RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/01349 - N°Portalis DBVH-V-B7H-IZGS
DD
Tribunal judiciaire
de NÎMES
26 janvier 2023 RG:21/02309
[E]
C/
[I] [Z]
Grosse délivrée
le 29/08/2024
à Me Frédéric Mansat Jaffré
à Me Maud Gautier
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 29 AOÛT 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de NÎMES en date du 26 janvier 2023, N°21/02309
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Delphine Duprat, conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Delphine Duprat, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Audrey Bachimont, greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 juin 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 août 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
INTIMÉ à titre incident
M. [T] [E]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Frédéric Mansat Jaffré de la Selarl Mansat Jaffré, plaidant/postulant, avocat au barreau de Nîmes
INTIMÉE :
APPELANTE à titre incident
Mme [S] [I] [Z]
née le 01 mai 1958 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Maud Gautier de la Selarl Gautier 2 - Avocats Associés, plaidante/postulante, avocate au barreau d'Avignon
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 29 août 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [H] [I] [Z] et M. [T] [E] vendaient tous deux du miel sur le marché d'[Localité 7].
Estimant que Mme [I] [Z] trompait les consommateurs sur l'origine et la composition du miel vendu et que cette fraude constitutive d'une faute lui causait un préjudice, M. [E] a assigné celle-ci en réparation de son préjudice de perte de chiffre d'affaires et de son préjudice moral devant le tribunal judiciaire de Nîmes qui par décision du 26 janvier 2023 :
- a annulé les procès verbaux de constat d'huissier établis par Mme [J] [W], commissaire de justice, les 20 mars, 23 mars et 19 avril 2021
- a rejeté les demandes de M. [E]
- a rejeté les demandes de dommages et intérêts de Mme [I] au titre d'un préjudice moral et au titre de la procédure abusive,
- a condamné M. [E] à verser à Mme [D] [Z] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens
M. [E] a interjeté appel le 18 avril 2023.
Par ordonnance du 6 mars 2024, la procédure a été clôturée le 30 mai 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 13 juin 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions régulièrement notifiées le 30 mai 2024, M. [T] [E] demande à la cour :
- de réformer le jugement rendu en ce qu'il :
- a annulé le procès-verbal de constat d'huissier
- a rejeté ses demandes
- l'a condamné à payer à Mme [I] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
Statuant à nouveau,
- de condamner Mme [I] à lui payer les sommes de
- 20 922 euros au titre de son préjudice de perte de chiffre d'affaires
- 8 000 euros au titre de son préjudice moral
- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les propos tenus dans les écritures judiciaires,
- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le montant du constat d'huissier de la Scp Gillier et [W].
Il soutient
- que la nullité d'un constat d'huissier peut être prononcée uniquement par la mise en oeuvre d'une procédure en inscription de faux ; que par ailleurs, le constat d'huissier a permis d'identifier à qui le miel avait été acheté ; que les pots remis à l'huissier achetés à Mme [I] ont été analysés et qu'il s'agit de miels multi- floraux d'origine espagnole non compatibles avec l'appellation 'miel de thym' pour conclure au caractère frauduleux et déloyal des pratiques commerciales de Mme [I] [Z],
- que l'argument de I'utilisation de substitut protéinique (pollen déclassé) est inopérant et affirme que les lavandes présentées comme à l'origine du miel ont une aire géographique majoritairement espagnole pour en déduire que l'étiquetage des produits trompe la clientèle,
- que Mme [I] [Z] a toujours pratiqué des prix plus bas que ceux du marché et que si elle avait acheté le miel en France en respectant l'origine florale et géographique, le prix moyen d'achat serait de 10,17 euros/kg au lieu de 4 euros/kg.
