COUR D'APPEL DE NOUMÉA
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Arrêt du 12 Décembre 2013
Chambre sociale
Numéro R. G. : 13/ 00012
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Décembre 2012 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG no : F 11/ 182)
Saisine de la cour : 16 Janvier 2013
APPELANT
LA PROVINCE SUD, représentée par son Président en exercice
9 Route des Artifices-Baie de la Moselle-BP. L1-98849 NOUMEA CEDEX
Concluante, non comparante
INTIMÉ
M. Josuié X...
né le 30 Octobre 1972 à HOUAILOU (98816)
demeurant ...
Représenté par Me Sophie BRIANT de la SELARL BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 Novembre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président,
M. Christian MESIERE, Conseiller,
Mme Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Yves ROLLAND.
Greffier lors des débats : Mme Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par Mme Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE.
M. Josuié X... a été embauché par la Province Sud sur un poste de « collaborateur de cabinet », d'abord par arrêté du 25 juillet 2008 à compter de cette date en qualité de chargé de mission auprès du président de l'assemblée de la Province Sud puis par arrêté du 9 juin 2009 à compter du 15 mai 2009 en qualité de chargé de mission auprès du deuxième Vice-Président de cette assemblée.
Avisé par lettre du 16 novembre 2010 qu'il devait se présenter à un entretien fixé au 30 novembre 2010 en raison de la décision du président « de mettre fin à vos fonctions de collaborateur de cabinet pour perte de confiance » il était licencié par courrier du 22 décembre 2010 rédigé en ces termes :
« A la suite de l'entretien du 30 novembre 2010 au cours duquel vous avez été informé de la perte de confiance à votre égard, je vous informe qu'il a été décidé de vous licencier.
Votre licenciement prendra effet dès la date de présentation du présent courrier.
Dans ce cadre, il vous sera versé :
- une indemnité compensatrice de congés payés (...)
- une indemnité de licenciement correspondant à un mois de rémunération brute mensuelle par année de service effectuée dans la limite maximale de six mois ».
Par requête enregistrée le 4 août 2011, complétée par des conclusions postérieures, M. X... a fait convoquer la Province Sud prise en la personne de son président en exercice devant le tribunal du travail de Nouméa à l'effet d'obtenir que son licenciement soit jugé irrégulier et sans cause réelle et sérieuse ainsi que l'indemnisation des divers chefs de préjudice en résultant.
Par jugement rendu le 14 décembre 2012 le tribunal du travail de Nouméa retenait que M. X... était soumis à un statut de droit privé et que le litige était de sa compétence, jugeait le licenciement irrégulier et sans cause réelle et sérieuse et condamnait la Province Sud à lui payer, outre les intérêts au taux légal :
¿ 931 120 fr. Cfp au titre du préavis ;
¿ 93 112 fr. Cfp au titre des congés payés afférents ;
¿ 3 200 000 fr. Cfp de dommages intérêts ;
¿ 130 000 fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.
PROCÉDURE D'APPEL.
Par requête enregistrée au greffe de la cour le 16 janvier 2013 la Province Sud interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 17 décembre 2012.
Elle demande à la cour :
à titre principal " d'annuler le jugement du 13 décembre 2012 et se déclarer incompétente pour connaître du litige " ;
à titre subsidiaire " d'annuler les condamnations pécuniaires prononcées " à son encontre.
