RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/01259 - N°Portalis DBVH-V-B7G-IMX6
MPF - NR
JUGE DES CONTENTIEUX DE LA PROTECTION DE CARPENTRAS
17 mars 2022 RG:21/01200
CAISSE DE CREDIT MUTUEL GRENADE
C/
[Y]
[Y] NÉE [T]
Grosse délivrée
le 15/06/2023
à Me Didier ADJEDJ
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 15 JUIN 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Juge des contentieux de la protection de CARPENTRAS en date du 17 Mars 2022, N°21/01200
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, a entendu les plaidoiries, en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère
Mme Séverine LEGER, Conseillère
GREFFIER :
Mme Audrey BACHIMONT, Greffière, lors des débats, et Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 20 Avril 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 Juin 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL GRENADE
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Didier ADJEDJ de la SELASU AD CONSEIL AVOCAT, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CARPENTRAS
INTIMÉS :
Monsieur [U] [Y]
né le [Date naissance 2] 1968 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Assigné par PV 659 CPC du 23 mai 2022
sans avocat constitué
Madame [E] [Y] née [T]
née le [Date naissance 3] 1976 à [Localité 7]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Assignée par PV 659 CPC du 23 mai 2022
sans avocat constitué
ARRÊT :
Arrêt rendu par défaut, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 15 Juin 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
Le 7 novembre 2018, [U] [Y] et [E] [T] épouse [Y] ont souscrit auprès du Crédit Mutuel une convention de compte courant ainsi qu'un contrat de crédit renouvelable d'un montant de 2 000 euros.
Le 31 janvier 2019, la banque leur a consenti un contrat de crédit renouvelable d'un montant de 10 000 euros.
A la suite d'incidents de paiement répétés, et après une mise en demeure de régler les sommes impayées, le Crédit Mutuel par lettre recommandée du 12 février 2020 a notifié aux emprunteurs la résiliation des contrats de prêt.
Par acte en date du 10 août 2021, la banque a fait assigner [U] [Y] et [E] [T] épouse [Y] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Carpentras en paiement de sa créance.
Par jugement réputé contradictoire du 17 mars 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Carpentras a :
- confirmé que la Caisse de Crédit Mutuel Grenade n'a pas respecté les dispositions de l'article L 312-12, L 312-16, L 312-65 et L 312-93 du code de la consommation et qu'elle est déchue du droit aux intérêts,
- constaté que la Caisse de Crédit Mutuel Grenade n'a pas produit :
' un historique des mouvements bancaires expurgé de tout intérêt, pénalité et frais liés au fonctionnement du compte courant en position débitrice
' un décompte actualisé avec indication du montant des frais, des primes d'assurance et des intérêts au taux contractuel indûment prélevés depuis l'origine du contrat 'Etalis' et jusqu'à la date de l'audience
' un décompte actualisé avec l'indication du montant des frais, des primes d'assurance et des intérêts au taux contractuel indûment prélevés depuis l'origine du contrat 'passeport crédit' et jusqu'à la date de l'audience
- débouté en conséquence la Caisse de Crédit Mutuel Grenade de l'ensemble de ses demandes,
- rejeté toute demande plus ample ou contraire,
- condamné la Caisse de Crédit Mutuel Grenade aux entiers dépens ,
Le jugement a prononcé la déchéance du droit aux intérêts faute pour la banque d'avoir respecté l'obligation d'information du titulaire du compte de dépôt présentant un solde débiteur depuis plus d'un mois prévue par les articles 312-92 et L 312-93 du code de la consommation, l'obligation de vérifier la solvabilité des emprunteurs en consultant le FICP, l'obligation de leur délivrer une information précontractuelle en leur remettant une fiche d'information précontractuelle normalisée européenne (Fipen) et l'obligation d'information annuelle des emprunteurs prévue par l'article L 312-65 du code de la consommation.
Le tribunal a par ailleurs rejeté la demande en paiement du principal au motif que la banque n'avait pas produit l'historique du compte de dépôt et un décompte actualisé des deux crédits renouvelables dans le cadre de la réouverture des débats qu'il avait préalablement ordonnée.
Par déclaration du 6 avril 2022, la société Caisse de Crédit Mutuel Grenade a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 14 décembre 2022, la procédure a été clôturée le 6 avril 2023 et l'affaire fixée à l'audience du 20 avril 2023.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS :
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 juin 2022, l'appelante demande à la cour de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de :
- condamner les époux [Y] à lui payer au titre des crédits renouvelables
' prêt n°00020326507 : une somme de 7 183,63 euros outre intérêts au taux contractuel de 3,899% à compter du 3 juin 2021, date de la notification de la déchéance du terme :
' prêt n°00020326508 : une somme de 2 741,06 euros outre intérêts au taux contractuel de 5,499% à compter du 3 juin 2021,
' prêt n°000203265112 : une somme de 1 844,51 euros outre intérêts au taux contractuel de 5,599% à compter du 3 juin 2021,
- condamner les consorts [Y] à lui payer :
' prêt n°0020326502 : une somme de 709,44 euros
' prêt n°0020326509 : une somme de 385,74 euros
' prêt n°0020326510 : une somme de 511,49 euros
' prêt n°0020326511 : une somme de 250,09 euros
' prêt n°0020326513 : une somme de 242,62 euros
Pour le compte n°0020326501 : une somme de 625,93 euros,
toutes ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2021,
- condamner les consorts [Y] au paiement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les consorts [Y] aux entiers dépens.
L'appelante soutient qu'elle a parfaitement respecté l'ensemble de ses obligations et n'encourt pas la déchéance de son droit aux intérêts. Elle rappelle que le défaut de production d'un décompte expurgé des intérêts ne peut justifier le rejet pur et simple de sa demande en paiement et estime qu'elle a produit aux débats les autres documents réclamés par le premier juge.
L'huissier chargé de signifier la déclaration d'appel aux intimés a établi un procès-verbal de recherches infructueuses le 5 juillet 2022. Les intimés n'ont pas constitué avocat.
MOTIFS :
Sur les crédits renouvelables :
Sur la déchéance du droit aux intérêts :
Aux termes de l'article 311-48 du code de la consommation, le prêteur qui a consenti à l'emprunteur un crédit renouvelable encourt la déchéance du droit aux intérêts conventionnels depuis l'origine s'il ne justifie pas de l'exécution des obligations d'information et d'explication lui incombant.
Son droit aux intérêts conventionnels est conditionné notamment par la production des pièces justificatives de nature à établir :
- le justificatif de la consultation du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) (art. L. 312-16 du code de la consommation) ;
- le justificatif de l'information annuelle de l'emprunteur ( L 312-65 du code de la consommation) ;
- le justificatif de l'information précontractuelle délivrée à l'emprunteur ( L 312-12 du code de la consommation).
Sur la fiche d'information précontracuelle :
L'article L 312-12 du code de la consommation dispose : « Préalablement à la conclusion du contrat de crédit, le prêteur ou l'intermédiaire de crédit fournit à l'emprunteur, sous forme d'une fiche d'informations, sur support papier ou sur un autre support durable, les informations nécessaires à la comparaison de différentes offres et permettant à l'emprunteur, compte tenu de ses préférences, d'appréhender clairement l'étendue de son engagement. »
Pour rapporter la preuve de l'exécution de son obligation de remettre à l'emprunteur la fiche d'information précontractuelle normalisée européenne ( Fipen), la banque produit un exemplaire de ladite fiche, non signé, ainsi que la fiche de renseignements signée par les emprunteurs et stipulant : « le crédit renouvelable proposé, dont les différentes caractéristiques sont rappelées dans la fiche d'information précontractuelle normalisée européenne, remise à l'emprunteur, permet de répondre à cette attente ».
Le premier juge a considéré que la signature de la fiche de renseignements contenant cette clause n'était qu'un simple indice de l'exécution par la banque de son obligation ne suffisant pas à lui seul et en l'absence d'élément complémentaire à en rapporter la preuve.
L'appelante estime au contraire qu'en signant la fiche de renseignement contenant une clause dans laquelle ils reconnaissaient que la fiche d'information précontractuelle normalisée européenne leur avait été remise, les emprunteurs avaient reconnu avoir reçu ladite fiche.
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Il incombe donc au prêteur de rapporter la preuve qu'il a satisfait à ses obligations précontractuelles et la signature par l'emprunteur d'une fiche comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis la fiche précontractuelle d'information normalisée européenne constitue seulement un indice qu'il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires ( Civ 1ère 8/04/2021 pourvoi n°19-20.890).
Cette solution fait suite à la position adoptée par la Cour de Justice de l'Union Européenne laquelle a estimé que le consommateur devait toujours être en mesure de faire valoir qu'il n'a pas été destinataire de cette fiche ou que celle-ci n'a pas permis au prêteur de satisfaire aux obligations d'informations précontractuelles lui incombant et que décider du contraire aboutirait à un renversement de la charge de la preuve de l'exécution de l'obligation pesant sur le prêteur de nature à compromettre l'effectivité des droits reconnus par la directive 2008/48.
La cour, à l'instar du premier juge, constate donc que le Crédit Mutuel ne rapporte pas la preuve qu'il a remis aux époux [Y] la fiche précontractuelle d'information normalisée européenne, la signature par ces derniers de la fiche de renseignement contenant une clause-type relative à la remise de ce document ne suffisant pas à elle seule à établir que les emprunteurs ont effectivement reçu un exemplaire de la Fipen.
La déchéance des intérêts sanctionnant le manquement du prêteur à son obligation d'information de l'emprunteur requise par l'article L 312-12 du code de la consommation, il n'y a pas lieu d'examiner les autres manquements retenus par le premier juge et pareillement sanctionnés par la déchéance du droit aux intérêts.
Sur la demande en remboursement des sommes prêtées :
La banque justifie que dans le cadre du crédit renouvelable « Etalis », les emprunteurs ont bénéficié des remises de fonds d'un montant total de 2 757,52 euros entre le 6 décembre 2018 et le 12 août 2019.
L'appelante justifie par ailleurs que dans le cadre du crédit renouvelable « Passeport Crédit » souscrit le 31 janvier 2019, les emprunteurs ont bénéficié de trois remises de fonds d'un montant total de 11 041,36 euros les 8 et 13 février ainsi que le 6 août 2019.
Les intimés seront donc condamnés à payer au Crédit Mutuel la somme de 13 798,88 euros correspondant au montant total des sommes empruntées avant la résiliation des contrats de crédit renouvelable.
Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2021, date de la notification de la déchéance du terme.
Sur le solde débiteur du compte courant :
Le premier juge a prononcé la déchéance du droit aux intérêts au motif que la banque ne justifiait pas avoir proposé un autre type d'opération de crédit comme elle y était tenue en application des articles L 312-93 et L 312-92 du code de la consommation dès lors que le compte a fonctionné en position débitrice à compter du 22 août 2019.
L'appelante soutient qu'elle a accompli son obligation par l'envoi d'une lettre le 24 septembre 2019 indiquant le montant du solde débiteur ( 586,47 euros) et celui du taux d'intérêt sur le dépassement ( 19,08%) puis a clôturé le compte le 19 décembre 2019.
Aux termes de l'article L 312-93 du code de la consommation, si un dépassement de découvert autorisé se prolonge pendant plus de trois mois, le prêteur doit proposer sans délai un autre type d'opération de crédit au sens de l'article L311-2 du code de la consommation.
A l'expiration de ce délai de trois mois l'établissement bancaire doit soumettre à son client une offre préalable de crédit respectant les conditions fixées par les articles L311-6 et suivants du code de la consommation ou une mise en demeure d'avoir à couvrir le solde débiteur suivie, si elle reste sans effet, d'une clôture du compte.
A défaut, en vertu de l'article 311-48 dernier alinéa du même code, la banque ne peut réclamer à l'emprunteur les sommes correspondant à des intérêts et frais de toute nature applicables au titre du dépassement.
Le compte a présenté un solde débiteur sans discontinuer à compter du 22 août 2019.
Le 19 décembre 2019, le Crédit Mutuel a adressé aux époux [Y] une mise en demeure de régler le découvert de 575,61 euros au plus tard le 5 janvier 2020. En l'absence de régularisation par les clients, la banque a clôturé le compte le 5 janvier 2020.
Le solde du compte est donc resté constamment débiteur du 22 août 2019 au 19 décembre 2020, soit pendant trois mois et vingt-sept jours, sans que la banque ne justifie d'avoir proposé un contrat de financement adapté ou une mise en demeure d'avoir à couvrir le solde débiteur.
En effet, la lettre adressée au client le 24 septembre 2019 avait pour seul objet de l'informer du montant du dépassement et du taux des intérêts conventionnels applicable au dépassement et ne peut s'analyser en une mise en demeure.
C'est donc à juste titre que le premier juge a déchu la banque de son droit aux intérêts : les intimés seront donc condamnés à payer au crédit Mutuel la somme de 625,93 euros, solde débiteur du compte n°0020326501, expurgée des frais et intérêts de toute nature. La somme ainsi expurgée des frais et intérêts de toute nature produira intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2021.
Il n'est pas inéquitable de laisser à la banque la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le Crédit Mutuel de toutes ses demandes,
Statuant à nouveau,
Condamne [U] [Y] et [E] [T] épouse [Y] à payer au Crédit Mutuel :
' la somme de 13 798,88 euros au titre des contrats de crédit renouvelable Etalis et Passeport Crédit, ladite somme produisant intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2021,
' la somme de 625,93 euros, solde débiteur du compte n°0020326501, expurgée des frais et intérêts de toute nature, ladite somme produisant intérêts au taux légal à compter du 3 juin 2021,
Confirme le jugement en ce qu'il a prononcé la déchéance des intérêts conventionnels dus au titre des contrats de crédit renouvelable et du solde débiteur du compte n°0020326501,
Y ajoutant,
Déboute le Crédit Mutuel de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [U] [Y] et [E] [T] épouse [Y] aux dépens.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,