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29/06/2023 | FRANCE | N°21/03717

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 2ème chambre section a, 29 juin 2023, 21/03717


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











ARRÊT N°



N° RG 21/03717 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IGWW



VH



TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES

19 septembre 2021 RG :19/05335



[Y]

[L]



C/



[P]

[I]







































Grosse délivrée

le

à Me Hequet

Me M

eissonnier-Cayez









COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section A



ARRÊT DU 29 JUIN 2023







Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 19 Septembre 2021, N°19/05335



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :



Madame Virginie HUET, Conseillère, a...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 21/03717 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IGWW

VH

TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES

19 septembre 2021 RG :19/05335

[Y]

[L]

C/

[P]

[I]

Grosse délivrée

le

à Me Hequet

Me Meissonnier-Cayez

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section A

ARRÊT DU 29 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 19 Septembre 2021, N°19/05335

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :

Madame Virginie HUET, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre

Madame Virginie HUET, Conseillère

Mme Laure MALLET, Conseillère

GREFFIER :

Mme Véronique LAURENT-VICAL, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 27 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 01 Juin 2023 prorogé à ce jour.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

Monsieur [J] [Y]

né le 20 Octobre 1957 à [Localité 10]

[Adresse 1]

[Localité 11]

Représenté par Me Nicolas HEQUET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'AVIGNON

Madame [Z] [L] épouse [Y]

née le 31 Janvier 1965 à [Localité 12]

[Adresse 1]

[Localité 11]

Représentée par Me Nicolas HEQUET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau D'AVIGNON

INTIMÉS :

Monsieur [D] [P]

né le 04 Octobre 1993 à [Localité 11]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me MUSLIN de la SELARL PVB, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représenté par Me Sophie MEISSONNIER-CAYEZ de la SELAS PVB AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Madame [X] [I]

née le 30 Janvier 1995 à [Localité 11]

[Adresse 8]

[Localité 11]

Représentée par Me MUSLIN de la SELARL PVB, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Représentée par Me Sophie MEISSONNIER-CAYEZ de la SELAS PVB AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de NIMES

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 10 Novembre 2022

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour et signé par Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre, le 29 Juin 2023,

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Suivant acte notarié en date du 28 août 2018, Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] ont acquis chacun la pleine propriété indivise à concurrence de moitié d'une maison d'habitation sise [Adresse 9], cadastrée section AP n°[Cadastre 6], vendue par Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] son épouse.

Suite à leur emménagement, ils se sont plaints de désordres et ont fait réaliser des devis pour y remédier en date des 21, 25 et 27 septembre 2018.

Le 16 octobre 2018, ils ont adressé un courrier à M. et Mme [Y] pour les informer de cette situation.

Ces derniers ont fait intervenir un expert amiable, la société Polyexpert par intervention de l'assureur Pacifica. Un rapport simplifié a été communiqué à M. [P] par leur assureur le 8 octobre 2018. Aucun accord n'est intervenu entre les parties.

Un procès-verbal de constat d'huissier a été réalisé le 11 octobre 2018 à l'initiative de M. [P] et Mme [I] afin de relever l'état du bien acquis.

M. [P] et Mme [I] ont sollicité la désignation d'un expert judiciaire sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance de référé du 20 février 2019, Monsieur [T] a été désigné en qualité d'expert judiciaire.

Par ordonnance du 26 juin 2019, le juge des référés a prononcé la jonction des procédures initiées et déclaré communes et opposables à Monsieur [A] [R] et à Monsieur [M] [O], artisans, l'ordonnance de référé du 20 février 2019 et les opérations d'expertise en cours à cette date.

Aux termes d'une ordonnance en date du 26 juillet 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nîmes a autorisé Monsieur [P] et Madame [I] à inscrire provisoirement une hypothèque sur le bien sis commune de [Localité 11], cadastré section AP numéro [Cadastre 4] et AP numéro [Cadastre 7], [Adresse 2] et appartenant en pleine propriété aux consorts [Y], pour un montant de 22 739,31 euros.