À l'appui de ses demandes elle fait valoir pour l'essentiel que :
- Les collaborateurs de cabinet sont, pour ce qui concerne les collectivités territoriales, des agents exerçant une activité de nature politique, auprès d'élus locaux ;
- Il ne s'agit pas de personnel relevant du statut de la fonction publique dans la mesure où celui-ci est régi par le principe de neutralité du service public, ni du droit du travail dès lors que les missions et fonctions de ces agents sont liées au mandat de l'élu qui les emploie ;
- En vertu des dispositions de l'article 179 de la loi organique 99-209 du 19 mars 1999 relatif à la Nouvelle-Calédonie, les assemblées de province peuvent recourir à des emplois de contractuels lorsqu'elles ne veulent pas faire appel à des fonctionnaires territoriaux ou créer un cadre d'emplois spécifique compte tenu de la faiblesse des effectifs concernés, lesquels sont « des contractuels de droit public » et en conséquence soustraits du champ d'application du droit du travail ;
- C'est sur le fondement de cette compétence reconnue que la Province Sud a adopté la délibération no 10-99/ APS du 15 juin 1999 rendant applicable aux collaborateurs de cabinet des membres de l'assemblée et de l'exécutif de la province Sud la délibération de la commission permanente du congrès no 100/ CP du 20 septembre 1996 fixant les conditions de recrutement et d'emploi des collaborateurs de cabinet ;
- Elle considère que le litige s'inscrit dans le cadre de l'application du statut de droit public prévu par cette délibération 10-99/ APS du 15 juin 1999 et qu'il revient en conséquence à la juridiction administrative de le juger sauf à la cour de poser à la juridiction administrative une question préjudicielle concernant l'application de cette délibération ;
- La procédure de licenciement est régulière et la rupture fondée dès lors que le principe de l'égalité d'accès aux emplois publics ne fait pas obstacle à ce que les autorités politiques recrutent pour leur cabinet, par un choix discrétionnaire, des collaborateurs chargés d'exercer auprès d'elle des fonctions qui requièrent nécessairement un engagement personnel au service des principes et objectifs guidant leur action politique et une relation de confiance personnelle différente de celle résultant de la subordination hiérarchique du fonctionnaire à l'égard de son supérieur ;
- Il en résulte que le motif tiré de la perte de confiance est légitime pour les agents exerçant des fonctions de collaborateur politique et qu'elle est en l'occurrence fondée puisque l'intimé ne remplissait plus les fonctions pour lesquelles il avait été embauché et travaillait en réalité au service du groupe d'élus " Calédonie ensemble " et non auprès du deuxième vice-président de l'assemblée de la province Sud.
M. X... conclut à la confirmation du jugement déféré en ce que le tribunal a retenu sa compétence, déclaré le licenciement irrégulier et illégitime et fait droit à sa demande au titre du préavis, à sa réformation pour le surplus, au rejet de la question préjudicielle et à la condamnation de la Province Sud à lui payer :
¿ 5 586 720 fr. Cfp de dommages intérêts pour licenciement irrégulier et illégitime ;
¿ 350 000 fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
¿ la moyenne mensuelle de sa rémunération étant fixé à 465 560 Fr. Cfp.
Il fait valoir principalement à l'appui de ses demandes que :
- Le tribunal du travail est compétent conformément à la jurisprudence du tribunal des conflits qui considère que les collaborateurs de cabinet sont soumis à un statut de droit privé dans la mesure où la loi de pays No2010-10 en date du 27 juillet 2010 qui prévoit que les collaborateurs d'élus relèvent du droit public ne s'appliquent pas à sa situation du fait qu'il a été recruté antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte (article 2) ;
- Son licenciement est abusif car motivé par des considérations d'ordre politique suite au conflit opposant le parti RUMP au groupe " Calédonie Ensemble " et le motif de perte de confiance invoquée dans la lettre de licenciement ne peut constituer un motif légitime de licenciement en l'absence d'élément objectif relatif à cette perte de confiance ;
- Il résulte des termes de la lettre de convocation que la Province Sud avait l'intention de le licencier avant la tenue de l'entretien préalable, ce qui rend la procédure irrégulière ;
- Il a subi un préjudice important du fait des circonstances brutales de son licenciement et du fait qu'il n'a retrouvé qu'en avril 2011 un poste de collaborateur au Congrès, précaire et moins bien rémunéré, alors qu'il a à sa charge cinq enfants.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
Sur la compétence du tribunal du travail
En application des dispositions des articles Lp 111-1 à Lp 111-3 du code du travail de Nouvelle Calédonie dans leur rédaction applicable à la date des faits, celui-ci est applicable « à tous les salariés de Nouvelle-Calédonie et aux personnes qui les emploient » à l'exception des « personnes relevant d'un statut de fonction publique ou d'un statut de droit public » et aux emplois limitativement énumérés par l'article Lp 111-3.
