RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/03125 - N°Portalis DBVH-V-B7G-ISIX
ET - NR
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CARPENTRAS
06 septembre 2022 RG:21/01876
[C]
C/
[U] ÉPOUSE [E]
Grosse délivrée
le 15/06/2023
à Me Charlotte BRES
à Me Lionel FOUQUET
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Tribunal de Grande Instance de CARPENTRAS en date du 06 Septembre 2022, N°21/01876
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats et de Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 04 Mai 2023 prorogé au 15 Juin 2023
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
Monsieur [Z] [C]
né le 03 Août 1953 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Charlotte BRES, Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Représenté par Me Pierre ESPLAS, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE :
Madame [V] [U] épouse [E]
née le 25 Mai 1949
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Lionel FOUQUET de la SELARL PYXIS AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
Représentée par Me Mathieu GIBAUD de la SAS DELTA AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 15 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [Z] [C] est né le 3 août 1953 de l'union de Madame [D] [H] et de Monsieur [X] [C].
Après avoir divorcé de celui-ci, Mme [H] a épousé le 19 février 1961, M. [R] [O], les intéressés ayant alors adopté le régime de la séparation des biens.
Mme [H] est décédée le 25 février 2012 laissant pour lui succéder son fils unique précité et son conjoint survivant.
Celui-ci est décédé le 10 janvier 2021.
Par acte délivré le 20 décembre 2021, M. [Z] [C] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Carpentras Mme [V] [U] épouse [E], prise en qualité d'héritière de M. [R] [O], afin de critiquer la validité du testament établi par celui-ci le 22 octobre 2020.
Mme [U] a saisi la juridiction de la mise en état afin de contester la recevabilité pour cause de prescription de la démarche entreprise par M. [C] au motif qu'il n'avait pas agit dans les cinq années suivant le décès de sa mère.
Par ordonnance contradictoire de mise en état du 6 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Carpentras a :
- déclaré irrecevable l'action engagée par M. [Z] [C] ;
- dit que les dépens suivront le sort du principal ;
- dit n'y avoir lieu à indemnité pour frais irrépétibles ;
- dit que par décision séparée, il sera statué sur la suite de l'instance engagée par Mme [S] [A] [H] et Mme [P] [A] [H]
L'ordonnance a retenu qu'il n'existait aucune indivision avec les héritiers du défunt de sorte que l'action en partage est vaine et que l'action dont bénéficie M. [C] au titre de l'article 1527 du code civil est prescrite dans le cas présent, le décès étant intervenu en 2012.
Par déclaration du 23 septembre 2022, M. [Z] [C] a interjeté appel de cette décision.
Par avis de fixation de l'affaire à bref délai du 31 octobre 2022, l'instruction de l'affaire a été déclarée close le 27 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 mars 2023.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 1 mars 2023, M. [C], appelant, demande à la cour de :
- dire et juger irrecevables les conclusions et pièces signifiées par la partie intimée,
Sur le fond :
- réformer l'ordonnance dont appel ,
- dire et juger recevable l'action engagée par M. [Z] [C] devant le tribunal judiciaire de Carpentras ,
- dire et juger que les dépens suivront le sort du procès ,
- réserver l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
L'appelant fait valoir en premier lieu, qu'en application des articles 905-2 et 930-1 du code de procédure civile, les conclusions de l'intimée sont irrecevables, la date de communication des conclusions de l'intimée était le 28 décembre 2022 et elles ont été communiquées le 2 janvier 2023.
Il s'oppose à la fin de non recevoir retenu par le premier juge dés lors que les enfants qui ne sont pas issus des deux époux ont le droit d'agir en retranchement et le délai de prescription applicable est celui prévu par les dispositions de l'article 921 alinéa 2 du code civil soit le délai quinquennal à compter du décès de son auteur, soit le délai biennal dont le point de départ est le jour où il a eu connaissance de l'atteinte à ses droits de réserve.
Par ailleurs, il prétend que le délai de prescription a été interrompu au sens des dispositions de l'article 2234 du Code civil en raison de l'existence dans l'acte portant adoption du régime de la communauté universelle d'une clause d'attribution du patrimoine à l'époux survivant et ce n'est qu'au jour du décès du conjoint survivant qu'il a recommencé à courir de sorte que son action n'est pas prescrite.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 mars 2023, Mme [U] épouse [E], intimée, demande à la cour de :
- déclaré irrecevables les conclusions déposées tardivement par l'appelant le 1 mars 2013 ;
- déclarer M. [C] mal fondé en son appel et en toutes ses prétentions, fins et demandes, et l'en débouter ,
- confirmer l'ordonnance du 6 septembre 2022 en toutes ses dispositions,
- condamner M. [Z] [C] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
En réponse au moyen tiré de l'irrecevabilité de ses conclusions notifiées le 2 janvier 2023 elle fait valoir que l'appelant a notifié à son conseil ses conclusions d'appelant après sa constitution. Elle soutient que cette hypothèse le point de départ du délai pour conclure de l'intimé est le 8 décembre 2022 ce qui rend recevables ses conclusions notifiées le 2 janvier 2023.
Elle prétend que M.[C] en déposant des écritures veille de l'audience et postérieurement à 7 jours de la clôture a violé le principe du contradictoire de sorte que ses conclusions doivent être déclarées irrecevables.
Elle prétend également que l'action en retranchement évoquée par l'appelant doit s'analyser en une action en réduction pour atteinte à la réserve des descendants qui se prescrit par application de l'article 921 aliéna 2 du Code civil dans le délai de 5 ans à compter du décès du disposant, en l'occurence le décès de Mme [H] le 25 février 2012, ou de 2 ans qui court au jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
1-Sur l'irrecevabilité des écritures
- de l'intimée
M. [C] soulève l'irrecevabilité des conclusions de Mme [U] hors délai 905-2 du code de procédure civile pour avoir été notifiées le 5 janvier 2023 alors que le délai d'un mois dont disposait l'intimée expirait le 28 décembre 2022.
L'article 905-2 mentionne que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou provoqué.
L'article 911 alinéa 2 dispose que la notification de conclusions au sens de l'article 910-1 faite à une partie dans le délai prévu à l'article 905-2 (s'agissant d'une fixation à bref délai) constitue le point de départ du délai dont cette partie dispose pour remettre ses conclusions au greffe.
L'interprétation de ces textes a pu conduire la Cour de cassation à décider, lorsque la procédure à bref délai est de droit (hypothèse de l'ordonnance du juge de la mise en état déférée) que, sans encourir de sanction, l'appelant peut remettre ses conclusions au greffe et les notifier à l'intimé avant la réception de l'avis de fixation, qu'il n'est pas obligé de les notifier à nouveau après réception de l'avis de fixation, le point de départ du délai pour conclure donné à l'intimé étant alors la date à laquelle il a reçu notification des conclusions de l'appelant (civ 2ème 22 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.769).
Cette interprétation a été confirmée dans un arrêt rendu par la 2ème chambre civile le 13 janvier 2022 (pourvoi n° 20-18.121).
Par ailleurs lorsque les conclusions ont été signifiées à l'intimé non constitué, et que ce lui-ci constitue postérieurement à cette signification, il n'est pas nécessaire de notifier à nouveau les conclusions à son conseil et le délai d'un mois dont disposait l'intimé pour conclure, a toujours pour point de départ le jour de la signification des écritures de l'appelant soit en l'espèce le 28 novembre 2022 et expirait un mois plus tard soit le 28 décembre 2022.
Il convient, en conséquence, de déclarer les conclusions de l'intimée, notifiées le 2 janvier 2023, irrecevables, dans leur intégralité, le texte de l'article 905-2 ne distinguant pas entre les conclusions d'intimé en réponse ou celles formant appel incident soumises au même délai.
-de M. [C] notifiées le 1 mars 2023
Soutenant que par ses écritures communiqué la veille de l'audience et 'une semaine après la clôture' M. [C] a violé le principe du contradictoire. Or les conclusions de l'intimée ayant été déclarées irrecevables, le dépôt des écritures litigieuses ne portent pas atteinte au principe du contradictoire l'intimée s'étant privée de toute possibilité de réponse antérieurement.
Il s'en déduit que les écritures notifiées le 1 mars 2023 sont ainsi recevables.
2- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
L'action en retranchement de l'article 1527 du code civil est soumise au régime de droit commun de l'action en réduction de l'article 921 du même code.
L'article 921 en son alinéa 2, fixe le délai de prescription de l'action à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession ou deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès.
L'action en retranchement renvoie à l'article 1094-1 du code civil qui régit les libéralités entre époux. La cour en déduit que cette demande concerne la matière du partage.
En effet, la demande en retranchement, au fondement de l'article 1527 du code civil, suppose qu'il soit procédé aux opérations de partage puisqu'il est nécessaire d'arrêter la masse successorale pour établir l'existence d'un éventuel excédent et le calculer, qui reviendrait au conjoint survivant au détriment de la réserve de l'héritier d'un premier lit.
Il en résulte que l'article 921, alinéa 2, du code civil, relatif à la prescription des actions en réduction des libéralités excessives, rappelé ci-dessus est applicable.
Il convient donc de rechercher à quelle date M. [C] a eu connaissance de l'atteinte à ses droits réservataires : soit au jour de l'ouverture de la succession de sa mère c'est à dire au jour de son décès, auquel cas son action est prescrite, soit après l'ouverture de la succession, soit deux ans à compter de cette découverte.
Il se déduit du contenu de la lettre du conseil de M. [C] au notaire chargé de la succession de M. [O] époux de sa mère que ce dernier avait été informé du décès de cette dernière et donc de l'ouverture de sa succession et la prescription quinquennale peut donc lui être opposée. En effet, même si le jugement d'homologation ne mentionne pas que le consentement des enfants du premier lit a été obtenu ni même recherché, il est certain qu'à partir de cette date, M. [C] pouvait avoir connaissance des atteintes à sa réserve par l'effet de la convention de changement de régime matrimonial homologuée par le juge et la clause d'attribution intégrale de la communauté au dernier vivant.
Dans ces conditions l'action introduite par M. [C] est irrecevable comme ne respectant pas le délai de prescription de 5 ans qui a commencé à courir à compter du décès de sa mère.
Il ne peut être soutenu comme le fait M. [C] que ce délai de prescription a été interrompu par l'effet de la convention en application des dispositions de l'article 2234 du Code civil invoqué la présence de la clause attributive du patrimoine au conjoint survivant et la non connaissance du contenu du patrimoine au jour du décès du conjoint survivant ne l'empêchant pas d'agir.
Enfin, l'accaparement de M. [C] par ses occupations professionnelles n'est pas un motif lui permettant d'invoquer l'interruption de la prescription.
En conséquence, son action est prescrite et sera déclarée irrecevable.
L'ordonnance déférée mérite confirmation
3- Sur les mesures accessoires
Partie perdante, M. [C] supportera la charge des dépens d'appel.
L'équité ne commande pas de faire droit à une quelconque demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare les conclusions de l'intimée, notifiées le 2 janvier 2023 et par voie de conséquences les suivantes, irrecevables, dans leur intégralité ;
Déclare recevable les écritures de M.[Z] [C] notifiées le 1 mars 2023 ;
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne M.[Z] [C] à supporter la charge des dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,