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28/06/2023 | FRANCE | N°22/03062

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 3ème chambre famille, 28 juin 2023, 22/03062


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS























ARRÊT N°



N° RG 22/03062 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ISCG



ACLM



JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DE MENDE

09 juin 2022





[E]



C/



[U]









































Grosse délivrée le

28/06/2023 à

:

Me Chabaud

Me Pouget











COUR D'APPEL DE NÎMES



CHAMBRE CIVILE

3ème chambre famille



ARRÊT DU 28 JUIN 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge aux affaires familiales de MENDE en date du 09 juin 2022, N°21/00152



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Mme Agnès CLAIR- LE MONNYER, Présidente de Chambre...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03062 - N° Portalis DBVH-V-B7G-ISCG

ACLM

JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES DE MENDE

09 juin 2022

[E]

C/

[U]

Grosse délivrée le

28/06/2023 à :

Me Chabaud

Me Pouget

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

3ème chambre famille

ARRÊT DU 28 JUIN 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge aux affaires familiales de MENDE en date du 09 juin 2022, N°21/00152

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Agnès CLAIR- LE MONNYER, Présidente de Chambre,

Mme Isabelle ROBIN, Conseillère,

Mme Elisabeth GRANIER, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Véronique VILLALBA, Greffière,

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 mai 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 28 juin 2023.

APPELANT :

Monsieur [R] [E]

né le 20 mai 1962 à [Localité 1] (48)

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représenté par la SELARL SARLIN-CHABAUD-MARCHAL & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représenté par Me Laurence SPORTOUCH de la SCP SPORTOUCH BRUN, GUIRAUD, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMÉE :

Madame [M] [U]

née le 10 avril 1963 à [Localité 1] (48)

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Philippe POUGET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de LOZERE

ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 26 avril 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Agnès CLAIR- LE MONNYER, Présidente de Chambre, le 28 juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour

EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [E] et Madame [U] se sont mariés le 29 juin 1991 sans contrat de mariage préalable et ont eu deux enfants, nés en 1992 et 1995.

Par ordonnance de non-conciliation en date du 15 juin 2010, le juge aux affaires familiales a notamment :

- attribué à l'épouse la jouissance du domicile conjugal, en laissant un délai à l'époux pour quitter les lieux,

- condamné le père à une contribution à l'entretien et l'éducation des enfants de 170 euros par mois et par enfant.

Le jugement du 17 janvier 2012 a notamment :

- prononcé le divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage sans considération des faits à l'origine de celle-ci,

- débouté l'épouse de sa demande de prestation compensatoire,

- ordonné la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux,

- désigné pour procéder aux opérations le président de la chambre des notaires avec faculté de délégation,

- maintenu la contribution paternelle à l'entretien et l'éducation des enfants.

Le 28 août 2015, Maître [C], notaire à [Localité 4], a dressé procès-verbal d'ouverture des opérations de liquidation.

Par acte du 12 avril 2021, Monsieur [E] a fait assigner Madame [U] devant le juge aux affaires familiales de Mende aux fins de voir constater que Madame [U] devait récompense à la communauté de la somme de 180.000 euros, et voir condamner l'intéressée à lui payer la somme de 90.000 euros représentant la part revenant au concluant sur la valeur de l'immeuble.

Par jugement contradictoire rendu le 9 juin 2022, le juge aux affaires familiales a :

- dit que Monsieur [E] a recelé la somme de 209.605,58 euros et ordonné en conséquence le rapport à la masse de cette somme,

- dit que Monsieur [E] est déchu de ses droits sur cette somme de 209.605,58 euros en application de l'article 1477 du code civil,

- fixé à la somme de 390.173,36 euros le montant de l'actif net de communauté,

- fixé à la somme de 310.568,52 euros les droits de Madame [U] dans le partage et ceux de Monsieur [E] à la somme de 88.962,94 euros,

- dit que Madame [U] gardera les droits de la communauté sur la maison fixés à la somme de 175.284 euros et les placements de la communauté en sa possession, soit la somme de 14.641,89 euros,

- condamné Monsieur [E] à payer à Madame [U] une soulte d'un montant de 120.642,63 euros,

- rejeté le surplus des prétentions des parties,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de première instance seront frais privilégiés de partage.

Par déclaration en date du 14 septembre 2022, Monsieur [E] a relevé appel de la décision en toutes ses dispositions.

Par ses dernières conclusions remises le 25 avril 2023, Monsieur [E] demande à la cour de :

- REFORMER la décision déférée en ce qu'elle a :

- CONSIDERE que Monsieur [R] [E] a recelé des biens de la communauté ;

- DIT que Monsieur [R] [E] a recelé la somme de 209.605,58 euros et ordonné en conséquence le rapport à la masse de cette somme ;

- DIT que Monsieur [R] [E] est déchu de ses droits sur cette somme de 209.605,58 euros en application de l'article 1477 du Code Civil ;

- FIXE à la somme de 390.173,36 euros le montant de l'actif net de communauté ;

- FIXE à la somme de 310.568,52 euros les droits de Madame [M] [U] dans le partage et ceux de Monsieur [R] [E] à la somme de 88.962,94 euros ;

- DIT que Madame [M] [U] gardera les droits de la communauté sur la maison fixés à la somme de 175 .284 euros et les placements de la communauté en sa possession, soit la somme de 14.641,89 euros ;

- CONDAMNE Monsieur [R] [E] à payer à Madame [M] [U] une soulte d'un montant de 120.642,63 euros ;

- DIT que les dépens de la présente instance seront frais privilégiés de partage ;

- DEBOUTE Monsieur [R] [E] de ses demandes, prétentions, fins et conclusions ;

- STATUANT A NOUVEAU :

- FAIRE DROIT aux demandes, fins et conclusions de Monsieur [R] [E] et le recevoir en son appel ;

- AU PRINCIPAL :

Vu les articles 64 et 70 et 1360 du Code de Procédure Civile ;

Vu l'article 2224 du Code Civil ;

Vu les articles 1369 et suivants du même code ;

Vu les pièces versées aux débats ;

- DECLARER prescrites l'action et les demandes de Madame [M] [U] au titre du recel de communauté ;

- DÉCLARER irrecevables les demandes reconventionnelles de Madame [M] [U], au visa des articles 64 et 70 du Code de Procédure Civile,

- DEBOUTER Madame [M] [U] de toutes ses demandes, fins, prétentions et conclusions, comme étant injustes et mal fondées ;

- EN CONSEQUENCE :

- REFORMER la décision dont appel ;

- FIXER à la somme de 180.000 euros la récompense due par Madame [M] [U] à la communauté ;

- CONDAMNER Madame [M] [U] à payer à la communauté ladite somme ;

- FIXER à la somme de 90.000 euros les droits de Monsieur [R] [E] au titre de l'immeuble ayant constitué l'ancien domicile conjugal ;

- CONDAMNER Madame [M] [U] à payer ladite somme à Monsieur [R] [E], par le biais de la comptabilité du Notaire qui sera désigné ;

- DEBOUTER Madame [M] [U] de toutes ses demandes, fins, prétentions et conclusions, comme étant injustes et mal fondées ;

- CONDAMNER Madame [M] [U] à payer à Monsieur [R] [E] la somme de 4.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'appelant fait valoir que les demandes de Madame [U] tendant au prétendu recel de communauté sont prescrites par application des dispositions de l'article 2224 du code civil, la prescription ayant couru à compter de la connaissance par celle-ci des prétendus détournements opérés, soit au plus tard à compter du 13 novembre 2013, date du courrier que son conseil adressait au notaire en charge de la liquidation, ce courrier n'étant pas interruptif de prescription. Il fait observer que Madame [U] n'a pas évoqué ce recel lors de la réunion contradictoire du 28 août 2015 devant le notaire et ne s'est plus ensuite manifestée jusqu'à l'assignation du 12 avril 2021, ne sollicitant pas que soit établi un procès-verbal de difficultés. Il prétend qu'en toute hypothèse, il n'existait pas de difficulté justifiant l'établissement d'un tel document, l'épouse ne contestant pas le principe de la récompense due par la communauté pour l'édification de l'immeuble sur son terrain propre.

Il conclut qu'à la date du 12 avril 2021 à laquelle il a fait assigner Madame [U] en paiement de la récompense due au titre du financement de l'immeuble propre de l'épouse, celle-ci n'était plus recevable à exciper d'un prétendu recel de communauté.

En réponse à l'argumentation adverse sur ce point, Monsieur [E] soutient que l'action qu'il a initiée ne constituait pas une action en partage, mais seulement une action en paiement d'une créance, le règlement de créances entre époux ne constituant pas une opération de partage selon la jurisprudence constante au visa de l'article 1479 du code civil. Il ajoute que Madame [U] n'a pas conclu reconventionnellement au partage mais uniquement à la restitution des sommes prétendument recelées, ces demandes constituant des prétentions autonomes.

L'appelant fait par ailleurs valoir qu'en tout état de cause, Madame [U] n'a formé aucune demande devant le notaire au jour du procès-verbal d'ouverture du 28 août 2015, alors que le concluant précisait dans son dire qu'il souhaitait retenir la valeur de 220.000 euros pour le bien immobilier propre de l'épouse.

Il soutient que, de jurisprudence, sont irrecevables les demandes qui n'ont pas été préalablement soumises au notaire.

Il ajoute que Madame [U] n'a également nullement fait valoir devant le notaire une demande relative aux 12.000 euros provenant de ses parents et à son PEL qui aurait servi à financer en partie la construction de l'ancien domicile conjugal.

L'appelant reproche au premier juge d'avoir outrepassé ses pouvoirs en se 'métamorphosant' en juge liquidateur alors qu'il aurait dû se borner à consacrer la récompense due au concluant, à laquelle Madame [U] ne formait aucune opposition.

Il sollicite la fixation de la récompense due à la communauté par Madame [U] à la somme de 180.000 euros et la fixation de ses droits en conséquence à la somme de 90.000 euros.

Enfin il reproche au premier juge d'avoir écarté les attestations de sa mère et de son frère qui faisaient la preuve du caractère propre des sommes figurant sur les comptes bancaires, comme provenant de donations, et d'avoir retenu de façon erronée que le concluant aurait reconnu que les sommes en question étaient des acquêts de communauté.

Par ses dernières conclusions remises le 24 avril 2023, Madame [U] demande à la cour de :

- REJETER les exceptions de prescription et d'irrecevabilité soulevées,

- REJETER la fin de non-recevoir soulevée,

- DEBOUTER Monsieur [R] [E] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,

- ACCUEILLIR Madame [M] [U] en son appel incident,

- A titre principal

- CONFIRMER le jugement sur l'existence du recel de biens de communauté,

- REFORMER le jugement en ce qu'il a décidé que Monsieur [E] devait être déchu de ses droits pour 209.605,58 € et dans ses calculs subséquents,

- JUGER que Monsieur [R] [E] doit être déchu de la somme de 214.605,58 €,

- CE FAISANT

- ORDONNER le rapport à la masse des placements financiers détournés par Monsieur [E] pour 214.605,58 €,

- PRONONCER en application de l'article 1477 du code civil, la déchéance des droits de Monsieur [E] sur cette somme, - FIXER l'actif net de communauté à la somme de 400.531,47 €,

- FIXER les droits de Madame [M] [U] dans le partage à la somme de 319.568,53 € et ceux de Monsieur [E] à la somme de 94.962,94 €,

- CONDAMNER Monsieur [E] à payer à titre de soulte à Madame [M] [U], la somme de 129.642,64 € et JUGER qu'elle conservera les droits de la communauté sur la maison (175.284 €) et les placements à son nom (14.641,89 €),

- ORDONNER que le paiement des droits de Monsieur [E] s'effectuera par prélèvement sur les placements qu'il a conservés,

- A titre subsidiaire dans l'hypothèse de l'absence de recel

- FIXER à la somme de 212.265,73 € les droits de Madame [M] [U] dans le partage,

- FIXER à la somme de 200.265,73 € les droits de Monsieur [E] dans le partage,

- CONDAMNER Monsieur [R] [E] à payer à Madame [M] [U] la somme de 22.339,84 € après attribution au profit de cette dernière des droits de la communauté sur la maison et des placements à son nom,

- JUGER que le paiement de la soulte s'effectuera par prélèvement sur les placements en possession de Monsieur [R] [E] qu'il conservera,

- LE CONDAMNER à payer à Madame [M] [U], le somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'intimée, formant appel incident, demande à la cour de confirmer le recel de communauté commis par Monsieur [E], en reprochant toutefois au premier juge d'avoir écarté du montant recelé les prélèvements opérés sur le compte joint pour un total de 13.000 euros en retenant qu'ils ne pouvaient pas être imputés spécialement à l'un ou l'autre des époux. Madame [U] soutient que si le raisonnement peut être accepté pour les huit retraits au guichet, tel ne peut pas être le cas s'agissant du virement de 5.000 euros intervenu le 15 mars 2010 à destination expresse du mari. Elle sollicite donc que le jugement soit en conséquence réformé en ce qu'il a écarté le rapport à la masse post-communautaire de cette somme de 5.000 euros.

S'opposant à l'argumentation adverse, Madame [U] fait valoir que Monsieur [E] qualifie à tort sa demande de revendication d'une créance entre époux alors qu'il sollicite en réalité paiement d'une récompense au titre du financement par la communauté d'un bien propre de l'épouse.

Elle soutient que la demande reconventionnelle qu'elle a formulée en partage des avoirs que détenaient les époux et dont une grande partie a été détournée par le mari, s'inscrit dans le cadre de l'action en partage post-communautaire qui obéit aux mêmes règles que l'action en partage successoral et qui sont imprescriptibles, et que l'action tendant à voir rapporter à la masse les biens de communauté recélés ne se distingue pas de l'action en partage elle-même.

Elle se prévaut en outre des dispositions de l'article 2233 du code civil, estimant que la prescription n'a pu courir, la condition préalable au partage judiciaire fixée par le juge aux affaires familiales, à savoir l'établissement d'un procès-verbal de difficultés par le notaire, n'étant pas remplie, et allègue qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas revendiqué devant le juge du divorce un partage en la forme authentique puisqu'il ne s'imposait pas en l'absence de droits immobiliers soumis à publicité foncière et puisque le juge du divorce n'est pas le juge du partage.

Elle ajoute que Monsieur [E] prétend à tort qu'elle n'aurait émis aucune prétention dans le cadre des opérations de liquidation alors qu'au contraire, par courrier du 13 novembre 2013 adressé au notaire, son conseil a informé celui-ci de ce que le mari avait détourné d'importantes liquidités qu'il convenait d'intégrer au partage, et encore que le seul fait qu'aucun partage n'ait été régularisé devant le notaire suffit à établir qu'il existait un désaccord.

Elle fait observer que Monsieur [E] n'a pas plus sollicité du notaire l'établissement d'un procès-verbal de difficultés, connaissant pertinemment les prétentions de la concluante.

Enfin elle précise qu'elle a formé sa demande reconventionnelle par conclusions du 4 août 2021 après introduction de l'instance par assignation en partage partiel délivré par Monsieur [E] le 12 avril 2021, sa demande interrompant tout délai de prescription. Elle précise également que dans son assignation elle évoquait la proposition de partager les placements, et revendiquait le recel dans ses écritures du 24 février 2011 après avoir constaté que le mari les avait divertis.

Madame [U] indique par ailleurs que le notaire a accusé réception de ses dires en novembre 2013 puis encore en avril 2015, précisant que du fait du comportement agressif de l'époux, le notaire n'a pas consigné in extenso les dires dans le procès-verbal d'ouverture des opérations, rappelant que le notaire s'est dessaisi du dossier entre les mains de son associé qui a lui-même été très rapidement dessaisi à son tour par Monsieur [E], la présidente de la chambre des notaires héritant à nouveau du dossier.

Quant à la prétendue irrecevabilité des demandes comme n'ayant pas été soumises préalablement au notaire, opposée par Monsieur [E], l'intimée rappelle son courrier du 13 novembre 2013 formant réclamation au titre des avoirs détournés. Elle fait valoir que la jurisprudence citée par l'appelant n'est pas pertinente, concernant le procès-verbal de difficultés et non le procès-verbal d'ouverture des opérations.

S'agissant des fonds recelés, Madame [U] conteste les explications de Monsieur [E], en faisant observer qu'elles varient au fil du temps, quant à la prétendue origine des fonds que l'intéressé prétend propres pour résulter de donations de membres de sa famille sans preuve à l'appui.

Enfin l'intimée indique, subsidiairement, que si la cour devait retenir le recel prescrit, il conviendrait de statuer sur le partage des avoirs.

Il est fait renvoi aux écritures des parties pour plus ample exposé des éléments de la cause, des prétentions et moyens des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1/ Sur les demandes des parties devant le juge aux affaires familiales:

Par acte d'huissier en date du 12 avril 2021, Monsieur [E] a fait assigner Madame [U] devant le juge aux affaires familiales, le dispositif étant ainsi libellé :

Vu les articles 228 et suivants du Code Civil,

Vu le procès-verbal du 28 août 2015,

CONSTATER que la valeur de l'immeuble doit être arrêtée à la somme de 180.000 €.

CONSTATER que Madame [U] doit récompense à la communauté de cette somme.

CONSTATER que les droits de Monsieur [E] sont de moitié sur la communauté.

En conséquence,

CONDAMNER Madame [U] au paiement d'une somme de 90.000,00 € représentant la part revenant à Monsieur [E] sur la valeur de l'immeuble.

ORDONNER l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

CONDAMNER Madame [U] aux dépens et au paiement d'une somme 1.500 € sur le fondement de l'article 700 CPC.

Le corps de son assignation rappelait le jugement de divorce ayant ordonné la liquidation du régime matrimonial des époux et la désignation d'un notaire, et le procès-verbal d'ouverture des opérations de liquidation en date du 28 août 2015.

Monsieur [E] exposait que l'actif de communauté contenait notamment l'immeuble ayant abrité le domicile conjugal, construit par les époux sur un terrain appartenant en propre à l'épouse, et que celle-ci devait donc récompense à la communauté, la maison ayant été évaluée à 180.000 euros. Il exposait que les parties n'avaient pu aboutir à un règlement amiable et qu'il était donc contraint de s'adresser à justice.

Il résulte des propres termes employés par Monsieur [E] dans son assignation qu'il agissait dans le cadre des opérations de liquidation du régime matrimonial, à défaut pour les parties d'avoir pu trouver un accord devant le notaire en charge des opérations de liquidation, et ce conformément aux dispositions des articles relatifs au partage rappelées expressément par le juge du divorce qui rappelait également qu'en cas de désaccord, le notaire dresserait un procès-verbal de difficulté et que le juge aux affaires familiales, saisi par assignation ou requête de l'un des époux, trancherait les points de litige persistants.

En tout état de cause, Monsieur [E] n'a nullement revendiqué une créance entre époux, laquelle aurait exigé un mouvement de valeur entre les patrimoines propres des époux mariés sous le régime légal, ce qui n'est nullement le cas en l'espèce, mais une récompense due à la communauté par l'épouse au titre du financement par la communauté de l'immeuble ayant constitué le domicile conjugal sur un terrain propre appartenant à l'épouse.

Monsieur [E] ne peut donc sérieusement prétendre devant la cour avoir exercé une action en règlement d'une créance entre époux ne constituant pas une opération de partage, comme il ne saurait sérieusement prétendre que, s'il s'était agi d'une action en partage, l'ex-épouse n'aurait pas manqué de soulever l'irrecevabilité de sa demande pour non-respect des dispositions de l'article 1360 du code de procédure civile. Ce moyen est d'autant plus inopérant que l'assignation délivrée par l'intéressé contenait un descriptif, certes très sommaire, du patrimoine à partager en précisant les intentions du demandeur et les diligences devant le notaire. En tout état de cause, Madame [U] n'avait aucune obligation de soulever l'irrecevabilité, et elle a naturellement fait valoir, reconventionnellement, ses propres demandes quant au partage des fonds communs, à savoir sa demande au titre du recel de communauté allégué.

La demande reconventionnelle de Madame [U] était parfaitement recevable, se rattachant aux prétentions originaires par un lien suffisant, toute demande relative aux comptes à faire entre les époux dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial devant être admise en matière de partage de communauté, qu'il s'agisse de récompenses ou de recel d'effets de la communauté. Le moyen opposé par Monsieur [E] à cet égard doit donc être écarté.

2/ Sur la prescription opposée par Monsieur [E] :

Ainsi qu'il vient d'être dit, les demandes des parties, tant la demande principale de Monsieur [E] en fixation d'une récompense due à la communauté par Madame [U] que la demande reconventionnelle de Madame [U] portant sur les biens mobiliers communs et le recel de communauté imputé à Monsieur [E], ne peuvent être analysées autrement qu'en demandes en partage, et de jurisprudence constante, l'action en partage est imprescriptible.

L'appelant est dès lors débouté de sa demande tendant à voir déclarer prescrite la demande de Madame [U].

3/ Sur l'irrecevabilité opposée par Monsieur [E] :

En matière de partage judiciaire, selon les articles 1373 et 1374 du code de procédure civile, toute demande distincte de celles portant sur les points de désaccord subsistants dont le juge commis a fait rapport au tribunal est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé postérieurement à ce rapport.

En l'espèce, en l'absence d'un procès-verbal de difficultés, le procès-verbal d'ouverture dressé par le notaire et consignant les dires des parties ne pouvant en aucun cas être assimilé au procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties quant à leurs désaccords sur le projet d'état liquidatif, projet qui au demeurant n'a jamais été établi par le notaire, Monsieur [E] ne peut prétendre à l'irrecevabilité des demandes de Madame [U].

4/ Sur le recel de communauté :

L'article 1477 du code civil dispose que celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté est privé de sa portion dans lesdits effets. Le recel de communauté peut être commis avant ou après la dissolution de la communauté et jusqu'au jour du partage, et suppose que l'auteur ait eu l'intention de porter atteinte à l'égalité du partage.

L'appelant ne conteste pas le constat fait par le premier juge de l'évolution de ses comptes et placements et des comptes des enfants, ouverts auprès du Crédit Agricole, de la Caisse d'Epargne et de la Banque Postale, les relevés démontrant qu'a été retirée par le mari sur les différents comptes la somme totale de 209.605,58 euros et ce dans les jours ou semaines ayant précédé ou suivi la délivrance de la requête en divorce de février 2010. Le premier juge a retenu à juste titre que la concomitance et l'importance de ces retraits démontraient la volonté du mari de priver son conjoint de tout ou partie de sa part de communauté.

Ainsi que le soutient à juste titre l'intimée, le premier juge a écarté à tort la somme de 5.000 euros retenant qu'il s'agissait d'un retrait au distributeur automatique dont l'auteur ne pouvait être déterminé, alors qu'en réalité il s'agissait d'un virement à destination expresse de Monsieur [E].

L'appelant fait par ailleurs valoir que le juge aux affaires familiales a retenu de façon erronée qu'il avait reconnu que les sommes retirées sur les comptes bancaires constituaient des acquêts de communauté, alors qu'au contraire il faisait la preuve, par deux attestations, de l'origine propre de ces sommes, comme provenant de donations de ses parents et de son frère.

Or, par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge, après avoir rappelé les termes des articles 1401 et 1402 du code civil, a considéré que les seules attestations établies par sa mère et son frère, l'appelant ne versant aux débats devant la cour pour les compléter qu'une nouvelle attestation de son frère rédigée cette fois en indiquant le montant non plus en euros mais en francs, ne pouvaient faire la preuve de la réalité des allégations de Monsieur [E], s'agissant de témoins dont l'objectivité était discutable, et en l'absence de production des actes de partage ou d'un quelconque justificatif des sommes invoquées.

Si l'appelant ne précise pas le montant des donations dans ses écritures devant la cour, il affirmait en première instance avoir reçu 320.000 francs de ses parents et 167.000 euros de son frère. Au regard du montant très important des sommes, il est plus que surprenant qu'aucune pièce n'établisse la réalité des versements, et surtout que Monsieur [E] ne produise toujours pas l'acte de partage de la propriété familiale qui serait à l'origine de ces versements.

Au vu des éléments qui précèdent, le jugement sera confirmé sauf en ce qu'il a retenu que le recel portait sur une somme totale de 209.605,58 euros, le montant étant en réalité de 214.605,58 euros. Par ailleurs, la somme de 8.000 euros, écartée du recel par le premier juge comme correspondant à des retraits effectués par l'un ou l'autre des époux sans possibilité de précision à cet égard, devra être incluse dans l'actif commun. Le jugement doit être infirmé en ce qu'il a débouté Madame [U] de sa demande à ce titre.

5/ Sur la récompense due par Madame [U] à la communauté :

Le premier juge a retenu que :

- Madame [U] devait récompense à la communauté au titre du financement de la construction du domicile conjugal bâti sur un terrain lui appartenant en propre,

- la construction avait été financée par un emprunt de 360.000 francs, remboursé par la communauté, et par des fonds propres de l'épouse (PEL) à hauteur de 2,62% de l'investissement,

- la récompense due à la communauté par Madame [U] s'établissait à 175.384 euros, soit 87.642 euros en faveur de Monsieur [E].

L'appelant demande réformation sur ce point, sollicitant que la récompense due à la communauté soit fixée à 180.000 euros, soit 90.000 euros au titre de ses droits, sans pour autant soutenir de moyen critiquant la décision à cet égard.

Le jugement sera donc confirmé quant au montant de la récompense retenue à la charge de Madame [U] au bénéfice de la communauté.

6/ Sur les autres demandes :

Madame [U] sera admise en ses demandes portant nouveau calcul des droits de chacun, en raison de l'infirmation du jugement quant au montant du recel et en raison de l'intégration à l'actif commun de la somme de 8.000 euros correspondant aux retraits d'espèce sur les comptes.

En conséquence, le jugement est infirmé sur les montants suivants :

- l'actif net de communauté ne s'élève pas à 390.173,36 euros, mais à 400.531,47 euros,

- les droits de Madame [U] ne s'élèvent pas à 310.568,52 euros, mais à 319.568,53 euros,

- les droits de Monsieur [E] ne s'élèvent pas à 88.962,94 euros, mais à 94.962,94 euros,

- Monsieur [E] doit verser à Madame [U] à titre de soulte la somme de 129.642,64 euros.

Madame [U] sollicite à raison qu'il soit ordonné que le paiement des droits de Monsieur [E] s'effectuera par prélèvement sur les placements qu'il a conservés. Il sera ajouté au jugement de ce chef.

Parce qu'il serait inéquitable que l'intimée supporte la charge des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en appel, l'appelant sera condamné à lui payer la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Enfin Monsieur [E] supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR :

Après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant publiquement, contradictoirement, dans la limite de sa saisine, en matière civile et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- débouté Madame [U] de sa demande au titre de la somme de 13.000 euros prélevée sur les comptes bancaires,

- dit que Monsieur [E] a recelé la somme de 209.605,58 euros et ordonné en conséquence le rapport à la masse de cette somme,

- dit que Monsieur [E] est déchu de ses droits sur cette somme de 209.605,58 euros en application de l'article 1477 du code civil,

- fixé à la somme de 390.173,36 euros le montant de l'actif net de communauté,

- fixé à la somme de 310.568,52 euros les droits de Madame [U] dans le partage et ceux de Monsieur [E] à la somme de 88.962,94 euros,

- condamné Monsieur [E] à payer à Madame [U] une soulte d'un montant de 120.642,63 euros,

Statuant à nouveau de ces chefs,

Dit que Monsieur [E] a recelé la somme de 214.605,58 euros, et ordonne en conséquence le rapport à la masse de cette somme,

Dit que Monsieur [E] est déchu de ses droits sur cette somme de 214.605,58 euros en application de l'article 1477 du code civil,

Fixe à la somme de 400.531,47 euros le montant de l'actif net de communauté,

Fixe à la somme de 319.568,53 euros les droits de Madame [U] dans le partage et ceux de Monsieur [E] à la somme de 94.962,94 euros,

Condamne Monsieur [E] à payer à Madame [U] une soulte d'un montant de 129.642,64 euros,

Y ajoutant,

Dit que le paiement des droits de Monsieur [E] s'effectuera par prélèvement sur les placements qu'il a conservés,

Condamne Monsieur [E] à payer à Madame [U] la somme de 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Monsieur [E] aux dépens d'appel,

Arrêt signé par la Présidente de Chambre et par la Greffière.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 3ème chambre famille
Numéro d'arrêt : 22/03062
Date de la décision : 28/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-06-28;22.03062 ?
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