COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 30 Août 2012
Chambre Civile
Numéro R. G. :
11/ 329
Décision déférée à la cour :
rendue le : 02 Mai 2011
par le : Tribunal de première instance de NOUMEA
Saisine de la cour : 17 Juin 2011
PARTIES DEVANT LA COUR
APPELANT
M. Philippe X...
né le 20 Avril 1955 à OUVEA (98814)
demeurant ...-98810 MONT DORE
représenté par Me Valérie LUCAS
INTIMÉS
LA SAS GORO MINES, prise en la personne de son représentant légal
Village de YATE-BP. 88-98834 YATE
représentée par la SELARL DESCOMBES et SALANS
LA SAS VALE INCO NOUVELLE-CALEDONIE, prise en la personne de son représentant légal
Immeuble MALAWI-52 Avenue du Maréchal Foch-BP. 218-98845 NOUMEA CEDEX
représentée par la SELARL JURISCAL
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 Juillet 2012, en audience publique, devant la cour composée de :
Bertrand DAROLLE, Président de Chambre, président,
François BILLON, Conseiller,
Régis LAFARGUE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Bertrand DAROLLE, Président de Chambre, ayant présenté son rapport.
Greffier lors des débats : Corinne LEROUX
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Bertrand DAROLLE, président, et par Mikaela NIUMELE, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
M. Y..., salarié de Philippe X...a été victime, le 9 novembre 2006, d'un accident de la circulation alors qu'il conduisait un camion de son employeur dans l'enceinte de l'usine Goro du Sud à Yate.
Par jugement en date du 2 mai 2011, auquel il est renvoyé, le tribunal de première instance de Nouméa, au visa de l'article 1382 du Code civil, a rejeté la demande de Philippe X...tendant à voir déclarer la société Goro Mines entièrement responsable de l'accident et à obtenir paiement de la somme de 181 920 fr. Cfp à titre de remboursement d'une franchise et celle de 16 000 000 de francs cfp au titre de la perte d'exploitation, outre des frais, « après l'avoir déclaré mal fondée alors qu'il ne démontre pas une faute imputable à la société Goro Mines ou à la société Vale Inco ».
Philippe X...a été condamné aux dépens d'instance et il n'a pas été fait application de l'article 700 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie.
Par requête enregistrée le 17 juin 2011 au greffe de la cour, Philippe X...a interjeté appel de ce jugement, signifié le 7 juin 2011 à la requête de la SAS Vale Inco Nouvelle-Calédonie.
Aux termes de son mémoire ampliatif d'appel daté du 14 septembre 2011 il demande à la cour :
- de dire que l'accident survenu le 9 novembre 2006 est de l'entière responsabilité de la SAS GORO MINES et de la société VALE INCO ;
- de leur enjoindre de s'expliquer sur la gestion de la sécurité sur le site de Goro ;
- de les condamner solidairement à lui payer la somme de 181 920 fr. Cfp au titre du remboursement de la franchise, outre la somme de 16 000 000 de francs cfp au titre de la perte d'exploitation, ainsi que la somme de 39 585 fr. Cfp au titre des frais de traduction, et la somme de 200 000 fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance et la même somme pour les frais irrépétibles d'appel.
Au soutien de son recours, il fait valoir, pour l'essentiel :
- que le camion de marque Astrat, immatriculée 242 561 NC, acquis à l'aide d'un crédit bancaire, lui servait à effectuer du roulage sur mines au profit notamment de la société Goro Mines SAS ;
- que le 9 novembre 2006 ce camion, conduit par son salarié, a quitté la route après avoir traversé un talus d'environ 2 m de haut alors qu'il circulait dans l'enceinte de l'usine Goro du Sud et se dirigeait vers le port ;
- que l'enquête réalisée au sein de l'usine pour déterminer les causes et conséquences de l'accident a fait l'objet d'un rapport en anglais, qu'il a fait traduire, d'où il résulte que « un ou plusieurs des facteurs suivants (ont) étaient une cause concourante de l'accident :
1) système de gestion de la circulation :
pas d'avertissement anticipé d'un rétrécissement significatif de la route,
pas d'indication de circulation à deux voies malgré la restriction,
pas de signalisation de priorité de circulation en place,
pas de signalisation de réduction de vitesse en place,
pas de contrôle stop/ passer ni de feux de circulation en place,
2) échec de l'identification et de la protection contre les dangers adjacents à la restriction de la route :
pas de protection contre la diminution de l'accotement,
point de rétrécissement ou corps mou sur la route en point de sortie,
manque de démarcation ou de bas-côté sur l'accotement de la route,
3) largeur de la route de transport inadéquate pour une circulation à deux voies :
la route était insuffisamment large pour que des véhicules larges passent l'un l'autre (voir annexe 4 numéros de photos 1, 2, 3, 4)
4) Influence du camion approchant qui a contribué à une action d'évitage :
le camion approchant est entré dans la zone de restriction tandis que le véhicule accidenté terminait la dernière partie de son parcours par la zone de restriction,
nous pouvons montrer, en calculant les distances effectuées à 40 km/ h (vitesse actuelle supposée des véhicules accidentés et approchants) que M. Y... a réagi rapidement en effectuant une action d'évitage. Au point où il est sorti de la route, le véhicule approchant roulait en ligne droite d'approche depuis environ deux secondes. En comparaison, et à la même vitesse, M. Y... avait parcouru environ 175 m en 16 secondes » ;
- qu'il en résulte que la responsabilité de l'accident en revient à une mauvaise signalisation du parcours imputable à la société Goro Mines, qui exploite à titre privé et à des fins commerciales la portion de route sur laquelle circulait son véhicule ;
- qu'il est en droit d'obtenir le remboursement de la franchise mise à sa charge par son assureur, soit la somme de 181 920 fr. Cfp, et la réparation du préjudice résultant de la perte d'exploitation du fait de l'immobilisation du véhicule entre le 9 novembre 2006 et le 31 mars 2008, qui peut être évalué à 16 000 000 de francs cfp ;
- que la société Goro Mines prétend qu'elle n'était pas en charge de la sécurité du site, qui serait géré par la société Vale Inco, sans autres explications.
