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19/04/2012 | FRANCE | N°94

France | France, Cour d'appel de Nouméa, Cour d'appel, 19 avril 2012, 94


94
COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 19 Avril 2012

Chambre Civile
Numéro R. G. :
11/ 384

Décision déférée à la Cour :
rendue le : 21 Février 2011
par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE KONE

Saisine de la cour : 27 Juillet 2011

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
INTIMÉ

M. Karl X...
né le 26 Juin 1982 à KONE (98860)
demeurant ...
Comparant

EN PRESENCE DU : PROCUREUR GENERAL
représenté par M. PAGNON Jean-Louis, Substitut G

énéral

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Avril 2012, en chambre du conseil, devant la cour composée de :

Bertrand DARO...

94
COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 19 Avril 2012

Chambre Civile
Numéro R. G. :
11/ 384

Décision déférée à la Cour :
rendue le : 21 Février 2011
par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE KONE

Saisine de la cour : 27 Juillet 2011

PARTIES DEVANT LA COUR

APPELANT

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
INTIMÉ

M. Karl X...
né le 26 Juin 1982 à KONE (98860)
demeurant ...
Comparant

EN PRESENCE DU : PROCUREUR GENERAL
représenté par M. PAGNON Jean-Louis, Substitut Général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Avril 2012, en chambre du conseil, devant la cour composée de :

Bertrand DAROLLE, Président de Chambre, président,
François BILLON, Conseiller,
Régis LAFARGUE, Conseiller,
Gabriel POADAE, assesseur coutumier de l'aire PAICI CAMUKI
Abel NAAOUTCHOUE, assesseur coutumier de l'aire PAICI CAMUKI

Régis LAFARGUE, Conseiller, ayant présenté son rapport et la cour et les assesseurs coutumiers ayant délibéré en commun hors la présence du greffier,

Greffier lors des débats : Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé en chambre du conseil par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Bertrand DAROLLE, président, et par Mikaela NIUMELE, adjoint administratif principal faisant fonction de greffier en application de l'article R123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

Monsieur Karl X... est né le 26 juin 1982 à Koné. Il demeure ...

Son acte de naissance, établi pratiquement deux ans plus tard, le 5 mars 1984 au registre de l'état civil de droit commun de la commune de Koné, mentionne qu'il est le fils de Mme Y...Micheline, née le 20 mai 1961 à Pouebo et de M. Jean-Daniel X..., né le 28 août 1958 à la tribu de Koniambo, District de Baco, et qu'il est reconnu par ses deux parents.

Il résulte en outre des actes de naissance de ses deux parents, que son père M. Jean-Daniel X... est de statut coutumier kanak, de par sa naissance, et que sa mère Micheline Y...est de statut civil de droit commun pour être née de parents de statuts personnels mixtes (son père, qualifié de " colon " demeurant à Pouebo, étant de droit commun tandis que sa mère née à la tribu de Tiaoué est manifestement de statut particulier).

Agissant sur le fondement de l'article 15 de la loi organique du 19 mars 1999, M. Karl X... a saisi le tribunal civil de Nouméa, section détachée de Koné, le 17 décembre 2010, d'une " requête à fin d'accession au statut civil coutumier " tendant à constater la réalité du statut qui est le sien dans sa vie familiale et sociale, et à modifier en conséquence la mention de son statut personnel à l'état civil.

Il expose qu'il est enregistré à l'état civil en qualité de citoyen de statut civil de droit commun alors que son père est de statut coutumier ; qu'il a toujours été considéré comme ayant le statut civil coutumier par sa famille et son clan, ainsi que le prouve le procès-verbal de palabre produit à l'appui de sa requête.
Il ajoute : " je demande l'accession au statut civil coutumier parce que j'ai toujours vécu à la tribu de Koniambo depuis ma naissance. Cela me permettra de retrouver ma place au sein de mon clan, mais aussi de pouvoir exercer mes droits fonciers ".
Enfin, il précise : " mon chef de clan est M. X... Philippe demeurant à la tribu de Koniambo. Mon mariage avec Stéphanie Z...née A..., de statut civil coutumier m'a donné l'opportunité de retrouver mon statut civil coutumier à travers mes origines. De cette union est né notre fils Jean-Daniel X..., le 16 juin 2005 à Nouméa, qui lui est aussi de statut civil de droit commun ".

