RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02259 -
N° Portalis DBVH-V-B7H-I4AY
ID
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D'AVIGNON
06 août 2019
RG:14/00645
[W]
SCS ROTHSCHILD MARTIN MAUREL
C/
S.A. COMPAGNIE EUROPÉENNE DE GARANTIES ET CAUTIONS
Grosse délivrée
le 04/07/2024
à Me Emmanuelle Vajou
à Me Jean-Michel Divisia
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal de grande instance d'Avignon en date du 06 août 2019, N°14/00645
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Delphine Duprat, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 juin 2024 prorogé au 4 juillet 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTS :
M. [A] [W]
né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Assigné le 25 janvier 2024 à personne
Sans avocat constitué
La Scs ROTHSCHILD MARTIN MAUREL
venant aux droits de la Société Banque Martin Maurel,
immatriculée au RCS de Marseille 308 365 576, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Emmanuelle Vajou de la Selarl LX Nîmes, postulante, avocate au barreau de Nîmes
Représentée par Me Françoise Lombard, plaidant, avocat au barreau d'Avignon
INTIMÉE :
La Sa Compagnie Européenne de Garanties et de Cautions,
prise en la personne de son représentant légal en exercice domcilié en cette qualité
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Jean-Michel Divisia de la Scp Coulomb Divisia Chiarini, postulant, avocat au barreau de Nîmes
Représentée par Me Erwan Lazennec de l'Association CLL Avocats, plaidant, avocat au barreau de Paris
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 04 juillet 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sci Les Résidences Saint Jaume a, pour les besoins de la réalisation d'un programme immobilier, acquis le 18 décembre 2003 auprès de la société SPI des parcelles de terrain à [Localité 9] (Vaucluse) au prix de 190 326 euros financé à concurrence de 70 326 euros par ses deniers personnels et à concurrence de 120 000 euros par un prêt contracté, selon les énonciations de l'acte authentique de vente, auprès de la banque Martin Maurel devenue la banque Rothschild Martin Maurel, d'une durée de 2 ans au taux variable indexé sur le taux moyen mensuel du marché monétaire majoré de 3% soit 5,145% au 16 décembre 2003, à échéance au 18 décembre 2005.
L'offre de prêt du 13 novembre 2003 avait été émise sous condition suspensive de l'accord de la Compagnie Européenne de Garanties Immobilières (CEGI) pour la délivrance de la garantie d'achèvement des vingt trois villas composant ce programme immobilier.
Le 5 novembre 2003 cette société avait formalisé à l'intention de l'emprunteur une proposition d'intervention au titre de la garantie d'achèvement moyennant paiement d'une prime de 35 200 euros et diverses conditions suspensives parmi lesquelles la caution solidaire de M. [W], gérant de la Sci, à concurrence de 250 000 euros.
L'engagement de caution solidaire de M. [W] a été régularisé le 16 décembre 2003 et la CEGI s'est par contrat du même jour obligée solidairement avec le vendeur envers les acquéreurs des lots du programme de construction à payer les sommes nécessaires à l'achèvement des immeubles.
M. [A] [W] s'est également ainsi que son épouse [X] née [D] porté caution conjointe et solidaire de la Sci Les Résidences Saint Jaume dans la souscription auprès de la banque Martin Maurel d'une couverture de crédit de 230 000 euros à échéance au 22 décembre 2005 au taux variable indexé sur le taux moyen mensuel du marché monétaire majoré de 2% avec commission d'engagement de 1% perçue trimestriellement d'avance.
Par acte du 19 octobre 2005 plusieurs acquéreurs de maisons d'habitation du programme immobilier projeté ont assigné la Sci Les Résidences Saint Jaume et la CEGI devant le juge des référés du tribunal de grande instance d'Avignon, aux fins de la voir substituer au vendeur et faire poursuivre les travaux, sous astreinte jusqu'à la date de leur réception.
