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COUR D'APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 19 Avril 2012
Chambre Civile
Numéro R. G. :
11/ 383
Décision déférée à la Cour :
rendue le : 20 Juin 2011
par le : Tribunal de première instance de LA SECTION DETACHEE DE KONE
Saisine de la cour : 27 Juillet 2011
PARTIES DEVANT LA COUR
APPELANT
LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE
INTIMÉ
Mme Graziella Natacha Poauré X...
née le 31 Août 1981 à NOUMEA (98800)
demeurant...
Comparante
EN PRESENCE DU : PROCUREUR GENERAL
représenté par M. PAGNON Jean-Louis, Substitut Général
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Avril 2012, en chambre du conseil, devant la cour composée de :
Bertrand DAROLLE, Président de Chambre, président,
François BILLON, Conseiller,
Régis LAFARGUE, Conseiller,
Gabriel POADAE, assesseur coutumier de l'aire PAICI CAMUKI
Abel NAAOUTCHOUE, assesseur coutumier de l'aire PAICI CAMUKI
Régis LAFARGUE, Conseiller, ayant présenté son rapport et la cour et les assesseurs coutumiers ayant délibéré en commun hors la présence du greffier,
Greffier lors des débats : Cécile KNOCKAERT
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé en chambre du conseil par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
- signé par Bertrand DAROLLE, président, et par Mikaela NIUMELE, adjoint administratif principal faisant fonction de greffier en application de l'article R123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Mme Y... (aujourd'hui X...) Graziella Natacha, Poauré est née le 31 août 1981 à Nouméa au.... Elle demeure ....
Son acte de naissance, établi le 3 septembre 1981 au registre de l'état civil de droit commun de la commune de Nouméa, mentionne qu'elle est la fille de Mme Marie-Louise Y..., née à Santo (Nouvelles-Hébrides devenu Vanuatu), le 1er décembre 1950, employée de maison, domiciliée à Nouméa, et qu'elle a été reconnue le 21 mars 1988 par Jean, Téin X..., né à Koné (Nouvelle-Calédonie), le 8 mars 1953, dont la naissance a été déclarée devant le syndic des affaires indigènes de la circonscription de Koné le 16 mars 1953.
Enfin, par déclaration conjointe de ses deux parents, reçue le 1er mars 1990 par le juge des tutelles de la section détachée de Koné, la requérante née sous le nom de sa mère, Y..., a pris le nom patronymique de son père pour s'appeler désormais X....
Par requête du 1er octobre 2009, Mme Graziella X... a saisi le tribunal civil de Nouméa, section détachée de Koné, aux fins d'accession au statut civil coutumier kanak.
Le ministère public, par conclusions du 13 avril 2011, a soulevé l'irrecevabilité de cette demande au motif que, la requérante étant âgée de plus de 21 ans, sa requête n'a pas été présentée dans le délai fixé par l'article 12 de la loi organique du 19 mars 1999.
Toutefois par jugement du 20 juin 2011, le tribunal, statuant en formation coutumière, y a fait droit, et a ordonné la transcription du jugement sur les registres de l'état civil des citoyens de statut coutumier de la mairie de Nouméa, outre les mentions en marge de l'acte de naissance, conformément à la loi, et du registre de recensement des citoyens de statut civil coutumier tenu à la mairie de Koné.
Pour statuer ainsi le tribunal a relevé, au vu d'un acte coutumier établi le 07 septembre 2009, par l'officier public coutumier de l'aire Paici-Camuki, que le clan X... – dont M. Jean Téin X... (père de la requérante) est le chef – confirmait l'appartenance de la requérante audit clan, et l'autorisait à entamer les démarches nécessaires à son accession au statut coutumier kanak, tant pour elle-même que pour sa fille mineure Z... Yanalie, Maguy, Mickaëlle, Napo née le 10 novembre 2008 à Koumac.
Le tribunal a relevé ensuite que la requérante, quoi que née d'une mère de droit commun, vivait selon les règles coutumières, et en a déduit que la requérante qui justifiait de la possession d'état visée à l'article 12, remplissait les conditions posées par les articles 12 à 16 de la loi organique, tels qu'interprétés à la lumière du document d'orientation de l'accord de Nouméa qui affirme que " toute personne pouvant relever du statut coutumier et qui s'en serait trouvée privée à la suite d'une renonciation faite par ses ancêtres ou par mariage ou par toute autre cause... pourra le retrouver ".
PROCÉDURE D'APPEL
Par requête, en date du 27 juillet 2011, le ministère public a relevé appel de ce jugement notifié au parquet le 13 juillet 2011.
Dans son mémoire ampliatif d'appel du 28 juillet 2011, le ministère public rappelle que le tribunal se fonde sur le document d'orientation de l'accord de Nouméa dans ses dispositions relatives à l'identité kanak et notamment au statut civil coutumier kanak, qui préconise dans un souci de sécurité juridique un certain nombre d'orientations et notamment celle sur laquelle s'appuie le tribunal ;
Que la loi organique du 19 mars 1999 a mis en oeuvre cet engagement selon deux modalités :
- tout d'abord au travers de son article 13, alinéa 2, lequel n'est plus opérant à ce jour puisque la possibilité d'agir était enfermée dans un délai de 5 ans à compter de la promulgation de la loi, soit jusqu'au mois de mars 2004 ;
- ensuite, au travers de son article 12, alinéa 1, lequel est toujours opérant, mais pose, notamment, une condition de délai tenant à l'âge du requérant : celui-ci ne pouvant agir que dans les trois ans de sa majorité.
Au regard de cette dernière disposition, seule applicable au cas d'espèce, le ministère public souligne que Mme X..., âgé de plus de 21 ans à la date de sa requête, n'est plus recevable à agir, même si elle est en mesure de justifier d'une possession d'état continue de plus de 5 ans. Toutefois, le ministère public qui invoque dans les motifs de son mémoire ampliatif " l'irrecevabilité " de la requête a conclu au " rejet " de celle-ci.
Le procureur général a réitéré, le 6 décembre 2011, les conclusions de première instance tendant au " rejet de la requête en changement de statut de Mme X... ".
A l'audience, Mme X... qui s'est vu notifier la requête et le mémoire ampliatif d'appel le 22 août 2011, a comparu et a sollicité le bénéfice de la jurisprudence résultant de l'arrêt : Nouméa, 29 septembre 2011, Ministère public contre Saïto, RG 11-46, notamment en ce qu'elle fonde l'action en revendication de statut sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (respect de la vie privée).
A l'audience, le ministère public a ajouté que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes faisait obstacle à la possibilité pour tout individu de changer à son gré de statut personnel.
L'ordonnance de fixation de la date d'audience a été rendue le 27 décembre 2011.
MOTIFS
1o/ Sur le droit applicable
Attendu que la critique du ministère public porte principalement sur la question de l'interprétation de la loi organique du 19 mars 1999, et en substance fait grief au premier juge d'avoir violé la loi par fausse application de l'article 15, et refus d'application de l'article 12 alinéa 1er ; que c'est cette double critique que semble traduire l'usage alternatif des termes de " rejet " et " d'irrecevabilité " dans les écritures du parquet général ;
Attendu que le document d'orientation de l'accord de Nouméa affirme de manière générale l'objectif poursuivi, qui est, dans le contexte d'une société marquée par l'existence d'une pluralité de statuts personnels, de traduire la vérité sociologique dans le statut juridique des citoyens ;
Attendu que les signataires de l'accord de Nouméa ont entendu corriger le décalage observé entre le vécu des gens et leur statut juridique dans le but de faire du statut personnel l'élément central dans la protection de l'identité culturelle des individus ;
Que tel est le sens de la formule inscrite dans le document d'orientation : " toute personne pouvant relever du statut coutumier et qui s'en serait trouvée privée à la suite d'une renonciation faite par ses ancêtres ou par mariage ou par toute autre cause... pourra le retrouver " ;
Attendu que la loi organique no99-209 du 19 mars 1999, qui met en oeuvre l'accord de Nouméa, définit explicitement la possibilité d'un " retour " au statut coutumier pour celui qui y aurait renoncé dans le cours de son existence au profit du droit commun (article 13, alinéa 1) ; qu'à ce premier cas, qualifié de " retour " au statut coutumier, elle ajoute la possibilité d'une " accession " au statut coutumier pour celui qui, n'ayant jamais été lui-même de statut coutumier, peut justifier avoir un ascendant de statut coutumier, et ce sous certaines conditions ;
Qu'ainsi, il existe deux cas " d'accession " au statut coutumier, prévus explicitement par les dispositions de cette loi :
- d'abord, aux termes de son article 12, alinéa 1 : " Toute personne majeure capable âgée de vingt et un ans au plus, dont le père ou la mère a le statut civil coutumier, et qui a joui pendant au moins cinq ans de la possession d'état de personne de statut civil coutumier, peut demander le statut civil coutumier " ;
- ensuite, aux termes de l'article 13, alinéa 2, de la loi précitée : " Dans le délai de cinq ans qui suit la promulgation de la présente loi, toute personne qui justifie que l'un de ses ascendants a eu le statut civil coutumier peut renoncer au statut civil de droit commun au profit du statut civil coutumier " ;
Attendu que l'article 15 de la loi organique précitée ajoute à ces divers cas de " retour " (art. 13, alinéa 1) et " d'accession " (art. 12, alinéa 1, et 13, alinéa 2) une disposition plus générale aux termes de laquelle " Toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier " ;
Qu'enfin, l'article 16, renvoyant à l'ensemble des dispositions précitées, précise que " Toute requête ayant pour objet de demander l'accession ou le retour au statut civil coutumier est motivée et précise le registre d'état civil coutumier sur lequel l'inscription de l'accession ou du retour au statut civil coutumier sera portée.
Le juge est tenu de consulter l'autorité coutumière compétente " ;
Attendu qu'il résulte de ces dispositions, qui définissent le régime du " retour " et de " l'accession " au statut coutumier, qu'outre les deux cas spécifiques " d'accession "- déterminés à l'article 12, alinéa 1, correspondant à la situation des jeunes majeurs, et à l'article 13 alinéa 2, renvoyant à d'autres situations, lequel pose peu d'exigences pour l'accession au statut coutumier kanak mais dont la durée d'effet a été limitée à cinq ans à compter de la promulgation de la loi-, il existe une troisième situation définie par l'article 15, qui doit s'interpréter comme une action en revendication de statut, et qui se traduit par une forme d'accession au statut coutumier, puisque l'article 16 définit des règles communes aux articles 12 à 15 inclus de cette loi, et exige une requête motivée outre la consultation de l'autorité coutumière, ce qui montre bien que l'article 15 opère, à l'instar des autres dispositions qui le précèdent, un changement du statut juridique de la personne, ce changement de statut devant correspondre à l'intérêt du requérant (vérifié par le biais des motifs exprimés dans la requête) et ne pas se heurter à l'intérêt familial (d'où la consultation des autorités coutumières au premier rang desquelles le chef de clan) ;
Attendu que force est de constater que cette action en revendication de statut, nécessairement fondée sur la possession d'état, correspond parfaitement à l'esprit comme aux termes du document d'orientation précité ;
Qu'il convient donc d'écarter les conclusions d'irrecevabilité du parquet général fondées sur le délai pour agir de l'article 12, alinéa 1er, de la loi organique, et d'examiner le bien fondé de la requête de Mme X... au regard des seules dispositions de l'article 15 de la loi organique du 19 mars 1999, cette requête s'analysant aussi bien en une action en revendication de statut qu'en une demande d'accession au statut coutumier Kanak ;
2o/ Sur la preuve de la possession d'état
Attendu que le ministère public ne conteste pas, dans ses écritures, que la requérante ait une possession d'état non équivoque, correspondant au statut personnel revendiqué ; que le premier juge a relevé ensuite que la requérante, quoi que née d'une mère de droit commun, vivait selon les règles coutumières ;
Attendu, en outre, qu'il se déduit des normes coutumières que la reconnaissance de la requérante, alors mineure, par son père, ne résulte qu'en apparence d'une démarche individuelle ; qu'elle suppose bien au contraire l'accord préalable de l'ensemble des membres composant le clan qui acceptent ainsi d'intégrer l'enfant à leur communauté familiale, le refus d'un seul faisant obstacle au fait de donner le nom du clan à l'enfant-cette dation du nom signifiant dans la coutume kanak une volonté d'inclure l'enfant dans le clan et la reconnaissance de sa place pleine et entière au sein de cette communauté ; qu'ainsi, du point de vue de la coutume, indépendamment de savoir si l'enfant est né dans le cadre d'un mariage ou de relations hors mariage, la filiation est celle qui se déduit de l'intégration de l'enfant au clan ; que l'appartenance clanique laquelle fait entrer l'individu dans une lignée d'ancêtres, le fait adhérer au même culte des ancêtres, et lui impose le respect des mêmes interdits (tabous et appartenance totémique), induit que l'enfant puisse porter le nom du clan, du fait qu'il est considéré comme membre du clan, et à ce titre héritier des terres coutumières et des responsabilités qui en résultent à l'égard des générations passées comme des générations futures ;
Que, dès lors, la preuve d'une possession d'état non équivoque (nomen, fama et tractatus) se déduit d'un seul fait majeur, qui en réalité les englobe et les résume tous : l'appartenance à un clan, qui induit une ascendance, et surtout un état reflétant une vérité sociale ;
Attendu que c'est tout cela que vient confirmer l'acte public coutumier du 7 septembre 2009, lequel démontre la volonté des membres du clan de mettre le droit en harmonie avec la réalité, la requérante ayant vécu, tout au long de son existence, dans l'univers de la société kanak, selon les règles coutumières ;
Que son rattachement, purement formel, au statut de droit commun, contraire à son vécu, et à la manière dont elles est perçue par son environnement social, la condamne à une forme de marginalisation au regard de la seule société dans laquelle s'inscrit son vécu, à savoir la société kanak ;
3o/ Sur le respect des droits fondamentaux et particulièrement du droit au respect de la vie privée et du principe de sécurité juridique
Attendu que la situation sociale et familiale de la requérante démontre que son intérêt est dans la coutume ; que son statut social est déterminé par le fait d'être la fille d'un chef de clan et d'être membre à part entière du clan X... ; que son intérêt est de voir reconnaître le statut coutumier qui a toujours été le sien, cette exigence étant conforme au principe de sécurité juridique, qui constitue l'un des principes fondateurs de notre Droit, puisque le changement de statut personnel de la requérante permettra de conférer à sa fille un statut conforme à son vécu ;
Que cette exigence répond, en outre, à l'un des principaux engagements contenus dans l'accord constitutionnalisé de Nouméa, qui est de préserver et garantir l'identité kanak, notamment au travers du statut personnel ;
Qu'enfin, au regard du comportement social de la requérante, le principe du respect dû à la vie privée, posé par l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, justifie de faire droit à cette demande, le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes, invoqué par le ministère public dans ses observations orales, ne faisant pas obstacle à la modification de la mention du statut civil d'appartenance de Mme X..., dès lors que le statut personnel constitue un élément essentiel, sinon le plus important, de l'identité et donc de l'état de la personne (en ce sens : Cass. Assemblée plénière, 11 décembre 1992, Bull. 1992, AP, no13) ;
Qu'il convient dès lors, en application du principe du droit au respect de la vie privée, mais encore en application du principe de sécurité juridique, et des dispositions de l'article 15 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999, de confirmer le jugement entrepris qui, au visa des articles 12 à 16 de ladite loi, a accueilli la demande de Mme X..., sauf à remettre en cause son appartenance au clan de ses pères ;
Sur les dépens
Attendu que les dépens seront mis à la charge de l'Etat ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant en chambre du conseil et en formation coutumière, par arrêt contradictoire, déposé au greffe ;
Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (respect de la vie privée), ensemble le principe de sécurité juridique ;
Vu l'article 15 de la loi organique no99-209 du 19 mars 1999 ;
Dit qu'au sens de ce texte toute personne a le droit d'agir pour faire déclarer qu'elle a ou qu'elle n'a point le statut civil coutumier, et que cette action en revendication de statut n'est conditionnée que par la preuve d'une possession d'état non équivoque durable et continue correspondant au statut civil revendiqué ;
Constate que Mme Graziella X..., en sa qualité de membre du clan X..., justifie de la possession d'état de citoyen de statut civil coutumier kanak ;
En conséquence,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement du tribunal de première instance de Nouméa, section détachée de Koné, en date du 20 juin 2011 ;
Condamne l'Etat aux dépens de l'instance.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT