contrat de travail de monsieur [V] était reconduit pour 3 ans, avec un terme fixé au 4 avril 2012. Le 21 septembre 2011, monsieur [V] était nommé responsable du service maintenance, et était prolongé pour une nouvelle durée de 3 ans avec échéance au 18 septembre 2014. Le 4 août 2014, ledit contrat était prolongé d'une durée d'un an, à terme au 18 septembre 2015. Le 16 juillet 2015, la CPS prorogeait une nouvelle fois le contrat de travail de monsieur [V] du 19 septembre 2015 au 31 mars 2016, puis le 1er mars 2016, du 1er avril 2016 au 30 juin 2016, son salaire brut étant alors fixé à 385 444 XPF.
Par lettre du 20 mai 2016, la COMMUNAUTÉ DU PACIFIQUE notifiait au salarié que son contrat était résilié, et ce, sans qu'aucun motif ne fût indiqué dans le courrier.
Par requête enregistrée le 11 avril 2018, complétée par conclusions récapitulatives, monsieur [S] [V] a fait citer devant la juridiction du travail la CPS aux fins de dire et juger que le tribunal du travail de Nouméa était compétent pour connaître du litige, requalifier son contrat en contrat de travail à durée indéterminée puis dire qu'il avait fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, enfin condamner la CPS à lui payer les sommes de 770 860 XPF (indemnité de préavis), 77 860 XPF (congés payés sur préavis), 3 842 980 XPF (indemnité légale de licenciement), 11 721 .720 XPF au 5 licenciement sans cause réelle et sérieuse), 1 000 000 XPF (licenciement brutal) outre 300 000 XPF au titre des frais irrépétibles et les entiers dépens.
Dans un premier jugement en date du 21 mai 2019, dont il n'a pas été relevé appel, le tribunal de travail de Nouméa retenait sa compétence pour connaître du litige opposant M. [V] au secrétariat général de la CPS conformément à la jurisprudence habituelle de la chambre sociale de la Cour de cassation confirmant la jurisprudence antérieure de la Cour d'appel de NOUMEA.
Puis par jugement en date du 07 juillet 2020, le tribunal jugeait comme suit :
« DIT que la relation professionnelle entre monsieur [S] [V] et la COMMUNAUTE DU PACIFIQUE est soumise au droit du travail applicable en Nouvelle-Calédonie ;
CONSTATE que la relation professionnelle entre monsieur [S] [V] et la COMMUNAUTE DU PACIFIQUE est un contrat de travail à durée indéterminée, et ce, depuis le 6 février I994 ;
DIT que la rupture du contrat de travail de monsieur [S] [V] par la COMMUNAUTE DU PACIFIQUE du 20 mai 2016 produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la COMMUNAUTE DU PACIFIQUE à verser à monsieur [S] [V] :
?un million cent cinquante-deux mille neuf cents (1.152.900) XPF d'indemnité légale de licenciement ;
?dix millions vingt-et-un mille cent quatre-vingts (10.021.180) XPF à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
?sept cent soixante-huit mille six cents (768.600) XPF à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
? soixante-seize mille huit cent soixante (76 860) XPF à titre d'indemnité de congés payés sur préavis ;
?quatre cent mille (400.000) XPF d'indemnisation en réparation de son préjudice moral distinct ;
RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la requête introductive d'instance, et que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jugement ;
RAPPELLE que l'exécution provisoire est de droit sur les créances salariales ;
CONDAMNE la COMMUNAUTÉ DU PACIFIQUE à verser à monsieur [S] [V] la somme deux cent cinquante mille (250.000) francs CFP au titre des frais irrépétibles, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile applicable en Nouvelle-Calédonie ;
CONDAMNE la COMMUNAUTÉ DU PACIFIQUE aux entiers dépens » soit une indemnisation totale à hauteur de 12 419 540 XPF
***
Par requête en date du 27 juillet 2020, le secrétariat général de la CPS relevait appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures du 17 mai 2021 auxquelles il convient de se référer pour plus amples développements, la CPS conclut, au principal, à l'infirmation du jugement déféré au motif que sont exclusivement applicables au litige, à l'exclusion des dispositions du Code du travail de Nouvelle Calédonie, les règles internes de l'organisation internationale, principal partenaire des pays insulaires de la région en matière de "conseils" et "services scientifiques et techniques fondamentaux", sans aucune activité commerciale.