Le 16 novembre 2005 la CEGI a fait sommation à la Sci Les Résidences Saint Jaume d'avoir à terminer les travaux du programme garanti et livrer les maisons aux acquéreurs, ainsi que de lui fournir tous éléments de nature à lui permettre de connaître sa situation financière afin d'apprécier sa défaillance, condition de mobilisation de sa garantie.
Par ordonnance du 30 novembre 2005 le juge des référés du tribunal d'Avignon a dit n'y avoir lieu à référé à l'égard de la CEGI et condamné la Sci Les Résidences Saint Jaume à terminer les travaux sous astreinte.
Le 16 mai 2006 la CEGI a assigné la Sci Les Résidences Saint Jaume, la société Sprint Promotion Immobilière (SPI), la SOCOTEC, la banque Martin Maurel et les sociétés Conception du Sud et Saint Marc devant le même juge des référés aux fins d'expertise relative à la défaillance du vendeur au sens des articles R.217 et 221 du code de la construction et de l'habitation et par ordonnance du 5 juillet 2006 il a été fait droit à cette demande et M. [I] [J] a été désigné en qualité d'expert.
La SciLes Résidences Saint Jaume a été placée en redressement judiciaire par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 13 décembre 2007.
Par assignation à jour fixe délivrée le 24 janvier 2008 la CEGI a assigné la Sci Les Résidences Saint Jaume, la société SPI, la SOCOTEC, la banque Martin Maurel, les sociétés Conception du Sud et Saint Marc et l'ensemble des acquéreurs du programme devant le tribunal de grande instance d'Avignon qui par jugement du 21 octobre 2008, également rendu au contradictoire M. [A] [W] et son épouse [X] née [D], Me [R] [Z] mandataire judiciaire de la Sci Les Résidences Saint Jaume, Me [C] [V] mandataire judiciaire de la société GPI, Me [T] [S] mandataire judiciaire de la société SPI et Me [N] [L] administrateur au redressement judiciaire de la Sci Les Résidences Saint Jaume et de la société GPI :
- a constaté la défaillance de la Sci Les Résidences Saint Jaume au sens des dispositions de l'article R.261-1 du code de la construction et de l'habitation,
- a dit que la CEGI procédera conformément à ses engagements de garant au financement des travaux destinés à l'achèvement des ouvrages,
- l'a autorisée à ouvrir dans ses livres un 'compte centralisateur' de l'opération des dépenses d'achèvement et recevoir des acquéreurs le solde du prix de vente au fur et à mesure des avancements définis contractuellement et correspondant aux travaux d'achèvement dont elle assure le financement,
- a dit que les acquéreurs ne peuvent opposer ou compenser sur le paiement un prix au garant de quelque créance qu'ils détiendraient ou pourraient détenir contre la Sci Les Résidences Saint-Jaume,
- a dit que seuls seront libératoires les paiements effectués par les acquéreurs sur ledit 'compte centralisateur' et que la garantie d'achèvement s'éteindra le jour de la signature de l'attestation de conformité par l'architecte du projet et son dépôt en mairie,
- a rejeté les demandes reconventionnelles des acquéreurs en l'état futur à titre de dommages intérêts et pour retard de livraison,
- a mis hors de cause la SOCOTEC,
- a ordonné l'exécution provisoire,
- a renvoyé la CEGI, Me [L] et Me [Z] es-qualité, Me [V] es-qualité, Me [S] es-qualité, la banque Martin Maurel, la société Conception du Sud, M. et Mme [W] et l'Eurl Saint-Marc devant le juge de la mise état pour l'instruction des demandes de la CEGI n'ayant pas fait l'objet de l'autorisation d'assigner à jour fixe.
Par jugement du 12 décembre 2008, le redressement judiciaire de la Sci Les Résidences Saint Jaume a été converti en liquidation judiciaire, Me [R] [Z] étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Par ordonnance du 14 octobre 2010, le juge de la mise en état a ordonné le sursis à statuer jusqu'à l'issue de la procédure pénale en cours sur une plainte avec constitution de partie civile déposée par la CEGC courant 2010 devant le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille.
Par jugement du 18 novembre 2010 confirmé en toutes ses dispositions par arrêt du 10 octobre 2013 de la cour d'appel d'Aix en Provence le président du tribunal judiciaire de Marseille :
- a fixé la créance de la Banque Martin Maurel envers la Sci Les Résidences Saint Jaume à la somme de 330 549,48 euros avec intérêts contractuels depuis le 1er février 2008,
- a rejeté la demande de sursis à statuer de M. et Mme [W],
- les a condamnés à payer à la banque Martin Maurel la somme de 311 507,66 euros avec intérêts contractuels sur le principal depuis le 1er février 2008.
Par jugement du 6 juillet 2011, le tribunal correctionnel de Marseille a condamné M. [W] pour abus de confiance, faits prévus et réprimés par les articles 314-1 et 314-10 du code pénal pour avoir :
- à Marseille et sur le territoire national courant 2004, 2005 et depuis temps non prescrit, le délit n'ayant pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique qu'à l'occasion de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la Sci Les Résidences Saint Jaume le 13 décembre 2007,
- détourné des fonds qui lui avaient été remis et qu'il avait acceptés à charge de les rendre, représenter ou d'en faire un usage déterminé ( les fonds remis par les acquéreurs en VEFA devant être affectés à la réalisation des travaux ), en l'espèce en confectionnant et en utilisant de fausses factures,
- et trompé la banque Martin Maurel pour la déterminer, sur présentation des justificatifs falsifiés, à débloquer des fonds à hauteur de 1251715 euros, les fonds ainsi libérés étant ensuite affectés au fonctionnement de diverses sociétés du 'groupe [W]' au préjudice de la Sci Les Résidences Saint Jaume.
Le tribunal correctionnel a reçu la constitution de partie civile de la banque Martin Maurel et constaté qu'elle ne demandait rien ; il a déclaré la constitution de partie civile de la CEGC irrecevable, au motif que le préjudice résultant de son intervention ne découlait pas directement des faits d'abus de confiance commis par [A] [W] au préjudice de la banque Martin Maurel mais de son engagement contractuel conclu le 5 novembre 2003 avec la Sci Les Résidences Saint Jaume, représentée par celui-ci, pour la construction de l'ensemble immobilier Résidences Saint Jaume destiné à la revente de lots.
L'affaire est revenue en l'état devant la juridiction civile sur conclusions de reprise d'instance signifiées à la requête de la CEGC le 21 février 2014 et par jugement réputé contradictoire du 6 août 2019, le tribunal de grande instance d'Avignon :
- a condamné in solidum la banque Rothschild Martin Maurel et M. [A] [W] à payer à la CEGC les sommes de :
- 1 251 715,46 euros (détournement de fonds de la Sci Saint Jaume)
- 115 227,70 euros (détournement du prix payé par les acquéreurs)
- a dit que le tout sera majoré des intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- a déclaré sa décision opposable à Me [V], liquidateur judiciaire de la société GPI et à Me [S], liquidateur judiciaire de la société SPI
- a condamné in solidum la banque Rothschild Martin Maurel et M. [W] à payer à la CEGC la somme de 3 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens,
- a rejeté toutes demandes plus amples ou contraires,
- a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
M. [A] [W] a interjeté appel de cette décision par déclaration du 26 août 2019 et la Scs Rothschild Martin Maurel par déclaration du 6 septembre 2019.
Les deux procédures ont fait l'objet d'une jonction par ordonnance du 1er octobre 2019.
Par arrêt contradictoire du 17 juin 2021, cette cour :
- a infirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Avignon le 06 août 2019 sauf en ce qu'il a déclaré la décision opposable à Me [S] et Me [V] et condamné in solidum la Banque Rothschild Martin Maurel et M. [A] [W] aux entiers dépens ainsi qu'à payer à la CEGC la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau
- a condamné in solidum la Banque Rothschild Martin Maurel et M. [A] [W] à payer à la CEGC les sommes de :
- 584 870 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leurs fautes,
- 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés au cours de la procédure d'appel ;
- a débouté la CEGC de ses autres demandes ;
- a débouté la Banque Rothschild Martin Maurel et M. [A] [W] de toutes leurs demandes ;
- les a condamnés in solidum aux dépens exposés en cause d'appel.
Faisant grief à l'arrêt d'avoir considéré que son préjudice ne serait pas constitué par le montant des sommes détournées de l'opération de construction mais par la disparition de toute éventualité de réussite de cette opération et qu'en soulevant ce moyen d'office sans inviter les parties à en débattre contradictoirement, la cour d'appel avait violé l'article 16 du code de procédure civile la CEGC a formé un pourvoi en cassation et par arrêt du 13 avril 2023, la Cour de cassation :
- a cassé et annulé cet arrêt mais seulement en ce qu'il limite à 584 970 euros la somme que la société Rothschild Martin Maurel et M. [W] sont condamnés in solidum à payer à la CEGC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leurs fautes,
- a remis sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Nîmes autrement composée,
- a condamné M. [W] et la société Rothschild Martin Maurel aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, a rejeté la demande formée par la société Rothschild Martin Maurel et l'a condamnée à payer à la CEGC la somme de 3 000 euros,
- a dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.
La cour a dit qu'en relevant d'office le moyen tiré de la perte chance sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations, la cour avait violé l'article 16 du code de procédure civile.
Par déclaration du 4 juillet 2023, la société Rothschild Martin Maurel a saisi la cour d'appel de Nîmes.
Par avis de fixation à bref délai du 16 janvier 2024, la procédure a été clôturée au 7 mai 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 14 mai 2024.
Par conclusions notifiées le 19 décembre 2023, la Scs Rothschild Martin Maurel demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Avignon en ce qu'il a fixé le préjudice subi par la CEGC à la somme de 1 366 943,16 euros se décomposant comme suit :
- 1 251 715,46 euros correspondant au détournement de fonds de la SCI Saint Jaume,
- 115 227,70 euros correspondant au détournement du prix payé par les acquéreurs,
Statuant de nouveau
- de fixer le préjudice subi par CEGC à la somme de un euro,
Subsidiairement
- de fixer ce préjudice à la somme de 584 870 euros,
- de débouter la CEGC de l'ensemble de ses autres demandes,
En toute hypothèse
- de condamner la CEGC à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de débouter la CEGC et M. [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.
Selon conclusions notifiées le 30 octobre 2023, la CEGC venant aux droits de la CEGI demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris du 6 août 2019 en ce qu'il a :
- condamné in solidum la société Rothschild Martin Maurel et M. [W] à lui payer les sommes de :
- 1 251 715,46 euros correspondant au détournement de fonds de la SCI Saint Jaume,
- 115 227,70 euros correspondant au détournement du prix payé par les acquéreurs,
- dit que le tout sera majoré des intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- de débouter M. [W] et la société Rothschild Martin Maurel de toutes leurs demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires,
- de les condamner in solidum à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La déclaration de saisine a été notifiée par la société Rothschild Martin Maurel à M. [W], intimé défaillant, par acte du 25 janvier 2024.
Par application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile il est fait expressément référence aux dernières conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
L'arrêt précédent de cette cour n'a été cassé qu'en ce qui concerne le périmètre du préjudice subi par la CEGC venant aux droits de la CEGI, en lien direct de causalité avec les fautes de la banque Martin Maurel devenue Rothschild Martin Maurel, caractérisées, selon ses motifs, par le fait :
- d'avoir ouvert dans ses livres un compte 'bis' alimenté par les fonds provenant de l'opération et assorti d'un moyen de paiement remis à M. [A] [W] alors qu'il lui incombait de surveiller et de faire respecter l'affectation spéciale des fonds en réglant elle-même les intervenants à l'opération par chèque de banque sur présentation de factures ou de tout autre justificatif, méconnaissant les règles de fonctionnement pourtant instituées par elle-même pour exécuter son obligation de surveillance,
- d'avoir ainsi fourni à M. [W] le moyen de commettre les détournements litigieux,
- de n'avoir usé d'aucun des moyens de contrôle de l'affectation des fonds qu'elle s'était réservée par le convention, par le fait d'exiger la production des états d'avancement des travaux visés par les maîtres d'oeuvre qui se sont succédé sur le chantier,
- de ne pas avoir procédé à un contrôle suffisant de l'affectation des fonds du compte centralisateur à l'opération de promotion immobilière même après la clôture du compte bis dès le mois d'août 2004, qui aurait dû la conduire à exercer ce contrôle.
Toujours selon les motifs de l'arrêt non concernés par la cassation, la CEGC à laquelle il appartenait également de procéder à des vérifications avant de délivrer sa garantie ne saurait imputer à la banque un défaut de vigilance lors de l'octroi du concours puisqu'elle-même a été trompée par les manoeuvres de M. [W] qui avait fourni toutes les garanties de revenu nécessaires à l'opération.
Pour dire que les fautes de la banque étaient en lien de causalité direct et certain avec le préjudice financier subi par la CEGC et la condamner à lui payer les sommes de :
- 1 251 715,46 euros au titre du détournement de fonds de la Sci Les Résidences Saint Jaume,
- 115 227,70 euros au titre du détournement du prix payé par les acquéreurs,
le tribunal a jugé que, si la procédure pénale qui a suivi le dépôt de plainte de la CEGI n'a pas établi que la banque, qui n'a pas été mise en examen, aurait agi en concertation avec M. [W], ni même qu'elle aurait eu connaissance de ses agissements et pratiques répréhensibles, elle a :
- en autorisant l'ouverture à son nom d'un compte 'bis'et en mettant à sa disposition un chéquier,
- en omettant de vérifier la réalité de ses apports personnels dans l'opération visée
- en autorisant des virements de la Sci Les Résidences Saint Jaume du compte centralisateur sur le compte 'bis' entre le 3 mars et le 20 août 2004 pour un montant de 552 625,58 euros
- en permettant le règlement de factures par le biais de chèques émis par M. [W] sur ce compte 'bis' en dépit de l'obligation stipulée au contrat de crédit de centralisation des opérations sur un compte 'principal', et le paiement par virement,
- en accordant les crédits pour un montant total de 1 251 715,46 euros sans avoir obtenu le visa du maître d'oeuvre
- en omettant d'informer la CEGC du dépôt des sommes versées par les acquéreurs au titre du paiement du prix sur le compte 'bis' alors qu'elle reconnaît en avoir été informée dès les premiers jours de l'opération
- et ayant procédé à la fermeture du compte (seulement) en août 2004,
manifestement concouru à l'appauvrissement anormal du programme immobilier et ainsi commis de multiples négligences graves entraînant sa responsabilité quasi délictuelle à l'égard de la CEGC, qui en l'absence de ces manquements, n'aurait pas dû voir sa garantie mobilisée par l'opération parfaitement viable par ailleurs.
La banque Rothschild Martin Maurel soutient que la CEGC a concouru à la réalisation de son propre préjudice et l'a privée de la possibilité d'obtenir paiement des sommes dues par la Sci Les Résidences Saint Jaume et M. [W] :
- en octroyant sa garantie le 16 décembre 2003 avant même d'avoir obtenu les documents relatifs aux conditions suspensives et aux pièces de nature à l'éclairer sur la réalité des apports et les risques de l'opération et qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir procédé à ces vérifications à sa place,
- en manquant de diligence dans le suivi de l'opération garantie, ne mandatant un expert que sur la réclamation des acquéreurs, soit postérieurement à la date fixée pour la réception de l'ouvrage.