Le 16 septembre 2019, la SCP Nicolas Tardy a procédé à la dénonciation de l'inscription de cette hypothèque judiciaire provisoire à M. et Mme [Y].

Par acte d'huissier du 11 octobre 2019, Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] ont assigné M. et Mme [Y] devant le tribunal de grande instance de Nîmes, sur le fondement des articles 1792, 1792-1 et 1641 du code civil afin, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de les voir condamner solidairement à les garantir de l'intégralité des travaux nécessaires à faire cesser les désordres constatés dans la présente assignation ainsi que ceux qui seront décrits par l'expert judiciaire dans son rapport définitif, en conséquence de les voir condamner au paiement de la somme de 100 378,89 euros ainsi que de celle de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, à titre subsidiaire, sur le fondement de man'uvres dolosives viciant le consentement, d'obtenir la nullité du contrat de vente et de les voir condamner au paiement de la somme de 10 000 euros en suite de la résolution fautive du contrat de vente, outre au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.

L'expert a déposé son pré-rapport d'expertise le 2 janvier 2020 et son rapport définitif le 4 février 2020.

Par actes des 21 octobre et 12 novembre 2020, M. et Mme [Y] ont assigné M. [M] [O] et M. [A] [R] devant le tribunal de grande instance de Nîmes, sur le fondement des articles 1792, 1792-1 et 1641 du code civil, afin de les voir s'entendre déclarer opposable le jugement à intervenir entre les consorts [P]/[I] et eux-mêmes, de les voir condamner in solidum à relever et garantir toute condamnation qui pourrait être mise à leur charge en principal, intérêts et accessoires, ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise si celle-ci n'était pas annulée.

Par ordonnance du 26 janvier 2021, les deux procédures ont été jointes.

Le tribunal judiciaire de Nîmes, par jugement réputé contradictoire du 17 septembre 2021, a :

- Débouté Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] de leur demande de nullité concernant l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [T] [U],

- Déclaré Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] responsables in solidum des désordres affectant l'immeuble situé [Adresse 9] concernant la toiture et les infiltrations tels que constatés par l'expert judiciaire dans son rapport,

- Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre de la réparation des désordres la somme de 65 763,12 euros TTC,

- Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice de jouissance la somme de 14 076 euros,

- Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice moral la somme de 2 500 euros,

- Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] in solidum aux dépens, comprenant les frais d'expertise,

- Admis les avocats qui en ont fait la demande et qui peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par acte du 12 octobre 2021, M. et Mme [Y] ont régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions d'incident notifiées le 14 janvier 2022, M. [D] [P] et Mme [X] [I] ont sollicité la radiation du dossier pour inexécution sur le fondement de l'article 524 du code de procédure civile, puis par conclusions notifiées le 28 juin 2022, se sont désistés de l'incident.

Par ordonnance du 7 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement de l'incident.

Par ordonnance du 30 août 2022, la clôture de la procédure a été fixée au 10 novembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2022, date à laquelle elle a été renvoyée à l'audience du 27 mars 2023 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision au 1er juin prorogé au 29 juin 2023.

EXPOSE DES MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2021, M. et Mme [Y], appelants, demandent à la cour de :

- Recevoir Monsieur et Madame [Y] dans leur appel à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nîmes le 17 septembre 2021,

- Réformer la décision dont appel en ce qu'elle a :

* Débouté Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] de leur demande de nullité concernant l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [T] [U],

* Déclaré Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] responsables in solidum des désordres affectant l'immeuble situé [Adresse 9] concernant la toiture et les infiltrations tels que constatés par l'expert judiciaire dans son rapport,

* Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre de la réparation des désordres la somme de 65 763,12 euros TTC,

* Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice de jouissance la somme de 14 076 euros,

* Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice moral la somme de 2 500 euros,

* Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* Condamné Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] in solidum aux dépens, comprenant les frais d'expertise,

Statuant à nouveau,

Vu les articles 73 ; 160 ; 233 ; 247 et 278 du code de procédure civile,

- Constater que la demande d'annulation du rapport d'expertise a été présentée avant toute défense au fond et, annuler le rapport d'expertise tenant le fait que l'expert n'a pas procédé personnellement aux investigations et a fait preuve de partialité évidente,

Subsidiairement et au fond ; vu les articles 1103 ; 1104 ; 1217 et suivants ; 1353 ; 1792 et suivants du code civil,

- Débouter les consorts [P]/[I] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions en responsabilité des constructeurs faute d'établir le bien-fondé de leurs prétentions et par voie de conséquence débouter les consorts [P]/[I] de l'intégralité de leurs demandes pécuniaires à quelque titre que ce soit,

- Condamner les consorts [P]/[I] à porter payer aux époux [Y] la somme de 10.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner les consorts [P]/[I] aux entiers dépens saufs s'agissant des frais d'expertise.

- Dire et juger que les frais de l'expertise annulée seront à la charge de Monsieur [T], expert judiciaire, par application de l'article 698 du code civil et de la jurisprudence rappelée de la Cour de cassation.

En l'état de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 janvier 2022, M. [D] [P] et Mme [X] [I], intimés, demandent à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1792 ; 1792-1 ; 1641 du code civil,

Vu les articles 242 et suivants du code de procédure civile,

Vu le rapport d'expertise judiciaire,

Vu les pièces produites au débat,

- Statuer ce que de droit sur l'appel interjeté par les consorts [Y],

Sur la demande en nullité du rapport d'expertise formulée :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [Y] de leur demande tendant à voir prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire,

Et sur le fond :

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nîmes en date du 17 septembre 2021, sauf en ce qu'il a limité l'indemnisation des acquéreurs, et statuant à nouveau :

- Condamner solidairement les consorts [Y] au paiement de la somme de 67.057,62 euros au titre de la réparation des préjudices matériels directement subis par les demandeurs,

- Condamner solidairement les consorts [Y] au paiement de la somme de 24.398 euros au titre du préjudice de jouissance,

- Condamner solidairement les consorts [Y] au paiement de la somme de 6.243,97 euros au titre du préjudice financier lié à l'obligation d'emprunter,

- Condamner solidairement les consorts [Y] à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi,

A titre infiniment subsidiaire,

- Dire et juger que les consorts [Y] ont usé de man'uvres dolosives viciant le consentement de Madame [I] et Monsieur [P],

- Dire et juger nul le contrat de vente du bien immobilier,

- Condamner solidairement les consorts [Y] à procéder à la restitution de la somme de 165.000 euros correspondant au prix de vente de l'immeuble,

- Condamner solidairement les consorts [Y] à procéder au remboursement des frais liés à l'acquisition de l'immeuble, soit la somme totale de 15.300 euros,

- Condamner solidairement les consorts [Y] à procéder au remboursement des intérêts au titre du crédit contracté pour l'acquisition de l'immeuble, soit la somme de 43.217,47 euros,

- Condamner solidairement les consorts [Y] à procéder au remboursement de la somme de 37.510,15 euros à Monsieur [P] et Madame [I] au titre des travaux de réparation à ce jour effectués et financés par ces derniers,

- Condamner solidairement les consorts [Y] au paiement de la somme de 50.000 euros en suite de la résolution fautive du contrat de vente,

En tout état de cause,

- Débouter les consorts [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,

- Condamner solidairement les consorts [Y] à payer la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner solidairement les consorts [Y] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.

Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la demande de nullité du rapport d'expertise :

En substance, les appelants soutiennent :

- que d'autres personnes que les parties étaient présentes lors du premier accedit sans qu'elles aient été convoquées et sans que la question de leur présence soit évoquée par l'expert, à savoir M. [P], père, et M. [S], charpentier couvreur, violant en cela notamment l'article 237 du code de procédure civile.

- que l'expert aurait méconnu les termes de l'article 278 du code de procédure civile en recueillant l'avis d'un technicien dont la spécialité ne serait pas différente de la sienne.

- que l'expert aurait méconnu les termes de l'article 233 du code de procédure civile en ce qu'il n'aurait pas accompli personnellement sa mission.

- que l'expert aurait pris fait et cause pour les demandeurs et n'aurait pas fait preuve d'impartialité.

- que le rapport est nul en ce que la société CPMC a présenté un devis pour un montant de 22 632,57 euros alors qu'il est fait état de travaux supplémentaires notamment s'agissant de l'isolation alors que le principe du droit à réparation ne saurait s'entendre du droit à amélioration sauf à violer le principe de réparation intégrale.

Réponse de la cour :

La demande de nullité d'une expertise ne constitue pas une exception de procédure mais une défense au fond, elle ne peut cependant être proposée en tout état de cause. En application de l'article 175 du code de procédure civile, elle est en effet soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure (Cass. 2ème civ., 19 mai 2016, n° 15-17538 15-18026).

L'article 175 soumet le régime des nullités de l'expertise à celui des actes de procédure. Il renvoie alors aux articles 112 à 122 régissant la nullité de ces actes. Ces articles distinguent deux régimes de nullité : pour vice de forme ; pour irrégularité de fond. Le régime de la nullité pour vice de forme est doublement exigeant pour celui qui s'en prévaut : d'une part, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public, la nullité ne saurait être prononcée lorsqu'elle n'est pas expressément prévue par la loi, et même dans ce cas, il faut justifier d'un grief ; d'autre part, même en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public, il faut démontrer un grief.

Celui qui invoque la nullité d'une expertise doit donc prouver le grief qui lui est causé.

sur la présence de tiers :

Il arrive que les parties (et leurs avocats et l'expert) admettent l'intervention de tiers aux opérations d'expertise (notamment les représentants des compagnies d'assurances ou les syndics de copropriété). Il convient de préciser que, même si elle est acceptée par les parties et par l'expert, leur participation ne crée aucun lien juridique d'instance. L'intervenant volontaire doit justifier d'un intérêt légitime à intervenir à l'expertise (Cass. 2è civ., 21 oct. 2010, n° 09-65265).

Selon l'article 278-1 du code de procédure civile, « L'expert peut se faire assister dans l'accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité». Selon l'article 282, al. 4 «Lorsque l'expert s'est fait assister dans l'accomplissement de sa mission en application de l'article 278-1, le rapport mentionne les noms et qualités des personnes qui ont prêté leur concours». Par ailleurs, aux termes de l'article 242 du Code de procédure civile, le technicien peut recueillir des informations orales ou écrites de toutes personnes, sauf à ce que soient précisés leurs nom, prénoms, demeure et profession ainsi que, s'il y a lieu, leur lien de parenté ou d'alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d'intérêts avec elles. L'expert peut également auditionner un sachant.

La Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion d'énoncer que l'exigence du respect du principe de la contradiction, posée par l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'étend aux expertises accompagnant la procédure juridictionnelle. Elle reconnaît le principe de la contradiction comme l'une des exigences du « procès équitable ».

Les éventuelles auditions doivent être portées à la connaissance des parties afin qu'elles soient en mesure d'en débattre contradictoirement avant le dépôt du rapport d'expertise.

En l'espèce, il ressort de la lecture du rapport d'expertise, en page 5 notamment que la présence de M. [P], père, et celle de M. [S], charpentier couvreur, ont été portées à la connaissance des parties à l'occasion des réunions, mais également ont été expressément mentionnées dans le pré-rapport de l'expert ainsi que dans le rapport définitif.

Par ailleurs, l'expert pouvait solliciter l'avis de M. [S] en sa qualité de charpentier couvreur, agréé CTBA, M. [T] étant expert lui dans les domaines de l'ingénierie, « Bâtiment, Industrie, génie civil ».

La nullité du rapport n'est pas encourue de ce chef.

Au demeurant, les appelants ne justifient pas d'un grief.

- sur la réalisation à titre personnel de la mission :

Selon l'article 233 « Le technicien, investi de ses pouvoirs par le juge en raison de sa qualification, doit remplir personnellement la mission qui lui est confiée. Si le technicien désigné est une personne morale, son représentant légal soumet à l'agrément du juge le nom de la ou des personnes physiques qui assureront, au sein de celle -ci et en son nom l'exécution de la mesure».

L'expert M. [T] a utilisé des photographies prises sur les lieux par M. [S], ainsi que d'autres clichés pris par M. [P].

Le fait d'utiliser des photographies n'empêche pas l'expert d'analyser, comme en l'espèce, les éléments vus sur les photographies afin de fournir un avis précis et circonstancié, ce d'autant plus que le rapport d'expertise montre que les constatations relatives à la toiture ont pu être réalisées aussi directement par l'expert puisque le plafond n'est plus présent permettant d'observer le toiture et donc sa réalisation.

La cour relève comme le premier juge que M. [Y] accompagné de son conseil lors des accedits n'a pas formulé d'observation sur les constatations réalisées. Il n'est pas non plus exposé lors de dire une demande relative à un complément d'investigation avec de nouvelles constatations sur le bâtiment.

La nullité du rapport n'est pas encourue de ce chef.

Au demeurant, les appelants ne justifient pas d'un grief.

sur l'impartialité :

Article 237 : « Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité ».

Les appelants arguent de l'impartialité de l'expert mais ne précisent pas en quoi il aurait été impartial ou aurait « pris fait et cause » pour les intimés. Si le terme utilisé de « grugé » par l'expert est maladroit, il est l'expression de la conclusion de l'expertise mais non une cause de nullité en raison d'une quelconque partialité.

Faute d'apporter des éléments autre que du ressenti, et rien ne permettant d'écarter l'objectivité de l'expert, ce moyen est inopérant. Au demeurant, les appelants ne justifient pas d'un grief.

sur les manquements dans la mission de chiffrage :

Il est rappelé que l'expert judiciaire peut tout à fait solliciter des devis auprès d'entreprises extérieures, mais également directement auprès des parties.

Il est constant que l'expert judiciaire remplit sa mission et peut se baser sur des devis réalisés par des professionnels pour fixer le prix des travaux, dès lors qu'il a vérifié le sérieux et le bien-fondé du chiffrage et du mode de calcul utilisés.

La lecture du rapport d'expertise montre que l'expert a analysé chaque devis et en a vérifié le chiffrage et le mode de calcul. Il a ainsi retenu des devis et en a écarté d'autres. Ainsi, il est justement observé par le premier juge que le devis de l'entreprise TOLETTI a été retenu pour différents postes mais pas concernant le poste carrelage au titre du lot n°3.

C'est aussi pertinemment que le premier juge indique qu'il n'est pas rapporté que le choix de l'expert a induit un coût de travaux excédant la nécessité de la reprise. Il n'est pas non plus dénoncé des montants de travaux ne correspondant pas aux sujétions techniques données par l'expert. Il n'est pas contesté qu'une partie des plans ait été communiquée par le père du demandeur toutefois il n'est pas relevé que ceux-ci comporteraient des erreurs.

Enfin, le courrier du magistrat en charge du contrôle des expertises a sollicité des explications concernant les heures comptabilisées pour l'exécution de la mission et non le contenu de la mission donc de l'expertise.

Ainsi, l'expertise n'encourt pas de nullité et c'est à bon droit que le premier juge a rejeté la demande de nullité et la décision sera confirmée sur ce point.

Sur la responsabilité des consorts [Y] en leur qualité de constructeurs :

Les appelants font quelques observations sur le défaut de preuve pour indiquer que l'atteinte à la solidité de l'ouvrage n'est pas démontrée et qu'ainsi leur responsabilité ne peut être engagée.

Réponse de la cour :

En vertu de l'article 1792 du code civil : « Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropres à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. »

L'article 1792-1 du code civil dispose comme suit :

« Est réputé constructeur de l'ouvrage :

1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ;

2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ;

3° Toute personne qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d'un locateur d'ouvrage. »

Monsieur et Madame [Y] ne contestent pas avoir réalisé ou fait réaliser le bien objet du litige. Ils seront donc qualifiés de constructeurs sur le fondement de l'article 1792-1 du Code civil.

L'expert décrit les désordres en pages 6 et suivantes de son rapport. Comme l'indique le premier juge, l'expert retient que des malfaçons sont présentes au niveau de la charpente. L'expert relève que la présence d'une flexion de la poutre qui prend appui sur un poteau fissuré. En page 8 du rapport, il est mentionné une dislocation horizontale de la poutre en béton armé. En page 35, il est identifié une 'Fissuration verticale inquiétante sous une poutre en béton armé qui a conduit l'expert à des mesures d'étaiement immédiat qui a (sic) pour but de décharger les contraintes sur ce poteau'. En page 36, il est indiqué un affaissement qualifié de très dangereux de la poutre en retombée qui reçoit une partie de la charpente. Cet affaissement est de 10 mm environ. Au niveau de la charpente, il a été relevé en page 38 du rapport une absence de contreventement des fermettes ayant une incidence importante sur la stabilité de la toiture. En page 40, du rapport il est constaté un recouvrement insuffisant de la bavette en plomb qui est de 3 cm au lieu de 12 cm. En page 41, il est relevé une fissuration verticale de la façade et un enduit qui n'est pas étanche laissant passer l'eau de pluie.

L'expert indique dans son rapport définitif que : « en l'état, cette villa est impropre à sa destination et de surcroît inexploitable par les jeunes acquéreurs. » L'expert ajoute : « La responsabilité de Monsieur [J] [Y] est pleinement engagée, car il a vécu dans l'habitation et connaissait parfaitement l'état des désordres. En l'état il est impossible d'appeler les assurances en garantie. Il a conduit les travaux de son propre chef, en absence de garantie d'une police Dommage Ouvrage pourtant obligatoire- sans étude de sol-sans étude béton armé- sans marché de travaux. En l'état, Monsieur [Y] devient son propre assureur. »

Le moyen tiré de l'absence de désordre de nature décennale est, dans ces conditions, inopérant, les observations techniques de l'expert non utilement remises en cause démontrant suffisamment que les désordres répondent aux exigences de l'article 1792 du code civil et la décision retenant la responsabilité pleine et entière des consorts [Y] sera confirmée.

Sur les préjudices :

Les appelants sollicitent la réformation du jugement en ce qu'il a alloué un préjudice de jouissance ainsi qu'un préjudice moral. Ils considèrent que la salle de bain a été supprimée par les consorts [P]/[I] aux fins d'agrandir la cuisine et qu'ils sont à l'origine de leur préjudice, et par ailleurs que les consorts [P]/[I] habitent l'immeuble de sorte qu'ils ne peuvent justifier

d'aucun préjudice de jouissance.

Les intimés sollicitent la réformation du jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation des acquéreurs à la somme de 65 763,12 euros TTC au titre de leur préjudice matériel et à la somme de 14 076 euros au titre du préjudice de jouissance.

sur les préjudices matériels :

L'expert retient au final un préjudice :

- de 59.937,56 euros pour les travaux de reprise, à savoir travaux de réfection de la charpente toiture, travaux de démolition, gros 'uvre, isolation, plomberie, électricité, carrelage, enduits, dépose et repose des équipements de cuisine, réfection des peintures intérieures et climatisation.

- de 5.825,56 euros pour la maîtrise d''uvre,

- de 1.294,50 euros pour la souscription d'une assurance dommages-ouvrages.

En première instance, le juge a effectivement retenu la somme de 59 937,56 euros TTC au titre de la remise en état ainsi que la somme de 5 825.56 euros au titre de la maîtrise d''uvre au regard de l'intervention de multiples corps d'état. Ces sommes ne sont pas contestées en appel.

Les intimés sollicitent le paiement en outre de la somme de 1.294,50 euros pour la souscription d'une assurance dommages-ouvrages. Il sera fait droit à cette demande légitime à laquelle il n'est opposé aucune contestation.

Le jugement sera infirmé sur le montant alloué, le total des préjudices matériels s'élevant à la somme de 67.057,62 euros.

sur le préjudice de jouissance :

Sur le préjudice de jouissance, il a été retenu par l'expert une valeur locative de 782 euros. Cette valeur est issue d'une proposition de location d'un bien immobilier comparable et sur la même commune. Cette valeur n'est pas contestée par les parties.

Le premier juge a considéré qu'il n'est pas indiqué par les défendeurs qu'ils étaient dans l'impossibilité totale de jouir de leur bien. Il est par ailleurs relevé qu'une partie des travaux à l'intérieur de leur bien était de leur initiative comme la suppression de la salle de bain du rez-de-chaussée. Au regard de ces éléments, il a retenu une perte de jouissance correspondant à 50 % de la valeur du loyer à compter du 10 octobre 2018, date de la mise en demeure.

36 mois x 391 euros = 14 076 euros

Le moyen des appelants selon lequel les intimés ne peuvent avoir un préjudice de jouissance habitant dans les lieux est inopérant, le moyen selon lequel ils ont effectué des travaux est déjà pris en compte dans la réduction de leur préjudice.

Les intimés considèrent que leur préjudice de jouissance est à hauteur de 80 % et que par ailleurs il continue à courir les travaux n'ayant pas été réalisés. Ils sollicitent donc la somme de 24 398 euros.

Aucun élément ne permet de remettre en cause l'évaluation du premier juge à hauteur de 50 %, à compter du 10 octobre 2018, date de la mise en demeure. La décision sera donc confirmée sauf à actualiser le préjudice. Les intimés sollicitent 39 mois de préjudice de jouissance ; il sera donc fait droit à cette demande :

39 mois x 391 euros, soit 15 249 euros

La décision sera donc infirmée dans son montant et il sera alloué la somme de 15 249 euros.

sur le préjudice financier :

La décision du premier juge sera confirmée en ce qu'il a retenu qu'aucun élément n'est communiqué permettant de constater que les fonds empruntés ont été mobilisés pour des travaux en lien avec les désordres constatés.

Au demeurant, les intimés indiquent d'une part subir un préjudice de jouissance toujours actuel et par ailleurs avoir effectué un emprunt au titre des travaux de reprise.

sur le préjudice moral :

Le préjudice de jouissance a déjà été indemnisé et il n'est pas apporté d'autre élément permettant de constater un préjudice. La lecture du certificat médical de Mme [C] et de son hospitalisation en urgence montre qu'elle ne souffre pas de trouble neurologique et en tout état de cause, on peine à comprendre le lien de causalité invoqué avec la présente procédure civile.

La décision du premier juge sera sur ce point infirmée.

les dépens et frais d'expertise :

La décision du premier juge visant à les mettre à la charge des consorts [Y] sera confirmée.

Sur les frais du procès :

Vu les articles 696 et suivants du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,

- Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour en ce qu'il a :

Débouté Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] de leur demande de nullité concernant l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [T] [U],

Déclaré Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] responsables in solidum des désordres affectant l'immeuble situé [Adresse 9] concernant la toiture et les infiltrations tels que constatés par l'expert judiciaire dans son rapport,

Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] in solidum aux dépens, comprenant les frais d'expertise ;

- Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, en ce qu'il a :

Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre de la réparation des désordres la somme de 65 763,12 euros TTC ;

Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice de jouissance la somme de 14 076 euros ;

Condamné in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice moral la somme de 2 500 euros ;

Statuant à nouveau de ces chefs :

Condamne in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre de la réparation des désordres la somme de 67.057,62 euros TTC ;

Condamne in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] au titre du préjudice de jouissance la somme de 15 249 euros ;

Déboute Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] de leur demande formulée au titre du préjudice moral ;

Y ajoutant,

- Condamne in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] à payer à Monsieur [D] [P] et Madame [X] [I] la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne in solidum Monsieur [J] [Y] et Madame [Z] [L] épouse [Y] aux dépens d'appel.

Arrêt signé par la présidente de chambre et par la greffière.

La greffière, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 2ème chambre section a
Numéro d'arrêt : 21/03717
Date de la décision : 29/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-29;21.03717 ?
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