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31/10/2013 | FRANCE | N°12/00310

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 31 octobre 2013, 12/00310


COUR D'APPEL DE NOUMÉA

55

Arrêt du 31 Octobre 2013

Chambre sociale

Numéro R.G. :

12/310

Décision déférée à la cour :

rendue le : 10 Juillet 2012

par le : Tribunal du travail de NOUMEA

RG No : 10/143

Saisine de la cour : 06 Août 2012

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANTE

LA SARL AUTOTEC, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Dont le siège social est sis 29 route de la Baie des Dames - ZI du DUCOES - BP. 7296 - 98801 NOUMEA CEDEX

représentée par la SELARL DESCOM

BES et SALANS, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. Bruno X...

né le 28 Juillet 1963 à MALO-LES-BAINS (59240)

demeurant 75 rue des Bengalis - PLUM...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

55

Arrêt du 31 Octobre 2013

Chambre sociale

Numéro R.G. :

12/310

Décision déférée à la cour :

rendue le : 10 Juillet 2012

par le : Tribunal du travail de NOUMEA

RG No : 10/143

Saisine de la cour : 06 Août 2012

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANTE

LA SARL AUTOTEC, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Dont le siège social est sis 29 route de la Baie des Dames - ZI du DUCOES - BP. 7296 - 98801 NOUMEA CEDEX

représentée par la SELARL DESCOMBES et SALANS, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. Bruno X...

né le 28 Juillet 1963 à MALO-LES-BAINS (59240)

demeurant 75 rue des Bengalis - PLUM - BP. 5340 - 98875 PLUM - MONT DORE

représenté par Me Patrick ARNON, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANTE

La Caisse de Compensation des Prestations Familiales, des Accidents du Travail et de Prévoyance des Travailleurs de la Nouvelle-Calédonie, dite C.A.F.A.T, représentée par son Directeur en exercice

Dont le siège est sis 4 rue du Général Mangin - BP. L5 - 98849 NOUMEA CEDEX

Concluante

La Caisse de Retraite pour la France et l'Extérieur, dite C.R.E (dont la délégation en Nouvelle-Calédonie est au 23 Quai Jules Ferry - BP. 550 - 98845 Nouméa Cedex)

Dont le siège est sis 4 rue du Colonel Driant - 75040 PARIS CEDEX O1

Non concluant

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Octobre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président,

M. Christian MESIERE, Conseiller,

M. Régis LAFARGUE, Conseiller,

qui en ont délibéré,

M. Christian MESIERE, Conseiller, ayant présenté son rapport.

Greffier lors des débats: Mme Mikaela NIUMELE

ARRÊT : réputé contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par M. Stephan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE

Par un jugement rendu le 10 juillet 2012 auquel il est renvoyé pour l'exposé de l'objet du litige, le rappel des faits et de la procédure, les prétentions et les moyens des parties, le Tribunal du Travail de NOUMEA, statuant sur les demandes formées par Bruno X... à l'encontre de la Sarl. AUTOTEC, en présence de la CAFAT et de la CRE, aux fins d'obtenir :

* la reconnaissance d'un contrat de travail à compter du 05 janvier 2009,

* d'entendre dire que la rupture du contrat notifiée le 30 avril 2010 s'analyse comme un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* le paiement des sommes suivantes :

- 1 984 488 FCFP à titre de dommages-intérêts,

- 349 830 FCFP au titre des congés payés,

- 330 748 FCFP au titre du préavis,

- 33 074 FCFP au titre des congés payés sur préavis,

- 82 687 FCFP au titre des rappels de salaires,

- 315 000 FCFP au titre des frais irrépétibles,

* la régularisation de sa situation auprès de la CAFAT et de la CRE en ce qui concerne sa retraite et les cotisations sur la base de l'assiette d'un montant de 3 638 000 FCFP,

* la remise des bulletins de salaires rectifiés et le certificat de travail régularisé sur la période du 05 janvier 2009 au 31 avril 2010,

* le bénéfice de l'exécution provisoire,

a :

* dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes (SIC),

* dit que M. Bruno X... est lié à la société AUTOTEC par un contrat de travail,

* dit que M. Bruno X... a fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* condamné la société AUTOTEC à lui payer les sommes suivantes :

