COUR D'APPEL DE NOUMÉA Arrêt du 11 Octobre 2012
Chambre Civile Numéro R. G. : 11/ 00531
Décision déférée à la Cour : rendue le : 22 Août 2011 par le : Juge aux affaires familiales de NOUMEA
Saisine de la cour : 21 Octobre 2011
PARTIES DEVANT LA COUR
APPELANT
M. Guy François Gabriel X... né le 25 Août 1967 à HOUAILOU (98816) demeurant...-98800 NOUMEA (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/ 1319 du 03/ 02/ 2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
représenté par Me Séverine BEAUMEL
INTIMÉ
M. Jeanne Tiouké Y... né le 07 Octobre 1966 à TOUHO (98831) demeurant...-98800 NOUMEA (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2010/ 947 du 26/ 11/ 2010 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de NOUMEA)
représenté par Me Magali FRAIGNE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2012, en chambre du conseil, devant la cour composée de : Bertrand DAROLLE, Président de Chambre, président, Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller, Régis LAFARGUE, Conseiller,
et des assesseurs coutumiers : Minel GOWE, aire coutumière de AIJE ARO Abel NAAOUTCHOUE, aire coutumière de PAICI KAMUCI
Régis LAFARGUE, Conseiller, ayant présenté son rapport et la cour et les assesseurs coutumiers ayant délibéré en commun hors la présence du greffier,
Greffier lors des débats : Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :- contradictoire,- prononcé en chambre du conseil, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,- signé par Bertrand DAROLLE, président, et par Cécile KNOCKAERT, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Des relations de M. X... et de Mme Y..., tous deux citoyens de statut coutumier kanak, est né un enfant : Josué, le 31 octobre 2006 à Nouméa, lequel porte le nom de son père.
Le couple s'étant séparé le 22 novembre 2009, l'enfant est demeuré avec le père. Le 29 mars 2010, la mère a saisi la juridiction statuant en matière coutumière d'une demande de fixation de la résidence de l'enfant à son domicile et de condamnation du père à payer une pension alimentaire de 15. 000 F CFP. Par jugement du 06 décembre 2010, le tribunal a :- fixé provisoirement la résidence de l'enfant au domicile du père ;- organisé un droit de visite et d'hébergement classique au profit de la mère ;- et ordonné une mesure d'enquête sociale.
Au vu du rapport d'enquête sociale, qui concluait sur la proposition du père, à l'instauration d'une résidence alternée à raison d'une semaine chez la mère et deux semaines chez le père, précisant que la mère devrait s'organiser et être plus rigoureuse pour assumer sa semaine de garde, M. X... soulignait qu'il avait, pour sa part, respecté ce planning (alors amiable), tandis que la mère de l'enfant s'était montrée inconstante quant au respect du calendrier. Toutefois, il concluait au maintien de ce calendrier. Il sollicitait, en outre, une pension alimentaire au motif qu'il avait l'enfant chez lui le double du temps de la mère, et que celle-ci disposait de revenus supérieurs aux siens.
C'est dans ces condition que, par jugement du 22 août 2011, le tribunal a fixé le calendrier et rejeté la demande de pension alimentaire, sollicitée par le père, au motif que " dans la coutume, il est assez inconcevable que le père demande une pension, pour l'entretien de l'enfant. En effet, il appartient à l'homme de ‘ donner à la femme', car son rôle consiste à pourvoir à la maisonnée, à nourrir la famille ".
PROCÉDURE D'APPEL
Le 21 octobre 2011 M. X... a interjeté appel de cette décision non signifiée, et a conclu à son infirmation, en sollicitant de la cour qu'elle fixe la résidence de l'enfant à son domicile ; qu'elle organise un droit de visite et d'hébergement classique au profit de la mère, et qu'elle condamne celle-ci à lui verser une pension alimentaire de 15. 000 F CFP par mois au titre de sa contribution à l'entretien de l'enfant. Par écritures du 2 janvier 2012, Mme Y... a conclu à la confirmation du jugement attaqué et donc au rejet des fins et conclusions de M. X.... Enfin, par conclusions du 20 mars 2012 M. X... a réitéré ses demandes antérieures.
Les ordonnances de clôture et de fixation de la date d'audience ont été rendues le 31 août 2012.
