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31/10/2013 | FRANCE | N°11/00275

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Chambre sociale, 31 octobre 2013, 11/00275


COUR D'APPEL DE NOUMÉA
54
Arrêt du 31 Octobre 2013

Chambre sociale

Numéro R. G. :
11/ 275

Décision déférée à la cour :
rendue le : 06 Mai 2011
par le : Tribunal du travail de NOUMEA
No RG : TPI : F 10/ 26

Saisine de la cour : 23 Mai 2011

APPELANTE

LA SARL COLAS, prise en la personne de son représentant légal
Dont le siège social est sis 16 Avenue Baie de Koutio-DUCOS Ve ZI
BP. 3410-98846 NOUMEA CEDEX

représentée par la SELARL JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. Moha

med X...
né le 19 Février 1939 à BOURAIL (98870)
demeurant ...

représenté par la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA

A...

COUR D'APPEL DE NOUMÉA
54
Arrêt du 31 Octobre 2013

Chambre sociale

Numéro R. G. :
11/ 275

Décision déférée à la cour :
rendue le : 06 Mai 2011
par le : Tribunal du travail de NOUMEA
No RG : TPI : F 10/ 26

Saisine de la cour : 23 Mai 2011

APPELANTE

LA SARL COLAS, prise en la personne de son représentant légal
Dont le siège social est sis 16 Avenue Baie de Koutio-DUCOS Ve ZI
BP. 3410-98846 NOUMEA CEDEX

représentée par la SELARL JURISCAL, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉ

M. Mohamed X...
né le 19 Février 1939 à BOURAIL (98870)
demeurant ...

représenté par la SELARL AGUILA-MORESCO, avocat au barreau de NOUMEA

AUTRE INTERVENANTE

La Caisse de Compensation des Prestations Familiales des Accidents du Travail et de Prévoyance des Travailleurs de la Nouvelle-Calédonie, dite CAFAT, représentée par son Directeur en exercice
Dont le siège est sis 4, rue du Général Mangin-BP. L 5-98849 NOUMEA CEDEX

représentée par la SELARL JEAN-JACQUES DESWARTE, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Octobre 2013, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Yves ROLLAND, Président de Chambre, président,
M. Christian MESIERE, Conseiller,
M. Régis LAFARGUE, Conseiller,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Yves ROLLAND, Président de Chambre,

Greffier lors des débats : Mme Mikaela NIUMELE
ARRÊT : contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par M. Yves ROLLAND, président, et par M. Stephan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

FAITS ET PROCÉDURES ANTERIEURES

En 1977, M. X... a été embauché en qualité de chef d'usine par la Société des Bitumes de Nouvelle Calédonie devenue la société Colas, où il travaillait en qualité de chef d'usine jusqu'à sa mutation comme mécanicien dans un autre service le29 juillet 1990.

Dés 1987 il présentait des problèmes de santé, d'abord une surdité puis de graves problèmes neurologiques.

Le 4 mars 1990 le Dr Guy Y..., chef du service neurologie de l'hôpital Gaston Bourret, indiquait à la Médecine du Travail que M. X... était atteint d'une " polynévrite toxique professionnelle " et sollicitait sa prise en charge en maladie professionnelle, ce que la CAFAT refusait alors.

Sa maladie s'aggravant, M. X... déposait deux demandes de reconnaissance de maladie professionnelle :

- la première, le 2 mars 2006, concernant l'intoxication par inhalation de produits utilisés dans le cadre de son activité ayant eu pour effet une surdité, une absence de goût, d'odorat et de sensations mais également une sensation de froid permanent,
- la seconde, le 5 avril 2006, concernant la polyneuropathie sensito motrice évoluée.

Après la transmission du dossier au Comité Territorial de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CTRMP), la Cafat notifiait à M. X... :

par lettre du 8 décembre 2006 que ce comité avait émis « un avis défavorable concernant la prise en charge de votre maladie au titre de la législation sur les maladies professionnelles pour le motif suivant : avis défavorable pour la prise en charge en maladie professionnelle dans l'état actuel du dossier. Cependant, des examens complémentaires à type de biopsie neuromusculaire et examen en biologie moléculaire pourraient apporter des éléments diagnostics pertinents » ;

par lettre en date du 21 janvier 2008 qu'après un nouvel examen le 22 novembre 2007, ce comité avait émis à nouveau un avis défavorable sur la prise en charge mais cette fois pour le motif suivant : « l'origine professionnelle de la pathologie décrite n'est pas reconnue » ajoutant « cependant, le Dr Z..., médecin spécialiste en neurologie et membre du CTRMP est à votre disposition pour poursuivre des investigations complémentaires ».