Par écritures déposées le 24 novembre 2011, la société Goro Mines sollicite, à titre principal, sa mise hors de cause et que Philippe X...soit débouté de l'ensemble des demandes dirigées à son encontre, et, subsidiairement, que l'indemnisation qu'il sollicite soit ramenée à de plus justes proportions au titre de la perte d'exploitation. Elle réclame paiement de la somme de 250 000 fr. Cfp sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle rétorque, pour l'essentiel :
- que Philippe X...opère une confusion entre le site de Goro géré par Vale Inco et la société Goro Mines qui n'est que l'un des prestataires de service de Vale Inco ;
- que l'objet social de la société Goro Mines est notamment la commercialisation auprès des entreprises titulaires de marchés d'aménagement, terrassement, construction du site minier de Goro, de prestations nécessaires à leur attribution à des entreprises sous-traitantes, et qu'elle est donc l'intermédiaire entre Vale Inco et ces entreprises, comme celle de Philippe X...;
- qu'ainsi, depuis 2004, celui-ci a effectué, sur le site de Goro, des prestations de roulage de mines pour le compte des sociétés Vinci, Prony Energie, Dumez, Colas GIE MVSD, qui lui avait été confiées par Goro Mines ;
- que le rapport établi sur les causes de l'accident ne la met pas en cause, et implique le conducteur du second véhicule qui aurait dû attendre que le camion de Philippe X...soit totalement sorti de la portion de route rétrécie avant de s'y engager ;
- que, subsidiairement, Philippe X...ne produit aucun élément justifiant que les réparations du camion n'aient pas pu être réalisées et terminées avant un délai de 17 mois.
Par ordonnance en date du 9 mai 2012, le magistrat chargé de la mise en état a donné injonction à l'ensemble des parties de formuler avant le15 juin 2012 le dernier état de leurs demandes sous forme de conclusions, en leur rappelant qu'à défaut de satisfaire à cette injonction, la cour statuera pour la partie appelante sur les seules demandes exprimées par le mémoire ampliatif, et pour les parties intimées que sur les seules demandes exprimées dans leurs premières conclusions portant appel incident ou valant demande reconventionnelle, toutes autres demandes étant réputées abandonnées, ce qu'en application de l'article 910-19-1 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.
Par conclusions récapitulatives déposées le 11 juin 2012, la société " Vale Nouvelle-Calédonie Sas " demande à la cour de déclarer irrecevables les prétentions formulées par Philippe X...à son encontre et non à l'égard de Vale Inco. Subsidiairement elle sollicite la confirmation du jugement déféré et réclame paiement de la somme de 200 000 fr. Cfp en application de l'article 700 du code de procédure civile..
Elle expose, pour l'essentiel :
- qu'en première instance, l'appel en cause délivré par Philippe X...ne formulait aucune demande à son encontre et que les demandes dirigées « à l'encontre de Vale Nouvelle-Calédonie en cause d'appel sont manifestement irrecevables » s'agissant de nouvelles prétentions ;
- que, subsidiairement, l'appelant ne justifie en rien du bien fondé des demandes de condamnation solidaire formulées à son encontre.
SUR QUOI, LA COUR :
Hormis la société Vale Nouvelle-Calédonie, les autres parties n'ont pas satisfait à l'injonction formulée par l'ordonnance susvisée du 9 mai 2012, de sorte que la cour statuera, pour l'appelant, sur ses seules demandes exprimées dans son mémoire ampliatif, et pour la société Goro Mines sur celles formulées dans ses premières conclusions datées du 24 novembre 2011.
Aucune demande de condamnation n'a été dirigée, en première instance, à l'encontre de la société Vale Nouvelle-Calédonie. Elle est bien donc fondée à voir déclarées irrecevables les prétentions nouvelles formulées contre elle en cause d'appel, ce par application de l'article 564 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.
Sur la responsabilité de l'accident :
S'agissant de la responsabilité de la SAS Goro Mines il est établi, et non contesté, que l'accident en cause s'est produit alors que Philippe X...assurait un transport en tant que sous-traitant de cette société, sur une voie privée du site de Goro.
Selon l'extrait du registre du commerce et des sociétés, l'activité exercée par la SAS Goro Mines est l'« intermédiation entre les sociétés titulaires des contrats du chantier de Goro et les sous-traitants ». Son objet social est le suivant : « toutes opérations quelconques concernant les exploitations minières. La commercialisation auprès des entreprises titulaires des marchés d'aménagement, terrassement, construction du site minier de Goro, des prestations de services nécessaires à leur attribution à des entreprises sous-traitantes. Accessoirement, la sous-traitance auprès des entreprises des marchés d'aménagement, de terrassement, construction et toutes opérations similaires de tous sites miniers ».
La SAS GORO Mines est donc tenue, sur ce site, de permettre à ses sous-traitants d'exercer leurs activités en sécurité, notamment en veillant à ce que les aménagements routiers sur lesquels circulent les camions de ses sous-traitants soient adaptés aux conditions particulières de trafic sur un site minier.
Il résulte clairement de l'expertise technique réalisée après l'accident que celui-ci est imputable, pour l'essentiel, à un défaut de signalisation et à un manque de largeur des voies que la SAS GORO Mines ne pouvait ignorer, et qu'il lui appartenait de corriger.
En conséquence, elle sera déclarée responsable de l'accident survenu le 9 novembre 2006.
Sur la réparation des préjudices :
Selon l'article 9 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Les seuls éléments du dossier de la procédure permettant de déterminer les dommages subis par le camion de Philippe X...lors de cet accident résultent de la phrase suivante du rapport d'enquête : « le camion a subi des dommages importants au train avant au cours de sa collision avec le bourrelet de terre qui a arrêté le mouvement avant. Le pare-brise a éclaté vers l'avant ».
Pour prétendre avoir été privé de ce camion pendant 17 mois, l'appelant se contente de fournir copie de la délégation paiement du 31 mars 2008, par laquelle il autorise son assureur « à régler directement le garage L. V. P du montant des travaux liés à la facture ci-jointe » (facture non produite). Outre qu'il n'est pas crédible que les travaux de réparation aient duré 17 mois, Philippe X...ne peut se constituer une preuve à lui-même.
Il a versé en première instance un tableau d'amortissement d'un emprunt de 15 500 000 fr. Cfp souscrit en janvier 2004, mais non la copie de la carte grise du véhicule en cause alors qu'elle est annoncée dans le bordereau des pièces jointes à sa requête introductive d'instance.
Or ce véhicule immatriculé 242 561 NC était assuré, pour le moins, depuis octobre 2003 et a fait l'objet d'un certificat du vendeur transmis par fax du 21. 11. 01, de sorte qu'il n'est pas démontré que cet emprunt ait servi à l'acquisition de ce véhicule.
Il a également communiqué un « suivi de facture exercice 2006 » faisant référence à des travaux de terrassement du port de Goro, et 2 factures concernant ces travaux pour les mois de juillet à septembre 2006.
Il lui était loisible de solliciter une mesure d'instruction dès fin 2006 pour faire déterminer contradictoirement les préjudices subis, et il n'appartient pas à la cour de pallier sa carence à cet égard.
En considération des éléments contradictoirement débattus, la cour ne peut retenir une immobilisation du véhicule accidenté pendant plus de trois mois et possède les éléments suffisants pour évaluer comme suit les préjudices subis par Philippe X...:
- remboursement de la franchise d'assurance........................... 181 920 fr. Cfp,
- perte d'exploitation pendant trois mois............................... 1 500 000 fr. Cfp
-frais de traduction du rapport d'enquête................................. 39 585 fr. Cfp
Total.......................... 1 721 505 fr. Cfp.
Le jugement déféré sera donc infirmé.
Il est équitable d'allouer à Philippe X...la somme de 350 000 fr. Cfp au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
L'équité n'impose pas qu'il soit fait application des dispositions de ce texte au bénéfice de la société Vale Nouvelle-Calédonie.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevables les prétentions formulées pas Philippe X...à l'encontre de la société Vale Nouvelle-Calédonie,
Infirme le jugement rendu le 2 mai 2011 par le tribunal de première instance de Nouméa,
Statuant à nouveau,
Déclare la SAS GORO Mines responsable de l'accident survenu le 9 novembre 2006, dans l'enceinte de l'usine Goro du Sud, au cours duquel le véhicule immatriculé 242 561 NC appartenant à Philippe X...a été endommagé,
Condamne la société Goro Mines à payer à Philippe X...la somme de un million sept cent vingt et un mille cinq cent cinq francs CFP (1 721 505 fr. Cfp) en indemnisation de ses préjudices,
Condamne la société Goro Mines à payer à Philippe X...la somme de trois cent cinquante mille (350 000 fr. Cfp) au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Goro Mines aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT