COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 30 Août 2012
Chambre Civile
Numéro R. G. :
11/ 338
Décision déférée à la cour :
rendue le : 06 Juin 2011
par le : Tribunal de première instance de NOUMEA
Saisine de la cour : 27 Juin 2011
PARTIES DEVANT LA COUR
APPELANT
M. Anael X...
né le 10 décembre 1985 à KONE (98860)
demeurant ......98800- NOUMEA
représenté par la SELARL d'avocat Bruno DELBOSC
INTIMÉES
LA SARL SABLIERES DE NEPOUI dite SDN, prise en la personne de son représentant légal Pavillon 7953- NEPOUI-98827- POYA
représentée par la SELARL LOMBARDO
LA COMPAGNIE GAN ASSURANCES, prise en la personne de son représentant légal
30 route de la Baie des Dames-Immeuble LE CENTRE-BP. 7953- DUCOS-98801- NOUMEA CEDEX
représentée par la SELARL BERQUET
La Caisse de Compensation des Prestations Familiales des Accidents du Travail et de Prévoyance des Travailleurs de la Nouvelle-Calédonie et Dépendances, dite CAFAT, prise en la personne de son représentant légal
4 rue du Général Mangin-BP. L5-98849- NOUMEA CEDEX
représentée par la SELARL PELLETIER-FISSELIER-CASIES
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Juillet 2012, en audience publique, devant la cour composée de :
Christian MESIERE, Conseiller, président,
Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller,
François BILLON, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Christian MESIERE, Conseiller, ayant présenté son rapport.
Greffier lors des débats : Corinne LEROUX
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Christian MESIERE, président, et par Mikaela NIUMELE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCEDURE DE PREMIERE INSTANCE
Par un jugement rendu le 06 juin 2011 auquel il est renvoyé pour l'exposé de l'objet du litige, le rappel des faits et de la procédure, les prétentions et les moyens des parties, le Tribunal de Première Instance de NOUMEA, statuant sur les demandes formées par Mr Anael X...à l'encontre de la société Sablières de NEPOUI dite SDN, de la compagnie d'assurances GAN et de la CAFAT, aux fins d'obtenir le paiement des sommes suivantes :
1) préjudices soumis à recours :
* 37. 800. 000 FCFP au titre de l'IPP de 75 % portant sur la paraplégie,
* 40. 000. 000 FCFP au titre du préjudice professionnel,
* 2. 000. 000 FCFP à titre de provision sur le recours à une tierce personne,
2) préjudices personnels :
* 3. 500. 000 FCFP au titre du préjudice esthétique,
* 3. 500. 000 FCFP au titre du " pretium doloris ",
* 10. 000. 000 FCFP au titre du préjudice sexuel,
* 20. 000. 000 FCFP au titre du préjudice d'agrément,
et celle de 300. 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
a :
* au vu des dispositions du Décret 57/ 245 du 24 février 1957,
* constaté que Mr Anael X...a été victime le 17 mai 2006 d'un accident du travail causé par la faute inexcusable de son employeur la société Sablières de NEPOUI dite SDN,
* dit que seule la réglementation d'ordre public résultant du Décret précité lui est applicable en l'absence d'infraction volontaire de l'employeur ou de fait d'un tiers,
* débouté Mr Anael X...de ses demandes,
* débouté les parties des demandes présentées au titre des frais irrépétibles,
* condamné Mr Anael X...aux entiers dépens.
PROCEDURE D'APPEL
Par une requête enregistrée au greffe de la Cour le 27 juin 2011, Mr Anael X...a déclaré relever appel de cette décision, signifiée le 17 juin 2011.
