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20/06/2024 | FRANCE | N°22/03039

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 1ère chambre, 20 juin 2024, 22/03039


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



































ARRÊT N°



N° RG 22/03039 -

N° Portalis DBVH-V-B7G-IR7D



DD



TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ALES

30 août 2022

RG:22/00181



S.A. LA SAUVEGARDE



C/



[N]

[N]

[N] NÉE [U]

MADAME LA RECTRICE DE LA RÉGION ACADÉMIQUE OCCITAN IE

CPAM DU GARD





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Grosse délivrée

le 20/06/2024

à Me Caroline Favre de Thierrens

à Me Marc Geiger

à Me Pauline Garcia















COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

1ère chambre





ARRÊT DU 20 JUIN 2024





Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire d'Alès en date du 30 août 2022, N°22/...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03039 -

N° Portalis DBVH-V-B7G-IR7D

DD

TRIBUNAL JUDICIAIRE D'ALES

30 août 2022

RG:22/00181

S.A. LA SAUVEGARDE

C/

[N]

[N]

[N] NÉE [U]

MADAME LA RECTRICE DE LA RÉGION ACADÉMIQUE OCCITAN IE

CPAM DU GARD

Grosse délivrée

le 20/06/2024

à Me Caroline Favre de Thierrens

à Me Marc Geiger

à Me Pauline Garcia

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

1ère chambre

ARRÊT DU 20 JUIN 2024

Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire d'Alès en date du 30 août 2022, N°22/00181

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,

Mme Delphine Duprat, conseillère,

Mme Audrey Gentilini, conseillère,

GREFFIER :

Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 14 mai 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 juin 2024.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTE :

La Sa LA SAUVEGARDE

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 3]

[Localité 10]

Représentée par Me Caroline Favre de Thierrens de la Selarl Favre de Thierrens Barnouin Vrignaud Mazars Drimaracci, avocate au barreau de Nîmes

INTIMÉS :

M. [P] [N]

en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure [I] [N]

né le [Date naissance 4] 1977 à [Localité 12] (Maroc)

[Adresse 5]

[Localité 7]

Melle [I] [N]

Mineure, représentée par ses parents M. [P] [N] et Mme [V] [U] épouse [N]

née le [Date naissance 1] 2010 à [Localité 7] (30)

[Adresse 5]

[Localité 7]

Mme [V] [N] née [U]

en son nom personnel et en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure [I] [N]

née le [Date naissance 6] 1981 à [Localité 7] (30)

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentés par Me Marc Geiger de la Selarl cabinet Geiger, avocat au barreau de Carpentras

L'ETAT FRANÇAIS, pris en la personne de Mme la rectrice de la Région Académique Occitanie, domiciliée en cette qualité

[Adresse 9]

[Localité 11]

Représentée par Me Pauline Garcia de la Selarl PG avocat, avocate au barreau de Nîmes

La CPAM du Gard

Prise en la personne de son représentant légal en exercice

[Adresse 2]

[Localité 8]

Assignée à personne le 28 octobre 2022

Sans avocat constitué

ARRÊT :

Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 20 juin 2024, par mise à disposition au greffe de la cour

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Le 29 septembre 2016, [I] [N], âgée de 5 ans, scolarisée en classe de CP à l'école [D] [A] à [Localité 7], a été victime d'un accident alors qu'elle jouait dans la cour de récréation.

Elle a été emmenée en service de réanimation pédiatrique à [Localité 11] où elle a été plongée dans un coma artificiel en raison d'un traumatisme crânien sévère. Elle a ensuite été admise en service de neurologie avant de faire l'objet d'une rééducation pendant plusieurs mois pour réapprendre à parler et à marcher.

Le 14 mars 2017, l'enquête pénale initialement diligentée a été classée sans suite.

Ses parents M. et Mme [N], soutenant que leur fille avait été percutée par un élève de l'école, se sont rapprochés de la GMF assureur de responsabilité civile du père de celui-ci, qui a diligenté une expertise contradictoire puis leur a versé la somme de 3 000 euros à valoir sur son préjudice.

Par acte du 14 mars 2017, M. et Mme [N] ont assigné en référé-expertise la GMF et l'Etat français, pris en la personne de la rectrice de la région académique Occitanie ainsi que la CPAM du Gard.

La société La Sauvegarde est intervenue volontairement à la procédure en lieu et place de la GMF.

Par ordonnance du 27 juin 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance d'Alès a mis la GMF hors de cause, ordonné une expertise médicale et désigné pour y procéder le Dr [K] [W], neuro-pédiatre, qui a déposé son rapport définitif le 9 novembre 2019, concluant à l'absence de consolidation de l'état de la victime et à la nécessité de prévoir une nouvelle expertise à sa période pubertaire.

M. [P] [N] et Mme [V] [U] épouse [N], tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille mineure, ont par actes des 11, 12 et 17 août 2020 assigné aux fins d'indemnisation de leur entier préjudice la société La Sauvegarde, en qualité d'assureur de responsabilité civile du tiers responsable, l'Etat français, pris en la personne de la rectrice de la région académique Occitanie et la CPAM du Gard devant le tribunal judiciaire d'Alès qui par jugement du 22 mars 2022, statuant en juge unique, a renvoyé l'affaire devant la formation collégiale de sa chambre civile.

Par jugement réputé contradictoire du 30 août 2022, ce tribunal a ensuite :

- condamné la société La Sauvegarde à payer à M. et Mme [N] :

- en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure la somme provisionnelle de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis par celle-ci,

- en leur nom personnel, la somme provisionnelle de 10 000 euros chacun à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice d'affection,

- rejeté en l'état leur demande de provision formulée au titre du préjudice économique,

- rejeté leurs demandes formulées à l'encontre de la rectrice de la région académique Occitanie, représentant l'Etat français,

- condamné la société La Sauvegarde à leur payer la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté la demande formulée par la rectrice de la région académique Occitanie, représentant l'Etat français, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société La Sauvegarde aux entiers dépens de l'instance,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit, conformément à l'article 514 du code de procédure civile.

Par déclaration du 9 septembre 2022, la société La Sauvegarde a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance du 16 janvier 2024 la procédure a été clôturée le 30 avril 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 14 mai 2024.

EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS

Par conclusions notifiées le 17 avril 2023, la société La Sauvegarde demande à la cour :

- d'infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a :

- rejeté en l'état la demande de provision formulée par M. et Mme [N] au titre du préjudice économique,

- rejeté la demande formulée par la rectrice de la région académique Occitanie, représentant l'Etat français, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau

A titre principal

- de prononcer sa mise hors de cause,

- de débouter M. et Mme [N] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre,

- de débouter l'Etat français de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre,

A titre subsidiaire

- de condamner celui-ci à la relever et garantir des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre,

- de ramener à de plus justes proportions la provision allouée à la victime principale, à valoir sur l'indemnisation des préjudices définitifs,

- de débouter M. et Mme [N] de leur demande de provision à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice d'affection,

- de les débouter ainsi l'Etat français de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelante soutient :

- que la procédure pénale ne permet pas de caractériser avec certitude l'implication de l'enfant [Y] [T] dans l'accident dont a été victime l'enfant [I] [N],

- que si elle avait eu connaissance de ces éléments au moment de la demande de prise en charge du sinistre formulée par les parents de celle-ci, elle n'aurait pas confirmé la mise en jeu de sa garantie qui ne saurait valoir reconnaissance pour l'avenir de la prise en charge du sinistre,

à titre subsidiaire

- que seule la responsabilité des instituteurs substituée par celle de l'Etat peut ici être retenue en application de l'article 1242 du code civil ; que les instituteurs présents lors de l'accident ont manqué à leur obligation de surveillance telle que définie à l'article D. 321-12 du code de l'éducation,

- que le montant alloué à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice de l'enfant [I] [N] devra être ramené à de plus justes proportions,

- qu'aucun élément objectif ne permet d'allouer à titre provisionnel une somme sur la base du préjudice d'affection subi par ses parents.

Par conclusions notifiées le 22 décembre 2022, M. et Mme [N], agissant tant en leur nom qu'en qualité de représentants légaux de leur fille mineure demandent à la cour :

- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- de débouter la société La Sauvegarde de l'ensemble de ses demandes,

Y ajoutant

- de condamner cette société à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les intimés soutiennent :

- qu'il est établi avec certitude que l'enfant [Y] [T] est à l'origine de l'accident de leur fille,

- qu'ils disposent d'une action directe à l'encontre de la société La Sauvegarde, assureur de responsabilité civile des parents de celui-ci, en application de l'article L.124-3 du code des assurances,

- que bien que l'état de santé de leur fille ne soit pas consolidé, les premières constatations retenues par l'expert judiciaire permettent de leur allouer une somme provisionnelle de 100 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ainsi qu'une somme de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice d'affection.

Par conclusions notifiées le 11 avril 2023, l'Etat français, pris en la personne de la rectrice de la région académique Occitanie, demande à la cour :

- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de débouter la société La Sauvegarde de l'ensemble de ses demandes,

- de condamner la société La Sauvegarde au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée réplique :

- que la surveillance mise en place au sein de l'école durant le temps de récréation était suffisante et adaptée à la situation ; qu'aucune faute ne peut être retenue au titre de l'obligation de surveillance, de sorte que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité prévue à l'article 1242 du code civil ne sont pas réunies,

- qu'en l'absence de faute retenue à l'encontre des instituteurs, les conditions de substitution de la responsabilité de l'Etat telles que prévues à l'article L. 911-4 du code de l'éducation font défaut.

La déclaration d'appel a été signifiée à la CPAM du Gard, intimée défaillante, par acte du 28 octobre 2022.

Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la garantie de la société La Sauvegarde

Le tribunal a considéré que l'assureur de responsabilité civile des parents de l'enfant [Y] [T] devait sa garantie, la faute de celui-ci étant à l'origine de l'accident dont [I] [N] a été victime.

L'appelante soutient ne pas être tenue à garantie dès lors que les circonstances de l'espèce ne sont pas suffisamment précises pour déterminer la responsabilité de cet enfant ; que la preuve de l'implication de celui-ci dans l'accident, condition indispensable de sa responsabilité, n'est pas rapportée.

M. et Mme [N] sollicitent la confirmation de la décision en soutenant que l'enfant [Y] [T] a commis un fait fautif en l'espèce le fait d'être entré en collision avec leur fille.

Aux termes de l'article 1242 al 1 et 4 du code civil on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l'on a sous sa garde.

Le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux.

La responsabilité civile de l'enfant mineur [Y] ne peut en conséquence ici nullement être recherchée.

Il incombe à l'appelante pour voir exclure la garantie qu'elle doit aux parents de celui-ci assurés auprès d'elle au titre de leur responsabilité civile de démontrer qu'il n'a pas participé à la réalisation du dommage.

En l'espèce, il résulte de l'enquête établie par les fonctionnaires du commissariat d'[Localité 7] :

- que M. [R] [Z], professeur des écoles, surveillait la récréation de 10 heures et avait la charge de la classe de CP dont [I] [N], 5 ans, faisait partie ; que, prévenu qu'un élève était au sol, il a constaté qu'il s'agissait de [I] et que selon lui, cette dernière et [Y] [T], 10 ans, scolarisé en ULIS s'étaient percutés ; qu'avant l'accident les deux enfants couraient et jouaient 'au loup' mais pas ensemble ; que selon lui, ils ne s'étaient pas vus et s'étaient percutés violemment. L'enseignant a précisé que [Y] mesurait 1m60, était 'un peu charpenté et costaud', le qualifiant d''imposant pour son âge'. Il a qualifié [I] [N] de 'fine' et 'petite',

- que d'après les éléments recueillis par Mme [E] [L], directrice de l'établissement scolaire, absente le jour des faits, [I] [N] et 'un grand garçon blond' identifié comme [Y] [T] s'étaient percutés,

- que selon les courriers des parents des enfants [G] [J] , [S] [H] et [F] [B] joints à la procédure :

- [G] : '[I] jouait au loup avec ses copines et s'est fait percuter par un grand garçon de plein fouet ; (elle) est tombée à la renverse et sa tête a heurté fortement le sol',

- [S] : 'c'était un jeudi à la récréation, je jouais au loup avec [I]... [I] était derrière moi, j'ai entendu un gros boum, je me suis retournée, j'ai vu [I] par terre et un grand garçon qui partait en courant',

- [F] : '[I] est tombée, c'est grave' et 'on jouait au loup moi [I] et [G], on courait après des grandes filles, il y avait [O] des CM2, [G] était devant, [I] au milieu et moi derrière. Il y a eu un grand garçon qui courait à fond, il ne regardait pas où il allait, il regardait en l'air. C'est un très grand, blond avec une mèche. Il est en ULIS mais je ne connais pas son nom. Il a tamponné très fort [I]. Elle est tombée fort. ça a fait un gros bruit. Le garçon est parti en courant. Le maître est venu, [I] s'est levée mais ses jambes étaient toutes molles, elle parlait mais pas comme d'habitude.Après ses jambes ne tenaient plus, elle était comme évanouie sur la banc avec le maître'

- que la déclaration d'accident du 29 septembre 2016 signée par la directrice de l'école, a été rédigée en deux temps.

En effet, il résulte des auditions combinées de cette dernière et de M. [Z] qu'une première déclaration a été établie avec un schéma représentant deux croix face à face (soit [I] et l'autre élève) pour montrer qu'ils s'étaient percutés de face.

Puis, Mme [L] a réalisé une autre déclaration, ne permettant pas de déterminer l'origine de la chute de [I] [N] et ce alors qu'elle n'était pas présente dans l'établissement le jour des faits.

Il s'en déduit qu'il existe des témoins directs des faits même si leurs déclarations ont été rapportées par leurs parents et que ces déclarations et l'audition de l'instituteur démontrent que les deux enfants se sont percutés violemment alors qu'ils couraient tous les deux.

La responsabilité civile des parents de l'enfant [Y] est donc établie et la société La Sauvegarde doit sa garantie. La décision sera confirmée sur ce point, par subsitution de motifs.

Sur la demande de la société La Sauvegarde tendant à être relevée et garantie par l'Etat français

Le tribunal, considérant l'absence de faute des membres de l'enseignement public au moment de la récréation lors de la survenance du fait dommageable, a rejeté cette demande.

L'appelante soutient que l'Etat français doit la garantir dès lors que sa responsabilité doit être retenue pour défaut de surveillance caractérisée par la présence de seulement deux enseignants pendant la récréation, pour surveiller 140 élèves.

L'Etat français réplique que la surveillance mise en place était suffisante et adaptée à la situation de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à ce titre.

Selon l'article 1242 al 1 et du code civil on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.(...)

Les instituteurs (...), du dommage causé par leurs élèves (...) pendant le temps qu'ils sont sous leur surveillance. (...)

En ce qui concerne les instituteurs, les fautes, imprudences ou négligences invoquées contre eux comme ayant causé le fait dommageable, devront être prouvées, conformément au droit commun, par le demandeur, à l'instance.

Aux termes de l'article 911-4 du code de l'éducation, dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'État est substituée à celle desdits membres de l'enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. (...).

Il en résulte que la responsabilité de l'Etat du fait des instituteurs pour les dommages causés à ou par leurs élèves sous leur surveillance suppose la démonstration de la faute invoquée à leur égard.

Il incombe donc à l'appelante, pour être garantie par l'Etat français, de démontrer la faute, l'imprudence ou la négligence d'un ou plusieurs instituteurs de l'école en lien de causalité avec le dommage subi par l'enfant [I], auquel cas la responsabilité de l'Etat sera substituée à celle de ce ou ces instituteurs.

En l'espèce, M. [Z] a déclaré qu'il était de surveillance de la cour de récréation le jour des faits avec une seule autre professeure des écoles, de sorte qu'ils n'auraient été que deux ce jour-là pour surveiller les 140 élèves de primaire en récréation dans cette cour.

Il a ajouté ne pas avoir été directement témoin de l'accident depuis le coin de la cour dans lequel il se trouvait avec sa collègue, et que la directrice de l'établissement était absente.

Décrivant l'enfant [Y] [T], il a indiqué que ce dernier était âgé de 10/11 ans et scolarisé en classe ULIS, précisant 'Les élèves ULIS ont des soucis de langage et sont renfermés sur eux même, la communication est compliquée. (...) [Y] mesure 1m60, un peu charpenté, costaud, pour son âge, il est imposant'.

L'Etat produit un compte-rendu rédigé le jour des faits par la directrice de l'école, mentionnant que cinq enseignants étaient présents mais ne précise pas si ces cinq enseignants étaient tous affectés à la surveillance de la cour de récréation.

Par ailleurs, le fait que deux déclarations d'accident ont été successivement établies par cette directrice, l'une le 29 septembre 2016 comportant un schéma montrant que les deux élèves s'étaient percutés de face puis une seconde ne permettant pas de déterminer l'origine de la chute de [I] [N] ne laisse pas d'interroger, ce alors qu'aucune de ces deux déclarations ne mentionne le nombre d'enseignants affectés à la surveillance de la cour.

Quoi qu'il en soit, à supposer comme le prétend l'instituteur présent, qu'il ait été seul affecté avec une collègue à la surveillance de 140 élèves, il en résultait pour eux une obligation de surveillance renforcée, ce d'autant qu'aucune distinction n'était faite entre des enfants présentant un fort écart d'âge, ni aucune disposition prise pour permettre leur surveillance adaptée, notamment aucune mesure spécifique pour la surveillance des élèves de classes ULIS devant bénéficier d'un accompagnement spécifique, que les deux instituteurs se trouvaient de son propre aveu ensemble en un seul endroit qualifié de 'coin' de la cour de récréation, d'où en tout cas il ne leur était pas possible de visualiser l'ensemble de cette cour dès lors qu'aucun n'a déclaré avoir été témoin de l'accident.

Dès lors, la faute des instituteurs présents est démontrée et la responsabilité de l'Etat français substituée à la leur est caractérisée.

L'Etat doit en conséquence être condamné à relever et garantir la société La Sauvegarde des condamnations prononcées à son encontre, par voie d'infirmation de la décision sur ce point.

Sur les demandes de provision

demande de provision de M. et Mme [N] en qualité de représentants légaux de leur fille mineure

Le tribunal a alloué la somme provisionnelle de 100 000 euros à M. et Mme [N] en qualité de représentants légaux de leur fille [I] à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis par cette dernière.

L'appelante sollicite de ramener cette somme à de plus justes proportions sans articuler aucun moyen au soutien de cette demande.

M. et Mme [N] se fondent sur les conclusions du rapport d'expertise du Dr [W] du 9 novembre 2019 pour solliciter la confirmation de la décision.

L'expert a conclu que la victime ne présentait aucun état antérieur, que la durée de son incapacité temporaire totale a été de 207 jours, que son taux de déficit fonctionnel médicalement imputable à l'accident ne pourra être inférieur à 30% pour la paraparésie, outre un taux supérieur ou égal à 10% pour les troubles cognitifs. Il a évalué son besoin d'aide par tierce personne à domicile à deux à trois heures par jour avec surveillance permanente en extérieur, et ses souffrances à 4,5/7.

Il a retenu un préjudice scolaire l'enfant ayant perdu une année de scolarité, et ses fonctions d'apprentissage étant désormais impactées de sorte qu'une orientation ULIS est proposée.

Le préjudice esthétique a été évalué à 3/7 et un préjudice d'agrément retenu du fait de l'incapacité à pratiquer une activité sportive et d'une limitation importante des activités de loisirs.

Ces conclusions n'ont pas été remises en cause par l'appelante.

Par courrier du 9 janvier 2019, la MDPH du Gard a notifié une décision retenant comme supérieur ou égal à 80% le taux d'incapacité de l'enfant.

Ces conclusions même non définitives et ce dernier élément objectivent un préjudice certain sur l'indemnisation intégrale duquel la victime est fondée à obtenir une provision.

Eu égard à ces éléments le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à titre provisionnel la somme de 100 000 euros à M. Et Mme [N] en qualité de représentants légaux de leur fille [I].

*demande de provision de M. et Mme [N] en leur nom personnel

Le tribunal a alloué la somme de 10 000 euros à chacun des parents, à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice d'affection.

La société La Sauvegarde soutient qu'aucune raison objective ne permet d'allouer une provision à ce titre, ce préjudice devant être indemnisé lors de la liquidation définitive des préjudices.

M. et Mme [N] sollicitent la confirmation de la décision.

Le préjudice d'affection est une préjudice moral subi par certains proches, parents ou non, justifiant d'un lien affectif réel, au contact de la souffrance de la victime directe.

Est indemnisé à ce titre le retentissement pathologique objectivé que la perception du handicap de la victime a pu entraîner chez certains proches (Civ. 1, 11 janvier 2017, n° 15-16.282).

En l'espèce, l'accident subi par l'enfant [I] âgée de 5 ans alors qu'elle était à l'école et ses conséquences dommageables déjà particulièrement lourdes ont nécessairement entraîné un préjudice d'affection particulièrement important pour ses parents et ce sans qu'il soit besoin d'attendre la consolidation de son état dans un futur à moyen ou long terme, pour qu'ils en soient indemnisés d'une partie à titre provisionnel.

En conséquence, la décision sera confirmée en ce qu'elle a alloué la somme de 10 000 euros à chacun des parents à ce titre

Sur les autres demandes

La société La Sauvegarde et l'Etat français, succombant, seront condamnés aux entiers dépens.

La société La Sauvegarde sera condamnée à payer à Mme [V] [U] épouse [N] et M. [P] [N] tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille mineure [I] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme en toutes ses dispositions par substitution de motifs la décision soumises à la cour sauf en ce qu'elle a débouté la société La Sauvegarde de sa demande tendant à être relevée et garantie par l'Etat français de toute condamnation mise à sa charge,

Statuant à nouveau,

Condamne l'Etat français pris en la personne de la rectrice de la région académique Occitanie à relever et garantir la société La Sauvegarde des condamnations prononcées à son encontre,

Y ajoutant,

Condamne la société La Sauvegarde aux entiers dépens,

Condamne la société La Sauvegarde à payer à Mme [V] [U] épouse [N] et M. [P] [N] tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille mineure [I] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Arrêt signé par le présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/03039
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.03039 ?
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