M. X... saisissait alors le président du tribunal du travail statuant en référé qui, par ordonnance en date du 29 février 2008, désignait le Dr J... pour procéder à une expertise médicale afin de déterminer notamment l'origine de la maladie.

Après deux examens de M. X... les 22/ 05/ 08 et 16/ 09/ 08 et le rappel de son dossier médical, le Dr J... établissait le16 décembre 2008 un rapport d'expertise concluant que les lésions constatées étaient en relation avec l'activité professionnelle de M. X... et la conséquence d'une exposition aux produits toxiques qu'il utilisait et aux bruits auxquels il était soumis.

Par décision notifiée le 28 juillet 2009 la Cafat notifiait à M. X... que son médecin-conseil, suite aux conclusions de l'expertise judiciaire réalisée par le Dr J...,

reconnaissait le caractère professionnel « de votre affection constatée le 17 octobre 2007 par le Dr A... au titre du tableau des maladies professionnelles no 59 : polynévrite des membres inférieurs et supérieurs liés à une exposition professionnelle à l'hexane » ;
évaluait le taux de son incapacité permanente partielle a 38 %.

C'est dans ces conditions que le 15 décembre 2009 la caisse notifiait à M. X... une rente correspondant à un taux d'incapacité permanente partielle de 38 % à la date de la consolidation, soit le 16 septembre 2008, d'un montant trimestriel de 231   086 F CFP.

Par une requête déposée au greffe le 29 janvier 2010, complétée par des conclusions ultérieures, M. X... a fait convoquer la société Colas NC et la Cafat devant le tribunal du travail aux fins de voir reconnaître l'existence d'une faute inexcusable à l'origine de sa maladie professionnelle et de dire, qu'en conséquence, sa rente sera majorée.

Par jugement rendu le 6 mai 2011 le tribunal du travail de Nouméa statuait en ces termes :

« DÉCLARE que M. X... est atteint d'une maladie professionnelle et que la société Colas NC a commis une faute inexcusable, de nature à entraîner la majoration de cotisation prévue à l'article 24 du décret no 57-245 du 24 février 1957 ;

DIT que la décision de la Cafat lui est opposable ;

RENVOIE les parties à se concerter pour déterminer cette majoration ;

ORDONNE l'exécution provisoire ;

Condamne la société Colas de Nouvelle Calédonie à verser à M. X... la somme de 120 000 F CFP au titre des frais irrépétibles. ».

PROCÉDURE D'APPEL.

Par requête déposée au greffe le 23 mai 2011 la Sarl Colas interjetait appel de cette décision notifiée le 10 mai 2011 et, aux termes de ses écritures, demandait à la cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau de :

juger que l'action de M. X... est prescrite et en conséquence irrecevable,
juger que la maladie n'est pas d'origine professionnelle et en conséquence de le débouter de toutes ses demandes,
subsidiairement, d'ordonner une expertise médicale avec pour mission de déterminer si, compte tenu de ses caractéristiques, la pathologie dont s'est trouvé atteint M. X... est de façon certaine, essentiellement et directement causée par une exposition survenue dans un cadre professionnel ;
juger que la faute inexcusable n'est pas établie et débouter M. X... de toutes ses demandes ;
en tout état de cause juger que les conséquences financières de la maladie professionnelle et de la faute inexcusable devront lui être déclarées inopposables.

M. X... et la Cafat concluaient à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et au débouté de toutes les demandes de la Sarl Colas.

C'est dans ces conditions que par un arrêt avant dire droit rendu le 15 octobre 2012, cette cour jugeait l'appel recevable, confirmait le jugement déféré en ce qu'il avait rejeté l'exception de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, décidait de surseoir à statuer au fond et d'ordonner une mesure d'enquête à l'effet « d'établir les conditions matérielles d'activité de l'usine dans laquelle travaillait M. X... et de préciser les activités de ce dernier en lien avec les risques allégués ».