La CEGC prétend que si le fait d'avoir exécuté sa garantie ne constitue pas un dommage en soi, les faits d'abus de confiance commis par M. [W] avec le concours de l'établissement bancaire sont des fautes à l'origine de son préjudice d'appauvrissement de l'opération qu'elle évalue à la somme de 1 366 946,16 euros. Elle sollicite subsidiairement de retenir son préjudice de perte de chance d'éviter le sinistre par la terminaison de la réalisation immobilière par l'allocation la somme de 584 870 euros.
Selon l'article 1382 ancien du code civil ici applicable, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La banque Rothschild Martin Maurel, dont les fautes ont été établies tant par la juridiction civile que par la juridiction pénale, soutient pour voir partager sa responsabilité avec celle de la CEGC, que les fautes commises par celle-ci ont concouru à la production de son propre dommage.
*faute alléguée dans le suivi de l'opération garantie
Le contrat de garantie d'achèvement conclu entre la Sci Les Résidences Saint Jaume et la CEGI stipule :
'Article 5 : Contrôle des travaux : Pour le cas où la caution le jugerait utile, un contrôle de l'avancement des travaux pourra être réalisé par un mandataire de son choix. A cet effet le vendeur s'engage à communiquer à la caution tous les documents nécessaires à laisse s'effectuer le contrôle sur le chantier.
Article 7 : communications à faire par le vendeur
Tant que la caution sera tenue au titre du présent engagement, le vendeur devra
1) informer la caution dans le délai de quinze jours de tous faits susceptibles d'affecter l'importance ou la valeur de son patrimoine ou d'augmenter sensiblement le volume de ses engagements. (...)
4) transmettre à la caution l'ensemble des éléments de suivi stipulés dans la lettre d'accord.'
Ce contrat ne constitue d'obligations qu'à la charge de l'emprunteur garanti et non à l'égard de la caution, dont la banque pourrait ici se prévaloir en tant que tiers.
*faute alléguée dans l'octroi de la garantie
L'offre de prêt de la banque émise le 13 novembre 2003 à l'attention de la Sci Les Résidences Saint Jaume comportait la condition suspensive d'accord de la CEGI pour la délivrance de la garantie d'achèvement des vingt-trois villas.
Le 11 décembre 2003 la CEGI a sollicité de M. [W] la production en original de son acte de caution solidaire et la finalisation de l'acte d'affectation hypothécaire avec mandat notarié d'hypothéquer à la première demande.
L'engagement de caution solidaire de M. [W] a été signé le 16 décembre 2003 et la promesse d'affectation hypothécaire à la CEGI par la Sci Les Résidences Saint Jaume des parcelles acquises à l'aide du prêt bancaire consenti a été régularisée le 18 décembre 2003 devant Me [P] notaire associé à [Localité 5].
C'est ainsi que l'acte de vente entre la société SPI et la Sci Les Résidences Saint Jaume a pu être reçu le même jour par le même notaire, la garantie d'achèvement ayant été obtenue selon acte sous seing privé préalable du 16 décembre 2003.
Une 'convention de sous-participation entre la CEGI et la banque Martin-Maurel' aux termes de laquelle, la CEGI 'fera son affaire personnelle de l'appréciation du risque de crédit et de l'analyse de la situation de l'emprunteur sur la base des informations fournies par le chef de file' dans des conditions ensuite définies, et la banque 'aura la qualité de chef de file(s) des crédits consentis et restera l'interlocuteur unique de l'emprunteur. Elle établira la documentation juridique ( acte de crédit et garantie ) et assurera la responsabilité de la régularité de cette documentation sauf approbation expresse de cette dernière par la CEGI sous-participante' a été signée le 18 novembre 2004.
Si cette convention stipule des obligations réciproques entre la banque et l'organisme de caution, elle n'était pas en vigueur au jour de l'opération litigieuse, conclue entre le 13 novembre 2003 et le 16 décembre 2003 et la banque ne peut en exciper pour voir dire que la CEGI n'a pas rempli ses obligations à cet égard.
