COUR D'APPEL DE NOUMÉA 105
Arrêt du 05 Juin 2014
Chambre Civile
Numéro R. G. : 13/ 77
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Janvier 2013 par le Tribunal de première instance de NOUMEA (RG no : 11/ 800)
Saisine de la cour : 26 Mars 2013
APPELANTS
M. Michel X... né le 27 Mai 1951 à BOURAIL (98870)
demeurant...-98870 BOURAIL
Représenté par Me Xavier LOMBARDO de la SELARL LOMBARDO, avocat au barreau de NOUMEA
Mme Anne-Lise Y... née le 11 Mai 1957 à NOUMEA (98800)
demeurant...-98870 BOURAIL
Représentée par Me Xavier LOMBARDO de la SELARL LOMBARDO, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
LA SOCIETE GENERALE CALEDONIENNE DE BANQUE, prise en la personne de son représentant légal en exercice
Dont le siège est sis 44 rue de l'Alma-BP. G2-98848 NOUMEA CEDEX
Représentée par Me Pierre-Henri LOUAULT de la SELARL JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Avril 2014, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président, M. François BILLON, Conseiller,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Yves ROLLAND, président
Greffier lors des débats : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par M. Stéphan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
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PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. Michel X... et Mme Anne-Lise Y... son épouse sont titulaires de deux comptes bancaires (personnel et professionnel-no 033841024 et 03638802011) ouverts dans les livres de la Société Générale Calédonienne de Banque dite SGCB (la SGCB).
Leur employée Mme Diana Z...(femme de ménage) leur a dérobé des formules de chèques vierges rattachées, avec lesquels, après avoir apposé une signature contrefaite, elle a fait des achats ou s'est faite remettre des espèces auprès du magasin " au Passage " à Bourail, ce qui lui a valu d'être condamnée par le tribunal correctionnel de Nouméa le 4 mars 2011 à 6 mois d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve avec obligation d'indemniser les victimes de leur préjudice, chiffré à la somme de 3. 316. 000 Fr Cfp par la juridiction.
Par acte du 15 avril 2011 complété par des écritures ultérieures, les époux X... faisaient alors citer la SGCB devant le tribunal de première instance de Nouméa, afin de voir dire et juger que l'établissement bancaire " a manqué à son devoir de comparer la signature portée sur les chèques par rapport à celle déposée par Mme X... ", de la condamner à leur payer 3. 616. 000 FCFP de dommages et intérêts, leur donner acte de leurs réserves quant aux demandes de dédommagement des frais, intérêts et commissions, leur donner acte de ce que la SGCB pourra être subrogée dans leurs droits contre Mme Z...et la condamner à leur payer 250. 000 FCFP au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En réponse la SGCB demandait au tribunal de constater que seules les négligences successives et cumulées des époux X... étaient à l'origine de leur préjudice, qu'ils avaient obtenu la réparation de leur préjudice et ne justifiaient pas de son quantum, de les débouter de leurs demandes abusives et de les condamner reconventionnellement à lui payer 1 franc de dommages et intérêts, outre 220. 000 Fr Cfp au titre des frais irrépétibles et aux dépens.
Par jugement rendu le 28 janvier 2013, le tribunal de première instance de Nouméa statuait de la façon suivante :
« DIT que la SGCB a commis une négligence fautive ;
DIT que cette faute entraîne sa responsabilité à l'égard des époux X... à hauteur de 15 % des chèques falsifiés payés ;
En conséquence,
CONDAMNE la SGCB à payer la somme de CINQ CENT QUARANTE DEUX MILLE QUATRE CENTS (542. 400) FCFP à Michel X... et Anne-Lise Y..., son épouse, en réparation de leur préjudice ;
DIT que la SGCB sera subrogée dans les droits des époux X... à l'encontre de Diana Z..., pour le recouvrement de cette somme ;
DÉBOUTE les parties de toutes leurs autres demandes ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DIT que chacune des parties supportera les dépens qu'elle a exposés et DIT qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie... »
PROCÉDURE D'APPEL
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 26 mars 2013, les époux X... interjetaient appel de cette décision qui n'avait pas été signifiée.
Aux termes de leurs conclusions récapitulatives du 27 novembre 2013, écritures auxquelles la cour se réfère pour le détail de l'argumentation et des moyens, les époux X... concluent à la réformation du jugement déféré " uniquement en ce qu'il a dit que la faute de la banque entraîne sa responsabilité à hauteur de 15 % des chèques falsifiés payés et condamné la SGCB à leur payer 542 000 Fr Cfp " et demande à la cour, statuant à nouveau, de : dire que la SGCB a commis une négligence fautive ;
dire que la faute commise par la banque entraîne sa responsabilité à hauteur de 100 % du préjudice qu'ils ont subi ;
en conséquence condamner la SGCB à leur payer : ¿ 3 616 000 Fr Cfp à titre de dommages intérêts,
¿ 250 000 Fr Cfp en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie et aux dépens.
Au soutien de leurs prétentions ils font principalement valoir que :
- Une simple comparaison des signatures figurant sur les chèques contrefaits avec celle de Mme X... déposée comme spécimen sur la convention d'ouverture des comptes montre que ces signatures n'ont aucun rapport entre elles : la forme des lettres est totalement différente, Mme X... ne fait pas précéder son nom de « Mme » et n'indique pas son prénom « Anne-Lise » ;
- Si elle n'a pas à s'ériger en graphologue, la banque avait l'obligation de comparer les signatures et, en payant les chèques sans procéder à cette comparaison élémentaire, elle a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle vis-à-vis de ses clients dès lors qu'elle est tenue de restituer les fonds à celui-là seul qui les lui a confiés ;
- Le manquement à cette obligation de vigilance engage la responsabilité de la banque et c'est à tort que le tribunal a cantonné cette responsabilité à 15 % alors que, agriculteurs, ils sont retenus de nombreuses heures sur leur exploitation et disposent de peu de temps pour les tâches administratives et ont cru que les règlements correspondaient au paiement du mazout.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 9 décembre 2013, la SGCB conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a opéré un partage de responsabilité et cantonné son obligation d'indemnisation à 15 % du préjudice subi par les époux X..., celle-ci étant d'ores et déjà remplie à hauteur de 438 000 Fr Cfp au titre des chèques contrefaits et de 52 920 Fr Cfp au titre des frais contestables, et demande à la cour de : juger que le solde du préjudice à indemniser doit être fixé à 51 480 Fr Cfp ;
débouter les époux X... du surplus de leurs demandes ; les condamner à lui payer 250 000 Fr Cfp en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie et aux dépens.
Elle fait valoir pour l'essentiel que :
- Si la non conformité entre la signature litigieuse et le spécimen de signature déposé à la banque peut constituer une source de responsabilité à l'encontre de la banque qui tient le compte, de jurisprudence constante celle-ci n'a pas à supporter intégralement les conséquences du paiement irrégulier si, par son attitude, le client a contribué à la réalisation de son préjudice ;
- Or les époux X... ne se sont pas alarmés de la comptabilisation aux débits de leurs comptes d'opérations inexplicables, pour des montants conséquents et inhabituels, et n'ont pas contrôlé leurs talons de chéquiers : il s'en déduit qu'ils se désintéressaient complètement du fonctionnement de leurs comptes, ce qui relève d'une négligence fautive ;
- Ce faisant ils ont laissé perdurer une situation anormale pendant une année sans aucune réaction alors que, contrairement à ce qu'ils soutiennent, leur activité d'agriculteurs leur permettait de prendre des loisirs dont " ils auraient pu consacrer une partie à d'utiles contrôles du fonctionnement de leurs deux comptes bancaires " ;
- La cour jugera en conséquence que la faute de l'établissement bancaire est limitée au fait unique de ne pas avoir contrôlé et rejeté le paiement du chèque débité le 31 mars 2009, l'exercice de la profession d'agriculteur n'étant pas une cause leur permettant de s'exonérer d'une " gestion de leurs comptes bancaires en bon père de famille " ;
- A titre subsidiaire les époux X... ont déjà obtenu la condamnation de Mme Z...et ne peuvent prétendre obtenir une double indemnisation du même préjudice, dont l'évaluation doit au surplus tenir compte des 7 chèques qu'elle a re-crédités pour " signatures non conformes " le 14 juin 2013 pour un montant total de 438 000 Fr Cfp.
Les ordonnances de clôture et de fixation sont en date du 27 décembre 2013.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application des dispositions de l'article 1937 du Code civil, le banquier dépositaire d'un compte est tenu de ne restituer les fonds qui lui ont été confiés qu'à son client ou à celui lui ayant été indiqué pour les recevoir.
Il a en conséquence l'obligation de vérifier la concordance de la signature des chèques présentés avec celle de la déposante dont il est tenu de posséder un spécimen.
Il est donc tenu d'une obligation de vigilance et engage sa responsabilité lorsqu'il paye un chèque falsifié comportant des anomalies apparentes, telle une signature dont la non conformité pouvait être décelée par un examen superficiel.
Il résulte des pièces communiquées qu'entre mars 2009 et mai 2010, 50 chèques ont été frauduleusement émis par Mme Z...et son époux au moyen de formules de chéquiers des époux X..., pour un montant total de 3. 616. 000 Fr Cfp, savoir : à hauteur de 2 321 000 Fr Cfp sur le compte " particulier " ;
à hauteur de 1 295 000 Fr Cfp sur le compte " professionnel ".
Un simple regard sur ces chèques démontre l'absence totale de similitude des signatures avec celle de la dépositaire du compte d'une part, une absence totale de similitude des signatures contrefaites entre elles, selon que le chèque a été signé par Mme Z...ou par son mari (Pièces 1ère instance no 4 de la SGCB).
Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la banque a commis une négligence fautive.
L'enquête a permis d'établir que les chèques étaient généralement d'un montant conséquent, soit entre 40 000 et 90 000 Fr Cfp, sans qu'à aucun moment les époux X... ne s'inquiètent de voir apparaître de tels montant sur leurs relevés de comptes, ni des débits importants affectant leurs soldes.
C'est donc à juste titre que le premier juge a retenu qu'ils avaient été négligents dans le suivi de leurs comptes et qu'il leur appartient en conséquence de garder à leur charge une partie du préjudice subi.
Pour autant cette négligence n'a que peu de rapport et aucune proportion avec celle de la banque restée inactive face à des faux grossiers alors que, contrairement à ce que prétend l'intimée, la lecture de l'« historique des mouvements » qu'elle communique (pièce no 3) ne fait pas apparaître lisiblement l'affectation des débits.
Par ailleurs la profession des époux X..., agriculteurs, n'inclut pas nécessairement un suivi régulier de leurs comptes, même s'il serait souhaitable, dans leur propre intérêt, qu'ils le fassent.
Compte tenu de ces éléments la cour, infirmant en cela le jugement déféré, fixe à un quart la responsabilité des dépositaires et aux trois-quarts celle de la banque dans le préjudice total subi, soit à hauteur de 2 712 000 Fr Cfp.
La lecture du relevé de compte du mois de juin 2010 démontre que la banque a d'ores et déjà re-crédités les époux X... de la somme totale de 438 000 Fr Cfp correspondant à sept chèques.
Cette somme vient donc en déduction du préjudice initialement déterminé par les gendarmes dont le solde s'élève en conséquence à 2 274 000 Fr Cfp, somme au paiement de laquelle elle doit être condamnée.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de première instance de Nouméa le 28 janvier 2013 en ce qu'il a retenu que la Société Générale Calédonienne de Banque avait commis une négligence fautive justifiant la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle et que les époux X... avaient, par leur négligence, contribué à leur préjudice ;
L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau ;
Dit que la banque est responsable à hauteur des trois-quarts du préjudice subi par les époux X..., qui s'élevait initialement à 3 616 000 Fr Cfp au total ;
Dit qu'après déduction d'opérations de crédit des comptes à hauteur de 438 000 Fr Cfp, l'indemnité à sa charge s'élève à 2 274 000 Fr Cfp ;
La condamne au paiement de cette somme, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice ;
Donne acte aux époux X... que la banque sera, du fait de ce paiement, subrogée dans leurs droits envers Mme Z...à hauteur de la somme totale de 2 712 000 Fr Cfp ;
Condamne la banque intimée à payer aux appelants 250 000 Fr Cfp en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie au titre des frais irrépétibles exposés en 1ère instance et en appel ;
La condamne aux dépens de 1ère instance et d'appel, qui seront distraits au profit de la SELARL cabinet d'avocat Xavier Lombardo sur l'affirmation qu'elle en a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le greffier, Le président,