Elle expose faire appel à des personnels ayant le statut de fonctionnaire international et avoir conclu le 6 mai 2003 avec le gouvernement français un accord de siège à l'article 6 duquel est prévue une immunité de juridiction dont les exceptions sont limitatives excluant les contentieux liés aux "contrats de travail" du personnel.
Monsieur [V] aurait ainsi accepté en toute connaissance de cause de se soumettre à l'ensemble des règles applicables au sein de cette organisation profitant ce faisant de toutes les qualités d'un fonctionnaire y appartenant et en régularisant sa situation par une prestation de serment.
La CPS prétend en outre que les contrats successifs signés depuis 1994 par le demandeur lui rappelaient régulièrement la nature particulière de son statut : il était donc bien soumis au règlement du personnel et des statuts du personnel édicté par le directeur général, documents faisant expressément référence au caractère dérogatoire des règles régissant les relations de la CPS avec son personnel lesquelles constituent un « statut particulier de droit public » comprenant des clauses exorbitantes du droit commun des contrats de travail.
L'appelante rappelle à ce stade que l'article Lp 111-3 du code du travail de Nouvelle-Calédonie prévoit que ses dispositions ne sont pas applicables aux personnes relevant d'un statut de droit public, lequel est défini par le tribunal des conflits comme un "ensemble de règles régissant le recrutement et le déroulement de carrière dans un emploi permanent d'une personne publique soumise à un statut particulier", ce qui serait précisément le cas des contrats signés par le demandeur qui, en outre, agissait dans le cadre d'une mission de service public et avait été embauché par une lettre d'engagement qui faisait expressément référence à un statut exorbitant du droit commun sans équivalent en droit privé, les contrats ne pouvant être inférieurs à un an ou supérieurs à trois ans et présente un caractère administratif, selon la jurisprudence récente des tribunaux administratifs et du tribunal des conflits. Elle rappelle que les relations de diverses organisations internationales avec leur personnel ne peuvent qu'être régies par les règles propres à celles-ci (Organisation internationale du travail et Nations unies à titre d'exemples).
Elle illustre son propos en soulignant que monsieur [V] a bénéficié de conditions de travail exorbitantes s'agissant tant de ses avantages (traitement non soumis à l'impôt sur le revenu en Nouvelle-Calédonie, cotisations des régimes d'assurance santé et assurance vie intégralement financées par la CPS, carte essence détaxée, durée hebdomadaire de travail de 37,5 heures, régime de majoration des heures supplémentaires notamment) que des conditions de résiliation de son engagement (cas déterminés et indemnités prévues).
A titre subsidiaire, la CPS conclut également au débouté des demandes de monsieur [V] sur le fondement du droit du travail local, rappelant que les contrats "temporaires" et "à long terme" qui ont été signés ne sont pas des contrats à durée déterminée mais sont conformes à tous les contrats de ses fonctionnaires.
Elle rappelle que la requalification en contrat à durée indéterminée ne signifie pas pour autant que la rupture du contrat doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Elle sollicite que le salaire de référence du demandeur soit fixé à la somme de 381.652 XPF.
Par ailleurs, la CPS relève que le demandeur ne démontre pas qu'il occupait des fonctions de cadre ni qu'il remplissait les conditions de diplôme et d'expérience professionnelle nécessaires pour cela car il occupait en réalité un poste situé au grade 7 dans la catégorie des "support staff". Il ne peut donc en aucun cas se prévaloir de ce statut.
Concernant la condamnation à 10 021 180 XPF soit l'équivalent de 26 mois de salaire de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la défenderesse fait observer que le requérant ne produit pas la moindre pièce pour justifier de sa situation ni aucun élément permettant d'évaluer le montant de son préjudice. Il indique que l'ancienneté ne suffit pas en tout état de cause à justifier une telle demande.
Quant à l'argument relevé par M. [V] selon lequel il n'aurait pas de droit à la retraite CAFAT, la CPS rappelle d'une part qu'il a touché un capital conséquent lors de son départ de la CPS celle-ci ayant cotisé auprès d'un fonds privé qu'elle gérait, d'autre part qu'il aurait pu demander à son employeur de cotiser volontairement auprès de la caisse de son choix.
Enfin, elle fait valoir que la rupture du contrat de travail n'a pas été brutale, M. [V] ne pouvant ignorer qu'il n'allait pas être renouvelé au vu de la diminution progressive de la durée de ses derniers contrats. De fait, malgré la formation dont il avait bénéficié et son ancienneté, le demandeur ne présentait plus les qualités requises pour occuper le poste de responsable de la maintenance.
En conclusion, l'appelante sollicitait, outre le rejet de l'ensemble des demandes présentées par M. [V], l'infirmation du premier jugement sauf pour ce qui regarde le rejet des prétentions du demandeur au titre d'un statut cadre, qu'il soit jugé que les règles applicables au salarié sont celles édictée par la CPS et que lui soit octroyé une somme de 350 000 XPF au titre des frais irrépétibles.
M. [V], dans des écritures d'appel du 12 février 2021 rappelle qu'il a été engagé pour une durée de 3 ans, renouvelée ensuite jusqu'à son licenciement. Il relève que l'ensemble des développements de la CPS concernent la juridiction compétente et le droit applicable au contrat
Il rappelle, conformément aux termes d'un premier jugement rendu le 21 mai 2019 dont la CPS n'a pas relevé appel, que l'immunité de juridiction et d'exécution prévue par l'article 6 de l'accord de siège ne peut s'appliquer au présent litige, la commission paritaire de recours et l'instance d'appel prévues par les statuts de l'organisation ne constituant pas des juridictions impartiales respectant une procédure contradictoire garantissant les droits des agents.
Il fait valoir que sauf exception prévue à l'article Lp 111-3 du Code du travail, tout agent d'une collectivité publique exerçant en Nouvelle-Calédonie est soumis un statut de droit privé, d'autant qu'en l'espèce, les divers contrats à durée déterminée signés par le requérant ne font référence ni à un statut de fonction publique, de droit public ou de droit privé dérogatoire du droit commun.
Il relève que ces contrats ne comportent aucune clause exorbitante de droit commun.
M. [V] sollicite désormais que sa relation contractuelle avec la CPS soit requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée, qu'il soit constaté que la lettre de rupture ne contient aucun motif, et qu'il a en conséquence fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il demande à ce que la CPS soit condamnée à lui régler les sommes de 781.448 XPF à titre d'indemnité de préavis, 78.144 XPF au titre des congés payés sur préavis, 3.843.000 XPF à titre d'indemnité légale de licenciement, 11.721.720 XPF a titre de dommages et intérêts, 1.000.000 XPF à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal outre 400.000 XPF au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il soutient à l'appui de sa demande que les dispositions du code de travail de Nouvelle-Calédonie sont d'ordre public et doivent lui être appliquées puisqu'il n'est pas démontré par la CPS que les statuts ou le règlement de son personnel lui seraient plus favorables.
Il fait remarquer que la CPS a violé les dispositions légales en signant de nombreux contrats à durée déterminée non conformes au Code du travail puisque ne répondant pas aux cas de recours prévus par la loi - ou n'en indiquant pas le motif - et dépassant pour certains la durée maximale prévue par la loi. Il fait observer qu'en tout état de cause, le poste qu'il occupait était permanent au sein de la CPS et qu'il aurait dû être pourvu par un contrat à durée indéterminée.
Il en conclut que son contrat de travail devra donc être requalifié à durée indéterminée depuis son embauche, sa rupture anticipée s'analysant rétrospectivement comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en l'absence de motif de rupture dans le courrier du 20 mai 2016, lequel n'indique comme seule information que la date de fin du contrat au 30 juin 2016.
