RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02861 -
N° Portalis DBVH-V-B7H-I55S
AG
TJ de NÎMES
03 août 2023
RG :21/04186
[E]
C/
[P]
Grosse délivrée
le 22/08/2024
à Me François Jehanno
à Me Frédéric Mansat Jaffre
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 22 AOÛT 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 03 août 2023, N°21/04186
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Delphine Duprat, conseillère, et Mme Audrey Gentilini, conseillère, ont entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Delphine Duprat, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 juin 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 22 août 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
INTIMÉE à titre incident :
Mme [H] [E] épouse [Y]
née le [Date naissance 6] 1952 à [Localité 21]
[Adresse 7]
[Localité 9]
Représentée par Me François Jehanno de la Sarl CMFJ avocats, avocat au barreau de Nîmes
INTIMÉE :
APPELANTE à titre incident :
Mme [V] [E] épouse [P]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 21]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représentée par Me Frédéric Mansat Jaffre de la Selarl Mansat Jaffre, avocat au barreau de Nîmes
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 22 août 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
[N] [E], né le [Date naissance 13] 1929, est décédé à [Localité 20] (Gard) le [Date décès 5] 2020, laissant pour lui succéder ses deux filles [V] et [H].
Par acte de donation-partage établi le 22 avril 1992 par Me[A], notaire, [N] [E] et son épouse [U] née [K] avaient donné à leurs filles la nue-propriété de plusieurs biens immobiliers.
Le 7 mars 2018, [N] [E] avait établi un testament olographe aux termes duquel il indiquait que sa fille [H] devait rapporter à la succession la somme de 5 000 euros par an au titre de fermages et loyers non versés dont il lui avait fait bénéficier.
Mme [V] [E] épouse [P] a sollicité en vain le rapport à la succession de la somme de 120 000 euros.
Par acte du 11 octobre 2021, elle a assigné sa soeur aux fins de voir ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de l'indivision successorale et ordonner le rapport de la somme de 120 000 euros à la succession de leur père devant le tribunal judiciaire de Nîmes qui par jugement contradictoire du 3 août 2023 :
- a ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [N] [E],
- a commis pour y procéder Me [S] [L], notaire à [Localité 25] (30),
- a fixé à 1 500 euros le montant qui devra être versé au notaire commis au titre de la provision à valoir sur ses honoraires, mise à la charge, à hauteur de la moitié pour chacune des demanderesses,
- a dit que la mission du notaire sera celle précisée aux articles 1365 et suivants du code de procédure civile,
- a rappelé que les parties devront lui remettre toutes les pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,
- a commis le président de la 3ème chambre pour surveiller les opérations,
- a précisé qu'en cas d'empêchement du notaire ou du juge commis, il sera pourvu à leur remplacement par ordonnance sur requête,
- a rappelé que les copartageants peuvent, à tout moment, abandonner les voies judiciaires et poursuivre le partage à l'amiable,
- a dit que Mme [H] [E] épouse [Y] devra rapporter à la succession de [N] [E] une somme de 120 000 euros,
- a rejeté la demande de dommages et intérêts de Mme [V] [E] épouse [P],
- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- a fait masse des dépens et dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de partage.
Par déclaration du 31 août 2023, Mme [H] [E] épouse [Y] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 1er mars 2024, la procédure a été clôturée le 21 mai 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 4 juin 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées le 17 janvier 2024, Mme [H] [E] épouse [Y] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à rapporter à la succession de [N] [E] la somme de 120 000 euros,
Statuant à nouveau
- de débouter Mme [P] de ses demandes,
A titre subsidiaire
- de rejeter (l'irrecevabilité) soulevée par celle-ci et de déclarer sa demande subsidiaire recevable
- de fixer l'indemnité qui lui est due par la succession à la somme de 47 439,53 euros au titre de l'amélioration des biens,
- de fixer l'indemnité qui lui est due par la succession à la somme de 180 000 euros au titre de la créance successorale compensatrice d'assistance aux parents âgés
- de débouter Mme [P] de sa demande de dommages et intérêts,
- de la condamner à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante soutient :
- qu'elle n'est pas la bénéficiaire de la libéralité consentie par son père à l'Earl [15], personne morale exploitant les terres par l'effet d'un bail consenti par lui, de sorte qu'elle ne peut être condamnée à ce titre à un rapport à la succession,
A titre subsidiaire,
- qu'elle est fondée à obtenir la minoration (du montant) de ce rapport en raison d'indemnités qui lui seraient dues par la succession du fait de l'amélioration du bien et pour s'être occupée seule du défunt ; que cette demande est recevable comme constituant un complément nécessaire à l'éventuelle condamnation en principal au sens de l'article 565 du code de procédure civile,
- que l'intimée ne rapporte pas la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité a l'appui de sa demande de dommages et intérêts.
Par conclusions notifiées le 23 novembre 2023, Mme [V] [E] épouse [P] intimée à titre principal et appelante à titre incident demande à la cour :
- de déclarer l'appelante irrecevable en ses demandes nouvelles,
- de la débouter de ses entières demandes, fins et conclusions,
- de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts et sa demande au titre de dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
- de condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- de la condamner à lui verser la somme de 2 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
L'intimée réplique :
- que les demandes tendant à obtenir la condamnation de la succession à payer une indemnité au titre de l'amélioration des biens et au titre de la créance successorale compensatrice d'assistance aux parents âgés pour enrichissement sans cause sont irrecevables comme nouvelles en cause d'appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile,
- que l'appelante a reçu un avantage correspondant au fermage des terres exploitées par son mari et aux loyers sur la maison d'habitation,
- que son inertie lui a causé un préjudice né du retard pris dans le règlement de la succession.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes nouvelles
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Selon l'article 565, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.
Mme [Y] demande pour la première fois en cause d'appel, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où le jugement serait confirmé en ce qu'il l'a condamnée à rapporter à la succession la somme de 120 000 euros, une indemnité sur le fondement de l'article 815-13 du code civil au titre de l'amélioration apportée aux biens (parcelles de vigne et maison) et une indemnité sur le fondement de l'article 1303 du même code, au titre de l'assistance apportée à son père âgé.
En matière de partage, les parties étant respectivement demanderesses et défenderesses à l'établissement de l'actif et du passif, toute demande doit être considérée comme une défense à une prétention adverse. Par suite, ces demandes peuvent être formulées pour la première fois en cause d'appel.
La fin de non-recevoir tirée de la nouveauté des demandes sera par conséquent rejetée.
Sur le rapport à la succession au titre des dispositions testamentaires
Pour faire droit à la demande de rapport à la succession de la somme de 120 000 euros de la requérante, le tribunal a retenu que son époux avait exploité des terres agricoles dont le défunt avait l'usufruit et l'avait dispensé de fermage depuis 1996, que M.et Mme [Y] occupaient sans payer de loyer une maison d'habitation dont le défunt avait l'usufruit, que le fait que l'Earl gérée par M. [Y] ait été dispensée pendant 24 ans du paiement des fermages avait conféré un avantage indirect à son épouse et que l'intention libérale résultait des termes mêmes du testament.
L'appelante expose que la bénéficiaire de la libéralité est l'Earl [15], qui a une personnalité juridique distincte de la sienne, et dont elle n'est pas actionnaire.
L'intimée réplique que sa s'ur et l'époux de celle-ci n'ont payé aucun fermage jusqu'en 2020, ni le loyer de la maison qu'ils occupaient et que le défunt, conscient du déséquilibre créé, a précisé par testament le montant de l'avantage ainsi concédé.
Aux termes de l'article 843 du code civil tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement : il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.
Le testament olographe daté du 7 mars 2018 dont la validité n'est pas contestée, est rédigé en ces termes : « Je soussigné M. [E] [N] né le [Date naissance 13] 1929 à [Localité 14] [Adresse 11] à [Localité 14] déclare établir mes dispositions de dernières volontés dans les termes suivants : depuis une période remontant à 1996 j'ai dispensé ma fille [Y] [H] née le [Date naissance 6]/52 à [Localité 20] d'avoir à me régler le fermage des terres exploitées par son mari comme je l'ai dispensée de me verser un loyer sur la maison d'habitation qu'elle occupe et dont j'ai pourtant gardé l'usufruit. Je considère que l'avantage que je lui ai procuré représente une valeur de cinq mille euros / an en conséquence, ma fille devra effectuer le rapport à ma succession de l'avantage ainsi procuré ».
Ce testament énonce explicitement qu'en ne sollicitant pas le paiement des fermages, le défunt entendait consentir une libéralité, dont il a lui-même fixé le montant à 5 000 euros par an.
Cependant, selon l'article 857 du code civil, le rapport n'est dû que par le cohéritier à son cohéritier.
Par acte notarié en date du 8 mars 1991, le défunt et son épouse ont consenti à l'Earl [15] un bail rural à long terme portant sur :
- Commune de [Localité 14] : une maison d'habitation sise [Adresse 22] et [Adresse 16] et une maison d'habitation sise [Adresse 23] ; des parcelles en nature de vignes, de sol et d'oliviers
- Commune de [Localité 18] : 3 parcelles en nature de vigne, de terre et de sol
- Commune de [Localité 24] (Gard) : 3 parcelles en nature de verger, de vigne et de terre
- Commune de [Localité 19] : une parcelle en nature de vigne.
Il a été prévu à cet acte le versement d'un fermage annuel se composant d'une somme de 3 450 francs pour les bâtiments d'habitation et d'une somme de 34 500 francs pour les bâtiments d'exploitation et les terres.
Ensuite, par acte du 22 avril 1992, le défunt et son épouse ont fait donation, à titre de partage anticipé :
- à Mme [Y] de la nue-propriété d'une maison d'habitation avec cour et dépendances située à [Localité 14], [Adresse 7], cadastrée section AD n°[Cadastre 3] ainsi que d'une petite maison située [Adresse 8] et de diverses parcelles en nature de vigne, de terre et d'oliviers,
- à Mme [P] de la nue-propriété d'un appartement à [Localité 20], d'une maison d'habitation avec cour située à [Localité 14] [Adresse 7] cadastrée section AD N°[Cadastre 4] et de diverses parcelles en nature de terre, de vigne et d'oliviers situées à [Localité 14], [Localité 18], [Localité 19] et [Localité 24].
A cet acte, il est stipulé page 8 que M. [J] [Y], époux de Mme [H] [E] est intervenu en qualité de gérant de l'Earl [15] et a « déclaré résilier purement et simplement (') le bail à long terme consenti par M. et Mme [E] donateurs (') à la société EARL [15] suivant acte reçu (') le 8 mars 1991, mais uniquement en ce qui concerne les biens sus désignés sis sur la commune de [Localité 14] cadastrés section AD n°[Cadastre 4] [Adresse 7] et [Adresse 12] au lieudit [Localité 17] attribué à Mme [P] ».
Les sociétés constituent des personnes juridiques distinctes de leurs associés et il ressort de la lecture de ces documents que l'Earl [15] louait, dans le cadre du bail à ferme, diverses parcelles de terrain qu'elle exploitait ainsi que la maison d'habitation dans laquelle elle a établi son siège social, et dans lequel vivent encore à ce jour l'appelante et son époux.
Ainsi, seule cette Earl était redevable des fermages à l'usufruitier et Mme [E] épouse [Y] n'est pas la bénéficiaire directe de la libéralité consentie par son père, consistant dans le fait de renoncer au paiement des fermages qui lui étaient dus.
Mais l'article 843 susvisé précise que le rapport est dû par l'héritier de ce qu'il a reçu indirectement, et l'interposition d'une société ne fait pas obstacle au rapport éventuel à la succession (Civ 1ère 24 janvier 2018 n°17-13.017).
Il en résulte que si le défunt exprimait, aux termes de son testament, avoir avantagé sa fille [H], il avait en réalité procuré un avantage à l'Earl [15] et par conséquent un avantage indirect aux associés de celle-ci.
M. [Y] est le gérant de cette Earl et il n'est ni démontré ni allégué que son épouse serait ou aurait été son associée.
Toutefois, l'acte de donation-partage précise que les époux [Y] sont mariés sous le régime de la communauté d'acquêts, sans contrat de mariage, depuis le 22 août 1981.
Le bail rural stipule que les statuts de l'Earl [15] « ont été établis suivant acte reçu par le notaire soussigné ce jour », soit le 8 mars 1991.
L'Earl [15] est donc un acquêt de communauté et par voie de conséquence un bien commun, sur lequel Mme [Y] a autant de droits que son époux, quand bien même elle n'en a pas le statut d'associée.
Dans ces conditions, elle doit être considérée comme ayant bénéficié indirectement des donations consenties par son père à l'Earl [15] au même titre que son époux, et en doit le rapport à la succession.