- 82 687 FCFP au titre du rappel de salaire,

- 330 748 FCFP au titre du préavis,

- 33 074 FCFP au titre des congés payés y afférents,

- 349 830 FCFP au titre du solde congés-payés,

- 1 100 000 FCFP au titre de l'indemnité pour licenciement abusif ,

- 130 000 FCFP, au titre des frais irrépétibles,

* fixé à 333 748 FCFP la moyenne des trois derniers mois de salaire,

* rappelé que l'exécution provisoire est de droit sur les créances salariales dans les limites prévues à l'article 886-2 du Code de Procédure Civile de la Nouvelle-Calédonie,

* ordonné l'exécution provisoire de la présente décision à hauteur de 50 % en ce qui concerne les dommages-intérêts alloués,

* condamné la société AUTOTEC à lui remettre les bulletins de salaire rectifiés et un certificat de travail tenant compte de la présente décision et à régulariser sa situation auprès des organismes sociaux dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la décision,

* déclaré le jugement opposable à la CAFAT et la CRE,

* débouté les parties de toutes leurs autres demandes.

Le jugement a été notifié le jour même par le greffe. La CAFAT a reçu cette notification le 10 juillet 2012, la CRE le 11 juillet 2012 et la sarl. AUTOTEC le 17 juillet 2012.

La lettre recommandée adressée à M. Bruno X... a été retournée avec la mention : "BP résiliée F/S domicile".

PROCEDURE D'APPEL

Par une requête reçue au greffe de la Cour le 06 août 2012, la société AUTOTEC a déclaré relever appel de cette décision.

Dans son mémoire ampliatif d'appel et ses conclusions postérieures, elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la Cour:

* de débouter M. X... de l'intégralité de ses demandes,

* de le condamner à lui payer la somme de 200 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir pour l'essentiel :

- qu'elle exploite un garage situé à Ducos,

- qu'elle est spécialisée dans le diagnostic et la réparation automobile pour les particuliers et les entreprises,

- qu'elle a employé M. X... en vertu d'un contrat à durée indéterminée du 05 janvier 2009 en qualité de réceptionnaire, chef d'équipe Niveau III Echelon 3 moyennant une rémunération brute mensuelle de 210 000 FCFP outre trois types d'indemnités (transport : 10 000 FCFP, panier : 10 000 FCFP et salisure : 6 000 FCFP),

- qu'un avenant au contrat de travail a été signé le 06 mars 2009 modifiant les conditions de la rémunération de M. X... jusqu'à ce qu'il envisage ses relations de travail avec elle dans d'autres conditions,

- qu'il s'est immatriculé en qualité de travailleur indépendant sous le numéro 953.919 à compter du 29 mai 2009 pour l'exercice d'une activité de mécanique automobile,

- qu'en cette qualité, il a effectué des prestations de service à compter du mois de juin 2009,

- qu'en parallèle, M. X..., travailleur indépendant effectuait des prestations pour d'autres clients,

- qu'elle n'avait qu'un seul salarié, M. Alain Y...,

- qu'elle ne disposait pas de stock de pièces, achetant les pièces nécessaires au groupe BNS, auquel elle appartient, au coup par coup pour effectuer les réparations,

- que ces dans ces circonstances qu'elle a travaillé avec plusieurs entrepreneurs individuels patentés en la personne de M. Artiom Z..., M. Bruno X... et M. Yohan A...,

- qu'ayant constaté de graves anomalies dans le mode de fonctionnement de M. X..., elle a décidé de mettre fin à leurs relations contractuelles le 30 avril 2010,

- que les manquements à la loyauté contractuelle concernent :

* l'établissement d'une facturation peu en rapport avec le volume réel de travail,

* l'émission de factures correspondant à des prestations non accomplies,

* la demande de commande de pièces utilisées dans le cadre de prestations personnelles,

- qu'elle a fait l'objet d'un contrôle de la part de la CAFAT, semble-t-il sur dénonciation, concernant la situation de deux patentés dont le contrat venait de prendre fin,

- qu'elle a déposé une plainte pour des faits d'escroquerie et d'abus de confiance et renouvelle sa demande de sursis à statuer en application des dispositions de l'article 4 du Code de procédure pénale,

- qu'au fond, elle conclut à l'absence de lien de subordination,

- qu'il appartient à M. X... d'établir le caractère fictif de la situation "non salariale" du prestataire intervenant pour son compte,