MOTIFS
Sur la résidence de l'enfant et le droit de visite et d'hébergement
Attendu que le père expose que Josué, âgé de 5 ans, est scolarisé en maternelle ; que la mère persiste dans son manque de rigueur à respecter les accords passés ; qu'ainsi, lors de la semaine du 09 au 15 octobre 2011, elle a frappé l'enfant, lequel a hurlé fort longtemps ; que le père a fait un signalement à l'école et à l'assistante sociale ; que les jeudi 13 et vendredi 14 octobre 2011 l'enfant a manqué les cours, sans motif, à moins que ce ne soit pour cacher les séquelles des coups portés la veille ; que le 15 octobre 2011, à la fin de sa semaine de garde, la mère n'a pas immédiatement rendu l'enfant au père, et ne l'a ramené que le dimanche 16 octobre à 18 heures ;
Attendu que le père ajoute que l'école se plaint de difficultés lors des semaines où l'enfant se trouve chez sa mère ; qu'il se dit fatigué de l'attitude de la mère qui n'en fait qu'à sa tête, et demande à la cour, réformant le jugement, de fixer la résidence de l'enfant au domicile du père, en accordant à la mère un droit de visite et d'hébergement classique ;
Mais attendu que l'enfant vit principalement avec son père (assisté de sa propre mère) dans le même immeuble où la mère a sa résidence ; que l'enquête sociale a montré que les deux parents sont également aptes à s'occuper de l'enfant ; qu'un consensus est ressorti de l'enquête sociale pour que l'enfant demeure une semaine chez sa mère et deux semaines chez son père ; que le tribunal, analysant les capacités respectives des parties, a confirmé la solution amiable à laquelle elles étaient parvenu ;
Que les griefs adressés par le père à la mère ne sont pas suffisamment prouvés et ne sont pas de nature à remettre en cause cette organisation, qui garantit les droits des uns comme des autres en accord avec les principes coutumiers qui loin d'inviter à exclure la mère de la vie de l'enfant, visent, au contraire, à permettre à l'enfant de " naviguer " entre les paternels et les maternels pour demeurer au contact de ces deux entités familiales, afin de " recueillir les paroles des deux clans " ;
Sur la demande de contribution de la mère à l'entretien de l'enfant
Attendu que le père expose que " si la vertu de la juridiction statuant en matière coutumière est de rappeler la coutume, cette dernière doit également s'adapter au contexte actuel des citoyens de statut civil particulier, créant ainsi une jurisprudence évolutive et appropriée " et que " s'il appartient au père de pourvoir à la maisonnée, cela va de soi dans la configuration traditionnelle : la mère ne travaillant pas, étant au foyer et dispensant affection et éducation aux enfants ; qu'en l'occurrence, les parents sont séparés, le père avec lequel l'enfant réside depuis la séparation en novembre 2009, a dû faire venir sa mère chez lui pour l'aider à assumer l'éducation et l'encadrement moral et affectif de Josué " ;
Que le père ajoute qu'il a dû, pour s'occuper de son fils, renoncer à travailler à temps plein, et faire le sacrifice d'une rémunération décente ; qu'au contraire la mère, qui travaille à temps plein, perçoit un salaire de 40. 000 F supérieur au sien ;
Qu'enfin, aux termes du jugement déféré, la mère n'a l'enfant à charge qu'une semaine sur trois, contre deux semaines sur trois pour le père ; qu'il doit en être tenu compte pour aménager le concept du père " pourvoyeur " du foyer, en mettant à charge de la mère une pension alimentaire mensuelle de 15. 000 F CFP au titre de sa contribution à l'entretien de l'enfant ;
Attendu que la mère a conclu au rejet de ces demandes ;
Attendu qu'il convient de rappeler, tout d'abord, que dans la coutume les enfants restent à la charge des parents, jusqu'à ce qu'ils décident de vivre de façon autonome, c'est-à-dire jusqu'au mariage ; que c'est à partir de cet événement qu'ils acquièrent leur indépendance et deviennent responsables (en " devant préparer leur champ ") comme le souligne à bon droit le premier juge ; qu'il en résulte pour les parents une obligation de pourvoir aux besoins de l'enfant, laquelle peut prendre la forme d'une contribution à son entretien, et se concilie parfaitement avec les normes sociales kanak ; que le litige ne porte pas tant sur le droit pour l'enfant d'être protégé, nourri, et éduqué, que sur celui ou celle à qui incombe cette obligation ;
Attendu que, pour déterminer à qui incombe l'obligation d'entretenir l'enfant, il convient de rappeler que dans la coutume l'enfant appartient au clan de la mère tant qu'il n'a pas été donné au clan paternel ; qu'en effet, dans la coutume coexistent deux formes de parenté : d'une part la parenté par le sang qui unit l'enfant à sa mère et au clan utérin, et, d'autre part, une parenté sociale qui unit l'enfant au clan paternel, laquelle dérive de la volonté du clan paternel d'accueillir l'enfant en son sein et de la volonté du clan maternel de donner cet enfant ; que, pour formaliser cette volonté et la rendre publique, le " père social " de l'enfant (qu'il en soit ou non le père biologique importe peu) doit accomplir vis-à-vis de la mère et des frères de celle-ci (en fait à l'égard du clan utérin) le geste pour prendre l'enfant, et lui donner le nom du clan paternel qui enracinera l'enfant dans une terre (en lui conférant de la sorte une autre identité) ; que le lien père-fils s'analyse donc en une parenté sociale et non biologique née de la volonté conjointe du clan maternel de faire un don de vie à un clan paternel qui s'engage en retour à accueillir l'enfant en son sein en lui conférant le nom dont il est le détenteur et un statut social (en ce sens : TPI Nouméa 21 février 2011 (2 décisions) RG no09/ 451 Z... c/ A... et RG no10/ 662 B... c/ C... ; TPI Nouméa 28 novembre 2011, RG no2011/ 811 D... C/ E...) ;
Qu'ainsi, cette parenté sociale résulte d'un accord de volonté, que le premier juge qualifie " d'échange coutumier ", ce que la délibération du 3 avril 1967 (relative à l'état civil des citoyens de statut civil particulier) traduit (certes de façon laconique) en précisant, aux termes de son article 35, que " la reconnaissance de l'enfant naturel ne pourra se faire qu'avec le consentement de celui de ses parents déjà connu " (en principe la mère) ou à défaut " avec le consentement de la personne qui l'a élevé " (c'est-à-dire les parents, frère ou soeur de la mère à qui l'enfant a pu être confié au titre d'une adoption coutumière) ;
Que ces règles de l'état civil traduisent bien la prise en compte des normes autochtones qui posent le principe de l'appartenance de l'enfant nouveau-né au clan maternel (l'enfant ayant alors un père qui est l'oncle utérin), tant que l'enfant ne fait pas l'objet d'un " échange coutumier ",- en fait d'un accord du clan maternel pour donner l'enfant en réponse à la volonté manifestée publiquement et solennellement par le clan paternel, au travers d'un geste coutumier, d'en faire l'un de ses membres en lui donnant le statut social lié à un nom-qui l'enracine dans une terre, et en le rendant partie prenante pour l'avenir du rôle social qui incombe à son nouveau clan (paternel) ;
Attendu, qu'en l'espèce, l'enfant, né le 31 octobre 2006, a été reconnu par le père et porte son nom ; qu'en reconnaissant l'enfant, avec l'accord de la mère, le père signifie que l'enfant appartient au clan paternel ; que cette reconnaissance à l'état civil ne fait que rendre publique une décision coutumière prise par les clans, antérieurement à cette reconnaissance ;
Qu'il en résulte l'obligation pour le clan paternel de protéger, d'éduquer et d'élever l'enfant ; que nulle obligation alimentaire n'incombe au clan maternel (utérin), qui, en revanche, exerce un droit de regard sur la façon dont le clan paternel se comporte et tient son engagement de protéger cette vie que les utérins lui ont donnée ; Qu'ainsi le père ne peut, en principe, solliciter de contribution alimentaire à charge de la mère de l'enfant, d'autant que rien ne lui interdirait de se retourner, d'abord, vers les membres de son propre clan au titre de la solidarité qui lie l'ensemble des membres composant le clan paternel vis-à-vis de l'enfant, et ce tant que l'appartenance de l'enfant au clan paternel ne sera pas remise en cause ;
Qu'ainsi, le principe fondamental qui fonde le lien unissant l'enfant à son père est de nature sociale, le père conférant à l'enfant son statut social, un nom, un ancrage foncier, une lignée d'ancêtres, et une fonction sociale dans le monde coutumier ; que le fait que le père ait nourri et élevé l'enfant, s'agissant d'une parenté sociale et non biologique, fonde ce lien de filiation ; que le fait de demander à d'autres d'assumer l'obligation incombant au clan paternel ne pourrait que fragiliser, voire contredire, le lien père-fils dont se prévaut l'appelant ; que ce dernier en suggérant une évolution de la coutume ne propose rien d'autre que la substitution au droit coutumier des règles du Code civil, la seule perspective offerte étant la transposition pure et simple des principes du Code civil sans fournir la moindre justification à ce qui serait une violation caractérisée de la règle coutumière ;
Qu'au surplus, cette solution reviendrait à méconnaître l'intérêt supérieur de l'enfant, lequel pourrait voir son ancrage dans le clan paternel remis en cause par une décision exonérant le clan paternel de ses obligations en le déliant de ses engagements solennels à l'endroit du clan maternel ;
Qu'au regard des règles coutumières ainsi rappelées, s'avèrent inopérants les arguments, tenant à la disproportion réelle ou supposée des ressources respectives des père et mère, comme à la durée de la présence de l'enfant au domicile du père, ces arguments ne pouvant, en tout état de cause, justifier un quelconque manquement des paternels à l'engagement qu'il ont pris, lors de la cérémonie coutumière, d'entretenir, protéger et éduquer l'enfant qui leur a été donné ;
Que le jugement déféré sera donc intégralement confirmé ;
Sur les dépens
Attendu que chaque partie supportera ses propres dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant, en chambre du conseil, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;
Constate que dans la coutume l'enfant appartient au clan du père, dès lors que le clan maternel le lui a donné, de manière publique et solennelle, à l'occasion d'un geste coutumier ;
Constate que dans la coutume il incombe, en principe, au clan paternel, auquel a été donné l'enfant, l'obligation d'entretenir et élever l'enfant, devenu, par le geste coutumier, un membre à part entière du clan paternel ;
En conséquence,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de contribution à l'entretien de l'enfant formée par le père à l'encontre de la mère de l'enfant ;
Et confirme le jugement déféré pour le surplus ;
Dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens, qui seront recouvrés comme en matière d'aide judiciaire ;
Fixe à quatre (4) unités de valeur le coefficient de base servant à la rémunération de Maître Fraigne, avocat commis au titre de l'aide judiciaire ;
Fixe à quatre (4) unités de valeur le coefficient de base servant à la rémunération de Maître Beaumel, avocat commis au titre de l'aide judiciaire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.