Dans son testament, [N] [E] indique avoir dispensé « sa fille » du règlement du fermage et du loyer depuis 1996, et il est décédé en 2000 de sorte que l'avantage procuré à l'Earl [15] s'élève à la somme de 5 000 x 24 ans = 120 000 euros.
Toutefois, selon l'article 849 alinéa 2 du code civil, si les dons et legs sont faits conjointement à deux époux, dont l'un seulement est successible, celui-ci en rapporte la moitié ; si les dons sont faits à l'époux successible, il les rapporte en entier.
C'est ici la communauté [E]-[Y] qui a bénéficié, indirectement, de la donation faite par le défunt résultant du non-paiement des fermages dus par l'Earl [15]. Il s'agit ainsi d'un don fait conjointement aux deux époux, mais seule Mme [Y] étant successible, elle devra rapporter à la succession la seule moitié de l'avantage ainsi procuré, soit la somme de 60 000 euros.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [E] épouse [Y] à rapporter à la succession la libéralité consentie par son père, mais infirmé sur le montant de ce rapport, qui sera ramené à 60 000 euros.
Sur l'indemnité au titre de l'amélioration des biens
Aux termes de l'article 815-13 du code civil lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation.
Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
Mme [Y] se prévaut, sur ce fondement, sans être contredite, d'une créance sur la succession, au motif d'une part que son travail et celui de son époux ont amélioré la valeur des terres et vignes et d'autre part qu'ils ont investi d'importantes sommes pour améliorer la maison.
Elle verse aux débats un tableau, établi le 31 décembre 2020 par un cabinet d'expertise comptable, comportant l'évaluation des terres et vignes sur lesquelles l'Earl [15] disposait d'un bail à ferme.
Ce tableau ne présente que la valeur comptable des biens objet du bail à ferme, et non leur valeur réelle, et ce n'est pas Mme [Y] qui a pu les améliorer mais le fermier.
En outre et en tout état de cause, il s'avère que ces terres appartiennent désormais en pleine propriété, du fait du décès de [N] [E], soit à l'appelante, soit à l'intimée, puisqu'elles faisaient l'objet d'un démembrement de propriété dans le cadre de la donation-partage.
Aucune de ces terres ne fait donc partie d'une indivision successorale permettant d'ouvrir droit à une quelconque créance au titre des améliorations qui leur auraient été apportées.
En ce qui concerne la maison d'habitation, l'appelante produit de nombreuses factures relatives aux travaux réalisés, tels que l'installation de volets roulants électriques, le changement des menuiseries, de menus travaux d'électricité et de plomberie, la création d'une salle de bains, l'installation d'une alarme ou le ravalement de façade.
Ces travaux ont été réalisés sur la maison située [Adresse 7] à [Localité 14], maison dont l'appelante était nue-propriétaire suite à la donation-partage de 1992, et dont elle a désormais, du fait du décès de son père usufruitier, la pleine propriété.
Elle ne peut donc, pas davantage que pour les terres exploitées, se prévaloir à ce titre d'une créance sur la succession, ne s'agissant pas de dépenses d'amélioration réalisées sur un bien indivis et sera déboutée de
sa demande d'indemnité à ce titre.
Sur l'indemnité au titre de l'assistance aux parents âgés
L'appelante sollicite en cause d'appel la fixation d'une créance de 180 000 euros sur la succession au motif qu'elle seule s'est occupée de son père, l'accompagnant chez le médecin, prenaint ses rendez-vous chez le kinésithérapeute et l'amenant aux séances, préparant ses repas et s'occupant de l'entretien de sa maison ainsi que de la coordination de ses soins, se rendant à la pharmacie et passant le voir plusieurs fois par jour.
Elle prétend s'être appauvrie de ce fait, dès lors que son aide, son assistance et son dévouement quotidien l'auraient contrainte à laisser son époux gérer seul le fermage, entraînant un manque à gagner. Elle ajoute que son père s'est récproquement enrichi, puisqu'elle lui a évité de nombreuses dépenses et a amélioré son patrimoine par les travaux effectués.
L'intimée conteste ces allégations, reconnaissant que sa s'ur s'est quelque peu occupée de leur père après le décès de leur mère en 2015 mais qu'elle se contentait de prendre les rendez-vous pour que le médecin passe, de l'emmener faire ses courses et de lui apporter un seul plat pour qu'il mange toute la semaine. Elle prétend que leur père avait une femme de ménage, et reproche à sa s'ur son mauvais traitement moral et les propos désobligeants qu'elle tenait à son égard.
Aux termes de l'article 205 du code civil les enfants doivent des aliments à leur père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin.
Aux termes de l'article 1303 du même code, en dehors des cas de la gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.
Il résulte de la combinaison de ces textes que l'enfant qui prend en charge ses parents ne fait qu'accomplir un devoir moral et ne peut espérer une quelconque compensation sur l'héritage, faute de dispositions testamentaires du défunt en sa faveur.
Toutefois ce devoir moral n'exclut pas que l'enfant puisse obtenir indemnité pour l'aide et l'assistance apportées dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations fournies ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents (Civ 1ère 23 janvier 2001 n°98-22.937).
L'appelante verse aux débats pléthore d'attestations démontrant un dévouement indéniable envers son père, sa grande disponibilité à son égard et sa prise en charge durant les cinq années écoulées entre le décès de son épouse et son décès.
L'attestation produite par l'intimée, émanant de leur cousine [C] [K], fait certes état d'une forme de maltraitance morale, mais ne contredire pas pour autant le fait que Mme [Y] s'occupait de leur père au quotidien (préparation de repas, courses).
Cependant, il ne ressort d'aucune pièce que ce dévouement aurait excédé son devoir moral, étant relevé que résidant à côté de chez son père ceci facilitait ses visites quotidiennes, et que le défunt bénéficiait d'une aide-ménagère, du passage de soignants, des visites de son autre fille, de sa nièce et d'amis qui l'aidaient également dans les tâches du quotidien.
Mme [Y] ne démontre pas son appauvrissement en se contentant d'affirmer que cette aide quotidienne ne lui aurait pas permis de travailler à l'exploitation des terres prises à bail par l'Earl [15], pas plus qu'elle n'établit l'existence d'un manque à gagner.
Elle n'établit pas davantage que son intervention aurait contribué à l'enrichissement de son père, dès lors que celui-ci vivait dans son propre logement et payait ses courses et ses aides ménagères et soignantes.
Quant aux travaux réalisés dans la maison, décidés par elle sans concertation avec lui, ils sont afférents à un bien dont elle est aujourd'hui seule propriétaire.
Par conséquent, Mme [Y] sera déboutée de sa demande de créance sur la succession à ce titre.
Sur la demande de dommages et intérêts
Pour rejeter la demande formée par Mme [P], le tribunal a retenu qu'elle ne démontrait pas que sa s'ur avait abusé du droit de se défendre à l'action intentée à son encontre.
En cause d'appel, celle-ci reproche à sa soeur d'avoir retardé le règlement de la succession et de l'avoir contrainte à saisir le tribunal, puis à se défendre en appel.
Mme [Y] conteste ces allégations, indiquant que l'intimée n'a subi aucune perte financière et qu'il n'existe pas de lien de causalité.
L'appelante ne succombe que partiellement en appel, et c'est ainsi à juste titre qu'elle s'est opposée au versement de la somme réclamée par sa s'ur. Elle n'a dès lors commis aucune faute et le jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de partage.
S'agissant d'une procédure destinée à régler une succession, les dépens d'appel seront également employés en frais privilégiés de partage.
Eu égard à la nature de la procédure, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare recevables les demandes de fixation de créances sur la succession de [N] [E] formées en cause d'appel par Mme [H] [E] épouse [Y],
Confirme le jugement rendu le 3 août 2023 par le tribunal judiciaire de Nîmes, sauf en ce qu'il a dit que Mme [H] [E] épouse [Y] devra rapporter à la succession de [N] [E] une somme de 120 000 euros,
Statuant à nouveau sur ce point
Condamne Mme [H] [E] épouse [Y] à rapporter à la succession de [N] [E] la somme de 60 000 euros,
Y ajoutant
Déboute Mme [H] [E] épouse [Y] de ses demandes de fixation de créance sur la succession de [N] [E] au titre de l'amélioration des biens et au titre de l'assistance aux parents âgés,
Dit que les dépens de la procédure d'appel seront employés en frais privilégiés de partage,
Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,