Pour ce qui regarde le calcul de l'indemnité légale de licenciement, il sollicite en sa qualité de responsable du service maintenance et encadrant plusieurs salariés, l'application de l'article 8 de l'avenant ingénieur cadre et assimilé de l'AIT.
Enfin, le requérant indique, contrairement aux affirmations de son employeur, qu'il ne s'attendait absolument pas à ce que ce dernier rompe ainsi la relation contractuelle après 22 ans d'ancienneté sans reproche ni accroc, l'absence de préavis illustrant à cet égard la brutalité de cette rupture.
SUR QUOI LA COUR,
Sur la loi applicable au litige
L'article Lp 111-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie a posé le principe de son application et de la compétence du Tribunal du Travail à tous les salariés sauf ceux relevant d'un statut de fonction publique ou d'un statut de droit public (Lp 111-3). En Nouvelle-Calédonie (article Lp. 121-1 du Code du travail), le contrat de travail "convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte une autre et sous sa subordination " (Soc. 22 juillet 1954), est soumis aux règles du droit commun et tient lieu de loi entre les parties.
Un premier jugement rendu dans l'instance présente en date du 21 mai 2019, dont il n'a pas été relevé appel, a retenu la compétence de la juridiction du travail de Nouméa pour connaître du conflit opposant les parties aux motifs d'une part que les statuts de la CPS n'autorisaient pas son personnel à recourir à une juridiction indépendante, impartiale et indépendante en cas de litige, d'autre part, de ce que le contrat de travail de M. [V] ne faisait pas référence à un statut de fonction publique, de droit public ou de droit privé dérogatoire au droit commun visé à l'article L 111-3 du code du travail. De ce point de vue, le fait qu'il ait prêté serment ou que s'appliquent à sa personne les statuts du personnel ne constituent pas des clauses exorbitantes de droit commun ainsi qu'il a été jugé par la Cour de cassation (13 mai 2014) et le Tribunal des conflits (28 avril 2003) dans deux affaires similaires.
En outre, aux termes du chapitre IV des statuts, le vocable « temporaire » s'applique aux agents qui n'ont pas de missions à long terme (3 ans renouvelables), le terme contrat temporaire et contrat forfait visant uniquement les contrats des personnes recrutées pour des projets ou des missions courtes de prestations de service.
Il s'ensuit d'une part que le requérant qui a été engagé pour 3 ans et renouvelé n'est pas en contrat temporaire au sens des statuts de la CPS : les dispositions du code de travail de Nouvelle-Calédonie étant d'ordre public doivent donc lui être appliquées puisqu'il n'est pas démontré par la CPS que le statut ou le règlement de son personnel lui seraient plus favorables.
D'où il résulte que les règles du Code du travail de Nouvelle-Calédonie sont applicables aux relations professionnelles entre M. [V] et la CPS.
Sur la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée
Les articles Lp. 123-2 et Lp. 123-3 du Code du Travail de Nouvelle-Calédonie disposent que le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit. Il comporte la définition précise du motif pour lequel il est conclu, doit relever de l'un des cas limitativement prévu et, le cas échéant, un terme fixé dès sa conclusion. A défaut, il résulte des termes de l'article L 121-2 que le contrat est réputé à durée indéterminée.
Au soutien de sa demande de requalification, monsieur [V] explique qu'il a occupé un poste permanent auprès de son employeur pendant 22 ans et que ses contrats successifs ne respectaient pas la durée maximale légale et ne mentionnaient pas de motif du recours à ce type de contrat, contrairement aux dispositions légales en vigueur.
La CPS conteste cette analyse en rappelant qu'elle n'est pas un employeur classique « ?. et dispose d'un réel statut particulier de sujet de droit international tel que reconnu par l'Etat français aux termes d'une loi 2006-611 du 29 mai 2006."
Cet argument sera néanmoins écarté puisqu'ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, les règles du code du travail de Nouvelle-Calédonie s'appliquent à la CPS dans ses rapports avec M. [V] indépendamment de son statut.