- qu'une juridiction ne peut requalifier une relation commerciale en relation salariale sans caractériser les éléments de preuve établissant l'existence de directives et d'instructions précises,

- qu'en l'espèce, le demandeur n'a produit aucune pièce probante,

- qu'il n'avait aucune obligation de respecter des horaires de travail,

- qu'enfin, l'avis de régularisation CAFAT et la contrainte qui a suivi ont fait l'objet d'une opposition devant le Tribunal du Travail,

- qu'en outre, elle disposait d'une cause réelle et sérieuse de licenciement de M. X..., en l'espèce les graves anomalies qui ont fait apparaître un dysfonctionnement relatif à la procédure normale devant être appliquée lors de la prise en charge d'un client : ordres de réparation supprimés ou imputés d'un client vers un autre, réparations non comptabilisées, impossibilité de rapprocher les heures produites avec les heures facturées, même chose avec les pièces achetées et les pièces facturées, chute des remises d'espèces en banque etc...

Par conclusions datées du 07 janvier 2013, la CAFAT demande à la Cour de déclarer irrecevable l'appel formé par la société AUTOTEC et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.

Elle fait valoir pour l'essentiel :

- qu'au mois de mai 2010, M. X... a saisi son service contrôle afin de requalifier sa situation au sein de la société AUTOTEC en salariat,

- que l'agent de contrôle a conclu que le statut de patenté était infondé au regard des conditions de travail de l'intéressé et que celui-ci aurait dû être affilié au régime général de la CAFAT,

- que le 09 septembre 2010, elle a émis un avis de régularisation,

- que le 25 janvier 2011, elle a émis une contrainte qui a été frappée d'opposition,

- que par un jugement du 30 octobre 2012, le Tribunal du Travail a validé la contrainte, reconnaissant ainsi l'existence d'un lien de subordination entre M. X... et la société AUTOTEC,

- qu'en ce qui concerne la demande de sursis à statuer elle relève que l'action publique n'a pas été mise en mouvement,

- que s'agissant de l'existence du lien de subordination, elle rappelle que les constatations matérielles effectuées par les agents de contrôle, à l'occasion de leurs vérifications et relevées dans leur avis de régularisation font foi jusqu'à preuve contraire,

- qu'il appartient donc à l'appelante d'apporter des éléments permettant de réfuter l'existence de ce lien de subordination,

- qu'en l'espèce, aucun contrat de sous traitance n'a été conclu entre les parties,

- que M. X... percevait une rémunération non liée à sa productivité, fixée unilatéralement par l'employeur et versée de manière hebdomadaire,

- qu'il ne détenait pas sa propre clientèle,

- que ses horaires étaient imposés,

- qu'il travaillait pour le compte de la société AUTOTEC, dans les locaux de celle-ci et sous ses ordres dans le cadre d'un service organisé.

Par conclusions datées du 25 janvier 2013, M. Bruno X... sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a reconnu l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée, dit qu'il a fait l'objet d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, fixé son salaire mensuel à la somme de 330 748 FCFP et condamné la société AUTOTEC à lui payer les salaires et accessoires des salaires.

Il forme un appel incident et demande à la Cour :

* de fixer l'indemnité de rupture du contrat et le préjudice subi sur la base de six mois de rémunération, soit la somme de 1 984 488 FCFP,

* de dire que les sommes dues porteront intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2010, date de la saisine du Tribunal,

* de condamner la société AUTOTEC :

- à lui délivrer un certificat de travail régularisé,

- à lui délivrer un bulletin de salaire rectificatif,

- à régulariser le paiement des charges patronales et salariales auprès de la CAFAT et de la CRE,

le tout dans un délai de dix jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous peine d'astreinte non comminatoire et définitive de 50 000 FCFP par jour de retard pendant soixante jours, passé lequel délai il pourra être statué à nouveau,

* de condamner la société AUTOTEC à lui payer la somme de 315 000 FCFP au titre des frais irrépétibles de la procédure d'appel,

* de dire l'arrêt à intervenir commun et opposable à la CAFAT et à la CRE.