L'accord d'intervention de la CEGI à la garantie d'achèvement du programme de construction projeté par la Sci Les Résidences [Adresse 8] comprenait à titre de garanties la production :
- de l'attestation notariée de réservation faisant état d'un niveau de commercialisation à hauteur de 2 909 380 euros
Cette condition a été remplie par la production de l'attestation du 26 novembre 2003 de Me [P], l'ensemble des contrats de réservation reçus faisant ressortir un prix de vente total TTC de 2 614 430 euros.
- de la lettre d'accord de la banque Martin Maurel pour la mise en place d'un crédit terrain à hauteur de 120 000 euros et d'un crédit d'accompagnement de 230 000 euros.
Cette condition a été remplie, seul le contrat de prêt de 230 000 euros ayant toutefois été versé aux débats.
- des marchés de travaux des corps d'état jusqu'au hors d'air.
La CEGC qui produit les marchés de travaux qu'elle a conclu dans le cadre de la mise en oeuvre de la garantie d'achèvement, ne démontre pas avoir été en possession des marchés de travaux qui auraient initialement dus être signés par la Sci Les Résidences Saint-Jaume avec diverses entreprises du bâtiment.
- de l'attestation de versement des apports à hauteur de 197 000 euros
La CEGI verse à cet égard une télécopie qui lui a été adressée le 16 décembre 2003 par M. [W] comprenant des pièces supposées démontre les apports de la Sci Les Résidences Saint Jaume au projet à hauteur de 259 176,44 euros.
Toutefois, s'agissant de l'apport de 80 000 euros supposé avoir été fait au titre des travaux de terrassement, n'est produite que la copie du recto d'un chèque d'acompte émis par la société SPI à l'ordre de la société Pinguet d'un montant de 80 000 euros.
L'apport de 107 000 euros supposé avoir été fait au titre de l'achat du terrain n'est pas justifié.
L'apport de 12 816,90 euros supposé avoir été fait pour les frais de géomètre n'est justifié que par la production d'une convention signée uniquement par M. [W] au nom de la société SPI avec la Scp Schubert datée du 7 octobre 2003 pour la réalisation de l'ensemble des missions topographiques et foncières pour un montant de 14 950 euros, deux factures n° 02/06/057 - 28081 et 02/06/004-28081 du 28 juin 2002 de respectivement 2 990 et 5 382 euros et la copie de la souche d'un chèque de 4 186 euros émis le 9 novembre 2002 sur un compte non identifié.
L'apport de 21 260 euros supposé avoir été fait pour les frais de publicité n'est justifié que par la production d'une facture n° 141-07-2003 du 2 juillet 2003 de 21 200 euros TTC de la société Laforêt comportant la mention manuscrite 'payé par chèque BPPC n° 1351828".
L'apport de 38 099,54 euros supposé avoir été fait pour les honoraires de l'architecte n'est justifié que par la production d'une note d'honoraires du 2 septembre 2003 du bureau de maîtrise d'oeuvre Vernet à [Localité 6] d'un montant résiduel compte tenu d'acomptes déjà versés de 23 099,54 euros pour le permis de construire de 23 logements à [Localité 9], ne comportant pas la mention 'acquittée' ou 'payée' mais la mention manuscrite 'déduire acompte janvier 2003 15 000 euros reste du 24 804,10 TTC dont TVA 19,60% 4 064,90. Toutes les autres pièces versées sont postérieures à la date de la signature de l'engagement de caution.
- de la communication des statuts et du Kbis de la Sci, du transfert du permis de construire à la Sci, et de l'attestation notariée confirmant la cession du terrain à la Sci,
Ces pièces ne sont pas produites aux débats.
- de la promesse d'affectation hypothécaire avec dispense d'inscription avec mandat notarié d'hypothéquer à la première demande de la CEGI et/ou de la banque en rang 1 à hauteur de 230 000 euros,
Cette pièce est produite par la banque (pièce 65) et datée du 18 décembre 2003,
- de l'accord pour le blocage des fonds propres jusqu'à la production de la DAT
La CGEC verse aux débats l'attestation en date du 8 décembre 2003 de M. [W], gérant de la Sci Les Résidences Saint Jaume 's'engageant au blocage des fonds propres jusqu'à la production de la déclaration d'achèvement des travaux')
- du constat d'affichage sur site et en mairie
Cette pièce n'est pas versée aux débats.
- de la communication à la CEGI de la matrice notariale des actes de vente.
Il n'est pas conclu à cet égard.
- de l'engagement de non-cession des parts sociales par chacun des associés
Aucune pièce n'est produite à cet égard.
- de la justification des notes de couverture des polices d'assurances figurant aux conditions générales.
Aucune pièce n'est produite à cet égard.
Comme l'a jugé la cour précédemment, le garant qui achève les travaux à la suite de la défaillance du constructeur remplit une obligation qui lui est personnelle, et n'est pas fondé à obtenir de tiers le remboursement des sommes qu'il a déboursées en exécution de ses obligations contractées à l'égard des acquéreurs ; il est en effet fondé à exiger de ceux-ci le paiement du solde du prix de vente, la Sci Les Résidences Saint Jaume, en liquidation judiciaire, n'étant titulaire d'aucune créance à ce titre.
La somme réclamée de 1 366 946,16 euros correspond au montant des fonds détournés par M. [W] au préjudice de la Sci Les Résidences Saint Jaume et au profit d'autres sociétés dont il était le gérant, faits pour lesquels il a été condamné pour abus de biens dans le cadre de la procédure pénale évoquée.
La CEGC, qui ne démontre pas avoir exercé l'action subrogatoire dont elle disposait en paiement du prix des lots non commercialisés du programme, ne rapporte pas la preuve du caractère direct du lien de causalité entre ces détournements et le préjudice dont elle allègue.
Elle ne démontre pas davantage que sa garantie financière n'a été mise en oeuvre que du fait de ces détournements, alors qu'elle ne démontre pas avoir préalablement à l'octroi de sa garantie satisfait entièrement à son obligation de vérification de la situation de la Sci Les Résidences Saint Jaume, ne produisant pas devant la cour l'ensemble des éléments théoriquement préalablement nécessaires à cet octroi.
Son préjudice consiste donc, non pas dans le montant total des sommes détournées de l'opération de construction, mais dans la disparition de toute éventualité de réussite de cette opération causée de manière directe et certaines par les fautes conjuguées de M. [W] et de la banque Martin Maurel, qui sera justement évaluée la somme de 584 870 euros correspondant au tiers des sommes qu'elle a engagées pour achever la construction des immeubles.
Le chef de jugement dont la cour restait saisie de l'appel sera en conséquence infirmé et la banque Rothschild Martin Maurel condamnée in solidum avec M. [A] [W] à payer à la CEGC la somme de 584 870 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par ses fautes.
*autres demandes
La Banque Rothschild Martin Maurel qui succombe au principal devra supporter les dépens de la présente instance.
L'équité ne commande pas ici de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile entre les parties.
PAR CES MOTIFS
La cour
Statuant à nouveau du seul chef de l'arrêt de cette cour du 17 juin 2021 saisie de l'appel du jugement du tribunal de grande instance d'Avignon du 6 août 2019 cassé par l'arrêt de la Cour de cassation du 13 avril 2023 en ce qu'il limite à 584 970 euros la somme que la société Rothschild Martin Maurel et M. [W] sont condamnés in solidum à payer à la CEGC à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leurs fautes,
Condamne in solidum la Banque Rothschild Martin Maurel et M. [A] [W] à payer à la CEGC la somme de 584 870 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par leurs fautes,
Y ajoutant
Condamne la Banque Rothschild Martin Maurel aux dépens de la présente instance,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE