La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/04/2023 | FRANCE | N°22/03642

France | France, Cour d'appel de Nîmes, 2ème chambre section b, 03 avril 2023, 22/03642


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS















ARRÊT N°



N° RG 22/03642 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IT2I



AL



PRESIDENT DU TJ DE NIMES

19 octobre 2022

RG:22/00180



[K] [Y]

[K] [Y]



C/



S.A.S.U. JV HOLDING

Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE DU SUD





Grosse délivrée

le

à















COUR D'APPEL DE NÎME

S



CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B





ARRÊT DU 03 AVRIL 2023





Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ de Nîmes en date du 19 Octobre 2022, N°22/00180



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre,

M...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT N°

N° RG 22/03642 - N° Portalis DBVH-V-B7G-IT2I

AL

PRESIDENT DU TJ DE NIMES

19 octobre 2022

RG:22/00180

[K] [Y]

[K] [Y]

C/

S.A.S.U. JV HOLDING

Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE DU SUD

Grosse délivrée

le

à

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE

2ème chambre section B

ARRÊT DU 03 AVRIL 2023

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du Président du TJ de Nîmes en date du 19 Octobre 2022, N°22/00180

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre,

Mme Corinne STRUNK, Conseillère,

M. André LIEGEON, Conseiller,

GREFFIER :

Madame Véronique PELLISSIER, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision

DÉBATS :

A l'audience publique du 06 Février 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Avril 2023.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.

APPELANTS :

Monsieur [B] [K] [Y]

né le [Date naissance 1] 1995 à

[Adresse 6]-

[Localité 7] / ESPAGNE

Représenté par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, Plaidant, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

Représenté par Me Bertrand BOUQUET, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Monsieur [H] [K] [Y]

majeur protégé, représenté par son représentant légal, Monsieur [B] [K] [Y]

né le [Date naissance 1] 1995 à

[Adresse 6]-

[Localité 7] / ESPAGNE

Représenté par Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE - GIL, Plaidant, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES

Représenté par Me Bertrand BOUQUET, Postulant, avocat au barreau de NIMES

INTIMÉES :

S.A.S.U. JV HOLDING

immatriculée au RCS de NIMES sous le n° 879 798 130

prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Clément CHAZOT de la SELARL LEXEM CONSEIL, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES, substitué par Me Laurie KACI, avocat au barreau de NIMES

Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE DU SUD

venant aux droits de la Banque DUPUY DE PARSEVAL

immatriculée au RCS de PERPIGNAN sous le n° 554 200 808

prise en la personne de son Directeur Général en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Sonia HARNIST de la SCP RD AVOCATS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de NIMES

Représentée par Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI/BEAUREGARD/MOLINIER/LEMOINE, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER

Statuant sur appel d'une ordonnance de référé

Ordonnance de clôture rendue le 30 janvier 2023

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Madame Nicole GIRONA, Présidente de Chambre, le 03 Avril 2023,par mise à disposition au greffe de la Cour.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié en date du 17 décembre 2020 reçu par Maître [I] [J] [X], notaire à [Localité 7] (Espagne), M. [W] [K] [C] a cédé les 100 parts sociales constituant le capital social de la société Disposit de Runa Terra Negra SLU à la société JV Holding, moyennant un prix de 4.000.000 EUR dont la moitié devait être réglée au moyen de 11 chèques de 166.500 EUR et d'un douzième chèque de 168.500 EUR, encaissables par échéances trimestrielles, la première devant intervenir le 31 mars 2021 et la dernière le 31 décembre 2023.

Par exploits d'huissier de justice des 16 et 21 mars 2022, M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y], ès qualités d'ayants droit de feu [W] [K] [C], ont fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de Nîmes statuant en référé la société JV Holding et la SA Banque Populaire du Sud, venant aux droits de la société Banque Dupuy de Parseval, à l'effet, au visa notamment des articles 834 et 835 du code de procédure civile et L. 131-35 du code monétaire et financier, de voir ordonner la mainlevée de l'opposition faite aux chèques numérotés 4208828, 4208829 et 4208830, rejetés par la banque pour cause d'opposition abusive formée par le titulaire du compte, de voir condamner la Banque Populaire du Sud au paiement de la somme de 499.500 EUR dès le prononcé de la décision et de voir condamner à titre provisionnel la société JV Holding au paiement d'une somme de 50.000 EUR à valoir sur leur préjudice et d'une somme de 6.000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.

Par ordonnance contradictoire du 19 octobre 2022, le président du tribunal judiciaire de Nîmes a :

- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes, fins et conclusions de M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y], ayants droit de feu [W] [K] [C],

- renvoyé les demandeurs à mieux se pourvoir devant le juge du fond,

- débouté les parties de leurs prétentions fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y] aux dépens de l'instance,

- dit que l'ordonnance est exécutoire de plein droit.

Par déclaration du 14 novembre 2022, M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y] ont interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions.

Aux termes de leurs conclusions notifiées le 24 janvier 2023 et auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé complet des moyens et prétentions, M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y], appelants, demandent à la cour, au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, des articles L. 131-35 et L. 131-59 du code monétaire et financier et de l'article 1240 du code civil, de :

A titre principal,

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

- déclarer irrecevables les conclusions de la société JV Holding,

- réformer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal judiciaire de Nîmes en ce qu'elle a :

« - dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes, fins et conclusions de M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y], ayants droit de feu [W] [K] [C],

- renvoyé les parties à mieux se pourvoir devant le juge du fond,

- débouté les parties de leurs prétentions fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y] aux dépens de l'instance. »

- ordonner la mainlevée de l'opposition faite aux chèques numérotés 4208828 à 4208840 émis par la société JV Holding,

- condamner à titre provisionnel la société JV Holding au paiement d'une somme de 50.000 EUR à valoir sur le préjudice des requérants,

- condamner la Banque Populaire du Sud à régler, dès le prononcé de la décision à intervenir, la somme de 666.000 EUR en faveur de MM. [H] et [B] [K],

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société JV Holding à régler la somme de 666.000 EUR en faveur de MM. [H] et [B] [K],

En toutes hypothèses,

- débouter les requises de l'intégralité de leurs demandes,

- condamner la société JV Holding et la Banque Populaire du Sud au paiement chacune d'une somme de 6.000 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y] soulèvent à titre liminaire l'irrecevabilité des conclusions de la société JV Holding au regard des dispositions de l'article 905-2 du code de procédure civile, expliquant que cette dernière avait un délai d'un mois à compter de la notification de leurs conclusions pour déposer ses conclusions en réponse, soit jusqu'au 29 décembre 2022.

Au soutien de leur appel, ils font grief à l'ordonnance entreprise de n'avoir pas retenu sa compétence, alors que les dispositions de l'article L. 131-35 du code monétaire et financier donnent seule compétence au juge des référés pour ordonner la mainlevée d'une opposition au paiement d'un chèque. Ils expliquent que l'alinéa 4 de cet article instaure une compétence exclusive et spéciale du juge des référés pour ordonner la mainlevée de l'opposition pour d'autres causes, ou dit autrement, lorsque le motif est frauduleux.

Ils contestent le motif de l'opposition pour perte formée par la société JV Holding alors même que cette dernière avait remis les chèques devant notaire et qu'ils figurent en annexe de l'acte de cession des parts sociales. Ils ajoutent que la perte au sens de l'article L. 131-35 du code monétaire et financier exclut une remise volontaire du chèque et qu'en conséquence, la société JV Holding a formé opposition frauduleusement alors qu'elle ne pouvait ignorer avoir remis ces chèques.

Ils entendent également souligner que leur action ne saurait être prescrite en application de l'article L. 131-60 du code monétaire et financier car, lorsque par un acte séparé, même antérieur, le débiteur reconnaît sa dette, il s'opère une interversion de la prescription de telle sorte que cette reconnaissance par acte séparé a pour effet d'interrompre la prescription normalement applicable et de lui substituer la prescription du droit commun.

Ils considèrent être parfaitement fondés à solliciter la condamnation de la société JV Holding à régler la somme de 666.000 EUR correspondant au montant des chèques remis à l'encaissement et sur lesquels une opposition a été faite illégalement, car dès lors que l'opposition n'a pas été faite pour un des motifs prévus par la loi, le tireur doit être assimilé à un tireur n'ayant pas fait provision ou ayant retiré la provision avant paiement.

Ils soutiennent que l'existence de l'obligation n'est évidemment pas contestable en application de l'article 835 du code de procédure civile puisque l'opposition pour perte est frauduleuse et abusive, et leur cause un préjudice économique et moral, lequel doit être indemnisé par le versement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de ce préjudice.

Ils estiment enfin que la Banque Populaire du Sud a engagé sa responsabilité en ne maintenant pas la provision bloquée, lors de l'opposition, ou lors de la remise des chèques à l'encaissement, alors qu'elle avait l'obligation de provisionner les sommes correspondantes dès sa connaissance de la remise des chèques.

La société JV Holding, en sa qualité d'intimée et appelante incidente, par conclusions en date du 5 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, au visa des articles L. 131-32, L. 131-35 et L. 131-59 du code monétaire et financier, 122 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile et 1353 du code civil, de :

A titre d'appel incident :

- infirmer l'ordonnance en date du 19 octobre 2022 en ce qu'elle a débouté la société JV Holding de sa demande relative à la fin de non-recevoir,

Et en conséquence :

- déclarer l'action des consorts [H] [K] [Y] et [B] [K] [Y] irrecevable,

- confirmer l'ordonnance en date du 19 octobre 2022 sur les chefs de jugement critiqués par les consorts [K] [Y] ;

Et en conséquence :

- déclarer l'action des consorts [H] [K] [Y] et [B] [K] [Y] irrecevable et renvoyer les parties devant qui de droit ;

Sur le caractère bien fondé de l'opposition :

- dire que l'opposition réalisée par la société JV Holding en date du 11 juin 2021 est parfaitement justifiée,

Sur la demande provisionnelle formulée par les consorts [K] [Y] :

- dire qu'il existe des contestations suffisamment sérieuses,

Et en conséquence :

- débouter les consorts [H] [K] [Y] et [B] [K] [Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

En tout état de cause :

- condamner M. [H] [K] [Y] et M. [B] [K] [Y] à payer la somme de 5.000 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [H] [K] [Y] et M. [B] [K] [Y] aux entiers dépens.

La société JV Holding forme un appel incident pour soulever la prescription de la demande de mainlevée de l'opposition sur les chèques numérotés 4208828, 4208829 et 42088230 au regard de l'article 122 du code de procédure civile. Elle explique que l'acte séparé dont se prévalent les consorts [K] étant antérieur d'un an à la date de remise des chèques à l'encaissement, l'action est prescrite. Elle considère que l'action est introduite postérieurement au 6 juillet 2021 vis-à-vis de la société JV Holding et le 6 janvier 2022 vis-à-vis de la Banque populaire du Sud.

Elle ajoute à ce titre que le juge des référés est uniquement compétent pour juger de la mainlevée de l'opposition, mais que l'appréciation de la qualification d'un acte séparé relève exclusivement de la compétence du juge du fond.

Ensuite, elle invoque l'interdiction de demandes nouvelles en cause d'appel en rappelant que le principe du double degré de juridiction s'oppose à ce qu'une question litigieuse soit examinée par les juges d'appel pour la première fois, sans avoir été préalablement tranchée en première instance. En conséquence, elle considère irrecevable la demande de mainlevée sur l'intégralité des formules de chèque, l'effet dévolutif de l'appel se cantonnant aux trois chèques numérotés 4208828, 4208829 et 42088230.

Elle sollicite encore la confirmation de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a conclu à l'incompétence du juge des référés, l'opposition étant parfaitement justifiée du fait de la perte du chéquier et de l'utilisation frauduleuse des chèques par les consorts [K] [Y], conformément à l'article L. 131-35 du code monétaire et financier. Elle explique que la mainlevée de l'opposition relève de la compétence exclusive du juge des référés dès lors que celle-ci ne repose pas sur une cause prévue à l'article précité, soit la perte, le vol, l'utilisation frauduleuse et la procédure collective du porteur.

Enfin, elle conclut que les demandes se heurtent ainsi à des contestations sérieuses, et notamment celle relative à la provision en indemnisation des préjudices prétendument subis puisque les contestations portent à la fois sur les chèques litigieux, mais aussi sur l'acte sur le fondement duquel ces chèques ont été émis, et ce d'autant plus que les consorts [K] [Y] ne rapportent pas la preuve des préjudices allégués.

La Banque Populaire du Sud, en sa qualité d'intimée, par conclusions en date du 27 janvier 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, demande à la cour, au visa de l'article 835 du code de procédure civile, de :

Déboutant les consorts [K] [Y] de leur appel,

- confirmer l'ordonnance entreprise,

- les débouter de leurs prétentions à l'encontre de la Banque Populaire du Sud,

- statuer ce que de droit sur la demande de mainlevée d'opposition des ayants droit de M. [W] [K] [C] sur les chèques numérotés 4208828 à 4208840,

Disant n'y avoir lieu à référé,

- débouter les consorts [K] [Y] de leurs demandes dirigées contre la Banque Populaire du Sud,

- dire qu'en cas de mainlevée des oppositions et de présentation des chèques susvisés, la Banque Populaire du Sud n'est tenue au paiement desdits chèques qu'à concurrence du solde créditeur du compte du tireur,

- condamner les consorts [K] [Y] à payer à la Banque Populaire du Sud la somme de 3.000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure ainsi que les entiers dépens d'instance et d'appel.

La Banque Populaire du Sud entend rappeler à titre liminaire que la société JV Holding a formé opposition à tous les chèques non encaissés le 11 juin 2021, ayant perdu son chéquier.

Elle indique que l'établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque frappé d'opposition n'a pas à vérifier la réalité du motif d'opposition invoqué, la banque tirée n'étant pas juge du bien fondé de l'opposition reçue du tireur.

Elle soutient encore que le fondement de l'action dirigée contre elle ne procède pas des dispositions de l'article L. 131-35 du code monétaire et financier mais de celles de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, et fait valoir qu'en l'absence de toute preuve d'une obligation non sérieusement contestable à sa charge, elle ne peut, n'ayant aucune obligation de faire à l'égard des appelants, être tenue au paiement des chèques litigieux.

Elle explique qu'il ne peut lui être enjoint de débloquer une provision inexistante qu'elle n'avait pas à constituer, les montants des formules de chèques étant inconnus lors de l'opposition au paiement des chèques, et qu'en cas de perte ou de vol de formules de chèques, le mandat de paiement est supposé irrégulier en raison de la nullité du chèque.

Elle précise qu'elle ne pourrait intervenir qu'à concurrence du solde créditeur du compte du tireur en cas de mainlevée et ne saurait être, en aucune manière, débitrice personnellement des chèques litigieux.

La clôture de la procédure est intervenue le 30 janvier 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience collégiale du 6 février 2023 pour être mise en délibéré, par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2023.

MOTIFS

Sur la recevabilité des conclusions de la société JV Holding

L'article 905-2 alinéa 2 du code de procédure civile énonce : « L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du premier président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. »

Les conclusions des consorts [K] [Y] ont été signifiées à la société JV holding par acte d'huissier du 29 novembre 2022. Comme l'établissent les modalités de remise de l'acte, la signification a été faite à domicile. Ainsi, il ressort des énonciations de l'acte que l'huissier, après avoir vérifié que l'adresse du [Adresse 4] à [Localité 2] correspondait bien au domicile de la société JV holding (l'extrait Kbis produit au débat mentionne cette adresse comme étant le siège social de la société JV holding) et constaté l'absence momentanée de son gérant, a remis une copie de l'acte à l'épouse de ce dernier, conformément aux dispositions de l'article 655 du code de procédure civile, puis, selon les indications de l'acte qui valent jusqu'à inscription de faux, a laissé un avis de passage et adressé le jour même ou au plus tard le premier jour suivant une lettre contenant copie de l'acte. Aussi, la société JV holding n'est pas fondée à soutenir que l'acte aurait été signifié à un « mauvais représentant légal ». A cet égard, il sera observé que le représentant légal de la société JV holding étant momentanément absent, ce qui n'est pas discuté, l'huissier, qui avait constaté cette absence, n'était aucunement tenu d'entreprendre des recherches pour le retrouver et procéder à la signification de l'acte et pas davantage, de reporter ladite signification de façon à ce que celle-ci puisse être faite à personne conformément à l'article 654 du code de procédure civile.

Il s'ensuit que les conclusions des consorts [K] [Y] ont fait l'objet en date du 29 novembre 2022 d'une signification régulière.

Les premières conclusions de la société JV holding ayant été notifiées par RPVA le 5 janvier 2023, elles sont irrecevables de même que les conclusions qui ont suivi.

Toutefois, il sera rappelé que l'intimé dont les conclusions sont déclarées irrecevables est réputé ne pas avoir conclu et s'être approprié les motifs du jugement attaqué, de sorte qu'il appartient au juge d'appel, en application de l'article 472 du code de procédure civile, de réfuter les motifs du premier jugement s'il entend réformer celui-ci (en ce sens Civ 2° 23/02/2017 n°16-12658).

Sur la mainlevée de l'opposition

L'article L. 131-35 du code monétaire et financier dispose : « Le tiré doit payer même après l'expiration du délai de présentation. Il doit aussi payer, même si le chèque a été émis en violation de l'injonction prévue à l'article L. 131-73 ou de l'interdiction prévue au deuxième alinéa de l'article L. 163-6.

Il n'est admis d'opposition au paiement par chèque qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse du chèque, de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du porteur. Le tireur doit immédiatement confirmer son opposition par écrit, quel que soit le support de cet écrit.

Tout banquier doit informer par écrit les titulaires de compte des sanctions encourues en cas d'opposition fondée sur une autre cause que celles prévues au présent article.

Si, malgré cette défense, le tireur fait une opposition pour d'autres causes, le juge des référés, même dans le cas où une instance au principal est engagée, doit, sur la demande du porteur, ordonner la mainlevée de l'opposition. »

De ces dispositions, il ressort que l'opposition à chèque n'est admise qu'en cas de perte, de vol ou d'utilisation frauduleuse du chèque, de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette liste étant limitative, le banquier tiré ne doit pas tenir compte d'une opposition fondée sur un motif non autorisé ou sans motif. Toutefois, il ne lui appartient pas de s'assurer de la réalité du motif invoqué par le tireur. En revanche, tel n'est pas le cas du juge des référés qui, saisi d'une demande de mainlevée, doit s'assurer de la véracité du motif allégué de façon à vérifier que l'opposition ne relève pas en réalité d'autres causes, obligation lui étant faite lorsqu'il constate que le motif invoqué n'est pas réel d'ordonner la mainlevée de l'opposition (Com 21/2/2012 n°11-11.441).

Par ailleurs, l'article L. 131-59 énonce : « Les actions en recours du porteur contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés se prescrivent par six mois à partir de l'expiration du délai de présentation.

Les actions en recours des divers obligés au paiement d'un chèque les uns contre les autres se prescrivent par six mois à compter du jour où l'obligé a remboursé le chèque ou du jour où il a été lui-même actionné. L'action du porteur du chèque contre le tiré se prescrit par un an à partir du délai de présentation.

Toutefois, en cas de déchéance ou de prescription, il subsiste une action contre le tireur qui n'a pas fait provision ou les autres obligés qui se seraient enrichis injustement. »

L'article L. 131-60 ajoute : « Les prescriptions en cas d'action exercée en justice ne courent que du jour de la dernière poursuite judiciaire. Elles ne s'appliquent pas s'il y a eu condamnation ou si la dette a été reconnue par acte séparé.

L'interruption de la prescription n'a d'effet que contre celui à l'égard duquel l'acte interruptif a été fait.

Néanmoins, les prétendus débiteurs sont tenus, s'ils en sont requis, d'affirmer sous serment qu'ils ne sont plus redevables et leurs veuves, héritiers ou ayants cause, qu'ils estiment de bonne foi ne plus rien devoir. »

Il est constant, en application de ces dispositions, que l'existence d'un acte séparé n'a pas pour effet d'interrompre la prescription en faisant courir un nouveau délai identique à celui interrompu, mais de substituer à la prescription encourue la prescription de droit commun, selon le mécanisme juridique de l'interversion de prescription. Aussi, cet acte séparé, qui se suffit à lui-même pour établir l'existence de la dette, peut indifféremment être antérieur, contemporain ou postérieur à l'émission du chèque, comme c'est également le cas en matière de lettre de change par application de l'article L. 511-78 du code monétaire et financière, ainsi que le souligne à juste titre l'appelant (Com 21/06/1976 n°75-10.318).

Par ailleurs, il est de principe, en application de ces mêmes dispositions, que le bénéficiaire d'un chèque peut agir en mainlevée de l'opposition tant que celle-ci garde effet, jusqu'à la prescription de l'action contre le tiré (Com 27/12/2012 n°11-19.864), soit pendant le délai d'un an à compter de l'expiration du délai de présentation, lequel est de 20 jours en application de l'article L. 131-32 du code de commerce lorsque le chèque est émis en Europe.

Au visa des dispositions susvisées, la société JV holding soulève la prescription de l'action en mainlevée de l'opposition formée par les consorts [K] [Y].

Par acte authentique en date du 17 décembre 2020 reçu par Maître [I] [J] [X], notaire à [Localité 7] (Espagne), M. [W] [K] [C] a cédé les 100 parts sociales constituant le capital social de la société Disposit de Runa Terra Negra SLU à la société JV Holding, moyennant un prix de 4.000.000 EUR. L'acte indique les modalités de paiement de ce prix en précisant que 650.000 EUR ont été versés antérieurement à l'acte au moyen de quatre virements bancaires dont les références sont précisées, qu'un chèque de 1.350.000 EUR a été remis lors de l'acte et que le solde, soit la somme de 2.000.000 EUR, sera payé au moyen de onze chèques nominatifs de 166.500 EUR et d'un dernier chèque de 168.500 EUR, avec des échéances trimestrielles, le premier étant en date du 31 mars 2021 et le dernier en date du 31 décembre 2021. A cet acte sont annexés les douze chèques visés.

Cet acte authentique est constitutif, aucune contestation sérieuse ne pouvant être retenue, d'un acte séparé au sens de l'article L. 311-60 du code de commerce dès lors qu'il consacre l'obligation à paiement de la société JV Holding du prix de cession des parts sociales, et il importe peu, ainsi qu'il en a été fait état, qu'il soit antérieur aux dates figurant sur les chèques annexés à l'acte, ces dates ne correspondant au demeurant pas à leur date d'émission puisqu'ils ont été établis au plus tard le jour de la signature de l'acte, y étant annexés.

Il s'ensuit que ce n'est pas le délai précité d'un an qui s'applique, mais le délai de droit commun, soit le délai de cinq ans fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce.

Aussi, il est constant qu'à la date de l'assignation délivrée par les consorts [K] [Y], soit le 16 mars 2022, le délai de prescription n'était pas expiré.

Aucune prescription n'est donc acquise et l'action aux fins de mainlevée de l'opposition engagée par les consorts [K] [Y] est par voie de conséquence recevable.

L'opposition formée par la société JV holding le 11 juin 2021 par courrier adressé à la Banque Populaire du Sud portant sur les formules de chèque numérotées 4208821 à 4208860 a été faite pour le motif de perte. Il est constant cependant, s'agissant des chèques numérotées 4208828 à 4208831 présentés à l'encaissement, que ceux-ci ont été remis par la société JV Holding aux consorts [K] [Y] le jour de la signature de l'acte authentique du 17 décembre 2020. Or une telle remise exclut toute perte, observation à ce propos étant faite qu'il en va de même s'agissant des neuf autres chèques remis à cette même date et annexés à l'acte.

Il s'ensuit que le motif de perte invoqué dans l'opposition du 11 juin 2021 est faux et la régularité de l'opposition ne devant être appréciée qu'au regard de ce seul motif, les observations développées par

la société JV holding quant à l'utilisation frauduleuse des chèques émis, au demeurant contestée par les consorts [K] [Y], sont sans incidence sur l'appréciation de la cour.

Dès lors, la mainlevée de l'opposition formée par la société JV holding s'impose en ce qui concerne les chèques numérotés 4208828 à 4208831 ainsi que pour les chèques numérotés 4208832 à 4208840.

L'ordonnance de référé du 19 octobre 2022 sera donc infirmée de ce chef.

Sur la demande des consorts [K] [Y] en paiement d'une provision de 50.000 EUR

Il résulte de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

En l'occurrence, il est constant, au vu des éléments qui précèdent, que l'opposition formée par la société JV holding est au moins pour partie abusive dès lors qu'elle ne pouvait arguer d'une perte des chèques, s'agissant de ceux ayant fait l'objet d'une remise lors de la signature de l'acte authentique du 17 décembre 2020, et s'opposer ainsi à leur paiement.

Cependant, il importe de noter que les consorts [K] [Y] ne versent aux débats aucune pièce justifiant d'un préjudice économique et moral.

Il s'ensuit que leur demande en paiement d'une provision de 50.000 EUR n'est pas fondée et sera en voie de rejet.

L'ordonnance du 19 octobre 2022 sera cependant infirmée en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait pas lieu à référé, le juge des référés ayant le pouvoir de statuer sur une demande de provision dans les limites fixées par l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile.

Sur la demande de provision des consorts [K] [Y] dirigée contre la Banque Populaire du Sud

Il est constant que l'opposition au paiement d'un chèque provoque la révocation immédiate de l'ordre de paiement, interdit au banquier de le payer s'il est présenté à l'encaissement, et ainsi qu'il en a déjà été fait état, le banquier tiré n'est pas tenu de s'assurer de la réalité du motif allégué lors de l'opposition. Cependant, il lui appartient d'immobiliser la somme correspondante jusqu'à la décision judiciaire sur la validité de l'opposition, s'il a été mis en cause dans l'instance engagée à cette fin, ou pendant une année suivant l'expiration du délai de présentation (Com 18/04/2000 n°96-20.499), et de procéder, lorsque la mainlevée est prononcée, au paiement du montant, jusqu'alors bloqué, de la provision du chèque, sous la seule réserve que le titre puisse lui être remis en contrepartie (Com 27/02/2001 n°98-22.500 et Com 16/11/2004 n°01-16.722).

Dans le cas présent, il importe de noter que l'opposition du 11 juin 2021 formulée par la société JV holding porte sur l'ensemble des chèques composant son chéquier n'ayant pas fait l'objet à cette date d'un encaissement, sans précision aucune sur les chèques émis à cette même date et leur montant. Par ailleurs, il sera rappelé que le banquier ne peut être tenu en tout état de cause à paiement que pour autant que le compte du tireur est suffisamment provisionné. Or, il ressort des extraits de compte produits par la Banque Populaire du Sud couvrant la période du 31 mai 2021 au 29 juillet 2022 qu'à la date de l'opposition et encore ultérieurement, le compte de la société HV holding ne présentait pas de provision suffisante.

Il s'ensuit que des contestations sérieuses existent d'une part, quant à l'obligation qui était alors faite à la banque, en l'absence de tout élément d'information sur les chèques déjà émis et leur montant, de procéder à l'immobilisation d'une provision, et d'autre part, quant à son obligation à paiement de la somme de 666.000 EUR.

Les conditions de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile n'étant pas ainsi réunies, les consorts [K] [Y] seront déboutés de leur demande de provision dirigée à l'encontre de la Banque Populaire du Sud.

L'ordonnance de référé entreprise sera cependant infirmée, pour les raisons précitées, en ce qu'elle a dit qu'il n'y avait pas lieu à référé.

Enfin, il n'y a pas lieu de dire que la Banque Populaire du Sud, qui n'avait pas l'obligation d'immobiliser une provision, ne sera tenue au paiement desdits chèques qu'à concurrence du solde créditeur du compte du tireur, observation étant faite qu'il lui appartient, le cas échéant, de s'opposer au paiement des chèques dans les conditions fixées par la loi en cas de provision insuffisante.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur des consorts [K] [Y] qui obtiendront donc à ce titre la somme de 2.000 EUR.

La demande présentée à ce titre par la Banque Populaire du Sud sera en voie de rejet.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire en référé et en dernier ressort :

Déclare irrecevables les conclusions de la société HV holding,

Infirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Nîmes du 19 octobre 2022 en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Ordonne la mainlevée de l'opposition formée le 11 juin 2021 par la société HV holding auprès de la Banque Populaire du Sud en ce qui concerne les chèques numérotés 4208828 à 4208840,

Déboute M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y] de leurs demandes de provisions dirigées à l'encontre de la société JV holding et de la Banque Populaire du Sud,

Dit n'y avoir lieu à dire que la Banque Populaire du Sud ne sera tenue au paiement desdits chèques qu'à concurrence du solde créditeur du compte du tireur,

et y ajoutant,

Condamne la société HV holding à payer à M. [B] [K] [Y] et M. [H] [K] [Y] la somme de 2.000 EUR sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la Banque Populaire du Sud de sa demande formée à ce titre.

Condamne la société HV Holding aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par la présidente et par la greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Nîmes
Formation : 2ème chambre section b
Numéro d'arrêt : 22/03642
Date de la décision : 03/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-03;22.03642 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award