Il fait valoir pour l'essentiel :

- qu'il a été recruté par la société AUTOTEC en qualité de mécanicien automobile, engagement formalisé par un contrat écrit du 05 janvier 2009,

- que le 22 mai 2009, la société AUTOTEC lui a imposé le marché suivant : menace de licenciement au motif que son emploi lui revenait trop cher, soit continuer à travailler avec le statut de travailleur indépendant patenté, sa rémunération prenant la forme de travaux facturés,

- que manquant de connaissances juridiques et placé en situation de contrainte, il n'a pas eu d' alternative et a souscrit le 29 mai 2009 une patente de "mécanique automobile",

- qu'il a continué à travailler strictement dans les mêmes conditions à savoir :

* horaires de travail = horaires AUTOTEC,

* lieu de travail = locaux AUTOTEC,

* matériel = utilisation du matériel AUTOTEC,

* exclusivité de service = AUTOTEC unique client, interdiction d'effectuer d'autres travaux que ceux de la clientèle AUTOTEC,

- que sa rémunération s'effectuait par le paiement de factures dont la société lui imposait le montant (330 748 FCFP/mois) et la fréquence, d'abord bimensuelle puis hebdomadaire (82 687 FCFP/semaine),

- que le 30 avril 2010, la société AUTOTEC a brutalement mis fin à son activité de patenté au moyen d'un courrier remis par huissier, se fondant sur une rentabilité insuffisante et une suspicion de fraude,

- que c'est dans ces conditions qu'il a saisi le Tribunal du travail,

- qu'à ce jour ,malgré l'exécution provisoire, la société AUTOTEC n'a réglé aucune somme,

- que la société AUTOTEC a fit travailler trois personnes sous un faux statut de patenté : M. Z..., M. A... et lui-même,

- que la Cour dispose de tous les éléments pour le rétablir dans ses droits, requalifier la relation en contrat de travail avec toutes conséquences de droit,

- que le paiement de l'indemnisation sollicitée repose sur le caractère brutal, vexatoire et frauduleux de son licenciement, dont il est résulté un préjudice matériel et moral très important,

- qu'en application des dispositions de l'article LP. 122-35 du Code du travail, ladite indemnité ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ;

Par un courrier enregistré le 15 mai 2013, la CAFAT a versé aux débats l'avis de régularisation.

La CRE n'a pas constitué avocat ni déposé de conclusions.

L'ordonnance de fixation de la date d'audience a été rendue le 29 mai 2013.

MOTIFS DE LA DECISION :

1) Sur la recevabilité des appels :

Attendu que l'appel principal et l'appel incident, formés dans les délais légaux, doivent être déclarés recevables ;

2) Sur la demande de sursis à statuer :

Attendu que la société AUTOTEC fait valoir qu'elle a relevé de graves anomalies dans le comportement professionnel de M. X..., ce qui l'amenée à mettre fin à leurs relations contractuelles le 30 avril 2010 ;

Qu'elle lui reproche d'avoir commis divers manquements à la loyauté contractuelle et notamment la production de factures "gonflées" ou fictives, ainsi que la commande de pièces par l'intermédiaire de l'entreprise mais utilisées dans le cadre de prestations personnelles, soit en dehors de l'entreprise ;

Qu'elle précise avoir déposé une plainte à son encontre visant des faits d'escroquerie et d'abus de confiance, ce qui justifie sa demande de sursis à statuer fondée sur les dispositions de l'article 4 du Code de procédure pénale ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction prévue par l'article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l'action publique ;

Qu'il est toutefois sursis à cette action tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement ;

Qu'en première instance, la société AUTOTEC a versé aux débats une copie de la plainte adressée le 29 septembre 2010 à madame le Procureur de la République;

Qu'elle a de nouveau déposé ce document en cause d'appel ;

Que ladite plainte vise des faits qui auraient été commis au cours des années 2009 et 2010 (avant le 30 avril) ;

Que force est de constater que la société AUTOTEC ne justifie nullement de la mise en mouvement de l'action publique, soit du fait du Parquet de NOUMEA, soit à défaut, par le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des magistrats instructeurs ;

Que dès lors, c'est par une juste appréciation du fait et du droit que le premier juge a rejeté cette demande de sursis à statuer ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

3) Sur les demandes présentées par M. Bruno X... :

A) Sur l'existence d'un contrat de travail :

Attendu que l'existence d'un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité ;

Qu'il y a contrat de travail lorsqu'une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la subordination d'une autre, moyennant rémunération ;

Que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;

Que le pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur s'apprécie selon la nature de la profession exercée ;

Que le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail ;

Attendu qu'il résulte des débats et des pièces versées que M. X... a été embauché par la société AUTOTEC, qui exploite un garage automobile dans la zone industrielle de DUCOS, le 05 janvier 2009 en qualité de "réceptionnaire/chef d'équipe", moyennant un salaire brut mensuel de 210 000 FCFP, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée ;

Que la société AUTOTEC fait valoir qu'un avenant au contrat de travail a été signé le 06 mars 2009 "modifiant les conditions de la rémunération de M. X... jusqu'à ce qu'il envisage ses relations de travail avec elle dans d'autres conditions", que le 29 mai 2009 l'intéressé a été immatriculé au Registre des Métiers en qualité de travailleur indépendant pour exercer une activité de mécanique automobile et que c'est donc en cette qualité qu'il a par la suite effectué des prestations de service pour son compte ;

Que force est de constater que la société AUTOTEC n'a pas versé cet avenant aux débats en première instance, pas plus qu'en cause d'appel ;

Qu'il convient de rappeler que le contrat de travail sans détermination de durée ne peut être rompu qu'en raison de la démission du salarié ou de la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement;

Qu'en l'espèce, le dossier ne contient ni l'une ni l'autre ;

Que de même, la société AUTOTEC n'a pas produit le contrat de sous-traitance qui, selon elle, régissait ses rapports avec M. X... ;

Attendu qu'il est en outre établi qu'à la même période, à savoir à compter du mois de juin 2009, la société AUTOTEC a fait appel à deux autres personnes, travaillant officiellement pour son compte en qualité de travailleurs indépendants, MM. Yohan A... et Artiom Z... ;

Que les opérations de contrôle, effectuées par l'organisme social, la CAFAT, ont permis d'établir que les intéressés :

- exerçaient leurs activités dans la cadre d'un service organisé de manière unilatérale par la société AUTOTEC,

- travaillaient dans les locaux de la société AUTOTEC et selon des horaires imposés par celle-ci,

- ne détenaient pas leur propre clientèle,

- n'étaient pas liés par un contrat de sous-traitance,

- percevaient une rémunération non liée à leur productivité mais fixée unilatéralement par la société AUTOTEC tant en ce qui concerne son montant que sa périodicité (hebdomadaire) ;

Attendu qu'il ressort par ailleurs des pièces communiquées et des débats que M. X... :

¿ travaillait dans les mêmes conditions et effectuait les mêmes taches que M. Y..., titulaire d'un contrat de travail, dans les locaux de la société AUTOTEC,

¿ devait se conformer aux mêmes horaires (07 heures le matin et 17 heures le soir), effectuait 39 heures par semaine, utilisait l'ensemble du matériel fourni par la société AUTOTEC (ordinateur, outillage),

¿ n'avait pas d'autre client que cette société ;

¿ avait une rémunération forfaitaire ;

Attendu qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, c'est par des motifs pertinents que la Cour entend adopter, que le premier juge a exactement retenu que M. X... travaillait sous la subordination de la société AUTOTEC dans le cadre d'un contrat de travail au sein d'un service organisé et qu'il a requalifié en ce sens la relation contractuelle des parties ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur ce point ;

B) Sur la rupture du contrat de travail :

Attendu que les parties étant liées par un contrat de travail, il appartenait à l'employeur de mettre en place la procédure de licenciement et notamment de convoquer le salarié à un entretien préalable de licenciement et de lui notifier par lettre recommandée ou par huissier de justice les motifs de la rupture ;

Que le défaut de convocation à l'entretien préalable rend la procédure irrégulière mais ne prive pas de cause le licenciement ;

Qu'il convient donc d'examiner si les faits reprochés au requérant dans la lettre de rupture, qui fixe les limites du litige ;

Attendu que la lettre du 30 avril 2010 reproche au requérant les faits suivants qu'elle qualifie d'une extrême gravité, à savoir :

- la facturation de très nombreuses heures de travail qui n'auraient pas été accomplies au profit d'AUTOTEC mais pour son compte personnel,

- l'achat de pièces par AUTOTEC utilisées pour des prestations facturées directement à son profit,

Attendu qu'en invoquant des faits "d'une extrême gravité" ayant causé "un préjudice considérable" et en dispensant le requérant de l'exécution d'un préavis, qui ne lui a pas été payé, la société AUTOTEC s'est placée sur le terrain disciplinaire de la faute grave ;

Que dans ces conditions, elle doit rapporter la preuve de l'existence des fautes alléguées, le doute profitant au salarié ;

sur la facturation abusive :

Attendu qu'il résulte des factures produites aux débats que M. X... était rémunéré sur la base d'un forfait hebdomadaire fixé par l'employeur dont le montant ne variait pas en fonction de l'activité du salarié, celui ci devant se conformer à des horaires journaliers constants (07 h/11 h 30 et 13 h/17 h (16 h le samedi),

Qu'il appartient donc à l'employeur d'établir que le prix des travaux qu'il effectuait n'était pas encaissé par la société AUTOTEC mais par lui ou qu'il ne travaillait pas en contrepartie de la rémunération versée ;

Qu'en l'état du dossier aucune des pièces de la procédure ne permet de l'établir, alors que par ailleurs il n'était pas chargé de la facturation, ni de la comptabilité et de l'achat de pièces,

Que les pièces de comptabilité (non certifiées au demeurant) et les notes d'honoraires produites à l'appui de la plainte pénale sont insuffisantes pour établir un quelconque détournement de la part du salarié,

Que la baisse de la rentabilité de l'entreprise n'est pas suffisante pour rapporter la preuve qu'elle a été causée par des manoeuvres frauduleuses imputables à M. X...,

Qu'il n'est produit aucune attestation de client susceptible d'établir que des espèces auraient été exigées, ni aucune liste de chèques qui auraient été encaissés par le salarié et non par la société AUTOTEC,

Que dès lors ce grief ne peut être retenu à son encontre ;

sur l'utilisation de pièces détachées à des fins personnelles :

Attendu qu'aucun élément n'est produit à l'appui de ce grief si ce n'est un listing intitulé "évenements du logiciel de gestion et de facturation d'atelier" provenant de l'employeur sans explication précise et qui n'a donc aucune valeur probante ;

Que dès lors ce grief ne peut être retenu à l'encontre du salarié ;

Attendu qu'en l'absence de faute qui lui soit imputable le premier juge a exactement retenu que le salarié avait fait l'objet d'un licenciement abusif ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur ce point également ;

C) Sur l'indemnisation :

Attendu qu'il résulte des développements qui précèdent, que M. X... a travaillé pour le compte de la société AUTOTEC, en qualité de mécanicien/chef d'équipe, durant une période comprise entre le 05 janvier 2009 et le 30 avril 2010;

Qu'il avait donc une ancienneté dans l'entreprise inférieure à deux années ;

Qu'aux termes des dispositions prévues par le dernier alinéa de l'article Lp. 122-35 du Code du travail l'indemnisation du préjudice engendré par le licenciement abusif n'est donc pas soumise à un minimum imposé ;

Attendu que sur la base d'un salaire mensuel brut fixé à 330 748 FCFP, de son ancienneté au sein de l'entreprise (16 mois) et de l'âge de l'intéressé (42 ans) et compte tenu des circonstances de la rupture, c'est par une juste appréciation du fait et du droit que le premier juge a accordé à M. Bruno X... les sommes suivantes :

* 333 748 FCFP au titre du préavis (un mois),

* 82 687 FCFP au titre du rappel de salaires pour la période du 25 au 30 avril 2010,

* 33 074 FCFP au titre des congés-payés sur préavis,

* 349 830 FCFP au titre du solde des congés-payés,

* 1 100 000 FCFP à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement abusif ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris sur ce point également , ce qui revient à le confirmer en toutes ses dispositions ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant par arrêt contradictoire déposé au greffe ;

Déclare l'appel principal et l'appel incident recevables en la forme ;

Confirme le jugement rendu le 10 juillet 2012 par le Tribunal du Travail de NOUMEA en toutes ses dispositions ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires comme mal fondées ;

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, condamne la société AUTOTEC à payer à M. Bruno X... la somme de deux cent mille (200 000) FCFP ;

Dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens ;

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/00310
Date de la décision : 31/10/2013
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2013-10-31;12.00310 ?
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