RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 21/03346 - N° Portalis DBVH-V-B7F-IFOM
AD
COUR D'APPEL DE NIMES
29 octobre 2020
RG:19/00181
COMMUNE DU [Localité 5]
C/
[R] - [V]
[R] - [M]
[R] - [A]
[R]
[R]
[R]
[T]
[P]
Grosse délivrée
le
à SCP Tournier et associés
SCP AKCIO BDCC ...
COUR D'APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
2ème chambre section A
ARRÊT DU 02 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Arrêt du Cour d'Appel de NIMES en date du 29 Octobre 2020, N°19/00181
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre,
Mme Laure MALLET, Conseillère,
Madame Virginie HUET, Conseillère,
GREFFIER :
Mme Céline DELCOURT, Greffière, lors des débats et du prononcé de la décision
DÉBATS :
A l'audience publique du 03 Janvier 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Mars 2023.
Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d'appel.
APPELANT :
COMMUNE DU [Localité 5] prise en la personne de Monsieur le Maire en exercice domicilié ès qualités
[Adresse 17]
[Localité 5]
Représenté par Me Christine TOURNIER BARNIER de la SCP TOURNIER & ASSOCIES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTIMÉES :
Madame [H] [R] - [V] épouse [V]
née le 15 Septembre 1943 à [Localité 16]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représentée par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [N] [R] - [M] épouse [M]
née le 19 Février 1942 à [Localité 16]
[Adresse 15]
[Localité 20]
Représentée par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [C] [J] [W] [R] - [A] épouse [A]
née le 29 Juin 1948 à [Localité 21]
[Adresse 8]
[Localité 1]
Représentée par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
INTERVENANTS
Madame [Z] [R]
née le 28 Octobre 1980 à [Localité 20]
[Adresse 19]
[Localité 12]
Représentée par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [F] [R] épouse [B]
née le 08 Janvier 1992 à [Localité 20]
[Adresse 13]
[Localité 11]
Représentée par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Monsieur [G] [R]
né le 17 Novembre 1994 à [Localité 20]
[Adresse 4]
[Localité 22], CANADA
Représenté par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Monsieur [L] [T]
INTERVENANT VOLONTAIRE
né en à
[Adresse 18]
[Localité 6]
Représenté par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
Madame [D] [P] veuve [R]
née le 18 Novembre 1957 à [Localité 23]
[Adresse 14]
[Localité 10]
Représentée par Me Pascale COMTE de la SCP AKCIO BDCC AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NIMES
ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 15 Décembre 2022
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Anne DAMPFHOFFER, Présidente de chambre, le 02 Mars 2023, par mise à disposition au greffe de la Cour
EXPOSE :
Vu le jugement, rendu par le tribunal de grande instance d'Alès le 18 décembre 2018, ayant condamné la commune du [Localité 5] à rétablir, au profit de l'immeuble situé au [Localité 5], cadastré section AB numéro [Cadastre 2] et [Cadastre 3], une concession d'eau à titre gratuit sur deux points de la propriété et à payer à Monsieur [S] [R], Madame [H] [R]-[V], Madame [N] [R]-[M], Madame [C] [R]-[A] la somme de 2500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens .
Vu l'appel interjeté par la commune du [Localité 5].
Vu l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 29 octobre 2020, ayant ordonné une expertise sur, notamment, le mode d'alimentation de la propriété [R] avant les travaux de 2014 et sur la description des travaux réalisés par la commune du [Localité 5] en 2014.
Vu le rapport d'expertise déposé le 8 juin 2021.
Vu les dernières conclusions de la commune du [Localité 5], appelante, en date du 5 décembre 2022, demandant de :
' réformer le jugement,
' rejeter les demandes de Monsieur [T],
' condamner Monsieur [T] à prendre en charge les frais d'installation et de consommation d'eau,
' en tout état de cause, condamner Monsieur [T] à lui payer la somme de 2500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de l'expertise judiciaire.
Vu les conclusions de Monsieur [T], en date du 14 novembre 2022, intervenant volontaire venant aux droits des consorts [R] à la suite de la vente aux enchères publiques sur licitation de leur immeuble au mois de juin 2021, demandant de :
' rejeter les demandes de la commune du [Localité 5] qui ne sont pas fondées et confirmer le jugement,
' condamner la commune du [Localité 5] à rétablir au profit de son immeuble une concession d'eau à titre gratuit sur deux points de la propriété, à lui payer la somme de 5500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu les conclusions des consorts [R] en date du 24 mai 2022, demandant de :
' rejeter les demandes formées par la commune du [Localité 5],
' confirmer le jugement du 18 décembre 2018,
' condamner la commune du [Localité 5] à rétablir au profit de l'immeuble une concession d'eau à titre gratuit distribuée en deux points de la propriété, à leur payer la somme de 5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Vu la clôture du 18 août 2022 et l'avis préalable de fixation du 1er mars 2022.
Vu l'appel de la procédure à l'audience du 6 septembre 2022.
Vu l'arrêt de réouverture des débats du 10 novembre 2022, la nouvelle fixation pour plaidoiries au 3 janvier 2023 et la nouvelle clôture au 15 décembre 2022.
Motifs
Les consorts [R] étaient propriétaires indivis d'un immeuble sur la commune du [Localité 5], l'ayant reçu par succession de leurs parents, lesquels l'avaient, eux-mêmes, acquis en 1964 aux termes d'un acte qui précisait que dans l'acte de vente précédent, du 20 avril 1923, il était stipulé : « les acquéreures jouiraient de la concession d'eau gratuite attribuée à l'immeuble vendu par acte sous signature privée en date au [Localité 5] du 28 mars 1875, déposé aux minutes de Maître [I], notaire au [Localité 5] le 14 mars 1923 ».
L'acte de 1875 signé entre le maire du [Localité 5] et les consorts [X] valant transaction prévoyait :
« article 1er : le procès au possessoire intenté par les héritiers [X] à la ville du [Localité 5].. ., est remplacé par la transaction suivante :
Article 2 : Monsieur le maire reconnaît aux héritiers [X] le droit d'une concession et demi d'eau.
Article trois : ce droit pourra être exercé par les héritiers [X] ou leurs ayants droits dans les deux prises indifféremment. L'eau pourra être distribuée comme ils l'entendent à la fontaine de la cour ou à celle du jardin dans des proportions diverses à la volonté des héritiers [X] ; en un mot, la jouissance de cette concession sera complète et sans restriction aucune.
Article quatre : la commune n'aura le droit d'exiger aucune espèce de redevance des héritiers [X] ou de leurs ayants droits en raison de la concession susdite.
Article cinq : la commune de [Localité 5] supportera les frais de bâtisse qui ont été faits à la prise du jardin et paiera aux héritiers [X] la différence de valeur entre le tuyau en terre qui a été enlevé et le tuyau en plomb qui y a été substitué..»...
Les consorts [R], faisant valoir que la concession d'eau alimentant leur propriété avait été supprimée à la suite des travaux réalisés par la commune en 2014, ils ont donc introduit la présente instance pour réclamer à la commune son rétablissement.
Celle-ci leur ayant notamment opposé qu'elle ne pouvait plus proposer que de l'eau potable du réseau, non gravitaire et qu'il n'avait pas été possible de maintenir le réseau gravitaire secondaire en raison des travaux effectués et de la pente trop faible, la cour d'appel a, dans un arrêt avant-dire droit, ordonné une expertise.
Il résulte des observations de l'expert que la propriété en cause a bien été alimentée en eau brute jusqu'aux travaux réalisés par la commune en 2014 ; qu'il s'agissait d'une alimentation gravitaire depuis la source avec une pression qui se situait entre 0,5 et 1bar maximum ; que cette alimentation a été supprimée avec les travaux de rénovation des réseaux de la commune ; que le renouvellement du réseau d'eau brute n'avait pas été prévu dans le cadre des travaux et que l'argument de la commune sur l'impossibilité technique de maintenir cette alimentation en eau brute n'a de sens, ni au regard de la profondeur du réseau de raccordement, ni au regard de la pression résiduelle, dès lors que l'altimétrie n'a pas changé ; qu'il était envisageable d'alimenter le terrain en litige depuis le réseau situé au nord avec résolution des problèmes d'encombrement du sous-sol et de profondeur des réseaux ; que le coût des travaux nécessaires pour le rétablissement de l'alimentation en eau brute est de 35'000 € hors-taxes et que l'établissement d'un nouveau branchement pour de l'eau potable ne représenterait qu'une somme de 2000 € TTC environ.
La lecture des actes établis à propos du terrain, permet de retenir qu'à la suite d'un litige entre les propriétaires de ce terrain et la commune au XIXe siècle, dont l'objet exact n'est pas établi, les propriétaires se sont donc vus reconnaître, pour eux-mêmes et leurs ayants droits, un droit de concession d'eau gratuite sans restriction et sans redevance en deux points de la parcelle.
Ce droit a été établi dans le cadre d'une transaction qui se voit reconnaître l'autorité de chose jugée en application de l'article 2052 dans sa version applicable à l'espèce.
La commune ne conteste d'ailleurs pas le principe de ce droit, faisant seulement valoir qu'il a été perdu vu la disparition de l'objet de la transaction qui se renferme sur elle-même et que par ailleurs, il ne peut être fait droit à la demande d'une alimentation gratuite en eau potable.
Il n'est pas contesté que ce sont les travaux d'adduction et de rénovation réalisés par la commune en 2014 qui ont amené la suppression de l'alimentation en eau de la propriété [R] telle qu'elle existait jusqu'à cette date et qui consistait en une alimentation de la propriété pour de l'eau brute au niveau de la rue des casernes, le réseau étant alors situé, selon les dires recueillis par l'expert, à une profondeur de 1,80 m à 2 m.
La transaction passée, dont la régularité n'est pas critiquée en ce qu'elle prévoit des concessions réciproques, stipule clairement une concession d'accès à l'eau de la commune à titre gratuit sur deux points de la propriété, sans restriction aucune et à titre gratuit, qui ne saurait être assimilée à une aliénation de l'eau publique.
Il ne peut, par ailleurs, être soutenu que l'objet de la transaction ainsi passée aurait désormais disparu dès lors, d'une part, que son objet ne réside pas dans la seule concession d'eau par la commune, mais dans des concessions réciproques des 2 parties et qu'il n'est pas démontré notamment que la concession faite par les consorts [X] ait disparu, même donc si l'on en ignore les exactes tenants et dès lors d'autre part, que la concession d'eau avait été accordée à partir d'une source qui existe toujours, l'alimentation en eau brute gravitaire n'ayant cessé de fonctionner qu'à raison des travaux réalisés par la commune sans qu'aucune impossibilité technique de son maintien ne soit établie, les observations de l'expert concluant, en effet, en sens contraire :
- en précisant que si le réseau d'eau brute ne pouvait être conservé en raison de sa vétusté, ( dont on soulignera au demeurant que son entretien incombait à la commune), il pouvait être renouvelé en étant positionné à une profondeur classique entre 0,5 et 1m de profondeur et qu'il était, en outre, envisageable de fournir la propriété depuis le réseau situé au nord depuis l'alimentation de la fontaine, avec un cheminement de l'alimentation sur 80m/l, d'où la résolution des problèmes d'encombrement du sous sol et de profondeur des réseaux,
- en ajoutant que le système gravitaire était toujours possible,
- et en concluant que selon la commune, le renouvellement de la canalisation en eau brute de la propriété n'a pas été prévue pour des 'raisons techniques, ce qui n'est pas confirmé au vu des éléments ci-avant'.
Il ne peut, non plus, être utilement allégué que l'eau serait inaliénable, car la question en débats n'est donc, en l'espèce, pas celle de la propriété de l'eau, mais celle d'un seul droit d'usage de l'eau en vertu de la concession prévue à ladite transaction.
L'interdiction légale de fourniture gratuite de l'eau potable est également vainement soutenue par rapport à l'objet de la demande, qui est la seule fourniture de l'eau au bénéfice de la propriété en application de la transaction , le débat sur l'impossibilité de la gratuité pour une fourniture d'une eau potable ne concernant que l'hypothèse où l'alimentation serait envisagée à partir du nouveau réseau d'eau potable, solution qui n'est privilégiée que par la commune mais qui ne s'évince nullement des termes de la transaction qui seule s'impose aux parties, les intimés ne formulant au demeurant et pour leur part aucune exigence, alors encore que selon l'expert, à part la question de son coût supérieur, la possibilité du maintien de la fourniture d'eau non potable est donc toujours possible et que les droits conférés par la transaction au titre de la concession dont M [T] peut se prévaloir ne concernent qu'une alimentation gratuite et en eau brute.
Il sera, en dernier lieu, observé :
- que la conclusion technique de l'expert, qui retient donc qu'il n'y a pas d'impossibilité de maintenir le réseau gravitaire, quand bien même ce maintien aurait un coût important, n'est pas utilement contestée par des observations techniques contraires de la commune, l'expert ayant donc même précisé qu'il n'y avait pas de difficultés susceptibles de provenir de la profondeur du réseau de raccordement ou de la pression, en soulignant précisément que « les conditions de fonctionnement avant et après les travaux d'aménagement n'(ont) pas évolué (topographie des points d'alimentation et linéaire des réseaux identiques), l'eau qui arrivait auparavant ne pouvait qu' arriver encore et la commune ne démontrant, quant à elle, ni d'impossibilité technique de ce chef du fait de la mise aux normes des réseaux, ni l'existence d'une configuration différente, la seule attestation produite étant celle de son responsable technique, qui ne peut être retenue comme suffisamment probante,
- qu'il n'est par ailleurs pas démontré que le maintien du réseau gravitaire s'oppose au principe de continuité d'alimentation en eau potable de la population,
- qu'il ne peut être prétendu ni que la commune n'avait pas d'autre choix que de supprimer l'alimentation existante, vu les conclusions expertales sur la faisabilité technique de son maintien, ni qu'elle aurait une obligation de fourniture d'eau potable à sa population dès lors qu'il n'est pas établi que le maintien du réseau d'eau brute compromettrait cette obligation, ou ne lui permettrait de maîtriser sa ressource en eau, la circonstance que d'autres voisins n'auraient pas revendiqué le maintien du droit étant indifférente,
- qu'il n'est pas non plus sérieux de prétendre que le coût de 35'000€ serait disproportionné par rapport à l'objectif , étant considéré que le droit de concession existe depuis 1875, qu'il a un caractère déjà pluricentenal et que la disproportion, même évoquée par l'expert, n'est en réalité motivée par aucune étude précise des coûts et des quantités consommées, qu'enfin, le bien-fondé de l'estimation de 50'000 €, unilatéralement proposée par la commune, qui ne l'a pas soumise à l'expert, n'est, en outre et dans ces conditions, pas suffisamment démontrée .
Il en résulte la confirmation du jugement et le rejet des demandes de la commune du [Localité 5].
Vu les articles 696 et suivants du code de procédure civile et la succombance de la commune du [Localité 5].
L'équité commande l'application de l'article 700 du code de procédure civile, y compris à l'égard des consorts [R], toujours parties à la présente procédure, ainsi qu'il sera dit ci-dessous au dispositif.
Par ces motifs
La cour, statuant après débats en audience publique par mise à disposition au greffe, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort,
Rejette les demandes de la commune du [Localité 5] et confirme le jugement en toutes ses dispositions,
y ajoutant :
Condamne la commune du [Localité 5] à verser, d'une part, aux consorts [R]- [V], [R]-[A], [R]-[M], [D] [R], [Z] [R], [F] [R], [G] [R], la somme de 1500 € par application de l'article 700 du code de procédure civile, et d'autre part, à Monsieur [T] la même somme de 1500 € sur le même fondement,
Condamne la commune du [Localité 5] aux entiers dépens de la procédure d'appel, y compris le coût de l'expertise judiciaire .
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,