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07/07/2023 | FRANCE | N°23/00910

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 2ème chambre section b, 07 juillet 2023, 23/00910


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS















ARRÊT N°



N° RG 23/00910 - N° Portalis DBVH-V-B7H-IX4H



NG



TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'AVIGNON

30 janvier 2023

RG:22/00471



Etablissement Public CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Etablissement Public ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE MARSEILLE



C/



[C]



Grosse délivrée

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COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B





ARRÊT DU 07 JUILLET 2023





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AVIGNON en date du 30 Janvier 2023, N°22/00471



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES D...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 23/00910 - N° Portalis DBVH-V-B7H-IX4H

NG

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D'AVIGNON

30 janvier 2023

RG:22/00471

Etablissement Public CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX

Etablissement Public ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE MARSEILLE

C/

[C]

Grosse délivrée

le

à

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B

ARRÊT DU 07 JUILLET 2023

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d'AVIGNON en date du 30 Janvier 2023, N°22/00471

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre,

Mme Corinne STRUNK, Conseillère,

M. André LIEGEON, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Véronique PELLISSIER, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 15 Mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 07 Juillet 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTES :

Etablissement Public CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX (C.N.B)

établissement d'utilité publique institué par la Loi du 31 décembre 1990 représenté conformément à ses statuts par son président, Monsieur le Bâtonnier Jérôme GAVAUDAN

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Philippe AMRAM, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

Etablissement Public ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE MARSEILLE

représenté par son Bâtonnier en exercice, Monsieur le Bâtonnier Mathieu JACQUIER

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Jean-marie CHABAUD de la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Philippe AMRAM, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉ :

Monsieur [U] [C]

né le 04 Juin 1945 à [Localité 6] (ALGERIE)

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Jean-michel DIVISIA de la SCP COULOMB DIVISIA CHIARINI, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Michel GOUGOT de la SCP TROEGELER - GOUGOT - BREDEAU- TROEGELER - MONCHAUZOU, Plaidant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE

Statuant sur appel d'une ordonnance de référé

Ordonnance de clôture rendue le 15 mai 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 07 Juillet 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Considérant que M. [U] [C], qui exerce à Marseille une activité de « mandataire d'assuré », se livre de façon illicite à des consultations juridiques, en violation des dispositions des articles 4, 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, modifiée par la loi du 31 décembre 1990, le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille l'ont, par exploit d'un commissaire de justice du 8 février 2022, fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille aux fins de :

- constater que M. [U] [C] a violé les dispositions des articles 4, 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, modifiée par la loi du 31 décembre 1990,

- faire défense à M. [U] [C] de se livrer à une activité de consultations juridiques et de rédaction d'actes dans le délai de trois jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, à peine d'une astreinte de 5 000 euros par infraction constatée,

- ordonner la publication aux frais de M. [U] [C] dans un journal local et un journal national, et dans la limite de 3 000 euros par insertion ou message du dispositif de l'ordonnance à intervenir,

- dire et juger que le magistrat des référés du tribunal judiciaire de Marseille conservera sa compétence pour liquider lesdites astreintes s'il y a lieu,

- condamner M. [C] à payer au Conseil National des Barreaux et à l'Ordre des Avocats du Barreau de Marseille une somme à chacun de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens du référé.

Par ordonnance de référé rendue le 20 juin 2022, le tribunal judiciaire de Marseille a dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 47 du code de procédure civile invoqué par M. [U] [C], s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige et renvoyé l'examen de la procédure à l'audience du 5 septembre 2022.

Par arrêt infirmatif du 13 octobre 2022, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a, sur le fondement de l'article 47 du code de procédure civile, renvoyé l'affaire devant le président du tribunal judiciaire d'Avignon, statuant en référé.

Ainsi, par ordonnance contradictoire du 30 janvier 2023, le président du tribunal judiciaire d'Avignon, statuant en référé, a :

- constaté que le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille ne démontraient pas que l'activité de « mandataire d'assuré » exercée par M. [U] [C] contrevenait manifestement aux dispositions des articles 54 et 60 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et les a déboutés en conséquence de leurs demandes et prétentions,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille aux entiers dépens,

- rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 10 mars 2023, le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille ont interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Au terme de leurs conclusions notifiées le 11 avril 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet de leurs moyens et prétentions, le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille, appelants, demandent à la cour, au visa des articles 4, 54 et suivants, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 31 décembre 1990, de l'article 1er de la loi du 3 avril 1942, de l'article L.211-10 du code des assurances, et de l'article 835 du code de procédure civile, de :

- recevoir l'appel formé par le Conseil National des Barreaux et de l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille, le dire recevable et bien fondé,

- infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire d'Avignon le 30 janvier 2023,

- juger que M. [U] [C] a violé les dispositions des articles 4, 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 31 décembre 1990.

- faire défense à M. [U] [C] de se livrer à une activité de consultations juridiques et de rédaction d'actes dans le délai de 3 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir à peine d'une astreinte de 5 000 € par infraction constatée.

- ordonner la publication aux frais de M. [U] [C] dans un journal local et un journal national, et dans la limite de 3 000 € par insertion ou message du dispositif de l'arrêt à intervenir

- juger que la Cour d'Appel conservera sa compétence pour liquider lesdites astreintes s'il y a lieu.

- condamner M. [C] à payer au Conseil National des Barreaux et à l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille une somme à chacun de 3 600 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel et de référé.

Les appelants soutiennent, au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 et des pièces justifiant l'activité de M. [C], qui se présente comme mandataire d'assurés :

-que celui-ci exerce une activité illicite de consultation juridique et de rédaction d'actes en matière juridique ;

-que tant la description qu'il donne de son activité que celle mentionnée dans les 'mandats de gestion et procuration' produits traduisent que M. [C] négocie, transige et adresse des offres transactionnelles aux compagnies d'assurance, dont il est le seul interlocuteur pour la gestion de l'intégralité du dossier d'indemnisation,

-qu'il gère les fonds reçus et perçoit ses honoraires.

Ils ajoutent que l'argumentation développée relative à l'ancienneté de son activité et à un soit-disant 'usage' qui se serait instauré entre les avocats et lui-même est totalement inopérante.

Ils font valoir que M. [C] ne justifie pas d'une qualification reconnue, ni d'aucune autorisation particulière pour remplir le rôle de conseil qu'il s'est approprié, alors que son activité relève du domaine réservé des avocats, ainsi que l'établit une jurisprudence abondante.

En tout état de cause, ils affirment qu'à l'évidence et sans aucune contestation possible, l'activité exercée par M. [C] contrevient aux dispositions des articles 4, 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, rappelant qu'une activité d'assistance exercée par une société de conseil, même durant la phase non-contentieuse de la procédure d'offre, à titre principal, habituel et rémunéré, est illicite.

M. [U] [C], en sa qualité d'intimé, par conclusions en date du 10 mai 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour :

-de rejeter des débats les pièces n°1 et 2 du bordereau des appelants,

-de dire et juger n'y avoir lieu à référé,

-de rejeter toutes les demandes des appelants,

-de condamner in solidum, le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-de condamner les appelants in solidum aux entiers dépens.

M. [C] fait observer in limine litis que la décision de première instance comporte une erreur matérielle qu'il conviendra de corriger en ce qu'il n'était pas demandeur à l'instance et inversement pour le Conseil National des Barreaux et l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille.

Après avoir exposé la genèse de ce contentieux, qui s'explique selon lui par un différend avec Me [Y], avocat, en mars 2021, avec lequel il avait collaboré pendant 25 ans pour la gestion de ses dossiers d'indemnisation de préjudices corporels, il accuse les appelants de verser aux débats des pièces extraites de dossiers de clients de Me [Y], en violation manifeste du secret professionnel et s'étonne que l'Ordre des avocats de Marseille soit partie à cette procédure alors qu'il est saisi de plaintes disciplinaires à l'encontre de Me [Y], sans évoquer les plaintes pénales également déposées.

L'intimé soutient que le trouble manifestement illicite fondant la présente procédure existe depuis 35 ans en parfaite connaissance de l'ordre des avocats, qui a participé dans un premier temps à son activité, puis a voulu la faire interdire et sanctionner, en vain, et est demeuré taisant et inactif jusqu'en 2021, pour venir soutenir la cause de Me [Y].

Il reproche aux appelants de ne pas démontrer, avec le degré d'évidence qui s'impose en référé, qu'il dispenserait des consultations juridiques en contravention avec la loi du 31 décembre 1971, la jurisprudence produite n'étant pas opérante et la notion de consultation juridique n'étant définie à aucune étape de la réglementation du périmètre du droit.

Il soutient que la profession d'expert d'assuré est courante et habituelle, ainsi que le permet l'article A 211-11 du code des assurances et le suggèrent certaines compagnies d'assurance dans leur correspondance, et qu'il n'a jamais pour sa part assisté ou conseillé une victime d'un accident de la route au-delà du stade de l'échec du processus d'indemnisation amiable, à partir duquel il adressait systématiquement ses clients à des avocats inscrits au Barreau de Marseille, et notamment de 1996 à 2021, à Me [Y].

Il ajoute que les mandats produits excluent clairement toute activité de consultation juridique et ne portent que sur la gestion administrative d'un dossier, en précisant sa qualité et orientant ses clients vers un avocat dans l'hypothèse d'une procédure judiciaire.

Se référant à un jugement de relaxe prononcé par le tribunal de Marseille en date du 4 décembre 2002, des chefs d'usurpation du titre d'avocat, d'exercice illégal de la profession d'avocat et d'escroquerie, il fait valoir que l'illicéité du trouble allégué n'est pas manifeste au regard du contexte et des éléments du débat, d'autant que son activité n'a pas évolué depuis cette époque et que l'autorité de la chose jugée s'impose.

Enfin, par référence à une ordonnance d'incident du juge de la mise en état de Marseille du 8 novembre 2022, constatant la prescription de l'action engagée par M. [O], victime, il fait observer que ce n'est autre que Me [Y], à qui il avait adressé le dossier dans les temps, qui a manqué de diligences pour introduire l'action, considérant qu'il n'entrait ni dans ses compétences, ses attributions ou son mandat d'apprécier les difficultés liées à la prescription.

La clôture de la procédure est intervenue avant l'ouverture des débats et l'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 15 mai 2023, pour être mise en délibéré, par disposition au greffe, le 7 juillet 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

-Sur l'erreur matérielle :

M. [C] signale qu'une erreur matérielle a été commise dans l'en-tête du jugement de première instance. Les demandeurs et le défendeur ont été intervertis. Il sera pris note de cette rectification à opérer, étant précisé que l'affaire est intégralement rejugée par la cour, suite à l'appel interjeté.

-Sur les pièces n° 1 et 2 transmises par les appelants :

L'intimé s'oppose à la production des pièces n° 1 et 2 du bordereau de communication de pièces des appelants, expliquant que celle-ci concourt à la violation du secret professionnel, dès lors que les documents dont il est fait état ont de toute évidence été extraits de dossiers de clients de Me [Y].

Concernant les pièces portant le n°1, celles-ci correspondent à une cinquantaine de documents divers, à savoir courriers, mails, propositions de transaction et contre-propositions échangés entre des compagnies d'assurances ou mutuelles, la Caisse Primaire d'Assurances Maladie et M. [C]. Parmi ceux-ci, figure un échange de courriers ou mails avec Me [Y], en mars et avril 2021 (dossier de Mme [G]), qui est couvert par le secret professionnel liant tout avocat à son client, justifiant que ces derniers soient écartés des débats. Pour le surplus, il n'est pas établi que ces documents auraient figuré dans des dossiers suivis par Me [Y]. Ils seront donc retenus.

S'agissant de la pièce n° 2, celle-ci correspond à trois mandats de gestion confiés par des victimes d'accident à M. [C] en 2008, 2014 et 2019. Aucun élément ne permet de considérer qu'en violation du secret professionnel, ceux-ci ont été communiqués par Me [Y] aux appelants. De simples suspicions ne valent pas preuve. La demande de M. [C] concernant cette pièce n°2 sera écartée.

-Sur le trouble manifestement illicite :

En application de l'article 835 du code de procédure civile, le juge des référés peut ordonner toute mesure conservatoire ou de remise en état susceptible de mettre un terme à un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite désigne 'toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit'.

Le trouble manifestement illicite suppose la violation d'une obligation préexistante, quel que soit le fondement de celle-ci. Il procède de la méconnaissance d'une norme juridique obligatoire, que son origine soit délictuelle ou contractuelle. Le trouble consiste dans un acte ou une abstention s'inscrivant en méconnaissance de l'ordre juridique établi, qu'il faut faire cesser puisqu'il est inadmissible pour constituer une illicéité manifeste. C'est cette évidence de l'illicéité qui permet d'autoriser le juge des référés à prendre des mesures d'anticipation de ce que les juges du fond décideront certainement. En l'absence d'une telle obligation, il ne peut y avoir de trouble manifestement illicite.

Le caractère "manifeste" du trouble illicite renvoie à la raison d'être initiale du juge des référés, juge de l'immédiat, de l'évident, ce qui paraît impliquer une intervention dans un litige exempt de doute. L'ordonnance doit par les motifs de sa décision, même implicitement, établir en quoi le trouble invoqué est manifestement illicite, le terme "manifestement" devant garder une portée juridique propre qui fait la spécificité première du juge des référés.

En l'espèce, les appelants accusent M. [C], qui n'exerce pas au titre d'une activité professionnelle réglementée, de donner à titre habituel, principal et rémunéré, des consultations juridiques ou de procéder à la rédaction d'actes en matière juridique, considérant qu'en absence de qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme professionnel agréé pour ce faire, il viole les dispositions de l'article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée.

Pour sa part, M. [C] soutient qu'il apporte depuis 35 ans un soutien administratif aux victimes sollicitant la réparation de leur préjudice corporel, aux termes d'un mandat de gestion, ainsi que le permettent les dispositions du code des assurances dans ce domaine, dans une phase pré-contentieuse, et qu'il ne peut lui être reproché d'exercer des activités entrant exclusivement dans la compétence des avocats, puisqu'il confie ses dossiers à des avocats, à défaut de transaction.

Selon les articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui, s'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66 (...).

Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité.

Ainsi, l'exercice du droit à titre principal est-il réservé aux professions juridiques réglementées. L'exercice du droit à titre accessoire est ouvert aux professions réglementées visées à l'article 59 dans les limites autorisées. Quant aux personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée, leur capacité à consulter, dans la limite de leur activité principale, et à rédiger des actes sous seing privé, qui constituent l'accessoire nécessaire de cette activité, est soumise à l'exigence d'une qualification professionnelle reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou agréé. La violation de ces règles est passible de sanctions pénales.

La Cour de Cassation a affirmé dans un arrêt du 25 janvier 2017 (1ère chambre) que, même si des dispositions réglementaires (telles que l'annexe de l'article A 211-11 du code des assurances) autorise la victime à confier la défense de ses intérêts à toute personne de son choix dans la phase pré-contentieuse, aucune de ces dispositions réglementaires n'autorise un tiers prestataire, autre qu'un professionnel du droit ou relevant d'une profession assimilée, à exercer à titre principal et rémunéré une activité d'assistance à une victime pendant la phase non contentieuse, notamment durant la procédure d'offre obligatoire, si elle comporte des prestations de conseil en matière juridique.

Selon la réponse ministérielle du 8 juin 1992 et un arrêt de la Cour d'Appel de Paris en date du 21 mai 2001, toujours d'actualité : "La consultation est une prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis concourant par les éléments qu'il apporte à la prise de décision du bénéficiaire de la consultation et donc distincte de l'information à caractère documentaire qui consiste à renseigner un interlocuteur sur l'état du droit ou de la jurisprudence relativement à un problème donné'. Cette définition a été précisée par un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 16 janvier 2018, ainsi qu'il suit : 'Toute prestation intellectuelle personnalisée qui tend à fournir un avis ou un conseil et qui, fondée sur les règles juridiques applicables, notamment fiscales et sociales, à la situation analysée, constitue un élément de prise de décision pour le bénéficiaire de la consultation'.

En l'espèce, il résulte des documents versés au débat que M. [C] propose dans ses 'mandats de gestion et procuration' soumis aux victimes désireuses d'obtenir une indemnisation de les représenter dans le processus d'indemnisation et d'assurer toute la gestion administrative du dossier, étant précisé que ce mandat lui donne l'autorisation :

-de recevoir toutes correspondances et communications et d'y répondre en son nom,

-de prendre les décisions relatives à l'organisation des expertises matérielles et corporelles,

-de recevoir les offres d'indemnisation, les négocier, les accepter ou les refuser,

-de percevoir pour son compte tous les règlements lui revenant par chèques établis au nom du Cabinet [U] [C].

Les courriers produits confirment que M. [C] analyse les propositions d'offres d'indemnisation des assureurs, qu'il rédige les réponses en formulant parfois une contre-proposition, qu'il prend des décisions quant à l'orientation des expertises médicales amiables, qu'il analyse les rapports pour conseiller ses clients sur les suites à donner et qu'il est le seul interlocuteur des assureurs pendant la phase amiable.

Ainsi, l'intimé ne se limite pas à une simple gestion administrative ou à une discussion purement technique aboutissant à un calcul automatique d'indemnités ; il apprécie en fonction de la situation personnelle de chacun de ses clients et de facteurs multiples (taux d'incapacité, âge, situation professionnelle et personnelle, recours des tiers payeurs...) l'indemnisation des divers postes de préjudice qui lui apparaît la plus juste en fonction des indemnisations habituellement accordées. Il ne saurait être soutenu qu'il n'effectue pas une appréciation juridique de la situation d'une victime et qu'il ne lui prodigue pas des conseils juridiques lorsque les propositions de l'assureur ne sont pas acceptées et qu'une voie judiciaire est envisagée.

Il exerce cette activité à titre principal et de façon rémunérée, sans remplir les conditions exigées par les articles 54 et suivants précités.

L'ancienneté de cette activité est sans emport, même si son différend avec Me [Y] a pu avoir une incidence sur l'engagement de cette procédure.

La relaxe prononcée en sa faveur par le tribunal correctionnel de Marseille, par jugement du 4 décembre 2002, reconnaissant que les infractions d'usurpation de titre, diplôme ou qualité, d'escroquerie, d'exercice illégal de la consultation juridique et d'exercice illégal de la profession d'avocat n'étaient pas constituées, ne saurait conserver autorité de la chose jugée, en considération des faits nouveaux allégués.

Le trouble causé par l'exercice illégal de consultations juridiques et la rédaction d'actes est manifeste. Il entre dans les pouvoirs du juge des référés de le faire cesser en faisant défense à M. [C] de se livrer à cette activité, dans un délai de 10 jours à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d'astreinte. La liquidation d'astreinte ne peut que rester de la compétence de la juridiction de première instance.

L'ordonnance de référé dont appel sera donc infirmée dans son intégralité.

Il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du dispositif de la présente décision dans un journal local, dès lors que l'injonction ordonnée n'est prise qu'à titre provisoire, dans le cadre d'une procédure de référé, et que cette mesure de publicité sollicitée présenterait un caractère vexatoire, qui n'est pas opportun en l'espèce.

Les dépens de première instance et d'appel seront à la charge de M. [C], qui succombe dans le soutien de ses prétentions. Il sera mis à sa charge le paiement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour chacun des appelants.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en référé et en dernier ressort,

Infirme la décision rendue le 30 janvier 2023 par le juge des référés du tribunal judiciaire d'Avignon,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate que l'ordonnance de première instance est affectée d'une erreur matérielle dans l'en-tête de la décision, où les qualités de demandeur(s) et de défendeur(s) ont été inversées et dit que la cour rectifie cette erreur,

Ecarte des débats un échange de courriers ou mails adressés à Me [Y] en mars et avril 2021 dans un dossier de Mme [G], et déboute M. [C] du surplus de sa demande concernant les pièces versées par les appelants à cette procédure,

Constate que M. [U] [C] ne respecte pas les dispositions des articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 31 décembre 1990,

Fait défense à M. [U] [C] de se livrer à une activité de consultation juridique et de rédaction d'actes, dans le délai de 10 jours à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 1 000 € par infraction dûment constatée,

Dit que l'astreinte courra sur une durée maximale de 9 mois à compter du 11ème jour suivant la signification du présent arrêt,

Déboute les appelants de leur demande de publication aux frais de M. [U] [C] dans un journal local et un journal national, et dans la limite de 3 000 euros par insertion ou message, du dispositif du présent arrêt,

Constate que la cour d'appel ne peut conserver la liquidation de l'astreinte fixée,

Condamne M. [C] à payer au Conseil National des Barreaux et à l'Ordre des Avocats au Barreau de Marseille une somme de 2 000 euros, chacun, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [C] aux entiers dépens d'appel et de première instance.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 2ème chambre section b
Numéro d'arrêt : 23/00910
Date de la décision : 07/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-07;23.00910 ?
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