RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03865 -
N° Portalis DBVH-V-B7G-IUMW
AG
TJ DE CARPENTRAS
14 septembre 2022
RG:21/00897
[E]
C/
UDAF DU GARD - Mandataire de [B] [H]
Grosse délivrée
le 23/05/2024
à Me Frédéric Bassompierre
à Me Grégory Hanson
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 23 MAI 2024
Décision déférée à la cour : Jugement du tribunal judiciaire de Carpentras en date du 14 septembre 2022, N°21/00897
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Delphine Duprat, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 avril 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 23 mai 2024.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
Mme [X] [E]
née le 04 juillet 1958 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Frédéric Bassompierre, avocat au barreau de Carpentras
INTIMÉE :
Mme [B] [H],
représentée par l'UDAF du Gard désignée en qualité de tutrice selon jugement du juge des tutelles de Carpentras du 07 décembre 2011
née le 20 février 1930 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Grégory Hanson, avocat au barreau de Nîmes
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 23 mai 2024, par mise à disposition au greffe de la cour.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte authentique reçu le 4 juin 2008 par Me [J], notaire à [Localité 6] (84), Mme [B] [H] a vendu à Mme [X] [E] la nue-propriété d'un bien immobilier situé [Adresse 2]).
Le prix de vente, fixé à 90 000 euros, a été immédiatement converti par les parties en une rente annuelle et viagère de 10 147,44 euros, payable le 5 de chaque mois en 12 termes égaux de 845,62 euros sans intérêts à compter du 5 juillet 2008.
Faisant valoir que Mme [E] n'avait pas réglé les arrérages de cette rente, Mme [H], représentée par sa tutrice, a fait assigner celle-ci devant le tribunal de grande instance de Carpentras qui, par jugement du 22 septembre 2016, a notamment ordonné la résolution de la vente.
Par arrêt du 21 décembre 2017, cette cour a déclaré irrecevable cette demande en résolution, faute de publication de la demande et a infirmé ce jugement.
Par courrier recommandé du 8 novembre 2019, l'UDAF du Gard en qualité de tutrice de Mme [H], a mis en demeure Mme [E] de régler sous quinzaine l'ensemble des rentes dues et restant impayées, lui a fait signifier la mise en demeure le 27 janvier 2020, puis lui a fait délivrer le 23 octobre 2020 une sommation de payer visant la clause résolutoire.
Par acte du 21 mai 2021, elle a assigné Mme [E] devant le tribunal judiciaire de Carpentras qui par jugement du 14 septembre 2022 :
- a prononcé la résolution judiciaire de la vente,
- a condamné Mme [E] à payer à Mme [H] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- a débouté celle-ci de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- a condamné Mme [E] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- a dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de droit,
- a ordonné la publication de la décision.
Le tribunal, au visa des articles 1978 et 1184 anciens du Code civil, a dit n'y avoir lieu à condamner la défenderesse au paiement des rentes impayées en raison de la résolution du contrat par application de la clause résolutoire. Il a en conséquence limité les condamnations prononcées à l'encontre de Mme [E] aux seuls dommages-intérêts.
Par déclaration du 29 novembre 2022, Mme [E] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 26 janvier 2024, la procédure a été clôturée le 26 mars 2024 et l'affaire fixée à l'audience du 9 avril 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées le 28 février 2024, Mme [E] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [H] la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts et celle de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
Statuant à nouveau
- de débouter Mme [H] de sa demande en paiement des rentes impayées,
- de la débouter de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de juger n'y avoir lieu en cause d'appel à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante prétend
- que la résolution de la vente emporte son annulation rétroactive, et que l'intimée ne peut en conséquence solliciter le paiement d'arrérages impayés sur le fondement contractuel,
- que le préjudice invoqué, qui résulte de l'inexécution d'une obligation contractuelle, ne peut être réparé sur le fondement extracontractuel, d'autant qu'une clause pénale prévoit les modalités de l'indemnisation dans l'hypothèse d'une résolution,
- qu'enfin, la perte de chance de percevoir les rentes impayées alléguée par l'intimée est infondée et résulte de sa propre turpitude, puisque celle-ci disposait d'un titre exécutoire qui lui aurait permis de recouvrir sa créance jusqu'au prononcé de la résolution.
Elle soutient que l'opération convenue était d'organiser un acte translatif de propriété animé par une intention libérale dissimulée sous couvert d'un acte ostensible, dont la mise sous protection de Mme [H] n'a pas permis de poursuivre l'exécution et que dans ces conditions, l'application de l'article 700 du code de procédure civile ne se justifie pas.
Par conclusions notifiées le 24 mai 2023, Mme [H] représentée par sa tutrice l'UDAF du Gard demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- de condamner Mme [E] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle réplique :
- que le non-paiement des rentes, le refus de la débirentière de procéder à une résolution amiable et son attitude dilatoire constituent des fautes au sens de l'article 1240 du Code civil, lui ayant occasionné un préjudice justifiant l'octroi de dommages et intérêts,
- que subsidiairement sur le fondement contractuel, ce comportement fautif a causé une perte de chance de vendre le bien et de percevoir les fruits de cette vente ; que la clause stipulée au contrat n'est pas une clause pénale et n'interdit pas de solliciter d'autres sommes ; que même si elle était qualifiée de clause pénale, elle est manifestement dérisoire et que le juge peut augmenter la pénalité.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Les dispositions du jugement relatives au prononcé de la résolution judiciaire du contrat de vente en viager ne sont pas critiquées par l'appelante, qui sollicite la réformation uniquement sur l'allocation de dommages et intérêts et d'une somme à l'intimée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur les conséquences de la résolution de la vente en viager
Comme l'a justement rappelé le premier juge, à la suite de la résolution du contrat de vente en viager en application de la clause résolutoire, le débirentier ne peut être condamné à verser le montant des arrérages impayés. Le vendeur ne peut prétendre qu'à des dommages et intérêts.
Cependant, les stipulations du contrat qui ont pour objet de régler les conséquences de son anéantissement ne sont nullement affectées par celui-ci, en application des dispositions des articles 1134 et 1184 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. Elles trouvent donc ici à s'appliquer afin de régler ces conséquences.
En outre, même en présence de telles stipulations, des dommages et intérêts supplémentaires peuvent être demandés par le crédirentier s'il justifie d'un préjudice distinct de celui indemnisé par la clause pénale.
Le contrat du 4 juin 2008 stipule en page 13 qu'en cas de résolution de la vente, « tous les embellissements et améliorations qui auraient été faits à l'immeuble ainsi que tous les termes d'arrérages touchés par le vendeur lui demeureront acquis de plein droit, à titre d'indemnité sans qu'il puisse être exercé aucun recours ni répétition quelconque contre lui de ce chef ».
Cette clause, qui s'analyse en une clause pénale, a vocation à s'appliquer aux arrérages déjà perçus.
Or, il n'est pas contesté que Mme [E] ne s'est acquittée, depuis la vente, d'aucun arrérage, de sorte que Mme [H] ne conservera aucune somme à ce titre.
Cette clause ne lui permet donc pas ici d'être indemnisée et c'est à bon droit que le premier juge a déclaré recevable sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par cette absence de versement.
C'est en outre par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a considéré qu'en n'ayant jamais versé la rente, Mme [E] a causé à Mme [H] un préjudice financier, et l'a contrainte à engager une action en justice pour pouvoir retrouver la propriété de son bien et en disposer librement.
Ses allégations relatives au fait que cette vente en viager était en réalité une donation déguisée ne font que renforcer la réalité du préjudice invoqué.
Mme [H] et plus tard sa tutrice ont toutefois contribué à la réalisation de ce préjudice financier, dès lors que l'UDAF a attendu plusieurs années après sa désignation pour engager une procédure à l'encontre de Mme [E], puis de nouveau plusieurs années avant de réengager une procédure après que la première a été déclarée irrecevable, et n'a jamais tenté le recouvrement forcé des sommes dues.
Au regard de ces éléments, le préjudice causé à Mme [H] par Mme [E] a été justement apprécié par le premier juge à la somme de 20 000 euros et la décision sera confirmée de ce chef.
Sur les autres demandes
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné Mme [E] à payer à Mme [H] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, celle-ci ayant été contrainte d'engager une procédure pour recouvrer la propriété de son bien.
Mme [E], qui succombe, sera condamnée au paiement des dépens de la procédure d'appel.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais engagés pour se défendre en appel, et non compris dans les dépens, alors que l'appelante succombe dans l'intégralité de ses demandes.
Mme [E] sera condamnée à lui payer la somme supplémentaire de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement rendu le 14 septembre 2022 par le tribunal judiciaire de Carpentras, en toutes ses dispositions qui lui sont soumises,
Y ajoutant,
Condamne Mme [X] [E] aux dépens,
Condamne Mme [X] [E] à payer à Mme [B] [H] veuve [I] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,