Dans son mémoire d'appel et ses conclusions postérieures, il sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la Cour :
* de statuer ce que de droit sur la question préjudicielle relative à la conformité à la Constitution des dispositions des articles 34 et 35 du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957,
* de dire qu'il est bien fondé à solliciter l'indemnisation selon les règles de droit commun de tous ses chefs de préjudice au regard de la faute inexcusable imputable à la sarl. Sablières de NEPOUI,
* de condamner la sarl. Sablières de NEPOUI, sous la garantie de la compagnie d'assurances GAN, à lui payer les sommes suivantes :
-48. 450. 000 FCFP au titre de l'IPP,
-40. 000. 000 FCFP au titre du préjudice professionnel,
-3. 500. 000 FCFP au titre du préjudice esthétique,
-3. 500. 000 FCFP au titre du " pretium doloris ",
-20. 000. 000 FCFP au titre du préjudice sexuel,
-20. 000. 000 FCFP au titre du préjudice d'établissement,
-30. 000. 000 FCFP au titre du préjudice d'agrément,
assorties des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'action en justice,
* de condamner la sarl. Sablières de NEPOUI, sous la garantie de la compagnie d'assurances GAN, à lui payer une rente annuelle de 574. 181 FCFP, payable à compter de 2008, indexée sur le salaire minimum,
* de condamner la sarl. Sablières de NEPOUI, sous la garantie de la compagnie d'assurances GAN, à lui payer la somme de 500. 000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir pour l'essentiel :
- que les dispositions restrictives du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 sont anticonstitutionnelles, raison pour laquelle une question préjudicielle peut être soulevée,
- que toutefois, le litige peut être tranché sans avoir recours à une telle question,
- qu'il appartiendra à la Cour d'apprécier s'il y a lieu ou non de saisir la juridiction administrative à toutes fins,
- qu'il a été victime d'un accident du travail le 17 mai 2006 pour lequel la faute inexcusable a été reconnue par un jugement définitif du Tribunal du Travail de NOUMEA du 24 juillet 2009,
- que par un autre jugement définitif du 30 novembre 2010, le Tribunal du Travail de NOUMEA a fixé à la somme de 3. 080. 887 FCFP le capital représentatif de la majoration de rente servie par la CAFAT,
- que le Docteur A..., désigné par ordonnance de référé du 29 août 2008 a déposé son rapport le 23 décembre 2008, lequel a été complété ultérieurement sur la fixation définitive du taux d'incapacité permanente partielle,
- que les articles 34 et 35 du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 ont instauré un régime dérogatoire au droit commun en matière d'indemnisation des victimes d'accidents du travail,
- qu'en vertu de ces textes, la victime d'un accident du travail ne dispose pas du droit d'agir à l'encontre de son employeur selon les règles du droit commun, les conséquences dommageables de l'accident étant assumées par la CAFAT sans référence à la notion de faute dans le cadre de la cotisation spécifique réglée par tous les employeurs à ce titre,
- que si elle établit qu'une faute inexcusable imputable à l'employeur est à l'origine de l'accident, la victime bénéficie d'une majoration de la rente versée par la CAFAT, laquelle en récupère le montant sur l'employeur,
- que selon ces dispositions, seule la faute intentionnelle est de nature à ouvrir le droit pour la victime ou ses ayants droit à une indemnisation complète de ses préjudices,
- que les articles L. 451-1 et suivants du Code de la sécurité sociale contiennent des dispositions analogues, à la différence que la faute inexcusable ouvre droit à l'indemnisations de certains chefs de préjudice limitativement énumérés par l'article L. 452-3, la faute intentionnelle ouvrant droit à une indemnisation complète de droit commun,
- que par un arrêt du 07 mai 2010, la Cour de Cassation a transmis au Conseil Constitutionnel une question préjudicielle de constitutionnalité sur ce point,
- que par une décision rendue le 18 juin 2010, le Conseil Constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les dispositions des articles L. 451-1 et L. 452-2 à L. 452-5 du Code de la sécurité sociale sous une réserve énoncée au considérant numéro 18 qui précise :
* 18. Considérant, en outre, qu'indépendamment de cette majoration, la victime ou, en cas de décès, ses ayants droit peuvent, devant la juridiction de sécurité sociale, demander à l'employeur la réparation de certains chefs de préjudice énumérés par l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale ; qu'en présence d'une faute inexcusable de l'employeur, les dispositions de ce texte ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale,
- que la réserve d'interprétation ainsi émise par le Conseil Constitutionnel est fondée sur des règles visées au paragraphe 10 de la décision, à savoir les articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 et le principe de la responsabilité civile édicté par l'article 1382 du Code civil,
- qu'il s'ensuit que les dispositions prévues par les articles 34 et 35 du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 sont contraires à la Constitution en ce qu'elles constituent une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs à obtenir réparation, principe à valeur constitutionnelle découlant de l'article 4 de la Déclaration de 1789 et au droit à un recours juridictionnel effectif découlant de son article 16,
