RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/03034 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IEQW
AL
TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE NIMES
29 juin 2021 RG :
Mutuelle MUTUEL DES TRANSPORTS
C/
S.A.S. SOCIETE D'EXPLOITATION DES LOCATIONS VAUCLUSIENNES (SELV)
Grosse délivrée
le
à Me Deixonne
Selarl Cabanes Bourgeon ...
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 06 AVRIL 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIMES en date du 29 Juin 2021, N°
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
M. André LIEGEON, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l'article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre
Mme Laure MALLET, Conseillère
M. André LIEGEON, Conseiller
GREFFIER :
Mme Céline DELCOURT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 Février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 06 Avril 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
MUTUELLE DES TRANSPORTS Prise en la personne de son liquidateur Maître Gilles PELLEGRINI, Enregistré au RCS de Paris sous le numéro 324.167.139 demeurant [Adresse 4]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Caroline DEIXONNE, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Carole DAVIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
La Société d'Exploitation des Locations Vauclusiennes (SELV), S.A.S, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Laurence BOURGEON de la SELARL CABANES BOURGEON MOYAL, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me XAVIER LAURENT de la SELAS LCA ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 19 Janvier 2023
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre, le 06 Avril 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DU LITIGE
Suivant un contrat en date du 6 février 2013 à effet au 1er janvier 2013, la SOCIETE D'EXPLOITATION DES LOCATIONS VAUCLUSIENNES (ci-dessous dénommée SELV) a souscrit auprès de la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES (ci-dessous dénommée MTA) une assurance destinée à garantir une flotte de véhicules.
Le contrat a été résilié à effet au 1er janvier 2015.
Par acte du 25 août 2016, la MTA a assigné la SELV aux fins d'obtenir le paiement de diverses sommes.
Par jugement du tribunal de commerce de PARIS du 1er décembre 2016, la liquidation de la MTA a été prononcée et Me Gilles PELLEGRINI a été désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Par jugement du 20 mars 2018, le tribunal judiciaire de NIMES a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la SELV et a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 5 juin 2018.
Par jugement du 29 juin 2021, ce même tribunal a :
- fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par la SELV concernant la demande en paiement de cotisations complémentaires 2011, 2012 et 2013 réclamées par Me Gilles PELLEGRINI ès qualités de liquidateur de la MTA,
- dit prescrite la demande en paiement de Me Gilles PELLEGRINI ès qualités de liquidateur au titre des cotisations complémentaires 2011, 2012 ou même du seul exercice déficitaire 2013, réclamées,
- condamné Me Gilles PELLEGRINI ès qualités de liquidateur à payer à la SELV la somme de 1.500 EUR au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté Me Gilles PELLEGRINI ès qualités de liquidateur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Me Gilles PELLEGRINI ès qualités de liquidateur à payer les entiers dépens,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et/ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire.
Suivant une déclaration d'appel du 3 août 2021 enregistrée au greffe le 4 août 2021, Me Gilles PELLEGRINI ès qualités de liquidateur de la MTA a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes des dernières écritures de Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de mandataire liquidateur de la MTA, notifiées par RPVA le 1er décembre 2022, il est demandé à la cour de :
- recevoir Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur, en son appel,
- l'en déclarer bien fondé,
- infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
- vu les articles L.114-1 et L.114-2 du code des assurances,
- juger non prescrite l'action du concluant et infirmer de ce chef la décision entreprise,
Statuant à nouveau,
- vu l'article 1134 (ancien) et 1103 (nouveau) du code civil,
- vu l'article R. 322-71 du code des assurances,
- vu les statuts et les conditions générales de la MTA,
- vu les pièces versées aux débats,
- juger que, conformément à une jurisprudence constante, le point de départ du délai de prescription des appels de cotisations complémentaires est la date à laquelle le conseil d'administration a décidé d'appeler des cotisations complémentaires sur des exercices déficitaires,
En conséquence,
- déclarer recevable l'action du concluant,
Sur le fond :
- juger que la SELV a bien adhéré aux statuts et aux conditions générales de la MTA,
- juger que conformément à l'article R. 322-71 du code des assurances, une société d'assurance mutuelle à cotisations variables peut appeler des cotisations complémentaires lorsque les cotisations normales appelées pour un exercice ne permettent pas de faire face aux charges probables des sinistres de cet exercice ainsi qu'aux frais de gestion.
- juger que sur le fondement de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier, M. [H] [I], désigné par l'AUTORITE DE CONTROLE PRUDENTIEL ET DE RESOLUTION (ACPR) le 10 juillet 2015 en qualité d'administrateur provisoire, a régulièrement suppléé le conseil d'administration de la MTA,
- juger que la constitution des groupements de sociétaires résulte d'un procès-verbal du conseil d'administration daté du 30 novembre 2000, selon le critère objectif de l'activité professionnelle,
- vu le fait que la SELV appartient au groupement des loueurs de véhicules, en raison de l'activité professionnelle garantie par le contrat d'assurance conclu avec la MTA,
- vu la décision du 15 décembre 2015 ayant décidé des rappels de cotisations complémentaires pour les exercices 2011, 2012 et 2013 pour tous les groupements de sociétaires dont le rapport moyen sur ces trois années cumulées sinistres/cotisations a dépassé les 70 %,
- juger que les exercices 2011, 2012 et 2013 sont déficitaires au regard des comptes sociaux, approuvés par les représentants des groupements de sociétaires et certifiés par le commissaire aux comptes, eu égard au résultat technique négatif de chaque exercice,
- juger que le taux de rappel varie en fonction du rapport sinistres/cotisations de chaque groupement au regard des critères objectifs établis par la décision du 15 décembre 2015,
- vu le taux de rappel du groupement des loueurs de véhicules de 15 % des cotisations normales appelées sur les exercices 2011, 2012 et 2013, au regard des critères objectifs établis par la décision du 15 décembre 2015,
En conséquence,
- juger et déclarer le concluant bien fondé en ses demandes,
- condamner, pour les causes sus-énoncées, la SELV à payer à Me PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur de la MTA, la somme en principal de 8.346,18 EUR, au titre de la cotisation complémentaire afférente à l'exercice déficitaire 2013,
- juger que ladite somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2016,
- juger que les intérêts seront capitalisés dans les termes des articles 1154 (ancien) et 1343-2 (nouveau) du code civil,
- débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes, prétentions, moyens, fins et conclusions,
- condamner la SELV à payer à Me PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur de la MTA :
la somme de 3.000 EUR à titre de dommages-intérêts, en application des dispositions des articles (anciens) 1146 et suivants et (nouveaux) 1231 et suivants du code civil,
la somme de 5.000 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SELV aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction par application de l'article 699 du code de procédure civile, au profit de Me DEIXONNE.
Aux termes des dernières écritures de la SELV notifiées par RPVA le 7 décembre 2021, il est demandé à la cour de :
- vu l'article L. 221-11 du code de la mutualité,
- vu l'article L.114-1 du code des assurances,
- vu l'article R. 322-71 du code des assurances,
- vu les statuts de la MTA,
- vu le jugement du tribunal judiciaire de NÎMES en date du 29 juin 2021,
- vu les pièces versées aux débats,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur de la MTA, car prescrites,
- débouter en conséquence Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur, de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SELV,
Subsidiairement,
A titre liminaire,
- constater que les demandes de cotisations complémentaires de la MTA ont été formulées plus de deux ans après la clôture des exercices 2011, 2012 et 2013 sur lesquels portaient ces cotisations complémentaires,
- constater que l'assignation a été délivrée à la SELV le 27 octobre 2017, soit plus de trois ans après la clôture du dernier exercice concerné (2013),
En conséquence,
- déclarer irrecevable car prescrite la demande de la MTA,
A titre principal
- constater que la MTA et son organe de représentation judiciaire ne rapportent pas la preuve que les conditions posées par l'article R. 322-71 du code des assurances sont remplies et que, notamment, les demandes de cotisations complémentaires sont fondées sur une augmentation des charges résultant des sinistres ou des frais de gestion,
- dire et juger que la créance de la MTA n'est ni certaine, ni exigible,
En conséquence,
- débouter la MTA de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SELV,
En tout état de cause
- condamner la MTA à payer à la SELV la somme de 4.000 EUR au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la MTA aux entiers dépens dont recouvrement par Me Laurence BOURGEON.
Par ordonnance du 24 octobre 2022, la clôture a été fixée au 19 janvier 2023.
MOTIFS
SUR LA PRESCRIPTION
Dans sa décision, le tribunal indique que la première réclamation formée par M. [H] [I], administrateur provisoire de la MTA, au titre des cotisations complémentaires concernant les exercices 2011 à 2013, a été portée à la connaissance de la SELV le 22 février 2016. Il ajoute que cette réclamation fondée sur l'article R. 322-71 du code des assurances et l'article 10 des statuts de la MTA est intervenue plus de deux ans après la clôture du dernier des exercices concernés. Il indique encore que l'objectif des cotisations complémentaires étant de pouvoir faire face aux charges probables résultant des sinistres et aux frais de gestion, cela implique d'établir que ces charges et frais ont augmenté sur les exercices concernés ou n'ont pas été anticipés et sont nécessaires pour pallier l'insuffisance de solvabilité, et soutient que le fait générateur ne peut donc être postérieur à la validation des comptes par le conseil d'administration ou l'administrateur provisoire et à l'approbation des comptes par l'assemblée générale. Il poursuit en relevant que le dernier exercice concerné étant l'exercice 2013, l'arrêté des comptes pouvait être connu dès le premier semestre 2014, de sorte qu'il était possible dès ce moment là d'envisager la réclamation de cotisations complémentaires, ce qui n'a pas été le cas puisque l'assignation aux fins de régularisation de la procédure délivrée par Me Gilles PELLEGRINI n'est intervenue que le 27 octobre 2017, soit plus de trois ans après le fait générateur, point de départ de la prescription. Enfin, il fait valoir qu'il ne saurait être admis que le point de départ de la prescription biennale ne commence à courir qu'à compter de la décision de l'administrateur provisoire du 15 décembre 2015 ou de la délibération du conseil d'administration sur l'appel de cotisations complémentaires, les principes de prévisibilité et de sécurité juridique imposant que les rappels ne puissent s'exercer que jusqu'à la clôture de l'exercice des comptes ou leur approbation.
Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur de la MTA, conteste le bien-fondé de cette motivation au motif que la prescription court à compter de la date de la décision du conseil d'administration, le fait générateur étant constitué par cette décision ou, comme dans le cas présent, à compter de la décision de l'administrateur provisoire, M. [H] [I], désigné par l'ACPR. Il précise sur ce point que la connaissance exacte des sinistres qu'une mutuelle d'assurance est tenue de garantir ne peut être acquise que postérieurement à chaque exercice et que le principe de la mutualité serait inopérant si les rappels ne pouvaient s'exercer que jusqu'à la clôture de l'exercice ou l'approbation des comptes. Il ajoute qu'à supposer même que l'on retienne la date d'approbation des comptes en tant que fait générateur, soit le 30 juin 2014 pour l'exercice 2013, aucune prescription ne pourrait être acquise, compte tenu de l'interruption de la prescription résultant de la première réclamation formalisée selon une lettre recommandée avec avis de réception du 6 janvier 2016.
En réplique, la SELV soutient que l'action en paiement de l'appelante est irrecevable, pour cause de prescription, ainsi que l'a retenu le premier juge, en faisant notamment valoir que fixer comme point de départ la délibération du conseil d'administration reviendrait à priver totalement d'effet le principe même de la prescription biennale, rendant un rappel de cotisations variables totalement imprescriptible, et ce en violation des articles L. 114-3 du code des assurances et L. 221-12-1 du code de la mutualité. Elle ajoute que la décision du conseil d'administration, bien qu'exigée par l'article R. 322-71 du code des assurances, ne peut en aucun cas être analysée en une condition reportant le point de départ du délai de prescription puisque cette décision est à la discrétion du créancier contre qui court le délai, et soutient qu'il ne s'agit là que d'une application stricte des règles en matière de prescription selon lesquelles le droit d'agir naît à partir du moment où le créancier a connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits justifiant son action, ce qui exclut que cette date soit postérieure à la date de communication des comptes sociaux au conseil d'administration. Elle précise qu'il y a donc lieu de raisonner exercice par exercice pour apprécier le point de départ du délai de prescription et que la date pour chaque exercice correspond au moment où le conseil d'administration a eu connaissance de l'insuffisance des cotisations pour avoir été rendu destinataire des comptes, soit dans le cas présent, en l'absence de plus amples informations, à compter du 31 décembre de chaque année concernée. Elle considère, au vu de ces éléments, qu'à la date du 25 août 2016, l'action en paiement de la MTA était donc prescrite.
En application de l'article R. 322-71 du code des assurances, les sociétés mutuelles à cotisations variables peuvent appeler, sur décision du conseil d'administration, des compléments de cotisation dans la limite d'un montant maximal figurant sur la police, « s'il s'avère que la cotisation dite normale appelée d'avance ne permet pas de faire face aux charges probables d'un exercice résultant de sinistres et des frais de gestion (...) ». Cette faculté est reprise par l'article 10 des statuts de la MTA.
L'article L. 221-11 du code de la mutualité dispose notamment que « Toutes actions dérivant des opérations régies par le présent titre sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance (') » et les conditions générales 101 du 16 mars 2010 rappellent, concernant la prescription (paragraphe 25), les dispositions des articles L. 114-1 et L. 114-2 du code des assurances.
Comme le fait valoir à bon droit la MTA, le fait générateur donnant naissance à l'action en recouvrement de cotisations complémentaires est constitué par la décision du conseil d'administration ou, en cas de nomination d'un administrateur provisoire par l'ACPR, par la décision de cet administrateur provisoire qui se substitue audit conseil (Civ 1° 15/01/2002 n°99-11.709). Ainsi, il sera noté que la communication des comptes sociaux et pas davantage leur approbation ne peuvent constituer le point de départ de la prescription biennale dans la mesure où les cotisations complémentaires n'ont pas alors d'existence, l'approbation des comptes ne faisant pas en elle-même obligation pour le sociétaire de s'acquitter de cotisations complémentaires. Au demeurant, il sera observé, ainsi que le souligne la MTA, que le montant des sinistres enregistrés lors des exercices peut être connu bien après la clôture des comptes sociaux. Aussi, la dette de cotisations complémentaires pour le sociétaire et partant, la créance de la mutuelle, naît uniquement de la décision prise par le conseil d'administration ou l'administrateur provisoire désigné par l'ACPR d'appeler ces cotisations, ladite décision pouvant intervenir à tout moment, sauf à rapporter la preuve d'un abus.
En l'occurrence, M. [H] [I], désigné par une décision de l'ACPR du 10 juillet 2015 en qualité d'administrateur provisoire de la MTA et investi en application de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier des pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne morale, a décidé, le 15 décembre 2015, de procéder à un appel de cotisations complémentaires auprès des sociétaires des groupements.
C'est donc à compter de cette dernière date que la prescription biennale a commencé à courir, et à la date de l'assignation délivrée par la MTA, soit le 25 août 2016, l'action en recouvrement de cotisations complémentaires au titre de l'exercice 2013 n'était par voie de conséquence nullement prescrite.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef et la MTA, prise en la personne de Me Gilles PELLEGRINI, mandataire liquidateur, sera déclarée recevable en son action.
SUR LA DEMANDE EN PAIEMENT
Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de liquidateur de la MTA, fait valoir que les comptes sociaux approuvés par les sociétaires, lors des assemblées générales des 20 juin 2012 (exercice 2011), 27 juin 2013 (exercice 2012) et 30 juin 2014 (exercice 2013) établissent clairement le caractère déficitaire des comptes, ce qui justifie les appels de cotisations complémentaires, en application des dispositions légales et statutaires. Il ajoute que ces déficits ont conduit l'ACPR, par une décision du 23 août 2016, à retirer ses agréments à la MTA qui n'était plus en mesure, en raison de la défaillance dans le paiement des cotisations complémentaires d'une partie de ses sociétaires, dont l'intimée, de présenter la marge de solvabilité requise par la réglementation, ce retrait d'agrément conduisant à sa liquidation judiciaire. Il soutient encore que les cotisations complémentaires sont justifiées dans leur quantum, au vu notamment des comptes sociaux certifiés par le commissaire aux comptes et approuvés par les assemblées générales des représentants des groupements de sociétaires, et expose que M. [H] [I] avait qualité pour procéder à l'appel desdites cotisations, les conditions générales et particulières du contrat étant par ailleurs parfaitement opposables à la SELV.
En réplique, cette dernière fait valoir que la demande en paiement de la MTA est mal fondée. Elle soutient, à titre liminaire, que la MTA ne justifie nullement de l'opposabilité des conditions générales et statuts sur lesquels elle fonde sa demande. En outre, elle relève que le rappel de cotisations émane de M. [H] [I], administrateur provisoire, et non du conseil d'administration ainsi que le prévoient l'article 10 des statuts et l'article R. 322-71 du code des assurances, et note que la décision de l'ACPR le désignant ne définit pas la mission confiée, de sorte qu'il n'est pas démontré qu'il se substitue au conseil d'administration. Elle indique encore que l'appelante, en la personne de son liquidateur judiciaire, ne justifie ni de la constitution exacte du groupement auquel elle appartiendrait, ni du calcul de ses résultats ayant conduit aux appels de cotisations complémentaires, et fait valoir que les conditions d'exigibilité et de liquidité de la créance ne sont pas remplies dans le cas présent, au vu des pièces produites, aucune explication n'étant par ailleurs fournie en ce qui concerne la réassurance dont bénéficie la MTA. Elle précise également que la restauration des marges de solvabilité ayant justifié l'appel par M. [H] [I] de cotisations complémentaires est totalement étrangère à la finalité de l'article R. 322-71 du code des assurances qui fait uniquement état des « charges probables résultant des sinistres » et « frais de gestion », et soutient qu'il ne peut être statué sans de plus amples informations sur le transfert des salariés à la société LA PARISIENNE ASSURANCES, la liste des provisions techniques, la liste des engagements sur les années 2010 à 2017 comprise, la prise en charge de sinistres par la société HANNOVER RE au cours de cette même période, les critères s'appliquant au calcul des cotisations complémentaires revendiquées et aux groupements constitués, les comptes annuels de la MTA.
La MTA est une société d'assurance mutuelle qui a pour objet, selon les articles L. 322-26-1 et R. 322-42 du code des assurances, d'assurer intégralement les risques apportés par leurs sociétaires moyennant le paiement d'une cotisation fixe ou variable.
L'article R. 322-71 du même code dispose :
« Le sociétaire ne peut être tenu en aucun cas, sauf par application des dispositions du premier alinéa de l'article R. 322-65, ni au-delà de la cotisation inscrite sur sa police dans le cas d'une société à cotisations fixes, ni au-delà du montant maximal de cotisation indiqué sur sa police dans le cas d'une société à cotisations variables.
Le montant maximal de cotisation prévu dans ce dernier cas ne peut être inférieur à une fois et demie le montant de la cotisation normale nécessaire pour faire face aux charges probables résultant des sinistres et aux frais de gestion.
Le montant de la cotisation normale doit être indiqué sur les polices délivrées à leurs sociétaires par les sociétés à cotisations variables.
Les fractions du montant maximal de cotisation que les assurés des sociétés à cotisations variables peuvent, le cas échéant, avoir à verser en sus de la cotisation normale, sont fixées par le conseil d'administration ou le directoire.
(...) »
La MTA a opté, selon l'article 10 de ses statuts, pour le principe de la variabilité des cotisations et les conditions générales 101 du 16 mars 2010 rappellent en leur paragraphe 47 le caractère variable de la cotisation.
La SELV, loueur de véhicules, a souscrit, en date du 6 février 2013, un contrat d'assurance auprès de la MTA pour garantir une flotte de véhicules, selon les conditions particulières versées aux débats. La SELV allègue, pour conclure à l'inopposabilité des conditions générales précitées (et par voie de conséquence des statuts de la MTA), la souscription fin 2007 de deux contrats d'assurance. Toutefois, il importe de noter que les contrats dont s'agit ne sont pas versés aux débats par la SELV et de relever que dans le rappel des faits et de la procédure (page 2 des écritures de la SELV), il est fait uniquement référence au contrat du 6 février 2013 dont se prévaut la MTA. Aussi, la contestation soulevée par la SELV n'est pas fondée. Surabondamment, il sera noté que les conditions particulières signées par la SELV indiquent en page 1 qu'elles sont applicables à la police automobile MTA n°33101/605884 et sont jointes aux conditions générales 101 du 16 mars 2010, lesquelles précisent que le contrat est régi par le code des assurances et les statuts de la mutuelle « remis au souscripteur qui déclare y adhérer » et est composé de divers documents dont les conditions particulières.
L'article 10 des statuts énonce : « ('.) Les fractions du maximum de cotisation, réclamées le cas échéant en sus de la cotisation normale, sont fixées par le conseil d'administration. Celui-ci peut prendre des décisions s'appliquant à l'ensemble des sociétaires, toutes catégories d'assurance confondues, ou à des catégories ou sous-catégories d'assurance au sens de l'article R. 322-58 du Code des Assurances. »
Il résulte de l'article L. 612-34 du code monétaire et financier que « L'ACPR peut désigner un administrateur provisoire auprès d'une personne qu'elle contrôle, auquel sont transférés tous les pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne morale. »
L'ACPR a désigné, par décision en date du 10 juillet 2015, M. [H] [I] en qualité d'administrateur de la MTA. Si cette décision ne précise pas le contenu précis de sa mission, elle vise cependant, outre les dispositions des articles L. 612-1, L. 612-35, R. 612-33 et R. 612-34 du code monétaire et financier, celles de l'article L. 612-34 précité. Aussi, M. [H] [I] s'est, contrairement à ce qui est soutenu par l'intimée, substitué au conseil d'administration de la SELV et était investi, en vertu de ces dispositions et comme il en a été précédemment fait état, des pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la SELV, de sorte qu'il pouvait procéder, par décision du 15 décembre 2015, à un appel de cotisations complémentaires auprès des sociétaires.
L'article 11 alinéa 2 des statuts auxquels la SELV a adhéré stipule : « Les sociétaires sont répartis, par les soins du Conseil d'Administration, en groupements constitués suivant les critères prévus à l'article R. 322-58 du Code des Assurances. ». L'article R. 322-58 du code des assurances indique que cette répartition intervient suivant la nature du contrat souscrit ou selon des critères régionaux ou professionnels. Dans le cas présent, le conseil d'administration de la MTA a régulièrement procédé, lors de sa réunion du 30 novembre 2000, à l'agrément des groupements et notamment à l'agrément du groupement « Loueurs de véhicules » auquel la SELV est rattachée par son activité. Au demeurant, il sera noté que cette dernière n'a jamais émis, avant la présente instance, de contestation concernant son rattachement à ce groupement lors des appels de cotisations. Aussi, le grief formulé à ce titre par la SELV n'est pas fondé.
Au soutien de sa demande en paiement, la MTA verse aux débats :
- les procès-verbaux d'assemblée générale des 20 juin 2012, 27 juin 2013 et 30 juin 2014 incluant pour chacun d'eux, le rapport du conseil d'administration, les tableaux afférents aux comptes de résultat des exercices concernés avec un état détaillé des éléments du passif faisant notamment apparaître l'évolution au cours des trois derniers exercices des règlements de sinistres effectués, l'évolution de la provision pour sinistres à régler, l'évolution des provisions pour sinistres à l'ouverture, les frais de gestion et le coût de la réassurance, un rapport du commissaire aux comptes ayant certifié les comptes ;
- la décision du 15 décembre 2015 de M. [H] [I] rappelant qu'au cours des exercices 2011 à 2013, la MTA a enregistré d'importantes pertes ayant consommé la totalité des fonds propres de la mutuelle, la faisant passer sous le seuil de solvabilité 2 prévue par la réglementation européenne ;
- l'état des appels de cotisations aux différents sociétaires, les résultats par groupement ainsi que le listing détaillé des sinistres subis par le groupement « loueur de véhicules ».
De l'ensemble de ces pièces, il ressort que les exercices 2011, 2012 et 2013 de la MTA ont été gravement déficitaires, ce qui ne lui a pas permis de faire face à ses charges résultant des sinistres et des frais de gestion, malgré la mise en 'uvre du mécanisme de la réassurance qui a été pris en compte s'agissant des sinistres supérieurs à 1.000.000 EUR. C'est du reste cette situation très difficile qui a conduit à la désignation par l'ACPR de M. [H] [I] en qualité d'administrateur provisoire le 10 juillet 2015 puis, en l'absence de tout rétablissement, à un retrait des agréments et à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, selon une décision du 23 août 2016 de l'ACPR. Par ailleurs, il sera relevé que si dans sa décision du 15 décembre 2015, M. [H] [I] expose qu'il a « constaté que la MTA ne pourrait reconstituer ses fonds propres dans un délai compatible avec les nouvelles règles de solvabilité, dites solvabilité 2», il n'en reste pas moins que l'appel de cotisations complémentaires a pour finalité de permettre le règlement des sinistres qu'en sa qualité d'assureur, elle reste tenue de prendre en charge, ce qui rend sans objet les observations formulées par l'intimée à propos des remarques faites par le commissariat aux comptes concernant les règles de solvabilité. L'attestation de M. [H] [I] du 10 janvier 2021 confirme également que l'appel de cotisations complémentaires avait pour objet de faire face à la charge des sinistres et aux frais de gestion des exercices déficitaires 2011 à 2013. Par ailleurs, il sera noté que la décision du 15 décembre 2015 précise les taux retenus et leurs modalités d'application aux différents groupements (exemple : si le rapport des sinistres sur les cotisations de l'ensemble des sociétaires du groupement est supérieur à 70 % et inférieur à 75 %, le taux est de 5 %), et ainsi que l'établit l'attestation de M. [H] [I] du 10 janvier 2021, la définition de ces taux a été faite en fonction des résultats par groupement qu'il a analysés. Enfin, il sera souligné que la décision du 15 décembre 2015 a été portée à la connaissance des sociétaires, selon l'attestation de M. [H] [I], de sorte que la SELV était en mesure d'appréhender le mode de calcul employé, le taux de rappel applicable au groupement « Loueur de véhicules » étant de 15 %.
Ces éléments suffisent, sans qu'il y ait lieu de procéder à de plus amples recherches, à justifier du bien-fondé de la demande en paiement de la MTA.
La SELV sera donc condamnée à payer à la MTA la somme de 8.346,18 EUR au titre du complément de cotisation dû pour l'exercice 2013, et ce avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 25 août 2016, le courrier du 6 janvier 2016 de la MTA ne valant pas mise en demeure.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée selon les modalités fixées par l'article 1343-2 du code civil.
SUR LA DEMANDE EN DOMMAGES-INTERETS
La MTA sollicite, au visa des articles 1146 et suivants anciens du code civil et 1231-1 et suivants du code civil, la condamnation de la SELV au paiement de la somme de 3.000 EUR à titre de dommages-intérêts.
Toutefois, elle ne justifie d'aucun préjudice distinct du simple retard dans le paiement de la somme due.
Dès lors, sa demande en dommages-intérêts sera rejetée.
SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné la MTA à payer à la SELV la somme de 1.500 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SELV sera condamnée, en équité, à payer à la MTA la somme de 3.000 EUR sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
INFIRME le jugement du 29 juin 2021 en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
DIT non prescrite l'action en paiement de cotisations complémentaires de la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES représentée par Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de mandataire liquidateur,
DIT en conséquence la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES représentée par Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de mandataire liquidateur, recevable en son action,
CONDAMNE la SOCIETE D'EXPLOITATION DES LOCATIONS VAUCLUSIENNES à payer à la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES représentée par Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de mandataire liquidateur, la somme de 8.346,18 EUR avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 25 août 2016,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,
DEBOUTE la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES représentée par Me Gilles PELLEGRINI, ès qualités de mandataire liquidateur, de sa demande en dommages-intérêts,
DEBOUTE la SOCIETE D'EXPLOITATION DES LOCATIONS VAUCLUSIENNES de sa demande présentée en première instance et en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La CONDAMNE à ce titre à payer à la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES la somme de 3.000 EUR,
CONDAMNE la SOCIETE D'EXPLOITATION DES LOCATIONS VAUCLUSIENNES aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit des avocats de la cause dans les conditions fixées par l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,