Les règles internes de la CPS ont certes vocation à s'appliquer mais uniquement dans la mesure où elles seraient plus favorables à celles du droit commun ce dont la défenderesse échoue à rapporter la preuve.
Dès lors, de jurisprudence constante, la multiplicité du recours successif aux contrats à durée déterminée pour exercer les mêmes fonctions revient à pourvoir durablement un emploi permanent. Toute utilisation du contrat à durée déterminée ayant pour objectif ou aboutissant de fait à l'occupation durable à « un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise » est illégale (Soc - 26 mai 2004) et il convient d'en tirer "comme conséquence la requalification en contrat à durée indéterminée » (TTN - 21 avril 2015).
Monsieur [V] a travaillé pour la CPS de façon continue en vertu de plusieurs contrats de travail à durée déterminée successifs et ce, sans aucune interruption depuis le 6 avril 1994, et a occupé de façon durable (22 ans) un poste lié à l'activité normale et permanente de la communauté défenderesse.
D'où il résulte que cette relation de travail est réputée conclue pour une durée indéterminée.
De plus fort, il sera relevé s'agissant de la succession des contrats à durée déterminée ayant excédé la durée maximale admise légalement, aucun, depuis l'origine, ne mentionnait le motif ou ne répondait aux cas de recours prévus par les dispositions de droit commun rappelées ci-dessus. La CPS se borne à rappeler de ce point de vue que ses statuts ne prévoient que trois types de conventions : à long terme, à titre temporaire ou de courte durée.
Aucune interruption n'étant observée entre les contrats de travail à durée déterminée, la cour, à l'instar du tribunal, affirme pour le calcul de l'ancienneté que la durée de chacun des contrats à durée déterminée s'ajoute au suivant depuis le tout premier contrat.
La relation de travail entre monsieur [V] et la CPS sera donc requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein depuis le 6 février 1994 soit une ancienneté de 22 ans, 3 mois et 15 jours.
Sur la légitimité de la rupture du contrat de travail
Il convient d'appliquer concernant la rupture de ce contrat les règles applicables au contrat à durée indéterminée. De ce point de vue, le licenciement par courrier du 20 mai 2016 n'étant pas motivé, il produit nécessairement les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvrant droit à indemnités.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
L'article Lp. 122-35 du Code du travail de Nouvelle-Calédonie dispose que si le licenciement est intervenu pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité au salarié qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois. L'ancienneté de monsieur [V] au sein de la CPS est de plus de 22 ans.
Ce dernier sollicite sur ce point que son salaire de référence soit fixé à la somme de 390 724 XPF sur le fondement des 6 derniers mois de salaire, ce qui est contesté par la CPS laquelle sollicite que celui-ci soit fixé au montant de 381 652 XPF et ce, pour l'intégralité des indemnités accordées. Au vu des motivations du premier juge que la cour reprend à son compte, un salaire moyen de 385 430 XPF sera confirmé et pris en compte.
Pour autant, Monsieur [V] ne justifie pas de sa situation professionnelle depuis la rupture de son contrat de travail ni de ses revenus actuels. Le barème strictement appliqué sera donc celui de la cour d'appel de Nouméa conformément à la décision du premier juge respectant en cela une jurisprudence constante et ancienne en matière de licenciement sans cause réelle et sérieuse soit :
(385 430 XPF X 6 mois) + (385 430 XPF X 20 mois) soit 2 312 580 + 7 708 600 =
10 021 180 XPF (dix millions vingt et un mille cent quatre-vingts francs)
Sur l'indemnité légale de licenciement
Un salarié possédant au moins deux ans d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur peut prétendre lorsqu'il est licencié (sauf faute grave) à une indemnité de licenciement calculée sur la base d'un dixième de mois par année de service jusqu'a 10 ans d'ancienneté, puis un dixième de mois par année d 'ancienneté plus un quinzième de mois par année d'ancienneté sur la période au-delà de 10 ans d'ancienneté (articles Lp 122-27 et R 122-4 du Code du travail et 88 de l'AIT)
Compte tenu de l'ancienneté dont bénéficie monsieur [V], l'indemnité légale de licenciement lui est due.