Le ministère public a conclu, le 17 février 2011, à l'irrecevabilité de cette demande au motif que le requérant, âgé de plus de 21 ans au jour de sa requête, n'a pas présenté celle-ci dans le délai légal (trois ans à compter de la majorité) fixé par l'article 12, alinéa 1, de la loi organique du 19 mars 1999.

Toutefois par jugement du 21 février 2011, le tribunal, statuant en formation coutumière, y a fait droit, et a ordonné la transcription du jugement sur les registres de l'état civil des citoyens de statut coutumier de la mairie de Koné, outre les mentions en marge de l'acte de naissance, conformément à la loi, et du registre de recensement des citoyens de statut civil coutumier tenu à la mairie de Koné.

Pour statuer ainsi, le tribunal s'est fondé sur un acte coutumier établi le 29 mars 2009, par l'officier public coutumier de l'aire Paici-Camuki, dont il résulte que le clan X... de la tribu de Koniambo, représenté par son chef de clan X... Philippe, Boaé, " atteste l'appartenance à la filiation coutumière de M. X... Karl ", et évoque la situation matrimoniale de ce dernier et la naissance d'un enfant qui se trouve être de droit commun du fait du statut actuel du père. Il autorise, en conséquence, celui-ci à agir pour accéder au statut coutumier tant pour lui même que pour son fils mineur Jean-Daniel.
Le tribunal qui a relevé que le requérant, quoi que né d'une mère de droit commun, vivait selon les règles coutumières, en a déduit qu'il justifiait de la possession d'état visée à l'article 12, et remplissait les conditions posées par les articles 12 à 16 de la loi organique. Le tribunal a ainsi fait droit à la requête (laquelle n'évoque pas la situation de l'enfant mineur).

PROCÉDURE D'APPEL

Le ministère public, par requête du 27 juillet 2011, a relevé appel de ce jugement notifié au parquet le 13 juillet 2011.

Dans son mémoire ampliatif d'appel du 1er août 2011, l'appelant rappelle que le tribunal se fonde (implicitement puisque le jugement déféré n'y fait pas référence) sur le document d'orientation de l'accord de Nouméa dans ses dispositions relatives à l'identité kanak et notamment au statut civil coutumier kanak, qui préconise dans un souci de sécurité juridique un certain nombre d'orientations et notamment celle sur laquelle s'appuie le tribunal.

Il ajoute que la loi organique du 19 mars 1999 a mis en oeuvre cet engagement selon deux modalités :

- au travers de son article 13, alinéa 2, lequel n'est plus opérant à ce jour puisque la possibilité d'agir était enfermée dans un délai de 5 ans à compter de la promulgation de la loi, soit jusqu'au mois de mars 2004 ;
- ensuite, au travers de son article 12, alinéa 1, lequel est toujours opérant, mais pose, notamment, une condition de délai tenant à l'âge du requérant : celui-ci ne pouvant agir que dans les trois ans de sa majorité.

Au regard de cette dernière disposition, seule applicable au cas d'espèce, le ministère public souligne que M. X..., âgé de plus de 21 ans à la date de sa requête, n'est plus recevable à agir, même s'il est en mesure de justifier d'une possession d'état continue de plus de 5 ans. Toutefois, le ministère public qui invoque dans les motifs de son mémoire ampliatif " l'irrecevabilité " de la requête, a conclu au " rejet " de celle-ci.

Le procureur général s'est associé, le 6 décembre 2011, aux conclusions de première instance, et a conclu au " rejet de la requête en changement de statut de M. X... ".

A l'audience, M. Karl X... qui s'est vu notifier la requête et le mémoire ampliatif d'appel le 8 septembre 2011, a comparu et a sollicité le bénéfice de la jurisprudence résultant de l'arrêt : Nouméa, 29 septembre 2011, Ministère public contre Saïto, RG 11-46, notamment en ce qu'elle fonde l'action en revendication de statut sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (respect de la vie privée).

Enfin, à l'audience, le ministère public a ajouté que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes faisait obstacle à la possibilité pour tout individu de changer à son gré de statut personnel.

L'ordonnance de fixation de la date d'audience a été rendue le 27 décembre 2011.

MOTIFS

1o/ Sur le droit applicable

Attendu que la critique du ministère public porte principalement sur la question de l'interprétation de la loi organique du 19 mars 1999, et en substance fait grief au premier juge d'avoir violé la loi par fausse application de l'article 15, et par refus d'application de l'article 12, alinéa 1er ; que c'est cette double critique que semble traduire l'usage alternatif des termes de " rejet " et " d'irrecevabilité ", dans les écritures du parquet général ;

Attendu que le document d'orientation de l'accord de Nouméa affirme de manière générale l'objectif poursuivi, qui est de traduire la vérité sociologique dans le statut juridique des citoyens dans le contexte d'une société marquée par le pluralisme juridique ;

Attendu que les signataires de l'accord de Nouméa ont entendu corriger le décalage observé entre le vécu des gens et leur statut juridique dans le but de faire du statut personnel l'élément central dans la protection de l'identité culturelle des individus ;

Que tel est le sens de la formule inscrite dans le document d'orientation : " toute personne pouvant relever du statut coutumier et qui s'en serait trouvée privée à la suite d'une renonciation faite par ses ancêtres ou par mariage ou par toute autre cause... pourra le retrouver " ;

Attendu que la loi organique no99-209 du 19 mars 1999, qui met en oeuvre l'accord de Nouméa, définit explicitement la possibilité d'un " retour " au statut coutumier pour celui qui y aurait renoncé dans le cours de son existence au profit du droit commun (article 13, alinéa 1) ; qu'à ce premier cas, qualifié de " retour " au statut coutumier, elle ajoute la possibilité d'une " accession " au statut coutumier pour celui qui, n'ayant jamais été lui-même de statut coutumier, peut justifier avoir un ascendant de statut coutumier, et ce sous certaines conditions ;

Qu'ainsi, il existe deux cas " d'accession " au statut coutumier, prévus explicitement par les dispositions de la loi organique du 19 mars 1999 :

- d'abord, aux termes de l'article 12, alinéa 1, de cette loi : " Toute personne majeure capable âgée de vingt et un ans au plus, dont le père ou la mère a le statut civil coutumier, et qui a joui pendant au moins cinq ans de la possession d'état de personne de statut civil coutumier, peut demander le statut civil coutumier " ;

- ensuite, aux termes de l'article 13, alinéa 2 : " Dans le délai de cinq ans qui suit la promulgation de la présente loi, toute personne qui justifie que l'un de ses ascendants a eu le statut civil coutumier peut renoncer au statut civil de droit commun au profit du statut civil coutumier " ;

Attendu que l'article 15 de la loi organique ajoute à ces divers cas de " retour " (art. 13, alinéa 1) et " d'accession " (art. 12 alinéa 1, et 13 alinéa 2) une disposition plus générale aux termes de laquelle " Toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier " ;

Qu'enfin, l'article 16, renvoyant à l'ensemble des dispositions précitées, précise que " Toute requête ayant pour objet de demander l'accession ou le retour au statut civil coutumier est motivée et précise le registre d'état civil coutumier sur lequel l'inscription de l'accession ou du retour au statut civil coutumier sera portée.
Le juge est tenu de consulter l'autorité coutumière compétente " ;

Attendu qu'il résulte de ces dispositions, qui définissent le régime du " retour " et de " l'accession " au statut coutumier, qu'outre les deux cas spécifiques " d'accession "- déterminés à l'article 12, alinéa 1, correspondant à la situation des jeunes majeurs, et à l'article 13 alinéa 2, renvoyant à d'autres situations, lequel pose peu d'exigences pour l'accession au statut coutumier kanak mais dont la durée d'effet a été limitée à cinq ans à compter de la promulgation de la loi – il existe une troisième situation définie par l'article 15, qui doit s'interpréter comme une action en revendication de statut, et qui se traduit par une forme d'accession au statut coutumier, puisque l'article 16 définit des règles communes aux articles 12 à 15 inclus de cette loi, et exige une requête motivée outre la consultation de l'autorité coutumière, ce qui montre bien que l'article 15 opère, à l'instar des autres dispositions qui le précèdent, un changement du statut juridique de la personne, ce changement de statut devant correspondre à l'intérêt du requérant (vérifié par le biais des motifs exprimés dans la requête) et ne pas se heurter à l'intérêt familial (d'où la consultation des autorités coutumières au premier rang desquelles le chef de clan) ;

Attendu que force est de constater que cette action en revendication de statut, nécessairement fondée sur la possession d'état, correspond parfaitement à l'esprit comme aux termes du document d'orientation précité ;

Qu'il convient donc d'écarter les conclusions d'irrecevabilité du parquet général fondées sur le délai pour agir de l'article 12 alinéa 1er de la loi organique, et d'examiner le bien fondé de la requête de M. X... au regard des seules dispositions de l'article 15 de la loi organique du 19 mars 1999, cette requête s'analysant aussi bien en une action en revendication de statut qu'en une demande d'accession au statut coutumier Kanak ;

2o/ Sur la preuve de la possession d'état

Attendu que le parquet général ne conteste pas, dans ses écritures, que le requérant ait une possession d'état non équivoque, correspondant au statut personnel revendiqué ;

Attendu que les motifs de la requête confirment cette possession d'état ; qu'en effet le requérant indique qu'il a toujours été considéré, en dépit du statut de droit commun de sa mère, comme ayant le statut civil coutumier par sa famille et son clan, ainsi que le prouve le procès-verbal de palabre produit à l'appui de sa requête ; qu'il ajoute : " je demande l'accession au statut civil coutumier parce que j'ai toujours vécu à la tribu de Koniambo depuis ma naissance. Cela me permettra de retrouver ma place au sein de mon clan, mais aussi de pouvoir exercer mes droits fonciers " ; que cette précision montre que la plénitude de ses droits, une fois devenu majeur (dans le monde kanak cette majorité n'étant pas une question d'âge mais le fait d'être marié et d'avoir des responsabilités familiales) passe par l'appartenance au même statut juridique que celui des autres membres du clan ; que le confirme enfin, cet autre passage de sa requête : "... mariage avec Stéphanie Z...née A..., de statut civil coutumier, m'a donné l'opportunité de retrouver mon statut civil coutumier à travers mes origines. De cette union est né notre fils Jean-Daniel X..., le 16 juin 2005 à Nouméa, qui lui est aussi de statut civil de droit commun " ; qu'il apparaît donc que la démarche du requérant n'est destinée qu'à confirmer une situation préexistante et à servir non seulement son intérêt propre en scellant son appartenance au clan, mais encore à préparer l'avenir de l'enfant mineur ;

Qu'en toute hypothèse, l'appartenance non contestée du requérant à son clan paternel suffit à prouver l'état qu'il revendique de sujet de la coutume ; qu'en effet, du point de vue de la coutume, l'appartenance clanique, qui fait entrer l'individu dans une lignée d'ancêtres, le fait adhérer au même culte des ancêtres, et lui impose le respect des mêmes interdits (tabous et appartenance totémique), induit que l'enfant puisse porter le nom du clan, du fait qu'il est considéré comme membre du clan, et à ce titre héritier des terres coutumières et des responsabilités qui en résultent à l'égard des générations passées comme des générations futures ;

Que, dès lors, la preuve d'une possession d'état non équivoque (nomen, fama et tractatus) se déduit d'un seul fait majeur, qui en réalité les englobe et les résume tous : l'appartenance à un clan, qui induit une ascendance, et surtout un état reflétant une vérité sociale ;

Que c'est tout cela que vient confirmer l'acte public coutumier du 29 mars 2009, lequel démontre la volonté des membres du clan de mettre le droit en harmonie avec la réalité, le requérant ayant vécu, tout au long de son existence, dans l'univers de la société kanak, selon les règles coutumières ;

Que son rattachement, purement formel, au statut de droit commun, contraire à son vécu, et à la manière dont il est perçu par son environnement social, le condamne à une forme de marginalisation au regard de la seule société dans laquelle s'inscrit son vécu, à savoir la société kanak ;

3o/ Sur le respect des droits fondamentaux et particulièrement du droit au respect de la vie privée et du principe de sécurité juridique

Attendu que la situation sociale et familiale du requérant démontre que son intérêt est dans la coutume ; que son statut social est déterminé par le fait d'être membre à part entière du clan dont il porte le nom ; que son intérêt est de voir reconnaître le statut coutumier qui a toujours été le sien ; que par ailleurs cette exigence est conforme au principe de sécurité juridique, qui constitue l'un des principes fondateurs de notre Droit, puisque le changement de statut personnel du requérant permettra de conférer à son fils un statut conforme à son vécu ;

Qu'en effet, lorsque le requérant évoque son : "... mariage avec Stéphanie Z...née A..., de statut civil coutumier, (qui lui a) donné l'opportunité de retrouver son statut civil coutumier à travers ses origines. De cette union est né notre fils Jean-Daniel X..., le 16 juin 2005 à Nouméa, qui lui est aussi de statut civil de droit commun... ", il apparaît que, au-delà de son cas personnel, sa démarche vise à préparer l'avenir de l'enfant mineur ;

Qu'il apparaît clairement que la remarque sur le fait que le requérant ait renoué avec le statut coutumier à l'occasion de son mariage, renvoie à la complexité des unions coutumières, qui au-delà des individus qui s'unissent, constituent des alliances entre les clans, et raffermissent les liens coutumiers ; que tel est le sens de cette remarque qui souligne aussi les conséquences que peuvent avoir, pour le statut futur de l'enfant issu du couple, le fait que son père se trouve doté d'un statut qui le disqualifie au yeux des siens en constituant un handicap pour lui-même comme pour l'enfant né de cette union ; que cet enfant a été donné, par le biais du mariage coutumier, par le clan utérin au clan paternel, ce dernier étant comptable du sort fait à cet enfant à l'égard du clan utérin, et de son positionnement social au sein du clan ; qu'ainsi le sens profond du propos de M. X..., qui par son propre changement de statut, rendra ultérieurement possible un changement de statut de l'enfant lui-même, traduit une prise de conscience de l'intérêt de l'enfant de ne pas se trouver marginalisé dans sa propre société, et exprime ainsi un souci évident de sécurité juridique ;

Attendu enfin, qu'au regard du comportement social du requérant en sa qualité de membre du clan X..., le principe du respect dû à la vie privée, posé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, justifie de faire droit à cette demande, le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, invoqué par le ministère public dans ses observations orales, ne faisant pas obstacle à la modification de la mention du statut civil d'appartenance de M. X..., dès lors que le statut personnel constitue un élément essentiel, sinon le plus important, de l'identité et donc de l'état de la personne (en ce sens : Cass. Assemblée plénière, 11 décembre 1992, Bull. 1992, AP, no13) ;

Qu'il convient dès lors, en application du principe du droit au respect de la vie privée, mais encore en application du principe de sécurité juridique, et des dispositions de l'article 15 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999, de confirmer le jugement entrepris qui, au visa des articles 12 à 16 de ladite loi, a accueilli la demande de M. X..., sauf à remettre en cause son appartenance au clan de ses pères ;

Sur les dépens

Attendu que les dépens seront mis à la charge de l'Etat ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant en chambre du conseil et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;

Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (respect de la vie privée), ensemble le principe de sécurité juridique ;

Vu l'article 15 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999 ;

Dit qu'au sens de ce texte toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier, et que cette action en revendication de statut n'est conditionnée que par la preuve d'une possession d'état non équivoque durable et continue correspondant au statut civil revendiqué ;

Constate que M. Karl X..., en sa qualité de membre du clan X..., justifie de la possession d'état de citoyen de statut civil coutumier kanak ;

En conséquence,

Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de Koné, en date du 21 février 2011 ;

Condamne l'Etat aux dépens de l'instance.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nouméa
Formation : Cour d'appel
Numéro d'arrêt : 94
Date de la décision : 19/04/2012

Analyses

1º/ Au sens de l'article 15 de la loi organique du 19 mars 1999, toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier. 2º/ Conformément au principe du droit au respect de la vie privée, posé par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme, et au principe de sécurité juridique, cette action en revendication de statut n'est conditionnée que par la preuve d'une possession d'état non équivoque, durable et continue, correspondant au statut civil revendiqué.


Références :

ARRET du 26 juin 2013, Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 26 juin 2013, 12-30.154, Publié au bulletin

Décision attaquée : Section Détachée du Tribunal de Première Instance à Koné, 21 février 2011


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.noumea;arret;2012-04-19;94 ?
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