RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/01608 -
N° Portalis DBVH-V-B7H-IZ7Z
ID
TRIBUNAL
JUDICIAIRE DE NIMES
21 avril 2023
RG :22/01981
[N]
C/
[O]
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU GARD
Grosse délivrée
le 04/07/2024
à Me Noëlle Becrit Glondu
à Me Georges Pomiès Richaud
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 21 avril 2023, N°22/01981
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Delphine Duprat, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 28 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2024 prorogé au 04 juillet 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
M. [D] [N]
assisté par l'Association Tutélaire de Gestion en qualité de curatrice
né le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 11] (30)
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représenté par Me Noëlle Becrit Glondu de la Selarl Becrit Glondu Noëlle, plaidante/postulante, avocate au barreau de Nîmes
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro C301892023003197 du 23/05/2023 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Nîmes)
INTIMÉES :
Mme [R] [O]
née le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 10]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Georges Pomiès Richaud, postulant, avocat au barreau de Nîmes
Représentée par Me Thierry Berger, plaidant, avocat au barreau de Montpellier
La CPAM du Gard
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité
[Adresse 1]
[Localité 6]
Assignée à personne le 16 juin 2023
Sans avocat constitué
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 04 juillet 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 12 mai 2012 lors d'une ferrade organisée à [Localité 9] (30) par Mme [R] [O], M. [D] [N], né le [Date naissance 3] 1957 est tombé de cheval.
Il a présenté une luxation de l'épaule gauche et un traumatisme crânien avec perte de connaissance en lien avec une hémorragie intracrânienne.
Le 13 mai 2013 lui a été attribuée une allocation handicapé.
Par jugement du 29 octobre 2021 il a été placé sous curatelle renforcée initialement confiée à M. [Z] [S], mandataire judiciaire à la protection des majeurs, puis à Mme [B] [X], et en dernier lieu de l'Association Tutélaire de Gestion de [Localité 11].
Par acte des 29 avril et 2 mai 2022 assistée de son curateur il a fait assigner Mme [R] [O] en indemnisation de ses préjudices devant le tribunal judiciaire de Nîmes qui par jugement du 21 avril 2023 :
- a rejeté ses demandes,
- l'a condamné à payer à Mme [O] une somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
M. [D] [N] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 mai 2023.
Il a régulièrement signifié sa déclaration d'appel à la CPAM du Gard le 16 juin 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Au terme de ses conclusions régulièrement notifiées le 27 septembre 2023 M. [D] [N], assisté de sa curatrice l'Association Tutélaire de Gestion de [Localité 11] demande à la cour :
Vu les articles 1385 ancien du code civil, 1243 nouveau du code civil , 2226 du code civil,
- de dire et juger son appel recevable et bien fondé
- de réformer le jugement dont appel en toute ses dispositions
Statuant à nouveau
- de dire et juger
- que son action en responsabilité est recevable et bien fondée,
- que Mme [O] propriétaire de la manade [O] et gardien(ne) au sens de l'article 1243 du code civil des animaux, le cheval et le veau, qui en sont à l'origine, est responsable de sa chute et de ses conséquences,
- qu'il n'était pas le gardien du cheval au moment de l'accident,
- que Mme [O] a conservé la garde du cheval au moment de l'accident,
- qu'elle a conservé la garde du veau au moment de l'accident.
- qu'elle ne peut pas lui opposer l'acceptation des risques,
- qu'elle ne peut pas lui opposer sa propre faute,
En conséquence
- de la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- d'ordonner une expertise médicale et dire que l'expert judiciaire devra s'adjoindre un sapiteur psychiatre,
- de condamner Mme [O] à lui verser une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices toutes causes confondues,
- de déclarer le jugement commun à la CPAM du Gard (assuré social n° 1 30 0 50 013 01 13 17),
- de condamner Mme [O] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Au terme de ses conclusions d'intimée n°2 régulièrement notifiées le 6 novembre 2023 Mme [R] [O] demande à la cour :
Vu l'article 1243 du code civil,
- de confirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté les demandes formulées par M. [D] [N],
- a condamné celui-ci à lui payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- l'a condamné aux dépens,
En conséquence,
- de débouter M. [N] représenté par son curateur, l'Association Tutélaire de Gestion de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant
- de le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la présente instance.
La clôture de la procédure a été prononcée au 28 mai 2024 par ordonnance du 30 janvier 2024.
La CPAM du Gard, à laquelle la déclaration d'appel a été régulièrement signifiée, n'a pas constitué avocat.
Par application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile il est expressément fait référence aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIVATION
Pour débouter M. [D] [N] de ses demandes, le tribunal, tout en jugeant que Mme [R] [O] était, en qualité de propriétaire et gardienne du veau dont les parties s'accordaient sur le fait que son intervention avait participé à l'accident, susceptible de voir sa responsabilité engagée, a dit que la victime, en montant le cheval pour participer à la ferrade, était devenu gardien de celui-ci et, en tant que cavalier émérite, lui même propriétaire d'une manade, connaissait parfaitement les risques inhérents à la participation à une ferrade, au cours de laquelle le risque de chute est irréductible.
L'appelant prétend qu'ayant dispensé des consignes aux participants de la manifestation se déroulant sous sa surveillance, Mme [R] [O] avait conservé une partie de ses pouvoirs de gardien sur le cheval qu'il montait ; qu'elle était restée gardienne du veau, de sorte que la présomption de sa responsabilité est établie ; que la victime d'un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité du gardien de celle-ci sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques; qu'il n'a par ailleurs commis aucune faute.
L'intimée prétend qu'au cours d'une ferrade seul le cavalier dispose des pouvoirs de contrôle, d'usage et de direction de sa monture, dont il doit être regardé comme le gardien ; que la garde du cheval dont elle était propriétaire monté par l'appelant avait été transférée à celui-ci, qui s'est rapproché du veau malgré les consignes dispensées oralement de ne pas doubler celui-ci, jusqu'à venir croiser sa trajectoire et le percuter, occasionnant la chute cause du dommage ; que contrairement à ce que jugé par le tribunal, le comportement du veau n'a eu aucun rôle causal dans l'accident, et qu'en tout état de cause, sa garde avait été confiée à l'ensemble des manadiers qui devaient l'accompagner jusqu'au lieu de la ferrade ; qu'à supposer qu'elle puisse être considérée comme gardienne tant du cheval que du veau au moment de l'accident, l'appelant et victime avait accepté le risque de chute inhérent à la pratique équestre, ainsi que le risque inhérent à la pratique d'une ferrade de voir un veau, en l'espèce, effrayer sa monture et provoquer sa chute ; qu'enfin, la victime a commis une faute d'une part en ne gardant pas ses distances avec le veau et d'autre part en ne portant aucune protection de type bombe ou casque.
Aux termes de l'article 1385 ancien du code civil en vigueur au jour de l'accident survenu le 12 mai 2012, le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé.
Ce texte institue une présomption de responsabilité du propriétaire et gardien de l'animal dont le comportement a eu un rôle causal dans la survenance d'un dommage.
Il incombe ici à la victime, pour engager la responsabilité de l'intimée, dont la propriété ni du cheval ni du veau impliqués dans l'accident n'est contestée, de démontrer qu'elle avait conservé la garde de l'un et/ou de l'autre au moment de la survenance de celui-ci.
*responsabilité de la propriétaire du cheval du fait de celui-ci
L'appelant soutient qu'il n'était pas le gardien du cheval qu'il montait au moment de l'accident, de telle sorte que Mme [O] en avait conservé la garde, en l'occurrence le pouvoir de direction, qui s'est exprimé par le fait qu'elle a dispensé aux participants la consigne suivante 'ne le doublez pas' (en parlant du veau).
Il produit la déclaration du 14 mai 2012 de Mme [O] à son assureur de l'accident du 12 mai 2012 ainsi rédigée :
'M. [N] [D] s'est rendu pour son plaisir personnel dans le cadre de nos traditions camarguaises à la ferrade du 12 mai 2012 à notre manade située sur la commune d'[Localité 9] afin d'assister à la ferrade.
Venu ce jour-là à la fête, il était à cheval. Il a été renversé du cheval par un veau qui lui a coupé la route. (...)'.
Il produit encore un courrier manuscrit daté du 16 mai 2012 à en-tête de M. [D] et Mme [U] [N] ainsi rédigé :
'Je vous écris ce jour pour déclarer que mon frère M. [N] [D] a eu un accident grave samedi matin 12 mai 2012 chez M. [M] [O] manadier à [Localité 12]. En effet au cours d'une ferrade à laquelle s'était rendu mon frère, celui-ci est tombé de cheval lourdement sur la tête.
M. [M] [O] lui a gracieusement prêté un cheval pour participer à cette manifestation, quand en voulant rabattre un petit veau mon frère a chuté de sa monture.(...)'.
Il ne s'évince de ces courriers la preuve de l'exercice d'aucun pouvoir de direction de la propriétaire du cheval sur celui-ci, alors même que le second, rédigé par la soeur de la victime, expose l'action de rabattre (le) veau que son frère a voulu réaliser, et qui a causé sa chute.
Il ne peut être prétendu que la consigne 'ne le doublez pas' a été adressée au cheval mais nécessairement à l'ensemble des cavaliers de la manade, et cette consigne ne caractérise l'exercice d'aucun pouvoir de direction sur le cheval monté par la victime, dont celle-ci avait conservé l'usage et le contrôle.
*responsabilité de la propriétaire du veau du fait de celui-ci
L'appelant fait sienne la motivation du tribunal ayant relevé que le veau avait eu un rôle causal dans sa chute, 'les parties s'accordant sur le fait que son intervention avait participé à l'accident'.
L'intimée qui ne conteste pas être propriétaire du veau conteste en avoir au moment de l'accident conservé l'usage, le contrôle et la direction, et soutient que sa garde avait été confiée à l'ensemble des manadiers, qui devaient l'accompagner jusqu'au lieu de la ferrade.
Le CR ROM qu'elle verse aux débats n'a pas pu être exploité.
L'intimée allègue que la vidéo enregistrée sur ce CR-ROM montre que le veau a eu une trajectoire linéaire et que la victime sur sa monture est venue par l'arrière lui couper la route malgré les consignes 'ne le doublez pas' qu'elle a dispensées.
Cette allégation est corroborée par les propres écrits de M. [D] [N] dans sa déclaration à son assureur selon laquelle 'Il a été renversé du cheval par un veau qui lui a coupé la route. (...)' ce qui suppose nécessairement qu'il arrivait perpendiculairement ou avec un angle fermé vers ce veau, malgré la consigne qu'il allègue lui-même avoir été donnée de 'ne pas le doubler'.
Il échoue ce faisant à démontrer que la propriétaire du veau a pu conserver tout pouvoir de direction sur celui-ci, alors que l'animal avait été lâché dans un enclos où se trouvaient tous les manadiers dont l'objectif était de l'amener au lieu prévu pour la ferrade.
Aucune présomption de responsabilité de la propriétaire du cheval et du veau n'est donc ici caractérisée.
L'éventuelle acceptation des risques par la victime ou la commission par elle d'une faute, alléguée par l'intimée, sont donc ici inopérantes et les demandes à ce titre devenues sans objet, de même que les demandes d'expertise et de provision de l'appelant.
Le jugement sera en conséquence confirmé par substitution de motifs.
M. [D] [N] qui succombe devra supporter les dépens de la présente instance, le jugement étant également confirmé sur ce point.
Il devra verser à Mme [R] [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en appel, le jugement étant également confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour
Confirme en toutes ses dispositions par substitution de motifs le jugement du tribunal judiciaire de Carpentras en date du 21 avril 2023 n° RG 22/01981
Y ajoutant
Déclare le présent arrêt opposable à la CPAM du Gard,
Condamne M. [D] [N], assisté de sa curatrice l'AssociationTutélaire de Gestion de [Localité 11] aux dépens,
Condamne M. [D] [N], assisté de sa curatrice l'AssociationTutélaire de Gestion de [Localité 11] à payer à Mme [R] [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,