A cet égard, l'AIT a prévu que le salaire servant de base pour le calcul de cette indemnité doit correspondre au douzième de la rémunération des 12 derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l'intéressé, au tiers des 3 derniers mois.
Dès lors, le salarié demande que son salaire de référence soit fixé à la somme de 384 300 XPF sur le fondement de l'article 8 de l'avenant cadre ingénieur de l'AIT ce que conteste la défenderesse qui sollicite que celui-ci soit fixé au montant de 381 652 XPF.
Les salaires à prendre en considération sont les salaires préalables à la date de la rupture effective du contrat de travail, soit la fin du préavis, le dernier salaire en l'espèce étant celui du mois de juin 2016.
Cependant, il résulte de l'ensemble des éléments produits aux débats que monsieur [V] ne peut prétendre à l'application de l'avenant précité et se fera donc appliquer les textes susvisés : au vu des bulletins de paye, le salaire moyen de référence du salarié sera fixé à la moyenne des trois derniers mois de salaire, soit 384 300 XPF, plus favorable que la moyenne des douze derniers mois de salaire.
A ce titre, la cour, à l'instar du tribunal condamnera la CPS à verser la somme de 384 300 XPF X 3 mois = 1 152 900 XPF au titre de l'indemnité légale de licenciement.
Sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de congés payés sur préavis
En cas de licenciement, l'inobservation du délai-congé par l'une ou l'autre des parties ouvre droit, sauf faute grave du salarié a une indemnité compensatrice distincte de l'indemnité de licenciement.
Au vu des éléments précités relatifs à son ancienneté lui faisant bénéficier de 3 mois de préavis, ainsi que du mois de préavis que monsieur [V] a effectué en juin 2016, la cour à l'instar du tribunal lui octroiera la somme de 768.600 XPF, soit deux mois de salaire, au titre de l'indemnité de préavis prévue aux articles Lp. 122-22 et 24 du Code du travail et 87 de l'AIT
La CPS sera également condamnée à lui verser la somme de 76.860 F CFP au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis.
Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral
Un licenciement serait-il justifié par une cause réelle et sérieuse ne doit pas être vexatoire : à défaut, l'employeur peut être condamné sur le fondement de l'article 1382 du code civil à indemniser le salarié.
La rupture de la relation de travail entre les parties après plus de 22 années a été d'autant plus brutale pour M. [V] qu'aucun reproche n'est formulé dans son courrier de licenciement. Il importe peu à cet égard qu'un processus de réorganisation ait été envisagé au sein de la CPS ou que la durée de ses derniers contrats diminuait progressivement. L'exécution d'un seul des 3 mois de préavis auxquels il avait légalement droit a renforcé le caractère vexatoire du licenciement.
Le préjudice moral du demandeur est constitué en lien avec la rupture de son contrat de travail et tenant compte des circonstances particulières de la rupture soudaine du contrat de travail précédemment détaillées, la somme de 400 000 XPF accordée de ce chef à M [V] par le premier juge sera confirmée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile de Nouvelle Calédonie et les dépens
L'article 700 du Code de procédure civile dispose que, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l 'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu de cette condamnation. Il serait inéquitable de laisser à la charge du demandeur les frais irrépétibles qu'il a engagés. La CPS sera donc condamnée à lui payer la somme de 250.000 XPF.
Enfin, la gratuité de la procédure devant le tribunal du travail de Nouméa (article 880-1 du code de procédure civile) n'implique pas l'absence de dépens au sens de l'article 696 du code de procédure en ce que cette absence aurait en particulier pour conséquence de ne pas permettre à la partie gagnante de voir ses frais de signification des décisions mis à la charge de la partie qui succombe.
La CPS, succombant à l'instance, sera ainsi condamnée aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal du travail le 07 juillet 2020 entre la CPS et [S] [V]
CONDAMNE la CPS aux dépens de l'instance
Le Greffier Le Président