Il en résulte que les litiges concernant les agents contractuels des personnes publiques qui ne relèvent pas « d'un statut de fonction publique ou d'un statut de droit public », même si leur situation est régie par une réglementation spécifique, relèvent de la compétence judiciaire.
Le tribunal des conflits saisi du cas d'un collaborateur de cabinet a, par décision du 17 décembre 2007, jugé que celui-ci n'appartenait à aucun corps de la fonction publique et n'avait pas le statut de droit public.
En tout état de cause, la Province Sud ne peut utilement se prévaloir de la délibération No10-99/ APS du 15 juin 2009 qui se borne à rendre applicable aux collaborateurs de la Province Sud les dispositions de la délibération no100/ CPdu 20 septembre 1996 alors que celle-ci a été déclarée illégale par le tribunal administratif « en tant qu'elle prévoit que les collaborateurs de cabinet sont soumis à un statut de droit public » (TA Nouvelle Calédonie 20 mars 2008).
Par ailleurs M. X... a été recruté antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du pays No2010-10 en date du 27 juillet 2010 qui prévoit que les collaborateurs d'élus relèvent du droit public.
Il en résulte que les relations contractuelles entre les parties s'analysent en un contrat de travail soumis aux règles de droit commun du code du travail de Nouvelle Calédonie et que c'est à juste titre que le tribunal du travail de Nouméa a retenu sa compétence.
Sur la régularité de la procédure de licenciement.
Il résulte des dispositions de l'art. Lp 122-4 du code du travail que l'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge et que cette lettre indique l'objet de la convocation.
Le seul fait que la lettre du 16 novembre 2010 portant en « objet : convocation à un entretien préalable » mentionne en préambule « je vous informe que j'ai décidé de mettre fin à vos fonctions de collaborateur de cabinet pour perte de confiance » a pour seule finalité d'informer précisément le destinataire de l'objet de cet entretien et ne constitue pas la démonstration de l'inanité de la procédure de licenciement, la rupture ayant été notifiée par courrier du 22 décembre 2010, soit un mois plus tard.
Il y a lieu en conséquence d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la procédure irrégulière.
Sur le motif de rupture.
L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail est tenu d'énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige.
Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif.
La perte de confiance ne peut constituer un motif de licenciement que tout autant qu'elle est motivée par des comportements objectivés et susceptibles de constituer eux-même une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l'espèce aucun élément objectif de nature à étayer la perte de confiance invoquée n'est exposé dans la lettre de licenciement.
Au surplus la Province Sud n'explique pas en quoi le fait que l'intimé exerçait au vu de tous ses fonctions de " chargé de mission " non auprès du deuxième vice président mais du groupe d'élus " Calédonie ensemble " caractérise un acte de « déloyauté » entraînant la « perte de confiance » alléguée.
Le jugement déféré doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement dénué de motif.
Sur les demandes indemnitaires
Par application des dispositions de l'article Lp 122-35 du code du travail de Nouvelle Calédonie, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois lorsque l'ancienneté du salarié est supérieure à deux ans.
Compte tenu de l'ancienneté du salarié, des circonstances de la rupture et du fait que M. X... a retrouvé un travail, moins rémunéré, au mois d'avril 2011 seulement, l'évaluation faite par le premier juge de son préjudice doit être confirmée.
Les sommes allouées au titre du préavis n'étant contestées ni dans leurs principes ni dans leur montant il convient de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré.
PAR CES MOTIFS
La cour ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 décembre 2012 par le tribunal du travail de Nouméa ;
Condamne la province Sud à payer à l'intimé deux cent mille (200 000) Fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.
Le greffier, Le président.