- qu'il ne saurait être admis que la victime d'un accident du travail en Nouvelle Calédonie ne puisse se prévaloir de ces garanties constitutionnelles, et se trouve dans une situation de droit différente de celle des autres citoyens Français,
- que s'agissant d'une disposition réglementaire, il n'apparaît pas possible à la Cour d'appel de saisir la Cour de Cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité, une des conditions posée par les textes étant le caractère législatif du texte argué d'inconstitutionnalité,
- qu'en application de l'article 49 du Code de procédure civile, le juge judiciaire n'est pas compétent pour constater l'inconstitutionnalité d'un décret,
- que la circulaire d'application des dispositions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité précise que si une disposition ne peut être l'objet d'une telle question, faute d'être de nature législative, sa conformité à la Constitution pourra néanmoins être soumise dans le cadre d'une question préjudicielle à la juridiction administrative, le juge judiciaire devant surseoir à statuer dans l'attente de sa décision,
- qu'il est néanmoins possible de constater l'existence dans le présent litige d'une question préjudicielle devant être tranchée par la juridiction administrative portant sur les articles 34 et 35 du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 au regard des principes constitutionnels,
- qu'il entend soulever en tant que de besoin cette question préjudicielle,
- qu'il considère toutefois que la juridiction est parfaitement en mesure de trancher la difficulté sans avoir recours à une question préjudicielle,
- que pour ce faire il convient de se référer à la jurisprudence mise en oeuvre par la Cour d'appel de NOUMEA comme par la Cour de Cassation selon laquelle la constatation de la faute inexcusable de l'employeur ouvre droit pour la victime à la réparation de son préjudice dans les conditions de droit commun,
- que ce courant jurisprudentiel est confirmé par la décision du Conseil Constitutionnel du 18 juin 2010, selon laquelle il ne peut exister de restrictions aux droits de la victime d'une faute inexcusable d'obtenir l'indemnisation de tous ses chefs de préjudice selon les règles du droit commun,
- qu'il résulte de cette jurisprudence que l'employeur est tenu à l'égard de ses salariés à une obligation de sécurité qui est qualifiée de résultat,
- qu'il se trouve handicapé à plus de 90 % suite à un accident du travail entièrement imputable à son employeur qui a multiplié les fautes comme cela résulte du rapport de la direction de l'industrie, des mines et de l'énergie de Nouvelle Calédonie du 17 avril 2007,
- que c'est sur la base de ce rapport que les gérants de l'entreprise ont été condamnés pour blessures involontaires avec incapacité supérieure à trois mois,
- que l'article 1 er du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 prévoit : " Jusqu'à l'institution d'un régime général de sécurité sociale la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles sont régies par le présent décret dans les territoires d'outre mer,
- que la loi de pays no 2001-016 du 11 février 2002 qui a instauré un régime général de sécurité sociale en Nouvelle Calédonie a donc abrogé " de facto " le Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 modifié, cette abrogation étant spécifiée par l'article Lp. 142 de ladite loi,
- qu'au vu de ces éléments, la décision entreprise sera nécessairement infirmée,
- qu'en ce qui concerne la garantie de la compagnie GROUPAMA, la société SDN avait souscrit une police d'assurance " faute inexcusable " en application de l'article 34 du Décret,
- qu'elle a donc vocation à garantir l'accident dont il a été victime,
- qu'en l'espèce, il a été écrasé par un tapis roulant destiné au transport de matériaux au-dessous duquel il se trouvait afin de remettre en place un élément porteur suite à la rupture ou au glissement de la lanière mise en place sur le godet d'un engin de chantier utilisé pour surélever le tapis roulant durant son intervention,
- que ses demandes indemnitaires se fondent sur le rapport d'expertise médicale et son complément, à savoir :
* incapacité totale de travail : 2 ans et 7 mois (indemnités journalières versées durant cette période, donc aucune demande à ce titre),
* incapacité permanente partielle : 75 % au titre de la paraplégie définitive + 20 % au titre des lésions osseuses traumatiques évolutives,
* préjudice professionnel : incapacité à reprendre ses activités antérieures (manque à gagner, 40 années sur la base de 120. 000 FCFP par mois + retraite),
* recours à la tierce personne : allocation à raison de trois heures par jour, 5 jours par semaine,
* pretium doloris : valeur retenue 6/ 7,
* préjudice esthétique : valeur retenue 6/ 7,
* préjudice sexuel : selon l'expert, il est constitué et total car intéressant la libido, la réalisation de l'acte et la fonction de reproduction,
* préjudice d'établissement : lié à la perte d'espoir et de chance de normalement réaliser un projet de vie personnelle normale et familiale,
* préjudice d'agrément : lié aux activités sportives et de loisirs (football, natation, pêche, chasse, randonnée).
