RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03376 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ITCI
CG
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES
24 septembre 2021
RG :21/00532
[B]
C/
[H]
Grosse délivrée
le
à SCP COULOMB DIVISIA..
Me DUMAS LAIROLLE
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 27 JUIN 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 24 Septembre 2021, N°21/00532
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Catherine GINOUX, Magistrat honoraire juridictionnel, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Nathalie AZOUARD, Présidente de Chambre
Virginie HUET, Conseillère
Catherine GINOUX, Magistrat honoraire juridictionnel
GREFFIER :
Madame Véronique PELLISSIER, Greffière, lors des débats, et Mme C2line DELCOURT, Greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 25 Avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 27 Juin 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
M. [N] [B]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉ :
M. [P] [H]
né le 23 Octobre 1975 à [Localité 3]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Julien DUMAS LAIROLLE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 28 mars 2024
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcée publiquement et signée par Mme Nathalie AZOUARD, Présidente de Chambre, le 27 Juin 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour.
Exposé du litige
Monsieur [P] [H], paysan-boulanger, a commandé un four à pains traditionnel avec foyer en maçonnerie de briques surmonté d'une sole de cuissons, à M. [B] exerçant sous l'enseigne de Talleres Cimp qui l'a construit , pour un montant de 20 000 € au mois d'avril 2013, outre la somme de 1028, 50 € correspondant au transport.
Se plaignant du dysfonctionnement du four, Monsieur [H] a saisi le Juge des référés afin de voir ordonner une expertise judiciaire, et par ordonnance du 6 février 2019, Monsieur [Y] [E] a été commis pour ce faire.
Il a déposé son rapport définitif le 19 février 2020.
Par jugements en date du 24 septembre 2021 et rectificatif du 12 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Nimes a statué en ces termes :
- Dit que Monsieur [N] [B] Exerçant sous l'enseigne commerciale
Talleres Cimp est entièrement responsable des désordres affectant l'ouvrage édifié en
2013 pour le compte de Monsieur [P] [H]
- Condamne Monsieur [N] [B] à payer à M. [P] [H] les
sommes suivantes :
' 199 045,50 euros euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel
' 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral.
-Condamne Monsieur [N] [B] au paiement des entiers dépens qui comprendront le coût de la procédure de référé et des frais d'expertise judiciaire.
- Condamne Monsieur [N] [B] à payer à M. [P] [H] la somme de 3 000 Euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration effectuée le 18 octobre 2022, M. [H] a interjeté appel de ces jugements.
Suivant conclusions notifiées le 18 janvier 2023, M. [N] [B] demande à la cour de :
-se déclarer incompétent territorialement au profit des juridictions de Granollers en Espagne qui sont exclusivement compétents pour toute action en justice.
-Infirmer en toutes ses dispositions les jugements dont appel des 24 septembre 2021
et 12 octobre 2021
Subsidiairement,
-Infirmer les jugements dont appel en toutes leurs dispositions faute pour Monsieur
[H] de justifier de ses préjudices.
En tout état de causes,
-Condamner Monsieur [H] à lui verser une somme de 2 000 € au titre des dispositions de
l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens .
L'appelant fait valoir que le four a été acquis pour une somme de 20 000 €, de sorte que l'évaluation du préjudice matériel n'est pas justifiée. Il estime que M. [H] qui débutait une activité de paysan boulanger ne peut justifier d'un manque à gagner pour cette nouvelle activité. Il soutient que la cour ne pourra pas évoquer n'étant pas juridiction d'appel des tribunaux de la ville de Granollers en Espagne.
Par conclusions notifiées le 17 avril 2023 , M. [H] demande à la cour de :
- Déclarer irrecevable la demande d'incompétence formulée à la Cour par l'appelant,
subsidiairement, l'en débouter
- Confirmer les jugements entrepris sauf en ce qu'ils fixent à 10.000 euros les dommages et intérêts accordés en réparation de son préjudice moral
- statuant du chef infirmé, Condamner M. [B] à lui payer la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,
- Condamner Monsieur [N] [B] à lui verser la somme de 2.500 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en appel
L'intimé estime que l'exception d'incompétence soulevée par l'appelant est irrecevable dès lors qu'elle aurait dû être présentée devant le conseiller de la mise en état.
Subsidiairement, il prétend qu'elle est inondée puisque la demande de Monsieur [H], formulée au titre des articles 1792 et suivants du code civil, permet de retenir la compétence du Tribunal Judiciaire de Nîmes tant sur le fondement de l'article 44 que de l'article 46 du code de procédure civile, s'agissant du lieu de situation de l'immeuble.
Sur le fond, il fait valoir qu'il résulte de l'expertise judiciaire l'impropriété à destination de l'ouvrage.
La clôture de la procédure a été fixée au 28 mars 2024.
L'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 25 avril 2024 2024 et mise en délibéré par mise à disposition au 27 juin 2024.
Motifs de la décision
Sur l'exception d'incompétence territoriale
Selon l'article 789 du code de procédure civile auquel renvoie l'article 907 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état est exclusivement compétent pour statuer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l'instance. Ainsi en l'espèce,dès lors que la question de la compétence n'avait pas été tranchée en première instance, le conseiller de la mise en état était compétent à l'exclusion de toute autre formation, pour statuer sur l'exception d'incompétence territoriale soulevée par M. [B].
Surabondamment, la cour observe que M. [B] invoque une clause contractuelle des conditions générales attribuant compétence aux juridictions espagnoles, sans produire les dites conditions et sans établir qu'elles sont rentrées dans le champ contractuel.
Il y a donc lieu de déclarer irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par M. [B].
Sur la demande d'indemnisation
Il importe de relever que M. [B] ne conteste pas le principe de sa responsabilité sur le fondement de l'article 1792 du code civil, édictant une responsabilité légale de plein droit de l'entrepreneur ou du locateur d'ouvrage, étant précisé que même si la facture mentionne la simple commande d'un four, 'il résulte de l'expertise que M. [B] a fabriqué un four à pain, puis est intervenu sur place pour le maçonner.
Ainsi, la qualification de contrat d'entreprise doit être retenue dès lors que l'intention des parties était la fabrication et la mise en place d'un four conformément aux désirs de M. [H], se décrivant comme paysan boulanger.
L'expertise judiciaire, nonobstant l'absence de M. [B] aux accédits a été réalisée par M. [E] au contradictoire des parties dans la mesure où M. [B] a été régulièrement convoqué par l'expert par voie électronique. Elle doit donc servir de base à l'évaluation des préjudices subis par M. [H].
L'expert a constaté :
- des fissurations sur toute la longueur dans l'axe de la voute.
- la dégradation des voutins maçonnés à l'entrée du plafond du foyer (joints pulvérulents et déficients)
- la dégradation du revêtement de la sole (plancher) de la chambre de cuisson (réagréage en phase pulvérulente)
- des fissures de rétractation à la liaison de la dalle réfractaire et de la gaine métallique verticale d'évacuation des fumées
- la présence de suie sur les parois de la chambre de cuisson ainsi que sur les parois du local abritant le four.
Lorsque l'expert a mis en chauffe le four, il a constaté une importante émission de fumée en provenance de la porte de chargement du four ainsi que de la fumée noirâtre dans la chambre de cuisson.
L'article 1792 du code civil dispose que : 'Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère'.
Selon l'expert, il existe un défaut d'étanchéité entre le foyer inférieur (sous la sole) et la chambre de cuisson. Cette situation ne permet pas d'assurer la sécurité alimentaire du produit en raison de dépôt de suie sur le pain et elle est susceptible de mettre en danger la santé du boulanger.
Par ailleurs, l'expert a relevé des difficultés de combustion et d'évacuation des fumées et gaz de combustion , liées à la conception défectueuse du four et notamment à l'impossibilité de procéder à l'entretien et au ramonage de la gaine verticale.
Il conclut que les désordres constatés sont de nature à rendre ce four impropre à sa destination.
S'agissant d'une responsabilité de plein droit, la mise en 'uvre de la responsabilité décennale des constructeurs suppose l'existence d'un lien d'imputabilité entre le dommage constaté et l'activité des personnes réputées constructeurs.
Il ressort de l'examen des pièces versées aux débats et du rapport d'expertise, que le désordre dont s'agit, est directement en lien avec l'activité de M. [B] qui est intervenu précisément pour concevoir et maçonner le four professionnel destiné à M. [H].