Cette mesure d'instruction était réalisée les 23 novembre et 12 décembre 2012, chacune des auditions des témoins donnant lieu à l'établissement d'un procès-verbal séparé.

Au vu des résultats de la mesure d'enquête la Sarl Colas, par conclusions récapitulatives reçues au greffe le 1er mars 2013 auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé de ses prétentions et des moyens présentés à leur appui, demande à la cour de juger que :
au principal, la maladie de M. X... n'a pas d'origine professionnelle et en conséquence le débouter de l'ensemble de ses demandes ;
à titre subsidiaire ordonner une expertise médicale avec pour mission confiée à l'expert de déterminer si, compte tenu de ses caractéristiques, la pathologie dont s'est trouvée atteint M. X... est de façon certaine, essentiellement et directement causée par une exposition survenue dans un cadre professionnel ;
la faute inexcusable qui lui est reprochée n'est pas établie et en conséquence débouter M. X... de l'ensemble de ses demandes ;
en tout état de cause, que les conséquences financières de l'éventuelle maladie professionnelle de M. X... et de l'éventuelle faute inexcusable qui lui est reprochée devront lui être déclarée inopposables.

Elle fait valoir principalement à l'appui de ses demandes que :

- La saisine par la Cafat du CTRMP, dans le cadre des dispositions de la délibération no8 du 26 décembre 1958, n'établit pas que la Cafat avait instruit le dossier et admis l'existence d'un lien certain entre les pathologies et l'activité professionnelle,

- Le tribunal ne pouvait donc déduire de la saisine du CTRMP la réalité d'une enquête et d'un lien sans omettre que les avis de cet organisme avaient été par deux fois défavorables et que ce n'est que sur le fondement de l'expertise du Dr J... que la Cafat a reconnu le caractère professionnel des pathologies, alors même que le CTRMP est justement saisi lorsque le caractère professionnel d'une maladie, et donc l'exposition au risque du salarié, est contesté ;

- M. X... n'établit pas que sa mutation de la société SBNC serait due à des raisons de santé et le rapport d'expertise du Dr J... est éminemment contestable dans la mesure où il s'est fondé uniquement sur les dires du salarié et la lettre du Dr Y... pour affirmer la réalité de l'exposition à des produits toxiques ;

- Il ne ressort pas du rapport médical que l'hexane ou la benzine seraient des composants du bitume, ces produits étant généralement utilisée dans l'industrie comme solvants dans des secteurs d'activité ne correspondant pas au sien ;

- Le problème de la toxicité du bitume a fait l'objet d'études scientifiques qui ont exonéré ce produit de tout effet cancérigène ou de toute pathologie grave telles celles de M. X... et le premier juge ne pouvait écarter le document en attestant au motif qu'il émanait de l'USIR alors que ce document ne faisait que procéder à une synthèse des études scientifiques ;

- En tout état de cause, même en considérant que l'usine aurait produit des émulsions de bitume contenant de la benzine-ce qu'elle conteste-M. X... n'a pu être en contact avec elles puisque la fabrication était en circuit fermé et que les salariés n'étaient jamais en contact avec elles ;

- Elle a sollicité un avis médical sur les conclusions de l'expertise judiciaire de septembre 2008 concluant que " dans le cas de M. X... rien ne permet de considérer que l'origine toxique soit déterminante (pas de lien de causalité exclusive, directs et certains). Il serait inéquitable de conclure à la maladie professionnelle sans une étude exhaustive des conséquences de l'utilisation de ces produits et de leur incidence professionnelle dans le cadre des tableau des maladies professionnelles répertoriées à ce jour ", difficulté d'ordre médical justifiant la mise en oeuvre d'une expertise médicale ;

- Elle conteste avoir commis une faute inexcusable dès lors que les travaux auxquels étaient affectés M. X... ne requéraient aucune protection particulière et qu'il s'agissait d'un salarié expérimenté, formé et en mesure de connaître et d'appliquer les consignes ;

- Si par extraordinaire la cour devait confirmer l'origine professionnelle de la maladie et la faute inexcusable, elle devra reconnaître que le principe du contradictoire n'a pas été respecté car la Cafat a reconnu la maladie professionnelle le 28 juillet 2009 en violation flagrante de plusieurs règles essentielles devant présider à l'instruction et à la reconnaissance des maladies professionnelles et notamment sans instruction ni enquête administrative préalable dont l'employeur aurait été avisé.