Par conclusions datées des 13 octobre 2011, 06 février et 27 avril 2012, la compagnie d'assurances GAN GROUPAMA sollicite la confirmation du jugement entrepris et demande à la Cour :
* de dire que le Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 est d'ordre public,
à titre subsidiaire :
* de débouter Mr X...de ses prétentions indemnitaires,
à titre très subsidiaire :
* de ramener les demandes indemnitaires de Mr X...à de plus justes proportions.
Elle fait valoir pour l'essentiel :
- que Mr X...a été victime d'un accident du travail mettant en cause le convoyeur ainsi qu'une pelle qui aurait servi d'engin de levage,
- que l'accident a donc pour origine le convoyeur et la pelle,
- que cette dernière est un véhicule terrestre à moteur au sens de la Loi no 85-677 du 05 juillet 1985,
- qu'elle assure la société Sablières de NEPOUI dans le cadre du régime de la responsabilité civile hors véhicule,
- que dans ces conditions elle n'est tenue à aucune garantie,
- qu'il appartient à Mr X...d'appeler en cause l'assureur du convoyeur et de la pelle,
- qu'à titre subsidiaire, elle relève l'absence d'une faute intentionnelle,
- qu'il s'agit d'une faute inexcusable donc involontaire,
- que le décret du 24 février 1957, qui est toujours applicable en Nouvelle Calédonie, est un texte d'ordre public,
- que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel relative à l'article 452-3 du Code de la sécurité sociale n'est pas applicable en Nouvelle Calédonie qui a un ordonnancement juridique spécifique,
- que dès lors la jurisprudence de la Cour de Cassation doit l'emporter sur celle de la Cour d'appel de NOUMEA, et il ne saurait y avoir une quelconque indemnisation d'un préjudice extra-patrimonial,
- qu'à titre infiniment subsidiaire, les demandes présentées par Mr X...sont exagérées, soit non justifiées.
Par conclusions datées du 16 mars 2012, la société Sablières de NEPOUI demande à la Cour :
* de débouter Mr X...de sa demande de question préjudicielle,
à titre subsidiaire :
* de constater la prescription de l'action en indemnisation de Mr X...au vu du Décret de 1957,
* de débouter Mr X...de toutes ses demandes,
à titre extrêmement subsidiaire :
* de ramener les demandes de Mr X...à de plus justes proportions,
* de condamner la compagnie d'assurances GAN à relever et garantir la société Sablière de NEPOUI de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle au vu du contrat d'assurance souscrit.
Elle fait valoir pour l'essentiel :
- que le Tribunal a rejeté les demandes de Mr X...en faisant sienne l'interprétation de la Cour de Cassation quant au caractère forfaitaire et global de l'indemnisation prévue par le Décret de 1957 organisant la réparation des accidents du travail en Nouvelle Calédonie,
- que la Cour confirmera la décision entreprise et subsidiairement, si elle devait faire droit aux prétentions de l'appelant, elle condamnera le GAN à relever et garantir son assurée de toute condamnation prononcée contre elle,
- que le raccourci procédural et intellectuel présenté par Mr X...n'est pas possible,
- que le Décret de 1957 est le droit positif applicable en Nouvelle Calédonie,
- que le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision au visa de textes législatifs différents de celui existant en Nouvelle Calédonie pour être les articles 451 et suivants du Code de la sécurité sociale qui ne sont pas applicables en Nouvelle Calédonie,
- qu'eu égard à la nature réglementaire du Décret de 1957, le Conseil Constitutionnel ne peut être saisi d'aucune question prioritaire de constitutionnalité,
- qu'en ce qui concerne la saisine de la juridiction administrative de la question de l'illégalité du Décret :
* sur le fond : l'illégalité et l'inconstitutionnalité ne reposent pas sur les mêmes principes et Mr X...ne justifie pas du bien fondé de son action,
* sur la forme : il s'agirait d'une exception de procédure au sens des articles 73 et suivants du Code de procédure civile, puisqu'elle tend à suspendre le cours de la procédure, qui doit être opposée avant toute argumentation de fond et qui, à défaut, serait irrecevable d'autant qu'elle n'est pas articulée dans le dispositif de la requête introductive d'instance ou même dans le mémoire ampliatif,
- qu'il appartenait à Mr X..., avant de saisir la juridiction civile, de saisir la juridiction administrative d'une demande tendant à voir annuler le Décret,
- que la demande de question préjudicielle est donc irrecevable à double titre, en la forme et au fond, pour être dirigée devant une juridiction incompétente et pour faire échec au principe de séparation des pouvoirs,
- qu'à titre subsidiaire, le Décret de 1957 prévoit un délai de deux ans pour engager une action trouvant son fondement dans la faute inexcusable,
- que le point de départ de ce délai de deux ans est la clôture de l'enquête,
- qu'en l'espèce, l'enquête a été clôturée par l'Inspection du Travail le 17 avril 2007,
- que dès lors, la saisine de 2010 est tardive et l'action prescrite,
- qu'à titre extrêmement subsidiaire, le Décret de 1957 répare de manière forfaitaire l'incapacité permanente partielle ou IPP et le préjudice professionnel,
- que sur ce point il convient de préciser que Mr X...fait toujours partie du personnel de la SDN qui attend que celui-ci suive une reconversion, conformément à la Délibération de 1961, pour lui offrir une affectation au siège de l'entreprise,
- qu'il reste alors à réparer les postes de préjudices dits personnels,
- que leur indemnisation doit s'apprécier conformément aux critères jurisprudentiels habituels en pareille matière,
- que l'intégralité des condamnations prononcées seront garanties par le GAN en vertu de la police d'assurance souscrite, aucune disposition contractuelle ou conventionnelle ne limitant cette garantie à la seule majoration de la rente CAFAT.
Par conclusions récapitulatives du 16 mars 2012, Mr X...réplique :
- que la requête introductive d'instance n'a pas été engagée en 2010 mais par actes de signification des 20 et 27 janvier 2009, soit dans le délai biennal prévu par l'article 51 du décret de 1957,
- qu'en outre, la prescription biennale de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur a été interrompue par l'exercice de l'action pénale engagée pour les mêmes faits.
Il ramène sa demande relative au préjudice professionnel à la somme de 10. 000. 000 FCFP, en son aspect perte de chance de promotion professionnelle.
Il sollicite une expertise afin de déterminer les appareillages et aménagements nécessaires de son domicile au regard de son handicap et d'en évaluer le coût.
Par une ordonnance datée du 03 avril 2012, le magistrat chargé de la mise en état de la procédure a demandé aux parties de formuler le dernier état de leurs demandes sous forme de conclusions récapitulatives.
Les ordonnances de clôture et de fixation de la date d'audience ont été rendues le 04 juin 2012.
MOTIFS DE LA DECISION
1) Sur la recevabilité de l'appel
Attendu que l'appel, formé dans les délais légaux, doit être déclaré recevable ;
2) Sur la recevabilité de l'action
Attendu que la société Sablières de NEPOUI soulève l'irrecevabilité de l'action en réparation intentée par Mr Anael X...au motif que le délai de deux ans prévu par le Décret de 1957 pour engager l'action fondée sur la faute inexcusable de l'employeur a été dépassé ;
Que pour ce faire, elle précise que le point de départ de ce délai de deux ans est fixé au jour de la clôture de l'enquête par l'Inspection du Travail, laquelle est intervenue le 17 avril 2007, et que dans ces conditions la saisine de 2010 est tardive et l'action prescrite ;
Attendu que cette argumentation ne saurait prospérer ;
Qu'en effet, la requête introductive d'instance de Mr Anael X...a été enregistrée au greffe du Tribunal de Première Instance le 16 février 2009 ;
Que dans ces conditions, l'exception soulevée par la société Sablières de NEPOUI sera rejetée ;
3) Sur les demandes se rapportant à la question préjudicielle
Attendu que le décret numéro 57/ 245 du 24 février 1957 contient des dispositions relatives à la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les Territoires d'Outre Mer et au Cameroun ;
Que ce décret a été publié au Journal Officiel de la Nouvelle Calédonie dans son édition des 9/ 16 décembre 1957 ;
Que pour le cas où l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, l'article 34 du décret limite expressément la compétence de la juridiction du travail à la fixation du montant de la majoration de la rente de la victime, lorsque celle-ci n'a pu être amiablement définie ;
Qu'en l'espèce, le Tribunal du Travail de NOUMEA a, par un jugement rendu le 24 juillet 2009, dit que la société Sablières de NEPOUI avait commis une faute inexcusable à l'origine de l'accident dont Mr Anael X...a été victime le 17 mai 2006 ;
Que par un jugement rendu le 30 novembre 2010, le Tribunal du Travail de NOUMEA a fixé le capital représentatif de la majoration de la rente servie par la CAFAT ;
Que l'action engagée par Mr Anael X...devant le Tribunal de Première Instance de NOUMEA vise à obtenir la réparation de ses préjudices personnels et professionnels consécutifs à l'accident dont il a été victime et pour lequel la faute inexcusable de son employeur, la société Sablières de NEPOUI, a été reconnue ;
Attendu qu'il ne peut être contesté que les articles 34 et 35 du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 instaurent un régime dérogatoire au droit commun en matière d'indemnisation des victimes d'accidents du travail, celles-ci ne disposant pas de la possibilité d'agir à l'encontre de leur employeur selon les règles du droit commun ;
Que Mr Anael X...soutient que les dispositions restrictives du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957 sont anticonstitutionnelles et demande à la Cour de poser une question préjudicielle sur ce point ;
Qu'il admet toutefois que s'agissant d'un texte de nature réglementaire, la saisine de la Cour de Cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité s'avère impossible, l'une des conditions posée par les textes étant le caractère législatif du texte argué d'inconstitutionnalité ;
Qu'il admet également qu'en application de l'article 49 du Code de procédure civile, le juge judiciaire n'est pas compétent pour constater l'inconstitutionnalité d'un décret ;
Que dès lors, cette demande apparaît sans objet ;
Qu'à titre subsidiaire, Mr Anael X...laisse à la Cour le soin d'apprécier s'il y a lieu ou non de saisir la juridiction administrative de la question de l'illégalité du Décret :
Qu'il convient de relever que l'illégalité et l'inconstitutionnalité ne reposent pas sur les mêmes principes et que l'argumentation présentée manque de précision sur ce point ;
Qu'en tout état de cause, la demande se rapportant à la question préjudicielle, présentée à titre principal ou bien à titre subsidiaire, s'analyse comme une exception de procédure au sens des articles 73 et suivants du Code de procédure civile ;
Qu'en effet, l'exception tirée de l'existence d'une question préjudicielle tend à suspendre le cours de la procédure dans l'attente de la décision d'une autre juridiction ;
Qu'aux termes de l'article 73, constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours ;
Qu'aux termes de l'article 74, les exceptions de procédure doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ;
Qu'en l'espèce, il n'est pas contestable que cette exception n'a pas été soulevée avant toute défense au fond puisqu'elle a été présentée pour la première fois en cause d'appel ;
Qu'il s'ensuit que cette demande doit être déclarée irrecevable ;
4) Sur les demandes d'indemnisation présentées par Mr Anael X...
Attendu que par une ordonnance rendue le 29 août 2008, le Président du Tribunal du Travail de NOUMEA, statuant en matière de référé, a fait droit à la demande d'expertise médicale présentée par Mr Anael X...et désigné le Docteur P. A...pour y procéder ;
Que le Docteur P. A...a établi son rapport d'expertise le 20 décembre 2008 ;
Que son dépôt a été enregistré au greffe du Tribunal du Travail de NOUMEA le 23 décembre 2008 ;
Qu'au vu des constations et conclusions de l'expert, l'existence et l'extrême gravité des préjudices subis par Mr Anael X...sont indéniables ;
Attendu toutefois que le caractère forfaitaire et global de l'indemnisation prévue par le Décret de 1957 a été récemment rappelé par la Cour de Cassation ;
Que par un arrêt rendu le 20 mars 2008, la deuxième chambre civile, statuant sur le pourvoi formé à l'encontre d'un arrêt rendu le 29 décembre 2005 par la Cour d'appel de PAPEETE, au visa du Décret no 57-245 du 24 février 1957 modifié, a rappelé qu'en présence d'une personne victime d'un accident du travail la réglementation d'ordre public sur la réparation des accidents du travail est seule applicable ;
Que la haute juridiction a considéré, qu'en faisant droit aux demandes d'indemnisation présentées, dans le cadre des règles de droit commun, par la veuve et la fille d'une personne décédée des suites d'un accident du travail au motif que le décret de 1957 ne concernait que le préjudice corporel et économique subi par la victime ou ses ayants droit, la cour d'appel avait violé les textes susvisés ;
Qu'elle a déclaré les demandes irrecevables ;
Attendu qu'au vu de ces éléments c'est par des motifs pertinents que la Cour entend adopter que le premier juge a exactement retenu :
* qu'aux termes des dispositions du Décret no 57/ 245 du 24 février 1957, applicable tant en
Polynésie Française qu'en Nouvelle Calédonie, la victime d'un accident du travail causé par la faute intentionnelle de son employeur ou de l'un de ses préposés ou par un tiers, conserve contre l'auteur le droit de demander réparation du préjudice causé conformément aux règles du droit commun,
* qu'en cas de faute inexcusable, la victime peut prétendre au paiement d'une rente majorée versée par l'organisme social,
* qu'il en résulte qu'en l'état de la législation applicable en Nouvelle Calédonie, la victime d'un accident du travail causé par une faute involontaire de l'employeur ou de l'un de ses préposés, ne peut prétendre bénéficier de la réparation de son préjudice selon les règles du droit commun, seules les dispositions du décret précité lui étant applicables,
* qu'en l'espèce, force est de constater que Mr X...a été victime d'un accident causé par la faute involontaire de son employeur, la faute inexcusable conservant ce caractère, de sorte qu'il ne peut prétendre aux réparations sollicitées, la réglementation d'ordre public sur la réparation des accidents du travail étant dès lors seule applicable,
et l'a débouté de toutes ses demandes ;
Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire déposé au greffe ;
Déclare l'appel recevable en la forme ;
Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'action présentée par la société Sablières de NEPOUI ;
Déclare irrecevables les demandes se rapportant à la question préjudicielle ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 06 juin 2011 par le Tribunal de Première Instance de Nouméa ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires comme mal fondées ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile de la Nouvelle Calédonie ;
Condamne Mr Anael X...aux dépens de la procédure d'appel avec distraction au profit de la selarl. d'avocat LOMBARDO, de la selarl. d'avocats BERQUET et de la selarl. d'avocats PELLETIER/ FISSELIER/ CASIES sur leurs offres de droit.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT