RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/02338 -
N° Portalis DBVH-V-B7G-IP4M
SL -
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE
26 mars 2019
RG:18/13432
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
[W]
[E]
CPAM
Grosse délivrée
le 23/03/2023
à Me Elodie RIGAUD
à Me Philippe PERICCHI
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 23 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille en date du 26 Mars 2019, N°18/13432
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre,
Mme Elisabeth TOULOUSE, Conseillère,
Mme Séverine LEGER, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège RODRIGUES, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Février 2023 et prorogé au 23 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANTE :
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Etienne ABEILLE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
Représentée par Me Elodie RIGAUD, Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉS :
Madame [T] [W] épouse [E]
née le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représentée par Me Muriel PIQUET, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
Monsieur [G] [E]
né le [Date naissance 3] 1960 à
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représenté par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, Postulant, avocat au barreau de NIMES
Représenté par Me Silvio ROSSI-ARNAUD de la SELARL SOPHIE BOTTAI & SILVIO ROSSI-ARNAUD, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE
CPAM
[Adresse 4]
[Localité 2]
Assignée à personne le 9 septembre 2022
Sans avocat constitué
ARRÊT :
Arrêt réputé contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Marie-Pierre FOURNIER, Présidente de chambre, le 23 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 20 juillet 2014 à [Localité 8], le véhicule de M. [G] [E], immatriculé en France et assuré auprès de la société Axa France Iard, a été poussé par un camion immatriculé en Tunisie et a heurté et grièvement blessé son épouse, Mme [T] [W], qui s'apprêtait à monter à bord de la voiture. La victime a subi l'amputation de la partie inférieure de la jambe gauche.
Par ordonnance du 7 octobre 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Marseille a ordonné une expertise de la victime confiée au docteur [M] et a condamné la société Axa France Iard à lui payer la somme de 70 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel.
Par arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 3 novembre 2016, la provision allouée à été portée à la somme de 100 000 euros.
Par acte du 30 novembre 2018, Mme [E] a assigné M. [E] et la société Axa France Iard, assureur de responsabilité du véhicule de son époux impliqué dans l'accident, en indemnisation de son préjudice sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985.
Par jugement rendu le 26 mars 2019, le tribunal de grande instance de Marseille a :
- dit que le présent litige est soumis à la loi française
- dit que la Compagnie Axa doit garantir Mme [T] [W] épouse [E] des conséquences dommageables de l'accident du 20 juillet 2014 ;
- évalué le préjudice corporel de Mme [T] [W] épouse [E], hors perte de retraite, frais de logement adapté et frais de véhicule adapté après déduction des débours de la CPAM des Bouches-du-Rhône à la somme de 439 839,76 euros ;
- dit que la somme de 439 839,76 euros sera versée à concurrence de 219 105,28 euros sous forme de capital et à concurrence de 220 734,48 euros sous forme d'une rente annuelle viagère de 8 790 euros ;
- condamné la société Axa France Iard à payer avec intérêt au taux légal à compter du présent jugement à Mme [T] [W] épouse [E] la somme en capital de 109 10,28 euros en réparation de son préjudice corporel et ce, déduction faite de la provision de 110 000,00 euros précédemment allouée ;
- condamné la société Axa France Iard à payer à Mme [T] [W] épouse [E] une rente annuelle viagère de 8 790 euros payable trimestriellement à hauteur de la somme de 2 197,50 euros terme échu révisable chaque année conformément aux dispositions des articles 1 et 2 de la loi n°74-1118 du 27décembre 1974 modifiée par la loi du 29 décembre 2012 étant précisé que la rente sera suspendue en cas d'hospitalisation d'une durée de plus d'un mois pendant la seule durée de cette dernière ;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- dit que la somme de 723 852,32 euros portera intérêt au double du taux légal entre le 20 mars 2015 et le 6 octobre 2018 ;
- sursis à statuer sur les pertes de gains au titre de la pension de retraite dans l'attente de la production des justificatifs suivants permettant de connaître leur montant :
- documents mentionnant le montant de la retraite à laquelle Mme [T] [W] épouse [E] pourra prétendre à l'âge de 62 ans,
- documents mentionnant le montant de la retraite à laquelle elle aurait du prétendre si elle avait continué de travailler jusqu'à cet âge ;
- sursis à statuer sur les frais d'aménagement du logement dans l'attente de la production des justificatifs suivants :
- documents attestant du refus opposé par le bailleur social de relogement dans un appartement en rez de chaussée comportant une douche à l'italienne,
- dans cette hypothèse, documents permettant de chiffrer le surcoût de loyer pour un appartement en rez de chaussée sur le marché locatif et, si nécessaire, le coût des travaux d'aménagement d'une douche à l'italienne ;
- sursis à statuer sur les frais d'aménagement du véhicule dans l'attente de la production des justificatifs suivants :
- permis de conduire de Mme [T] [W] épouse [E] régularisé compte tenu de son handicap,
- documents chiffrant le surcoût lié à l'acquisition d'un véhicule automatique par rapport à un véhicule à boîte à vitesses manuelle de même catégorie ;
- condamné la société Axa France Iard à payer à Mme [T] [W] épouse [E] la somme de 1 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Axa France Iard à payer à la CPAM des Bouches-du-Rhône avec intérêts au taux légal à compter de la demande :
la somme de 55 836,27 euros en remboursement des prestations versées à la victime,
les frais futurs au fur et à mesure de leur exposition sur justificatifs des débours réglés dans la limite du capital représentatif de 281 992,15 euros,
la somme de 1 080,00 e au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale,
la somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Le premier juge a retenu que si l'article 3 de la Convention de la Haye du 4 mai 1971 détermine la loi applicable à la responsabilité délictuelle mise en oeuvre lors d'un accident de la circulation routière, elle ne régit pas la loi applicable au contrat d'assurance invoqué par la victime, lequel est soumis à la loi française dans la mesure où la convention ne saurait avoir pour effet de réduire le champ de garantie prévu au contrat liant M. [E] et la société Axa France Iard.
Par arrêt du 22 octobre 2020, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a dit que la loi française avait vocation à s'appliquer et a :
- dit que le préjudice corporel global subi par Mme [E] s'établissait à la somme de 849402,16 euros, soit après imputation des débours de la CPAM des Bouches du Rhône une somme de 511 573,74 euros lui revenant, réduite à 401 573,74 euros après retranchement des 110 000 euros perçus à titre provisionnel ;
- dit que cette somme de 401 573,74 euros portera intérêts au taux légal à compter du 26 mars 2019 à hauteur de l 329 839,76 euros et du prononcé de l'arrêt pour le surplus des sommes dues;
- dit que cette somme de 401 573,40 euros sera réglée :
- à hauteur de 136 490,70 euros sous forme d'un capital et
- à hauteur de 265 083,04 euros sous forme d'une rente viagère annuelle de 10 822,65 euros payable par trimestrialités de 2 520,66 euros le 1er jour ouvrable de chaque trimestre ;
- débouté Mme [E] de sa demande de dommage-intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la SA Axa France Iard à payer à Mme [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel ;
- condamné la SA Axa France Iard à payer à Mme [E] la somme de 2 000 euros au titre es frais irrépétibles engagés en cause d'appel et aux entiers dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La cour d'appel a confirmé l'analyse retenue par le premier juge pour conclure à l'application de la loi française en ayant retenu que Mme [E] était fondée à obtenir le bénéfice de l'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable et que les parties s'étaient placées sous la protection de la loi française quelque soit le lieu de survenance du risque garanti.
La société Axa a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt contradictoire du 15 juin 2022, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence,
- remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avec cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Nîmes ;
- condamné Mme [W] aux dépens ;
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes ;
- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.
La haute Cour a retenu qu'il résulte de la Convention de la Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière que cette Convention a pour objet de déterminer la loi applicable à la responsabilité civile extra contractuelle découlant d'un accident de la circulation routière, quelle que soit la nature de la juridiction appelée à en connaître et que lorsque les véhicules impliqués sont immatriculés dans des Etats différents, la loi applicable est la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel l'accident est survenu.
Elle a considéré que la cour d'appel, qui était saisie d'une action dirigée contre l'assureur de responsabilité de l'un des deux véhicules, immatriculés dans des pays différents et impliqués dans un accident de la circulation survenu en Tunisie et qui n'a pas appliqué la loi tunisienne à la prescription de l'action en responsabilité délictuelle et à la détermination des conditions de cette responsabilité avait violé les textes susvisés.
Par déclaration de saisine du 5 juillet 2022, la SA Axa France Iard a saisi la cour d'appel de Nîmes.
Par avis de fixation à bref délai du 6 décembre 2022, la procédure a été clôturée le 29 novembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 13 décembre 2022 et mise en délibéré par mise à disposition au greffe de la décision le 9 février 2023 prorogé au 23 mars 2023.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions notifiées par voie électronique le 24 novembre 2022, la compagnie Axa demande à la cour d'infirmer le jugement rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Marseille en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de :
A titre liminaire,
- juger que seule la loi tunisienne est applicable au litige,
A titre principal,
- juger qu'en application du droit tunisien l'action de Mme [E] est prescrite,
- déclarer Mme [E] irrecevable en sa demande d'indemnisation,
A titre plus subsidiaire,
- juger que la loi du 5 juillet 1985 n'est pas applicable à l'accident litigieux,
- juger qu'une telle demande d'indemnisation devra être effectuée au regard des règles du droit tunisien,
- juger que la garantie d'Axa n'est pas mobilisable,
- débouter Mme [W] épouse [E] et M. [E] de toutes leurs demandes comme étant infondées,
A titre plus subsidiaire,
- juger que l'indemnisation des préjudices subis par Mme [E], sur la base du rapport d'expertise du docteur [G] [L], se fera comme suit :
Frais de soins : il convient de surseoir à statuer dans l'attente de la créance des organismes sociaux,
Incapacité temporaire de travail : 6 mois : la somme de 3 370,95 euros pourrait être allouée,
Incapacité partielle permanente : 40 %, la somme de 7 209,60 euros pourrait être allouée,
Préjudice moral et esthétique : important, la somme de 2 253,01 euros pourrait être allouée,
Préjudice professionnel : 5e degré, la somme de 2 247,33 euros pourrait être allouée,
Aide d'une tierce personne : aucune somme ne sera allouée à la victime de ce chef.
- débouter Mme [E] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions au titre des préjudices frais d'aménagement du logement, frais de véhicule adapté, préjudice d'agrément et du préjudice sexuel qui ne sont pas indemnisables en application du droit tunisien.
En tout état de cause,
- débouter M. [E] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter Mme [E] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [E] et M. [E] in solidum à lui payer la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelante fait valoir que :
- les articles 3 et 11 de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d'accidents de la circulation routière retiennent le lieu de l'accident pour déterminer la loi applicable de sorte que la loi tunisienne doit seule être appliquée en l'espèce,
- l'arrêt rendu par la Cour de cassation ne constitue pas un revirement de jurisprudence par rapport à l'arrêt du 4 juillet 2012 invoqué par les intimés ne concernant que l'étendue de la garantie contractuelle alors que la présente espèce concerne la question de la responsabilité dans l'accident,
- l'action engagée par la victime est prescrite sur le fondement de l'article 125 du code des assurances tunisien au regard du délai de plus de trois ans écoulé depuis l'accident,
- la garantie d'Axa n'est pas mobilisable en l'espèce puisque le contrat d'assurance souscrit ne trouve à s'appliquer que dans l'hypothèse du régime de la loi du 5 juillet 1985 et que la mobilisation du contrat suppose que l'assuré se voit imputer une responsabilité selon la loi désignée,
- subsidiairement, l'indemnisation ne peut être effectuée qu'au regard du droit tunisien.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, Mme [E], intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la cour de :
- juger en résistant à l'arrêt de revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 15 juin 2022 que le litige est soumis à la loi française quant à la détermination des conditions d'indemnisation du préjudice subi,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 26 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Marseille sauf en ce qu'il a sursis à statuer sur les frais d'aménagement du logement et du véhicule dans l'attente de la production de justificatifs,
- réformer et infirmer le jugement sur ces seuls points,
-débouter la société Axa de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme en partie irrecevables et pour toutes infondées,
Statuant à nouveau sur appel incident partiel,
- condamner la société Axa à lui verser une somme de :
343 900 euros, au titre des frais de logement adapté et de déménagement (338 900 + 5 000),
14 490 euros, au titre des frais de véhicule adapté,
110 000 euros, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,
- juger que la SA Axa ne conclut pas, ni ne demande, dans le dispositif de ses dernières conclusions d'appel (signifiées le 27 décembre 2019) le rejet de son appel incident, relativement au versement des frais de logement adapté et de déménagement, comme de véhicule adapté,
En tout état de cause,
- condamner la société Axa à lui verser une somme de 50 000 euros, au titre des frais irrépétibles qu'elle a du exposer, par application des dispositions de l'Article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, avec distraction au profit de la Selarl AvouéPericchi.
Mme [E] réplique que :
- dans un précédent arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 juillet 2012, il a été posé comme principe dans une affaire strictement similaire que la loi nationale définie par l'article 3 de la convention de la Haye ne pouvait avoir pour effet de réduire le champ de la garantie contractuellement souscrite et le revirement brutal de jurisprudence qui porte atteinte à la prévisibilité juridique justifie de résister à la Haute Cour,
- la société Axa a manqué à son devoir d'information et de conseil quant à l'adéquation des garanties proposées aux besoins de l'assuré et à sa situation personnelle, ce qui justifie sa condamnation à en réparer toutes les conséquences préjudiciables,
- les conditions de mise en oeuvre de la garantie sont réunies y compris au sens de la loi tunisienne et le véhicule de M. [E] a bien été impliqué dans l'accident,
- il convient de confirmer le jugement sur les chiffrages indemnitaires retenus au regard du rapport d'expertise définitif du docteur [M] déposé le 16 avril 2018,
- elle entend à titre incident obtenir la réformation du jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur les frais de logement et de véhicule adapté alors qu'elle verse aux débats l'ensemble des éléments permettant de liquider ces postes indemnitaires,
- la résistance abusive opposée par la société Axa justifie qu'elle soit condamnée à lui verser une somme de 110 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, M. [E], intimé et appelant à titre incident, demande à la cour de :
- juger en résistant à l'arrêt de revirement de jurisprudence de la Cour de cassation du 15 juin 2022 que le litige est soumis à la loi française quant à la détermination des conditions d'indemnisation du préjudice subi,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Marseille le 26 mars 2019 en ce qu'il a dit le litige soumis à la loi française et en ce qu'il a condamné la société Axa à garantir Mme [E] des conséquences dommageables de l'accident,
- statuer ce que de droit sur la réparation intégrale des conséquences dommageables de l'accident de la circulation du 20 juillet 2014,
- condamner la société Axa à devoir sa garantie à son égard et a réparer et indemniser qui de droit,
- débouter la SA Axa de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la SA Axa à lui verser une somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, avec distraction au profit de la Selarl AvouéPericchi.
M. [E] fait valoir que:
- il rejoint les conclusions de son épouse tendant à voir reconnaître la loi française applicable au litige,
- les conditions de mise en oeuvre de la garantie sont réunies et la société Axa sera tenue de prendre en charge le préjudice subi par son épouse, en application de l'article1134 du code civil,
- à titre incident, il convient de rejeter les prétentions de la société Axa et de la condamner à réparer les conséquences dommageables de l'accident de la circulation du 20 juillet 2014.
Les dernières conclusions de l'appelante ont été signifiées à la CPAM des Boûches du Rhône, intimée défaillante le 9 septembre 2022.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la détermination de la loi applicable :
Selon l'article 1er de la Convention de la Haye du 4 mai 1971, cette Convention a pour objet de déterminer la loi applicable à la responsabilité civile extracontractuelle découlant d'un accident de la circulation routière, quelle que soit la nature de la juridiction à en connaître.
Aux termes des articles 3 et 4 de cette Convention, lorsque les véhicules impliqués sont immatriculés dans des Etats différents, la loi applicable est la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel l'accident est survenu.
L'article 8 de cette Convention dispose que la loi applicable détermine notamment:
1. les conditions et l'étendue de la responsabilité ;
2. les causes d'exonération, ainsi que toute limitation et tout partage de responsabilité ;
(...)
8. les prescriptions et les déchéances fondées sur l'expiration d'un délai, y compris le point de départ, l'interruption et la suspension des délais.
Le dommage corporel dont Mme [E] demande réparation trouve son origine dans un accident de la circulation survenu en Tunisie au préjudice d'un ressortissant français impliquant deux véhicules immatriculés dans des Etats différents.
Le tribunal et la cour d'appel ont retenu que si l'article 3 de la Convention de la Haye du 4 mai 1971 détermine la loi applicable à la responsabilité délictuelle mise en oeuvre lors d'un accident de la circulation routière, elle ne régit pas la loi applicable au contrat d'assurance invoqué par la victime, lequel est soumis à la loi française dans la mesure où la Convention ne saurait avoir pour effet de réduire le champ de garantie prévu au contrat liant M. [E] et la société Axa France.
La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel avait violé la Convention de la Haye en n'ayant pas appliqué la loi tunisienne à la prescription de l'action en responsabilité délictuelle et à la détermination des conditions de cette responsabilité alors qu'elle était saisie d'une action dirigée contre l'assureur de responsabilité de l'un des deux véhicules immatriculés dans des pays différents et impliqués dans un accident de la circulation survenu en Tunisie.
Les intimés excipent d'une atteinte au principe de sécurité juridique en ce que cet arrêt constituerait un revirement brutal de jurisprudence par rapport à la position antérieure de la Haute Cour ayant retenu que la loi applicable telle que définie par la Convention de la Haye ne pouvait avoir pour effet de limiter l'étendue du contrat d'assurance souscrit en France.
Ils se fondent ainsi sur l'interprétation de l'arrêt rendu par la 1ère chambre civile le 4 juillet 2012 (n°1023572) concernant selon eux une espèce strictement similaire, s'agissant d'un accident de la circulation survenu au Maroc à l'occasion duquel la Haute Cour a considéré que le contrat d'assurance souscrit en France avait vocation à s'appliquer et a cassé l'arrêt rendu par les juges du fond qui avaient écarté le contrat d'assurance aux motifs que la loi marocaine ne considérait pas comme des tiers au contrat l'époux et les enfants du souscripteur de l'assurance.
Mais dans cette espèce, le véhicule assuré en France avait été considéré comme responsable au sens de la loi marocaine, ce qui justifiait la mobilisation de la garantie de l'assureur.
La question juridique posée à la Cour de cassation concernait ainsi l'identification de la loi applicable à la détermination de la qualité de tiers au contrat d'assurance, les parties s'opposant sur le point de savoir si cette notion relevait de la loi désignée par la Convention de la Haye ou de la loi du contrat d'assurance.
Ce précédent arrêt ne concernait donc que le problème de la détermination de l'étendue de la garantie découlant d'un contrat d'assurance souscrit en France pour l'indemnisation des conséquences dommageables d'un accident de la circulation survenu à l'étranger dont la loi étrangère considérait l'assuré comme responsable.
En l'espèce, la question juridique n'est pas celle de l'étendue de la garantie souscrite mais de sa mobilisation sur laquelle les parties s'opposent précisément en raison de l'application de la loi tunisienne déterminée par la Convention de la Haye.
L'argumentation des intimés reposant sur l'existence d'un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation ne peut donc prospérer.
Les intimés se prévalent en outre des dispositions de l'article 149 de la loi tunisienne n°2005-86 du 15 août 2005 portant insertion d'un cinquième titre au code des assurances concernant l'assurance de responsabilité civile du fait de l'usage des véhicules terrestres à moteur et au régime d'indemnisation des préjudices résultant des atteintes aux personnes dans les accidents de la circulation selon lequel :
'En cas où il y a plusieurs assureurs de véhicules ou de remorques impliqués dans l'accident et, lorsque la victime ou ses ayants droit en cas de décès, présente une réclamation amiable, l'offre de transaction amiable est faite par l'un des assureurs'.
Ils soutiennent que le véhicule de M. [E] étant impliqué dans l'accident, la garantie souscrite auprès d'Axa est due en application de la loi tunisienne.
Mais l'article 110 de la loi susvisée ne vise pas la notion d'implication du véhicule comme fait générateur de l'indemnisation des victimes en droit tunisien et évoque la couverture par l'assurance de la responsabilité civile, l'article 123 indiquant que lorsque les circonstances d'une collision entre deux ou plusieurs véhicules ne permettent pas d'établir la responsabilité encourue, chacun des conducteurs ou de ses ayants droit en cas de décès ne reçoit que la moitié des indemnités dues.
C'est ainsi vainement que les intimés concluent à l'implication du véhicule de M. [E] dans l'accident au soutien de leur demande de mobilisation de la garantie souscrite alors qu'il est établi par le procès-verbal dressé par les autorités tunisiennes que le chauffeur du camion ayant procédé à la manoeuvre à l'origine de l'accident en est le seul responsable et que la responsabilité de M. [E] n'est pas établie en application de la loi tunisienne.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, les intimés ne peuvent prétendre à la mobilisation du contrat d'assurance souscrit par M. [E] dont la mise en oeuvre est effectivement, comme le soutient l'appelante, subordonnée à l'établissement de la responsabilité préalable de l'assuré dans l'accident, laquelle ne peut en l'espèce être effectuée qu'au regard de la seule loi tunisienne.
Le jugement déféré sera donc infirmé.
Sur l'irrecevabilité des demandes en application de la loi tunisienne :
L'article 125 du code des assurances tunisien dispose que toutes les actions dérivant des accidents de la circulation sont prescrites dans un délai de trois ans à compter de la date de la connaissance de la victime du préjudice subi ou de celui qui l'a causé.
L'accident de la circulation a eu lieu le 20 juillet 2014, date à partir de laquelle Mme [E] a eu connaissance de son préjudice alors que son action aux fins d'indemnisation de son préjudice a été engagée le 7 décembre 2018, soit après l'expiration du délai triennal de prescription prévu par la loi tunisienne, seule applicable en l'espèce au regard des dispositions de l'article 8 de la Convention de La Haye.
Les demandes présentées par Mme [E] seront ainsi déclarées irrecevables par voie d'infirmation du jugement déféré.
Sur le manquement allégué au devoir d'information et de conseil de l'assureur :
En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
Dans le corps de leurs écritures, les intimés concluent à un manquement de l'assureur au devoir d'information et de conseil lui incombant au regard de l'inadéquation des garanties proposées aux besoins de l'assuré et à sa situation personnelle puisque les termes du contrat d'assurance prévoyaient expressément la couverture en Tunisie avec application de la loi française.
Ils sollicitent ainsi la condamnation de l'assureur à réparer toutes les conséquences préjudiciables de l'accident en relevant et en garantissant son assuré vis-à-vis de la victime.
Aucune prétention de ce chef ne figure cependant dans le dispositif des conclusions ni de M. [E], ni de Mme [E] et la cour n'est donc pas saisie de cette prétention.
Sur les autres demandes :
Succombant à l'instance, M. et Mme [E] seront condamnés à en régler les entiers dépens, de première instance et d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile, sans que l'équité commande de faire droit à la prétention présentée par la société Axa au titre des frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés seront également déboutés de leur prétention du même chef en ce qu'ils succombent.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré dans l'intégralité de ses dispositions soumises à la cour ;
Statuant à nouveau,
Déclare que la loi tunisienne est seule applicable à l'accident de la circulation à l'origine du dommage subi par Mme [T] [W] épouse [E] ;
Déclare irrecevables les demandes d'indemnisation de Mme [E] pour cause de prescription;
Déclare le présent arrêt commun et opposable à la CPAM des Bouches du Rhône ;
Condamne M. [G] [E] et Mme [T] [E] aux entiers dépens, de première instance et d'appel ;
Déboute les parties de leur prétention respective au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,