***

Aux termes de ses conclusions récapitulatives après enquête reçue au greffe le 28 février 2013, écritures auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé de ses prétentions et des moyens présentés à leur appui, M. X... conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, au débouté de l'ensemble des demandes de la société et à sa condamnation à lui payer 400   000 F CFP en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.

Il fait valoir pour l'essentiel que :

- Il résulte de l'enquête qu'il a manipulé dans le cadre de son activité professionnelle pendant 13 ans du bitume contenant de la benzine d'une part, d'autre part du xylène une fois par mois pour analyser la teneur en bitume de l'émulsion fabriquée ;

- Or la benzine est un mélange contenant de l'hexane et ces produits sont responsables de sa polynévrite ;

- L'hypoacousie dont il souffre est due au bruit et à l'ethylbenzene, composant du kerosene qui est ototoxique ;

- Les auditions ont permis d'apprendre que si l'unité de production était en circuit fermé, il était néanmoins exposé directement aux substances toxiques afin de contrôler la qualité de l'émulsion et nettoyer le matériel et l'usine ;

- Les témoins ont confirmé que pour l'exercice de cette activité, la SociétéColas de Nouvelle-Calédonie n'a jamais mis à sa disposition de casque, de gants, de masque adaptés ou de combinaison protectrice mais aussi qu'elle a failli à son obligation de formation à la sécurité en ne lui dispensant aucune formation sur les dangers des produits auxquels il était exposé dans le cadre de son activité et les mesures à prendre pour éviter les risques de maladie ;

- La société Colas de Nouvelle-Calédonie ne pouvait pas ignorer le danger auquel il était exposé pour sa santé et en conséquence a commis une faute inexcusable qui justifie sa demande de majoration de sa rente.

***

Aux termes de ses conclusions reçues au greffe le 12 avril 2013, écritures auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé de ses prétentions et des moyens présentés à leur appui, la Cafat conclut à la confirmation du jugement déféré et demande à la cour qu'il lui soit donné acte de ses réserves et de condamner la SarlColas à lui payer 150   000 F CFP en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie outre les dépens.

Elle confirme qu'un taux d'IPP de 38 % a été reconnu à M. X..., que celui-ci est pris en charge au titre de la législation professionnelle et que dans le cas où le caractère inexcusable de la faute serait reconnue, elle notifiera à la sociétéColas les conséquences quant à la majoration de la rente et la cotisation ATM supplémentaire et en cas de refus saisira le tribunal conformément au décret No57-245.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

Sur le caractère professionnel de la maladie

Aux termes des dispositions de la Délibération No 8 du 26 décembre 1958 relative aux maladies professionnelles et de la délibération No 395/ CP du 19 avril 1995 (modifiée) relative à la reconnaissance des maladies professionnelles, seules dispositions applicables en Nouvelle-Calédonie, est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles figurant sur une liste fixée par arrêté et contractée dans les conditions mentionnées dans ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 25 %.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas qui précèdent, la Cafat doit saisir le Comite territorial de reconnaissance des maladies professionnelles (CTRMP) dont l'avis s'impose à elle.

L'avis du CTRMP est rendu à la cafat qui notifie immédiatement la décision a la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur.

« Si la victime conteste la décision, l'instance de recours est le tribunal du travail ».

Il n'est pas discuté que M. X... souffre de troubles auditifs provoqués par des bruits lésionnels et d'une polynévrite.

Ces deux maladies figurent respectivement aux tableaux 42 et 59 des maladies professionnelles.

En ce qui concerne la surdité, le délai de prise en charge est de 1 an, alors que celui de la polynévrite est de 30 jours, conditions que ne remplit donc pas M. X....

Dés lors pour que les maladies puissent être de nature professionnelle il faut que M. X... rapporte la preuve qu'elles ont été causées par son travail habituel ou que sa maladie est essentiellement et directement causée par le travail, son IPP étant supérieure à 25 %, ce qui n'est pas contesté par la défenderesse,
Les auditions réalisées dans le cadre de la mesure d'enquête organisée par la cour ont mis en lumière que M. X... avait été exposé aux émanations des produits utilisés pour tester la qualité de l'émulsion de bitume (au moyen d'une pipette pour aspirer des échantillons du produit testé) ainsi que pour nettoyer le matériel et les locaux.

C'est ainsi que :

M. B..., adjoint du chef d'usine puis chef d'usine formé par M. X..., indiquait notamment « l'entreprise elle-même ne m'a (pas) donné de formation. Je me souviens que j'avais refusé de faire moi-même certaines manipulations. Je me rappelle en particulier qu'il (M. X...) procédait à un contrôle de la qualité de l'émulsion (du bitume) en aspirant un produit avec une pipette. Moi j'avais refusé.... On utilisait la benzine pour nettoyer les ustensiles, le sol... L'hexane était utilisé pour faire l'analyse de contrôle... Le xylène était également utilisé pour la procédure de contrôle... j'étais en contact direct avec les produits à l'extérieur et à l'intérieur... J'ai été au-dessus du fondoir à bitume comme au-dessus du fondoir à savon... On versait la potasse dans les cuves à cette étape. Dès qu'on ouvrait les cuves d'eau chaude, nous avions des vapeurs. Ensuite, pendant la phase de production, les produits étaient amenés dans l'unité par aspiration. Il y avait encore des contacts directs car il y avait des vannes qui fuyaient. Il y avait des vapeurs et des odeurs constamment... Le départ (de M. X...) est du à ses problèmes de santé. Je me souviens qu'il avait un problème de perception du goût et de sensibilité. Il m'a démontré qu'il pouvait percer sa langue avec une aiguille. Il m'a dit que c'était dû à la procédure de contrôle avec la pipette » ;

M. C..., collègue de travail de l'intimé, mentionne qu'il manipulait « du bitume, du kérosène, de la potasse et deux types de savon... Je me souviens qu'on utilisait un produit liquide pour contrôler la qualité de l'émulsion et je me demande, sans certitude, si ce n'était pas du xylène.... Je me souviens qu'on utilisait le kérosène pour nettoyer le sol de l'usine ainsi que les vannes. De même, pour le nettoyage des instruments de contrôle... » ;

M. D..., qui déclare avoir travaillé avec M. X... à partir de 1988 indique « il travaillait sur la fabrication des produits de bitume. Il travaillait essentiellement à l'intérieur de l'usine mais il avait également à se déplacer à l'extérieur car il y avait des vannes et des points de contrôle... Je ne sais pas exactement quel était le travail qu'effectuait M. X.... Je ne pourrais vous dire à quel moment il était en contact avec des produits toxiques et je pense que compte tenu de l'odeur qui régnait en permanence dans l'usine, il était nécessairement en contact avec ces produits. Je me souviens en particulier du fait qu'il faisait couler de l'émulsion dans un récipient par terre et qu'il y avait de la fumée... J'ai entendu dire qu'il était parti en raison de sa maladie due aux produits...
C'était un système fermé et quand on entrait dans l'usine on ressentait bien les produits utilisés... J'ajoute aussi que l'on utilisait en permanence des produits de nettoyage...

Je voudrais terminer (en disant) que pour moi la sarl Colas ne respectait pas les règles de sécurité aussi bien à l'époque que lorsque je l'ai quitté... » ;

M. E... précise « je ne travaillais pas du tout à l'intérieur... M. X... avait des contacts directs avec les produits au niveau d'une cuve dans laquelle il y avait l'eau, les savons, l'acide, la potasse et le kérosène. Il y avait une trappe de contrôle et il y avait des vapeurs que l'on respirait... Par ailleurs il manipulait du kérosène pour le nettoyage.. » ;

M F..., ouvrier au fondoir puis pupitreur, qui déclare avoir travaillé avec M. X... jusqu'à son départ indique : « le mot Benzine ne me dit rien. On utilisait du kérosène pour le nettoyage ainsi que pour la fabrication. Le mot hexane ne me dit rien. J'ai entendu le mot xylène à propos du laboratoire pour voir si l'émulsion était bonne... ».

Si M. G... indique que les procédés de fabrication actuelle sont semblables aux modes de fabrication antérieure il précise cependant « à ma connaissance des produits composant les émulsions sont toujours les mêmes. Il y en a quelques-uns que nous avons abandonnés » sans toutefois préciser lesquels.

Le fait que la fabrication du bitume se fasse en circuit fermé n'exclut donc pas toute exposition aux risques comme tente de le faire croire la Sarl Colas.

Du reste, il est constant que la Cafat a admis qu'il avait été exposé à des risques toxiques et sonores et les décisions de rejet de prise en charge des 13 et 28 juin 2006 et du 10 juillet 2006 ne sont pas motivées par l'absence d'exposition aux risques toxiques et sonores mais par l'expiration des délais de prise en charge et par l'absence de mention des travaux effectués.

Par ailleurs, il résulte du certificat du Dr H..., médecin du travail en date du 13 avril 1987, que dès cette époque celui-ci avait constaté que M. X... était exposé " à un bruit de fond de 80 dba à peu prés constant " et que, " quand l'homogénéiseur est mis en route le niveau sonore monte à 88/ 90 dba, ce qui représente un risque certain mais l'exposition n'est pas constante ".

En 1990 le Dr Y..., neurologue, affirmait qu'il présentait une polynévrite toxique professionnelle et sollicitait le médecin du travail afin de vérifier si sur le lieu de travail de M. X... se trouvaient des produits toxiques.

Les investigations effectuées alors ont entraîné la mutation de M. X... en juin 1990 chez SNRP en tant que mécanicien. CF lettre de la la SNRPen date du 29 juin faisant état de l'avis du service médical interentreprises (SMIT) selon lettre 126/ 90/ SMI.

Il est révélateur que la défenderesse ne produise aucun des échanges qui ont eu lieu à cette époque entre elle et le SMIT alors qu'il résulte des pièces précitées qu'elle avait été expressément sollicitée pour une mutation motivée par l'état de santé du salarié et qu'elle ne donne aucune explication sur les causes de cette mutation.

Enfin, il résulte de l'expertise judiciaire détaillée, argumentée et complète, que le Dr J... s'est fait remettre de nombreux documents médicaux et scientifiques et notamment les deux avis du CTRMP, lesquels ne peuvent s'analyser comme reconnaissant l'absence d'exposition à des produits toxiques, ainsi que la lettre en date du 26 mars 1990 du Dr Y... suite à la vérification à sa demande par le SMIT des produits utilisés par le requérant (P 7 du rapport), ces investigations établissant que M. X... manipulait les substances suivantes :

du bitume contenant du benzène,
de l'acide chloridrique,
du chlorure de potasse DINORAMS
du xylène et du kérosène.

Ce rapport d'expertise établit sans être contesté sur ce point que M. X... est atteint des lésions suivantes :
une hypoacousie d'apparition brutale en 1986 et qui n'a pas évolué, le déficit constaté en 2007 restant identique en 2009,
des troubles de type polynévrite apparus quelques mois plus tard et qui n'ont cessé de s'aggraver pour constituer aujourd ¿ hui une polyneuropathie axonale sensivomotrice prédominant aux extrémités des membres inférieurs.

Il relève par ailleurs que les personnes exposés au xylene et à l'hexane (contenue dans le benzine auquel M. X... a été exposé) développent des polynévrites qui continuent à évoluer même lorsque le produit toxique a été éliminé ou substitué.

En ce qui concerne l'hypocacousie, il confirme l'avis du Dr I... qui avait examiné M. X... en 2007 selon lequel cette pathologie est la conséquence du bruit et de l'exposition à l'éthylbenzene composant non négligeable du kerosene.

Il conclut que les lésions constatées sont donc en relation avec l'activité professionnelle de M. X... et sont la conséquence d'une exposition à des produits toxiques qu'il utilisait et aux bruits auxquels il était soumis.

L'ensemble de ces éléments constitue un faisceau d'indices graves, précis et concordants permettant de retenir comme l'a fait le premier juge que les lésions constatées chez M. X... ont été essentiellement et directement causées par le travail habituel de la victime.

Les seules affirmations par la société Colas, étayées par des documents techniques sérieux, que d'une part le bitume est un produit non toxique, que d'autre part la polyneuropathie peut avoir des causes multiples dont les plus habituelles sont le diabète et l'éthylisme, sont trop générales et imprécises pour contredire sérieusement les constatations médicales et de fait du dossier.

Le taux d'IPP déterminé par l'expert J... et non discuté étant supérieur à 25 % (38 %), c'est à juste titre que le premier juge a retenu que la maladie dont M. X... est atteint devait être considérée comme de nature professionnelle.

Sur la faute inexcusable
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées du fait des produits fabriqués ou utilisés dans l'entreprise.

Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident ou de la maladie survenue au salarié, il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.

Alors qu'il ressort des éléments qui précèdent que M. X... a été exposé pendant plus d'une douzaine d'années à des produits toxiques et à des bruits de fonds d'une intensité de 80 dba à 88/ 90 dba (lorsque l'homégénéiseur était en marche), les témoins déclarent unanimement qu'ils n'ont jamais reçu la moindre formation sur les risques liés aux produits manipulés, que ce soit l'émulsion de bitume ou les produits de nettoyage, et qu'ils n'avaient à leur disposition aucun matériel de sécurité ou de protection si ce n'est un casque antibruit.

Par ailleurs la défenderesse n'établit pas qu'elle avait mis à la disposition de ses salariés (et notamment de M. X...) de matériels tels que masques et vêtements de protection pour se protéger des produits utilisés ni qu'elle avait donné des instructions pour que des consignes de sécurité soient prises ni dispensé la formation nécessaire pour que soient prises toutes les mesures adéquates afin d'éviter non seulement les accidents mais aussi les maladies.

Il était admis dés les années 1970 que l'utilisation de produits tels que le benzine qui contient de l'hexane (inscrit au tableau des maladies professionnelles en 1973), l'acide hydrochlorique et l'ethylbenzene composant non négligeable du kérosène, étaient des matières dangereuses, notamment lorsqu'elles étaient inhalées ou au contact de la peau.

Il résulte du manuel d'utilisation technologique de 1976 que les appareils de protection respiratoires et les vêtements d'intervention chimique n'étaient préconisées qu'en cas de risque avéré d'accident.

Il se déduit de l'ensemble de ses éléments que l'employeur avait conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires de prévention et de formation pour l'en préserver.

Il a donc commis une faute inexcusable.

Sur l'inopposabilité à l'employeur

La société invoque des dispositions du « code de la sécurité sociale » sans justifier de leur application sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie.

C'est ainsi qu'aucun texte applicable localement ne prévoit le formalisme prévu par les articles L 442-1 et suivants, R. 441-11 et suivants du « code de la sécurité sociale ».

Par ailleurs, l'article 1 de l'arrêté no 58-405 du 29/ 12/ 1958 « fixant les modalités de déclaration de tout accident et de toute maladie professionnelle » dispose qu'en matière de maladie professionnelle la victime doit déclarer la maladie à la Cafat mais ne lui fait pas obligation d'informer son employeur, à la différence de l'accident du travail.

Pour autant, il est constant qu'en l'espèce une enquête a été effectuée par un Cafat auprès de l'employeur et que celui-ci a non seulement été tenu au courant des décisions prises par elle et par le CTRMP, mais a été associé à la mesure d'expertise ordonnée par le tribunal du travail et à l'ensemble de la procédure qui s'en est suivie.

La décision déférée doit en conséquence être confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de la société Colas sur l'inopposabilité à l'employeur des décisions de prise en charge de la maladie de M. X... au titre de la législation sur les maladies professionnelles et sur la faute inexcusable de l'employeur.

PAR CES MOTIFS

La cour ;

Vu l'arrêt rendu le 15 octobre 2012, vidant son avant dire droit ;

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal du travail de Nouméa le 6 mai 2011 ;

Condamne la société appelante à payer à M. X... quatre cent mille (400   000) F CFP en application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 11/00275
Date de la décision : 31/10/2013
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2013-10-31;11.00275 ?
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