L'expert estime que le déficit de conception et la mise en oeuvre de ce four par le fabricant M. [B] constituent l'origine et les causes de la défaillance du four.
Par ailleurs, il importe de relever que M. [B] n'allègue ni n'établit l'existence d'une cause étrangère susceptible de l' exonérer.
Ainsi ce désordre est imputable à M. [B] exerçant sous l'enseigne Talleres CMP.
Sur les préjudices
Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats, et notamment du rapport d'expertise, que la réparation du four n'est pas envisageable, que le coût des travaux de remise en état consistant en la dépose du four représente la somme de 9.600 euros et que reconstruction d'un four équivalent s'élève à la somme actualisée de 53.388 euros ,selon devis émanant de la société Pro Services Boulangerie.
Il importe de rappeler qu'en application du principe de réparation intégrale du préjudice, le maître de l'ouvrage doit être replacé dans une situation aussi proche que possible de la situation qui aurait été la sienne si le fait dommageable ne s'était pas produit.
Ainsi , les dommages et intérêts alloués à M. [H] doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il résulte pour lui ni perte, ni profit.
L'exécution effective des travaux de réparation par le maître de l'ouvrage n'est pas exigée pour l'indemnisation des dommages.
L'évaluation du préjudice peut donc être effectuée sur devis et non sur facture.
En l'espèce, M. [B] se borne à souligner que le coût du remplacement du four ( 53.388 euros en juillet 2019 ) est sans commune mesure avec le prix payé par M. [H] ( 21.028,50 euros en avril 2013) sans produire aucune pièce.
Or la cour relève que d'une part, plus de six années se sont écoulées depuis et que d'autre part, rien ne permet d'établir que le devis ne reflète pas la réalité du marché actuel, de sorte qu'il sera alloué à M. [H] la somme de 53.388 euros, au titre du remplacement du four afin d'assurer la réparation intégrale du préjudice subi par M. [H] de ce chef.
Par ailleurs, M. [H] prétend avoir subi un préjudice financier important lié au manque à gagner du fait du dysfonctionnement du four.
Afin de parvenir à l'évaluation de ce préjudice, l'expert a commandité un rapport d'expertise d'analyse financière auprès de la société Biocivam 11 (chambre d'agriculture de l'Aude) dont il résulte que le four acquis par M. [H] était dimensionné pour une production de 300 à 400 kgs de pains par semaine.
La cour observe que M. [H] est un agriculteur qui produit ses propres céréales lui permettant de disposer d'une farine destinée à la fabrication de son pain de manière traditionnelle.
Selon le sapiteur, l'objectif de 350 kgs était raisonnable, compte tenu de la forte demande pour ce type de pain.
Or, le dysfonctionnement du four a limité à 150 kgs par semaine la production de pain, ce qui n' a pas permis à M. [H] de développer son réseau de distribution de paysan meunier qui a été conquis par la concurrence.
Le sapiteur a chiffré le manque à gagner de valeur ajoutée pour la période de 2014 à 2018 à la somme de 136.057,50 euros.
Eu égard à l'absence de tout élément de nature à contredire cette analyse reposant sur des données sérieuses communiquées par la chambre d'agriculture pour une activité identique à celle exercée par M. [H], c'est à juste titre que le premier juge a retenu le chiffrage proposé par l'expert.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a fixé le préjudice global de M. [H] à la somme de 199.045,50 euros, se décomposant comme suit :
- démolition du four ...................................... 9.900 euros
- reconstruction d'un four à l'identique.........53.388 euros
- manque à gagner de 2014 à 2018.............136.057,50 euros.
Sur le préjudice moral
M. [H] a été exposé quotidiennement pendant six années à un environnement particulièrement toxique , envahi de fumée et de suie. Il a dû en outre consacrer trois heures supplémentaires par jour à la cuisson du pain, en raison d'une trop lente montée en chauffe du four.
Ces éléments justifient de lui accorder la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts , en réparation de son préjudice moral.
Le jugement sera donc confirmé à cet égard.
Sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
En cause d'appel, M. [B] qui succombe, sera condamné à payer à M. [H] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement , contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Déclare irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par M. [B]
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
y Ajoutant
Condamne M. [N] [B] à payer à M. [P] [H] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne M. [N] [B] aux dépens d'appel
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,