Par conclusions notifiées le 9 octobre 2023, Mme [H] [I] [Z] demande à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé le procès verbal de constat d'huissier des 20,23 mars et 19 avril 2021 et rejeté les demandes de M. [E],
- de l'infirmer en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral et procédure abusive
Statuant à nouveau,
- de condamner M. [E] à lui payer les sommes de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 1000 euros en réparation de son préjudice moral
outre la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens
Elle réplique que le constat d'huissier n'est pas contradictoire, que les pots de miel achetés n'ont pas été directement saisis par l'huissier pour conclure à sa nullité . Elle explique que les pots de miel ont seulement une prédominance thym, romarin ou lavande et souligne que l'intitulé des pots est systématiquement accompagné d'un astérisque pour démontrer qu'elle n'a jamais prétendu vendre du miel composé à 100% d'une seule fleur. Elle précise que la présence de traces de fleurs hors France s'explique par l'achat d'un " pollen déclassé " en guise de substrat protéique. Elle indique qu'elle récolte elle-même son miel dans plusieurs régions de France et relève que le constat indique seulement qu'une origine Espagne est compatible, ce qui ne signifie pas pour autant que le miel provienne effectivement d'Espagne. Elle précise que d'autres apiculteurs vendent leurs produits à des prix plus bas et conclut à I'absence de préjudice.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Sur la nullité du procès verbal de constat d'huissier
Le tribunal a fait droit à la demande d'annulation du procès verbal de constat au motif qu'aucune vérification des faits constatés n'avait été effectuée.
Selon l'article 648 du code de procédure civile tout acte de commissaire de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs:
1. Sa date;
2. a) Si le requérant est une personne physique: ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance;
b) Si le requérant est une personne morale: sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement.
3. Les nom, prénoms, demeure et signature du commissaire de justice;
4. Si l'acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social.
Ces mentions sont prescrites à peine de nullité.
En l'espèce, l'intimée sollicite à titre incident l'annulation du procès verbal de constat non pas pour manquements aux formalités prescrites par cet article mais en critiquant le mode opératoire et par conséquence la validité du constat.
Selon l'article 1 de l'ordonnance du 2 février 1945, les huissiers de justice à la requête de particuliers, peuvent effectuer des constatations purement matérielles exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.
La contestation de la validité ou de la force probante d'un procès verbal d'un constat d'huissier est une défense au fond au sens de l'article 71 du code de procédure civile qui peut être soulevée en tout état de cause en application de l'article 72 du même code.
La qualité des diligences de l'huissier n'est pas sanctionné par la nullité du procès verbal de constat mais par le défaut de preuve des constatations effectuées.
Les constatations des huissiers de justice font foi jusqu'à preuve du contraire suivant l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et ne relèvent pas de la procédure d'inscription de faux (CIV 2e, 6 juin 2013, 12-17.771)
L'analyse de la force probante de ce moyen de preuve relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.
Il s'en déduit que la cour n'a pas le pouvoir de prononcer la nullité du procès verbal d'huissier des 20 mars, 23 mars et 19 avril 2021 sollicitée par l'intimée et que cette demande doit être déclarée irrecevable.
La décision sera donc infirmée sur ce point.
Il appartient à la cour d'apprécier la force probante du procès verbal litigieux, au soutien de la prétention de l'appelant.
Sur la faute
Après avoir annulé le procès verbal de constat d'huissier précité, produit par le requérant au soutien de sa demande, le tribunal a considéré que ce dernier ne rapportait pas la preuve d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'intimée.
L'appelant soutient que Mme [I] [Z] s'est livrée à une pratique déloyale, commettant une fraude relative à la composition du miel vendu, constitutive d'une faute, pratique lui permettant de vendre ses produits à un prix anormalement bas ce qui lui a causé un préjudice en tant que concurrent direct.
L'intimée réplique que le constat d'huissier n'a aucune force probante étant entaché de nombreuses erreurs et imprécisions. Elle ajoute se soumettre à l'ensemble des prescriptions régissant sa profession de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer.
Il incombe à l'appelant qui sollicite l'application des articles L121-1 et suivants du code de la consommation définissant les pratiques commerciales trompeuses de rapporter la preuve d'une faute imputable à l'intimée.
Cet article réglemente l'intervention de la direction de l'Etat habilitée à dresser procès verbaux de telles pratiques. L'article L. 121-6 du même code prévoit que ces agissements peuvent faire l'objet de poursuites pénales.
Il n'est pas ici rapporté la preuve que les agissements de l'intimée aient fait l'objet d'un procès-verbal d'infraction ni de poursuites de la part du ministère public.
L'appelant produit le constat d'huissier précité mentionnant :
'Une personne n'ayant aucun lien avec mon étude s'avance vers le stand de l'intimée et procède à l'achat de trois pots de miel d'une contenance de 250 grammes chacun étiquetés 'miel lavande', 'miel de thym' et 'miel de romarin'. Des échantillons sont prélevés et envoyés au laboratoire Famille Michaud situé à [Localité 5].'
'le 19 avril 2021, je reçois les résultats des analyses demandées qui révèlent les éléments suivants :
- sur l'échantillon n°1 intitulé Miel de lavande, l'analyse pollinique qualitative révèle la présence de pollens provenant de différentes fleurs. L'origine définie est une origine Espagne.
- sur l'échantillon n°2 intitulé Miel de thym, l'analyse pollinique qualitative révèle la présence de pollens provenant de différentes fleurs. L'origine définie est une origine Espagne.
- sur l'échantillon n°3 intitulé Miel romarin, l'analyse pollinique qualitative révèle la présence de pollens provenant de différentes fleurs. L'origine définie est une origine Espagne.'
Comme précédemment rappelé les huissiers de justice, requis par des particuliers, peuvent effectuer des constatations purement matérielles exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter.
En l'espèce, le constat de la vente de pots de miel et ma description de leur étiquetage, entrait dans sa mission, contrairement au fait, trois jours après l'achat, de prélever des échantillons de miel de différents pots, de les placer dans de nouveaux contenants et d'envoyer ces échantillons pour analyse auprès d'un laboratoire, excédant par là ses seuls pouvoirs de constatation du fait que la commande de miel était au nom de la 'SCP Gillieret [W]'.
Enfin, en procédant à l'analyse et à l'interprétation des résultats du laboratoire notamment en utilisant le terme de 'révèle' et en procédant à une lecture de ces résultats elle a encore excédé ses pouvoirs.
Il en résulte que le procès-verbal est ici dépourvu de toute force probante et qu'en l'absence d'autre élément au soutien de sa demande, l'appelant échoue à rapporter la preuve d'une faute imputable à l'intimée.
Il sera en conséquence débouté de ses demandes de dommages et intérêts, par voie de confirmation de la décision sur ce point.
demande de dommages et intérêts fondée sur les propos tenus dans les écritures judiciaires
L'appelant soutient que les allégations de l'intimée relatifs à la fraude fiscale et sociale dont il se serait rendu coupable sont faux, gratuits, hors de propos et infamants.
Aux termes de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Néanmoins les juges saisis de la cause et statuant sur le fond, pourront prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts.
Cette loi instaure une immunité s'agissant des écrits produits en justice et notamment les conclusions rédigées dans l'intérêt du justiciable. Néanmoins, cette immunité peut être levée et donner lieu à l'allocation de dommages et intérêts lorsque les écrits produits comportent des éléments injurieux, diffamatoires ou outrageants et étrangers à la cause.
C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a rejeté la demande à ce titre en retenant que les passages des écritures de l'intimée n'excédaient pas les limites de la controverse entre les parties et la décision sera confirmée sur ce point.
*demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral et procédure abusive
Le tribunal a rejeté cette demande en retenant que l'intimée ne faisait pas la démonstration de la mauvaise foi ou de l'intention de nuire de M. [E].
Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Mme [I] [Z] soutient que l'appelant a usé abusivement de son droit d'agir pour solliciter des dommages et intérêts à ce titre.
Mais elle ne démontre en quoi le droit d'agir en justice de l'appelant aurait dégénéré en abus, la preuve de la mauvaise foi ou de l'intention de nuire de celui-ci n'étant pas rapportée.
Par ailleurs, soutenant avoir subi un préjudice moral, elle sollicite 100 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Néanmoins, elle ne caractérise l'existence d'aucune faute imputable à l'appelant en lien avec le préjudice allégué.
Ses demandes seront donc rejetées et la décision sera confirmée sur ce point.
*autres demandes
L'appelant succombant, sera condamné aux entiers dépens.
Il sera également condamné à payer à l'intimée la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme la décision en ce qu'elle a annulé le constat d'huissier établi par Me [J] [W], huissier de justice, les 20, 23 mars et 19 avril 2021,
Statuant à nouveau,
Déclare irrecevable la demande tendant à l'annulation du constat d'huissier établi par Me [J] [W], commissaire de justice, les 20, 23 mars et 19 avril 2021,
Confirme la décision pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne M. [T] [E] aux dépens de l'entière instance,
Le condamne à payer à Mme [H] [I] [Z] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,